Bell de Bilgewater

Chapitre 81 : Partie 5 - Chapitre 11

3779 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/08/2024 16:16

 - Ça va Bell ?

         Une voix sortit la yordle de ses pensées. Le fils du maître caravanier lui tendait une gourde de thé en souriant.

 - Tu m’as eu l’air absente depuis ce matin, continua Mora. Quelque chose ne va pas ?

 - Je ne sais pas trop…

 - Le combat d’hier t’a retourné l’esprit. Bois ça te fera du bien.

 - Tu as déjà eu affaire aux Kmiros ?

         Le caravanier soupira en s’asseyant. Le Skallashi qui les transportait marchait tranquillement, foulant d’un pas lourd le sable plusieurs mètres en dessous.

 - La plupart du temps nous parvenons à les semer, mais il était déjà arrivé que nous ayons eu à nous défendre.

 - Je vois.

 - Bien des caravanes, peu préparées, ont été balayées par des essaims. Ce sont les risques du métier.

         Le shurimien ouvrit une seconde gourde qu’il sirota en regardant sa compagne aux rênes de leur monture. Bell enviait cet heureux couple, qui affrontait ensemble les dangers et épreuves de la vie. Elle se demanda si elle aussi aurait droit à une telle relation un jour.

 - Ce soir on compte organiser une petite fête avec les autres, lança Mora. Vous devriez vous joindre à nous !

 - Qu’est-ce qu’on fête ?

 - Être en vie, sourit Mora. La mémoire de ceux tombés au combat.

         Bell sourit, et accepta. Elle, autant que tout le reste des voyageurs, avait besoin de décompresser. D’après Mora, ils ne restaient que deux jours de marche avant d’arriver à la capitale.

         Son estimation fut corroborée par l’apparition au loin d’un éclat doré, qu’il était difficile de fixer. La capitale de l’Empire shurimien, déjà plus grande ville du continent, était apparemment surplombée d’un gigantesque disque en or, qui planait à la verticale. La magie évidemment, était à l’origine de ce phénomène, rien ne permettrait de maintenir en l’air un objet de plusieurs centaines de mètres de diamètre. Nâmis lui avait appris que le disque solaire était un symbole des croyances de Shurima, et l’outil permettant l’ascension, qui transformait les être choisis en transfigurés.

         Déjà à cette distance, la navigatrice pouvait voir poindre le fameux disque, par-delà les dunes. Sur ses genoux, Clapper dormait à l’abri sous un tissu. La chaleur sapait ses forces, si bien qu’il passait le plus clair de son temps à se reposer. Le dos d’un Skallashi en marche n’était de toute manière pas le meilleur endroit pour jouer et gambader.

         Une nouvelle fois, le soleil brûlant déclinait vers les lointaines dunes, laissant aux itinérants le loisir de profiter des derniers rayons pour dresser le camp. Comme annoncé, les caravaniers préparèrent un véritable festin. De grandes broches avaient été dressés au-dessus de feux gigantesques qui brillaient dans la pénombre naissante. Les mercenaires se joignirent volontiers au reste des itinérants, et au grand étonnement de Bell, les viandes embrochées n’étaient autre que des Kmiros dont la carapace luisait dans les flammes vives.

         La navigatrice accepta avec hésitation un morceau, qui malgré sa provenance semblait fort appétissant, avant de rejoindre Cynthia et Ileae qui discutaient en souriant.

 - Vous avez l’air de bien vous amuser, sourit la yordle. Vous parliez de quoi ?

 - De Bilgewater, répondit son amie d’enfance, Ileae pose toujours énormément de questions sur toi.

         Le visage de la vastaya changea de teinte, passant du blanc pâle à un léger rouge, tandis qu’elle bredouillait quelques mots.

 - Notre archipel me manque, admit Bell. De quoi lui as-tu parlé ?

 - Je lui racontais nos courses en ville, et comment Jay te taquine souvent. Et elle aussi a remarqué comment tu rabats tes oreilles lorsque tu es en colère.

         Cette fois-ci ce fut au tour de la navigatrice de rougir. Comme tous les yordles, outre sa minuscule taille, elle avait pour caractéristique ses deux grandes oreilles aux poil longs, qui faisaient chacune presque la taille de sa tête, et qui bougeaient en fonction de son humeur.

 - Vous êtes très proches toi et Jay, dit timidement Ileae.

 - Lui et Cynthia me connaissent depuis ma naissance, nous sommes d’excellents amis.

 - Juste des amis, intervint Cynthia avec un grand sourire en regardant la zaunienne.

 - Je me souviens qu’on allait chez ses parents pour apprendre à pêcher.

 - Oui ! Son père cuisinait vraiment bien.

 - Et vous allez ensemble à l’école ? Demanda Ileae.

         Un lourd silence s’installa, tandis que les deux bilgewatiennes regardaient leur interlocutrice, confuse.

 - Le quoi ?

 - L’école, comme l’académie mais pour les enfants, où on apprend à lire écrire et fabriquer ses premiers automates.

 - On n’avait pas ça nous, dit Bell en regardant Cynthia.

 - Non, ton grand-père nous a appris tout ça.

 - Sauf les automates, remarqua la navigatrice. On n’est pas très robots par chez nous, plus gros monstres marins, sculptures et gravures sur bois et os.

 - Et on adore les tatouages ! C’est une tradition.

         En écoutant les deux amies parler, Ileae avait les yeux qui pétillaient de curiosité.

 - Tu me fera visiter un jour ? Demanda-t-elle à la yordle.

         Bell acquiesça avec un large sourire. Aux dire de la zaunienne, elle comprit que cette dernière comptait encore voyager avec eux durant un moment, ce qui lui fit chaud au cœur.

-       Évidemment !

         Peu après, ils furent rejoints par les autres membres de leur groupe. Nâmis, chargé d’un plateau de bols remplis de soupe de Kmiros, semblait ravi, contrairement à Holly dont l’habituelle froide expression laissait transparaître une certaine appréhension envers le contenu desdits bols. Anna quant à elle revint avec les bras pleins de chopes en bois, un large sourire sur le visage.

 - Tenez les jeunes, dit-elle en tendant les récipients, goûtez-moi ça.

         Bell Ileae et Cynthia s’exécutèrent. Chacune attendit de voir le reste du groupe, et les caravaniers boire le contenu, avant de tremper timidement leurs lèvres.

 - C’est frais, lâcha Ileae en en reprenant une gorgée, c’est quoi ?

 - Du jus de cactus fermenté ! Boisson de fête pour les itinérants.

         La yordle goûta avec hésitation la soupe de Kmiros, qui à son grand étonnement, était d’une douceur délicate. Le chaud breuvage semblait revigorant, et se mariant à merveille avec le jus de cactus. Elle remarqua l’arrière-goût étrange de ce dernier, et comprit qu’il s’agissait d’une boisson alcoolisée, cependant Ileae ne semblait pas avoir connaissance de ce détail, et buvait sans retenue.

         Autour de feux et de boissons, les groupes se mélangèrent plus qu’à l’accoutumée. Les mercenaires semblaient plus détendus, de même que les caravaniers qui allaient et venaient, discutant avec tout le monde. Une partie d’entre eux quitteraient le convoi une fois la capitale atteinte, pour eux aussi suivre le fleuve Mère de la Vie, mais en direction de l’est. Certains attendront un convoi retour vers Nashramae, tandis que le maître guiderait les autres vers Nerimazeth.

         Bell eut l’occasion d’échanger avec de nombreux itinérants et mercenaires. Contrairement à ce qu’elle pensait, une bonne partie d’entre eux était originaire d’autres contrées, étant tombés amoureux de la région et du mode de vie nomade.

         Ileae, de qui le jus de cactus avait fait disparaître toute trace de timidité, était devenue très joviale, et rieuse. Lorsque Bell et Cynthia les rejoignirent, elle discutait avec Mora et Jolyne, regardant avec des yeux brillants le jeune couple du désert.

 - Ah voilà les deux pirates ! Pas trop bu ?

 - Moins que d’autres, sourit la yordle en regardant Ileae qui souriait béatement.

 - Certes. J’ai une bonne nouvelle pour toi d’ailleurs, les autres ont récupéré pas mal de cuir sur les Kmiros abattus, on t’en gardera un peu.

 - Vraiment !?

         Le caravanier acquiesça, souriant en constatant le bonheur visible sur le visage de son interlocutrice. Ileae se leva à grand peine, et marcha pour s’asseoir aux côtés de Bell. Se démarche hasardeuse, elle manqua de chuter, plus affalée qu’assise.

 - Et toi pourquoi tu voyages ? Lança-t-elle à Cynthia. Bell cherche ses parents, Mora prend la suite du maître, mais toi je ne sais pas encore.

 - Mère souhaitait que je prenne sa suite, mais selon elle j’avais plus à apprendre ailleurs que d’elle. Et je voulais rester avec Bell.

 - Oui moi aussi… bredouilla la vastaya.

 - Votre mère était guérisseuse n’est-ce pas ? Demanda Jolyne.

 - Exact, elle se fait appeler Tourmaline, titre qui se transmet de mère en fille.

 - Je vous ai vu exercer votre magie de l’eau, quelqu’un vous apprend ?

         La jeune mage répondit par la négative. Elle avait certes croisé de bon professeurs à Piltover, mais aucun n’était spécialisé dans ce domaine particulier. Malgré cela, elle progressait dans le domaine médical traditionnel grâce à Reiner qui les accompagnait.

 - Déjà entendu parler de tribus de vastayas peuplant les mers, et qui auraient une grande maîtrise de l’aquamancie.

 - Vraiment ? Lancèrent Cynthia et Ileae d’une seule voix.

 - Ce ne sont que ses rumeurs, les vastayas marins échangeraient très peu avec les peuples terrestres.

 - Je me demande où c’est qu’on trouve des gens comme moi, hasarda Ileae en hoquetant.

         L’état de la jeune vastaya provoqua l’hilarité de leurs camarades. Ne comprenant pas la raison du fou rire des gens autour, resta immobile et silencieuse quelques secondes, avant de rire à son tour.

 

         Au cours de la soirée, les quelques itinérants capables de jouer d’instruments se réunirent, et offrirent à tous une ambiance chaleureuse. La viande de Kmiros finit entièrement consommée, et de nombreux litres de jus de cactus aussi, notamment par Ileae. Cette dernière, qui commençait à ne plus réussir à aligner les mots, et tenir debout, resta parmi les derniers éveillés.

         Estimant qu’elle avait besoin de repos, Bell finit par tenter de faire comprendre à la vastaya devait qu’elle devait aller se coucher. La plupart des autres voyageurs étaient couchés depuis un moment, laissant un calme régner sur le campement, que seule la vastaya ivre venait innocemment perturber.

         La jeune fille parvint à faire marcher son amie vers sa tente, la soutenant du mieux qu’elle le pouvait durant une marche qui s’avéra assez hasardeuse. La zaunienne marmonnait en titubant, des mots en majorité incohérents organisés en d’incompréhensibles phrases. Finalement, lorsqu’elles parvinrent jusqu’au lit de la scientifique, elle s’y affala lourdement, s’endormant directement, encore habillée.

         Bell l’observa quelques secondes, se demandant s’il était sage de la laisser seule cette nuit. Finalement, elle secoua la tête et referma la tente, avant de se diriger vers la sienne.

 

         Une bourrasque agita la toile de la tente, qui plia légèrement au-dessus de Bell. Malgré les derniers jours, elle n’arrivait pas à trouver le sommeil, et continuait à fixer les mouvements du tissu qui bougeait au rythme du désert. Clapper quant à lui dormait tranquillement en boule à ses côtés.

         Je devrais prendre l’air.

         Elle s’extirpa de son sac de couchage, puis de la tente. Dehors, la nuit était calme, mais pas entièrement noire. Le plafond d’étoile, toujours aussi beau, illuminait le camp qui dormait. Le rat des quais avait senti les mouvements de sa maîtresse, et s’était alors élancé à sa suite, en trottinant joyeusement.

         Trop de choses se bousculaient dans sa tête ces derniers temps. Le combat contre les Kmiros, la perte de camarades de voyage, avaient encore un peu plus attisé le feu qui s’emparait d’elle, ce alors que la situation l’avait contrainte d’utiliser ses pouvoirs.

         J’espère que je peux faire confiance à Amara, pensa-t-elle en marchant.

         Elle se dirigea doucement vers la tente d’Ileae, sans même y penser. Si cette dernière dormait, elle pourrait constater qu’elle allait bien, et au mieux elle serait éveillée et dans un meilleur état pour discuter.

         C’est la première fois que je la vois aussi ouverte, sourit la yordle en repensant à la soirée qui s’était terminée quelques heures auparavant.

         A son grand étonnement, lorsqu’elle parvint à la tente de son amie, elle la trouva vide. Inquiète, elle sillonna le campement à sa recherche, elle devait sûrement prendre l’air elle aussi.

         Après de nombreuses minutes à parcourir la fraicheur du désert, un son lui parvint, des rochers situés à quelques dizaines de mètres du campement. Intriguée, la yordle s’y dirigea. Clapper émit un petit glapissement, regardant sa maîtresse avec insistance.

 - Quel fainéant tu fais, sourit-elle.

         Elle tendit son bras, et l’animal sauta dessus, avant de grimper se loger sur son épaule. Il enroula sa queue autour du coup de son moyen de transport favori, faisant claquer sa mâchoire joyeusement.

         A mesure qu’elle approchait des rochers, le son que Bell entendait se fit plus clair, il s’agissait d’une voix, douce. Cette voix, qu’elle trouva absolument magnifique, était celle d’Ileae.

         Alors qu’elle s’approchait doucement, son pied glissa sur un cailloux, faisant rouler plusieurs pierres. Le bruit surpris la vastaya, qui s’arrêta de chanter, surprise. La jeune fille s’approcha timidement, honteuse d’avoir interrompu son amie.

 - Je ne savais pas que tu chantais, hasarda-t-elle. Je peux ?

         La zaunienne lui fit signe de s’asseoir à ses côtés, un large sourire se dressait sur son visage légèrement teinté de rouge.

 - J’ai trop honte pour chanter d’habitude, admit cette dernière. Et je ne suis pas très douée.

 - Tu as une belle voix, si tu veux je peux t’écouter quand en en as envie !

         La scientifique rougit de plus belle. Elle avait toujours du mal à formuler ses mots, à cause du jus de cactus, mais semblait lucide.

 - Comment tu te sens ?

 - J’ai l’impression d’avoir un temps de retard sur tout ce que je vois, entends, et fais, sourit béatement Ileae.

         Elle est complètement ivre, conclut la yordle.

 - Mais sinon ?

         Le sourire de la vastaya se mua en une expression triste, tandis qu’elle détournait le regard.

 - Ma maison me manque, mes parents et ma sœur aussi. Comment tu fais quand ça ne va vraiment pas ?

 - Je dessine, je parle avec nos camarades, je m’entraîne.

 - Je ne sais pas faire tout ça…

         Bell s’approcha, et passa un bras autour des hanches de la vastaya. Elle aurait bien voulu enlacer ses épaules, mais elle était bien plus petite qu’elle, et n’avait à sa portée que son ventre.

 - Je pourrais t’apprendre à dessiner ? sourit la navigatrice.

 - Tu n’en aura pas le temps, Nâmis et les autres ont plein de choses à t’apprendre, rétorqua la zaunienne en faisant une moue boudeuse.

 - J’aurais toujours du temps pour toi.

         Bell rougit en prononçant ses derniers mots, tandis que son cœur s’emballait.

 - Tu crois que Vira s’en sort avec les Ratels ?

 - Je lui ai laissé un gang convaincu de ma légitimité, sourit Bell, et ta sœur est une personne incroyable. S’occuper d’un gang d’insurgés n’est même pas un défi pour elle.

         Ileae sourit, conservant un air triste sur le visage. Sous l’effet de l’alcool, elle se reposait plus sur son amie que sur ses propres jambes, forçant les deux à une grande proximité.

         Pendant de longues minutes, le duo resta silencieux, en contemplant l’immensité nocturne du désert devant lui.

 - C’est ma faute si tout ça est arrivé, marmonna Bell. Je suis désolée.

 - T’y es pour rien.

 - Si je n’avais pas été là, Krenn n’en aurait pas eu après nous. Tes parents…

 - Mes parents sont morts parce que cet homme était un dégénéré, s’énerva Ileae, un point c’est tout.

 - Tu as failli être blessée, ou pire tuée, parce que tu es avec moi.

 - Et je veux que ça continue, sourit Ileae en se redressant brusquement. Qu’ils viennent moi je les attends ! Personne ne touche à MA Bell !

 - JE te mets justement, rétorqua la yordle, la gorge serrée. J’ai de moins en moins de contrôle sur mes pouvoirs, je ne sais pas où je vais-je ne sais même plus si ce que je fais est bien.

 - Dis-moi ce qu’il se passe, et je le combattrais !

 - Je ne sais même pas si on peut m’aider. Je me sens mal, triste et en colère. Plus le temps passe, plus je ressens de l’amertume, de la rage, et des regrets et une profonde haine de tout et de tout le monde. Ça grandit en moi, ça me brûle et je ne peux pas l’empêcher. Je déteste ça, je me déteste… et je crains que tout le monde me déteste.

         La yordle s’était doucement recroquevillée sur elle-même, tentant de parler avec une voix de plus en plus hoquetante. Une partie d’elle redoutait que son amie prenne peur et s’éloigne d’elle, mais une autre justement considérait cette option comme la moins dangereuse. Cette dernière s’assit face à elle, posant ses mains sur les épaules de la yordle fermée sur elle-même.

- Je veux juste aller bien à nouveau…

 - On va t’aider à surmonter ça. Personne ne te déteste, et moi c’est tout le contraire.

         Bell releva la tête. Les yeux dorés de la vastaya la dévisageait intensément, brillant sous la lumière des étoiles les surplombant. Elle regarda ses cheveux, d’un rouge ardent, couvrant un cou dont la peau était d’une blancheur immaculée. Elle n’avait qu’une envie : serrer la zaunienne dans ses bras.

 - Malgré tout ce qu’il se passe, et tout ce qu’il se passera, je suis heureuse. J’apprécie être ici, avec tous ces gens, et surtout avec toi. Je remercie le destin de nous avoir permis de nous rencontrer, tu m’as plus apporté que quiconque Bell. Chaque jour tu me fais devenir une meilleure personne, je veux continuer à voyager avec toi, je veux vivre avec toi.

         Ileae rapprocha doucement son visage, posant une main sur la joue de la jeune mercenaire. Lentement, elle déposa ses lèvres sur celles de son amie.

 - Je t’aime Bell.

 

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