Bell de Bilgewater

Chapitre 80 : Partie 5 - Chapitre 10

2546 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/08/2024 15:53

     Dans le silence du désert, perturbé par les légers vents qui s’immisçaient entre les bâtiments en ruine, le calme retomba sur les quelques combattants. Tétanisés, hébétés, chacun mit plusieurs minutes à accuser la violence de la bataille. Les premiers à reprendre leurs esprits furent les mercenaires, ainsi que les caravaniers les plus âgés. Certains avaient déjà vécu de similaires évènements, à plusieurs reprises, ils tentaient alors de se rapprocher des plus jeunes pour les remettre d’aplomb.

         Très rapidement, il fallut faire le décompte des blessés, ainsi que des pertes. Sur la quarantaine de membres ayant affronté les Kmiros, six manquaient à l’appel, dont quatre parmi les mercenaires. La mine grave des anciens lorsqu’ils couvrirent le corps de leurs semblables laissaient moins apparaître l’horreur qu’ils avaient sous les yeux que l’expression de dégoût qu’affichaient les jeunes. Les trois corps retrouvés étaient lacérés, presque impossible à identifier, les autres restèrent introuvables.

         Anna et Holly, ayant déjà eu à affronter de tels événements, aidèrent à porter les corps. Tous prirent le temps de bâtir sur eux des cairns de pierre, pris aux des ruines autour deux, avant de se recueillir en silence. Le maître caravanier engagea un éloge funèbre, saluant la dévotion de ses pairs, tandis que les mercenaires entonnèrent un chant. Comme d’un seul homme, leurs voix accompagnaient l’âme des défunts vers l’au-delà. Les caravaniers se joignirent aux chœurs, qui petit à petit devinrent de plus en plus puissants, résonnant avec fierté sur les murs de pierre avant de s’éparpiller sur les sables du désert.

         Sans un mot, après avoir vérifié et soigné les blessures de tout le monde, le groupe retrouva le reste de la caravane qui se cachait avec les Skallashis plus loin. L’expression harassée sur le visage des combattants laissa comprendre le déroulé des dernières heures à leurs compagnons. Dans les cavernes, bien peu de mots échangés, mais les pleurs et jurons qui s’élevèrent finirent de miner le moral du groupe.

         En voyant Bell revenir entière, Clapper avait sauté des épaules de Nâmis pour se précipiter vers elle. La jeune fille le serra dans ses bras, une boule dans la gorge.

         Malgré tout, les itinérants reprirent leur poste, et reformèrent le convoi. La journée déjà bien avancée, ils devaient continuer en direction de la capitale, ainsi Victor ordonna la reprise de la marche.

 

         La caravane traça sa route entre les dunes, et de même que le trajet, leur première pause se fit dans le silence. Le caravanier avait choisi de reposer les bêtes aux abords oasis, qui brillait sous le soleil étoilé de Shurima, au creux d’une vallée protégée des vents chauds. Du fait de la fatigue, autant physique que morale, les membres de la troupe restèrent silencieux durant le repas, pour beaucoup fixant le fond de leur bol. Un à un, ils prirent congés, pour profiter d’une nuit bien méritée après ces jours passés en mouvement.

         Bell finit seule, au bord du feu de camp, elle griffonnait dans son carnet, l’esprit ailleurs. Lorsqu’elle fermait les yeux, elle revoyait les images de la journée. Le bruit des armes, les cris, faisant aussi ressurgir d’autres souvenirs, dont elle se serait bien passée. Elle revoyait les rues sales et sombres des tréfonds de Zaun, les combats acharnés contre les Ratels, les corps. Elle entendait à nouveau le bruit des armes et les cris des blessés, et ce ricanement d’enfant dans sa tête, qui ne la quittait plus depuis le développement de ses pouvoirs.

         Une douce mélodie vint interrompre le fil de ses pensées. Dans la fraîche nuit désertique, quelqu’un jouait de la musique non loin, qui lui procurait une étrange néanmoins agréable sensation de fatigue. Pas prête de trouver le sommeil pour autant, la jeune fille se leva, et partit en quête de la source du doux son qui se répandait dans le camp. À quelques pas, elle trouva tout un ensemble rocheux, qui s’élevait vers la voute céleste. Sur le plus haut promontoire, elle vit une personne, assise seule, qui jouait d’un drôle d’instrument.

         Amara.

 

*

 

         Le mercenaire se tenait droit, tandis que sa mélodie envoûtante berçait le camp dont les membres dormaient presque tous. La musique qu’il jouait était emprunte d’un pouvoir qui instillait calme et sérénité dans l’esprit de ceux qui l’entendaient.

         Ils méritent tous un long repos, pensait-il en jouant.

         Il avait été un mage assidu par le passé, désormais il ne se servait de ses capacités que rarement, et souvent à contrecœur. Il leva les yeux, laissant ses mains parcourir l’instrument à vent qu’il maîtrisait à la perfection.

         Le ciel est magnifique ce soir.

         Les myriades d’étoiles brillaient dans un noir sombre, dans un magnifique ensemble illuminé. Le vent avait pour une fois choisi de se taire, ne se manifestant que pour porter les douces notes aux oreilles des itinérants en contrebas. Tous semblaient avoir trouvé le sommeil, après avoir passé plusieurs jours sans s’arrêter et repoussé un essaim de Kmiros, c’était ce dont ils avaient besoin.

         Tiens, un insomniaque ?

         Amara sentait une présence, discrète, mais qu’il n’avait aucun mal à percevoir. Du curieux émanait un grand pouvoir, imperceptible par le commun des mortels, ce qui expliquait pourquoi il résistait à sa magie. Le mercenaire grimaça, tandis qu’il arrivait vers la fin de sa mélodie. Le pouvoir derrière il le ressentait depuis le début de leur périple, au départ de Nashramae. Il lui semblait puissant, dissimulé, insidieux et dangereux.

         Il finit sa mélodie, qui finit emportée par la légère brise nocturne.

 - On a du mal à dormir ? Lança-t-il à l’intention du curieux. Tu peux venir t’asseoir, les étoiles sont magnifiques ce soir.

         Les bruits de pas indiquèrent que son invité surprise grimpait les rochers. Rien qu’aux sons, il semblait être très agile.

         Du coin de l’œil, il reconnut la jeune yordle, du groupe de voyageurs qui se dirigeaient vers Targon. La navigatrice prit place à ses côtés, tandis que son curieux animal s’assit contre sa cuisse, faisant claquer sa mâchoire. Il observa discrètement cette dernière, notant l’étrange couleur de ses cheveux gris, et le violet de ses yeux, qui tous deux tournaient vers un léger bleu.

 - Je ne voulais pas vous déranger, dit Bell gênée. Votre musique est magnifique.

 - J’ai vu cela, sourit le shurimien. J’aime que quelques personnes prennent le temps d’apprécier les musiques que je joue.

 - D’où vient cette mélodie ?

 - D’Icathia, elle était jouée auprès des malades pour les calmer.

         La yordle sourit, en regardant les étoiles. Amara la sentait paisible, comme si sa magie avait eu un peu d’effet, cependant il pouvait aussi percevoir en elle un potentiel magique énorme, bouillonnant, et confus.

 - Vous voyagez depuis longtemps ? Victor semblait vous connaître depuis un moment.

 - J’ai roulé ma bosse dans ce désert plus d’années que je ne pourrais en compter, dit-il en souriant.

 - Vous faites jeune pourtant, on vous donnerait une trentaine d’années.

 - Je suis beaucoup plus âgé que ce que les gens pensent.

         Amara regretta le ton sec avec lequel il avait prononcé sa dernière réponse, mais souhaitait éviter les sujets de son passé. Bell n’insista pas plus, comprenant me mercenaire.

 - Et toi ? Finit-il par demander.

 - Nous sommes à la recherche de mes parents, nous avons besoin de leur aide à Piltover.

 - Où sont-ils ?

 - Aucune idée, je ne les ai pas connus. Ma mère était apparemment une éminente mage, j’aurai besoin de ses conseils…

         Quelques souvenirs remontèrent à l’esprit de l’homme. Dans son passé, son maître avait eu pour camarades et amis deux yordles, dont il parlait tout le temps. En regardant la navigatrice, il eut l’impression de pouvoir revoir son maître parler de son amie. Ils sont si rares…

         Le mercenaire chassa le passé de son esprit, les probabilités étaient si faibles. Ces connaissances lointaines s’étaient penchées sur de bien dangereuses recherches, les malheurs les plus sombres s’étaient abattus sur eux.

 - Tu as hérité de ses pouvoirs ? Demanda-t-il curieux.

 - Je ne sais pas tellement, grimaça Bell.

 - Se pourrait-il que tu aies du mal à maîtriser ta magie ?

 - Ce n’est pas exactement ça. Je maîtrise mes capacités, sans aucun souci, c’est autre chose, lié à cette magie. C’est comme si prenait le dessus...

         Amara écoutait, sa nonchalance habituelle avait laissé place à un air sérieux et attentif. Il réfléchit quelques secondes, regardant l’oasis en contrebas.

 - Je connais quelques personnes à la capitale, si tes amis sont d’accord pour leur rendre visite. Je pourrai aussi y réfléchir de mon côté aussi.

 - C’est vrai !?

         Bell s’était tourné vers lui, un sourire barrait son visage jusqu’à ses grandes oreilles velues. Ses yeux brillaient autant que le ciel étoilé du désert. Le mercenaire acquiesça en souriant.

         Un léger éclat retint son attention, la yordle portait à la ceinture une dague rangée dans un fourreau de cuir.

 - L’attaque n’a pas été trop dure ?

         Bell fixa l’eau en silence durant quelques secondes, avant de soupirer.

 - Si, admit-elle. J’en ai assez de voir des gens mourir autour de moi.

 - Les Kmiros ne font pas de quartier.

 - Vous nous avez sauvé, avec votre musique. Vous aussi êtes un mage non ?

 - À mes heures perdues, sourit le shurimien. Il y a fort longtemps je l’étais.

         Comprenant que la discussion portait à nouveau sur le passé de l’homme, la yordle ne posa pas plus de questions à ce sujet, laissant la brise du désert les emporter.

 - Tu te débrouilles bien au tir, lâcha Amara. Et je t’ai vu t’entraîner avec l’énorme freljordienne tous les soirs.

 - Oui, je dois savoir me battre pour survivre, dit-elle en sortant sa dague pour jouer avec.

 - C’est une belle arme.

         La yordle lui tendit en la tenant par la lame.

 - C’est de Shurima il paraît. Ça vous parle ? Quand je l’ai près de moi elle a tendance à m’apaiser, elle me vient de ma mère.

         Amara se saisit de larme, la poignée lui sembla confortable, légère et affûtée. Il posa ses doigts sur le plat de la lame, et immédiatement une sensation désagréable lui parcourut le bras. Il grimaça, il eut l’impression que l’arme provoquait en lui une fatigue, rien qu’à son contact, comme si elle aspirait une force en lui.

 - Il y a des gravures sur le manche, ajouta Bell qui n’avait pas remarqué l’expression de l’homme. Personne n’a su la lire.

         Ayant lâché la lame, le mercenaire tournait l’arme avec désormais une plus grande précaution. Comme évoqué par la navigatrice, il vit des runes gravées, il s’agissait en réalité d’un très ancien dialecte shurimien, presque oublié aujourd’hui. Seuls certains mots lui furent compréhensibles.

         Îola… Sentinelle.

         Un rictus barra son visage

 - Je lis un nom, Îola, est-ce celui de votre mère ?

 - Je le crois, admit la yordle. J’ai trouvé un croquis annoté de ce nom je vous le monterais à l’occasion.

         Le mercenaire lui rendit sa lame d’un geste brusque. Il aurait besoin de faire quelques recherches.

 - Je réfléchirai à tes soucis de magie, dit-il simplement. Je pense que tu dois absolument voir une mage à la capitale.

         Bell sourit en rangeant la dague dans son fourreau.

 - Je remets à vous, Victor vous fait confiance alors moi aussi. Mais attention, au moindre souci c’est la commande Bertillon qui s’occupera de vous.

         Amara visualisa la piltovienne aux cheveux violets, sachant que son air froid et impassible cachait sûrement quelque chose.

         La yordle remercia le musicien pour leur conversation, ainsi que pour la performance plus tôt, avant de prendre congé. Ce dernier resta sur son rocher, le regard plongé dans le plafond d’étoiles qui surplombait leurs têtes.

 

*


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