Bell de Bilgewater

Chapitre 77 : Partie 5 - Chapitre 7

3234 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/08/2024 15:46

     Comme prévu par les shurimiens, la tempête se calma dans la nuit. Au petit matin, les vents avaient cessé de gronder et la caravane put remettre en branle le convoi. Les formations rocheuses semblèrent différentes aux yeux de Bell, Mora qui conduisait leur Skallashi lui expliqua que la puissance des tempêtes remodelait les roches du coin, qui prenaient un air différent avec les sables charriés un partout.

         Durant la journée, la yordle s’occupait au maximum, entre enseignements cartographie et entrainements, elle ne se laissait aucun répit. Car la nuit venue, son esprit lui offrait des cauchemars de plus en plus terrifiants. Tantôt elle voyait une scène qui lui était jusqu’alors inconnue, tantôt elle se voyait dans différentes situations. À chaque fois, elle finissait par mettre en danger, volontairement ou non, les gens dans son entourage.

         Malgré le manque de sommeil, elle travaillait d’arrache-pied, se démenant autant auprès de ses camarades que des itinérants, ravis se trouver de l’aide au quotidien.

         Rapidement, la ville de Zuretta finit par apparaître à l’horizon, rompant la ligne ondulée des dunes par sa forme artificielle. Cette dernière, qui se dessinait plus précisément à mesure qu’ils approchaient, était posée en plein milieu de nulle part, et accueillait en son sein une oasis verdoyante.

         Son architecture, bien que plus moderne, ressemblait à celle que le groupe avait pu observer à Nashramae. Ici contrairement à la cité des marchés, la ville était moins étendue, plus petite.

 - C’est impressionnant, soupira Bell.

 - J’ai toujours apprécié Zuretta, sourit Nâmis. J’y ai même vécu quelques temps.

 - Vous voyagiez déjà en Shurima avant de rejoindre le capitaine ?

 - Oui pas mal, ma soif d’apprendre m’a poussée sur les routes.

 - Vois avez toujours connu cette Zuretta ?

 - Sa dernière destruction remonte à avant ma naissance en effet, elle était due aux guerres entre les Darkins.

 - Vous ne devriez pas prononcer ce nom trop fort, lança Mora devant.

 - J’ai lu quelques textes qui les mentionnaient, marmonna Bell. Ils sont censés avoir disparu n’est-ce pas ?

 - Pas tout à fait. Certains ont survécu aux guerres et à la purge.

 - Il faut la puissance d’un dieu pour vaincre l’un d’eux, lança Mora.

         Bell regarda autour d’elle. Le désert qui lui semblait calme et impassible, avait vu nombre de conflits au creux de ses dunes. Elle imagina des armées entières combattant sur le sable chaud, réduisant à néant des villes entières.

 - Que sont les Darkins en vérité ? Demanda-t-elle. Des dieux ?

         Le sage laissa divaguer son regard au gré des dunes, réfléchissant en silence.

 - Ce sont des élus, finit-il par expliquer. Dans l’ancien empire les plus vaillant guerriers, les plus éminents érudits et les plus sages dirigeants étaient autorisés à accéder au Disque Solaire, qui flotte au-dessus de la capitale. Ces derniers s’ils survivaient devenaient alors ses êtres bestiaux, d’une puissance inouïe.

 - Ce sont les Darkins ?

 - Pas encore, sourit Nâmis. Ce sont les transfigurés. Plus tard une rébellion éclata dans une lointaine région nommée Icathia. Ces derniers ont fait appel à une magie interdite, et ont éveillé le Néant, qui a lâché des créatures, détruisant tout sur son passage. L’empire envoya ses transfigurés, mais Icathia était perdue, et la guerre transforma ces vaillants combattants en des monstres plus terribles encore que ceux qu’ils affrontaient.

 - On dit que les dirigeants d’Icathia ont été manipulés par un dieu, lança le caravanier.

 - C’est vrai ? Demanda Bell intriguée.

 - C’est ce que certains avancent, soupira Nâmis. Un dieu ou un démon, manipulant quiconque assouvirait la soif de rébellion de ce dernier. Une entité venue des étoiles pour réduire à néant les puissants et les audacieux.

 - Ça ressemble aux dieux de Targon, commenta la yordle.

 - Très juste ! Certains d’entre eux ont combattu les Darkins quelques décennies plus tard, comme pour se racheter des fautes de leur compère. L’une d’entre eux, porteuse du changement, a presque réussi à tous les détruire. Et voilà pour ce qu’on en sait et dit.

         Bell soupira, l’histoire de Shurima était remplie de catastrophes et de guerres, et sa proximité avec Targon pourrait l’amener à en apprendre plus.

 - Que faire si l’on croise un Darkin ? Demanda-t-elle.

 - On fuit, ils ont anéanti des armées entières, en comparaison nous ne sommes que des insectes.

         Un frisson parcourut le dos de la jeune fille. Malgré sa très grande curiosité, elle souhaitait de tout son cœur ne jamais croiser la route de ces êtres terrifiants.

 - Et ces targoniens ?

 - Les Célestes ? Ce sont les êtres les plus puissants de ce monde, mieux vaut ne rien avoir à faire avec eux. Ils ne suivent que leur propre volonté.

 - Mais vous n’avez presque aucune chance de croiser l’un ou l’autre, sourit Mora. Ils sont rares et ne s’intéressent pas à de simples voyageurs comme nous.

         Le sourire chaleureux du jeune caravanier, aux côtés de sa compagne, rassura la yordle.

 

         Malgré le fait qu’elle soit plus récente que ses sœurs shurimiennes, Zuretta impressionnait. Des murailles en pierre, robustes et élégantes, se dressaient face aux dunes sableuses, protégeant avec fierté les habitants et voyageurs des vente, animaux et pillards que le désert abritait. Les maisons, toujours en majorité faite de pierre des sables, étaient imposantes, devant résister aux chaleurs et tempêtes shurimiennes.

         Après un court échange près d’une des portes de la ville, la caravane pénétra lentement les rues de la bordure, frayant jusqu’à une étable similaire à celle qu’ils avaient quitté à Nashramae, pour y laisser leur montures. Bell eut la surprise de constater que de nombreuses personnes saluaient le cortège de voyageurs, Jolyne leur expliqua que leur survie dépendait grandement des convois itinérants comme le leur, aussi étaient-ils ravis de les voir arriver.

         Comme à son habitude, la jeune yordle offrit son aide aux caravaniers, ceux-ci habitués à sa présence accueillaient avec joie la proposition et faisaient volontiers participer la navigatrice. Le Skallashi qui les transportait, d’ordinaire capricieux, semblait calme en sa présence, de plus une certaine amitié avait l’air de se nouer entre lui et Clapper.

         Le petit rat des quais quant à lui était tout enjoué, sautillant partout comme un fou. Un peu plus d’une semaine de voyage avait suffi à ce que la ville lui manque. Comme sa maîtresse, il était tout excité par la cité, l’effervescence urbaine, et courait de bâtiment en bâtiment pour s’abriter à l’ombre.

         La caravane resterait deux nuits sur place, ce qui pour le plus grand bonheur de Cynthia et Ileae signifiait tout autant d’occasions de profiter d’un lit confortable. Cette fois, le groupe se retrouva dans une auberge calme, ou chacun eût une petite chambre. Ileae sembla déçue, tout comme Bell qui regrettait les nuits à ses côtés. Malgré cela, elle se sentait soulagée, de peur qu’un cauchemar lui fasse perdre le contrôle de ses pouvoirs en leur présence, et qu’elle ne blesse l’une de ses amies dans son sommeil.

         Ces dernières ne purent s’empêcher de remarquer que la yordle s’isolait de plus en plus. Elle parlait moins, semblait irritable. Elle passa la matinée seule, à parcourir la ville pendant que les itinérants faisaient affaire. Autour d’elle les shurimiens vaquaient aux occupations de leur vie, des chasseurs sortaient hors des murs, des marchands vendaient leurs denrées, tandis que quelques gardes patrouillaient. De nombreux enfants les rues en jouant insouciamment, faisant parfois une drôle de tête en croisant le chemin de la yordle.

         Une chose la frappa depuis qu’elle avait repris son périple. Pas une fois elle n’avait repensé aux regards des gens, souvent intrigués par son espèce. D’une part elle ressentait moins le poids de la curiosité, le plus souvent elle ne pensait qu’à Ileae, ses amis, et les évènements qu’ils traversaient.

         En repensant à la vastaya, elle sentit un poids chaud peser sur son cœur, mélangeant un certain bonheur teinté d’inquiétude. Elle était repartie sur les routes, en compagnie de son équipage, accompagné de celle qui faisait battre son cœur un peu plus vite, se rapprochant certainement de réponses à ses questions, et pourtant… Elle sentait en elle un ressentiment, une colère, presque une rage, ténue et cachée, n’attendant que de sortir. Chaque utilisation de ses pouvoirs, chaque nuit et vision l’accompagnant laissait petit à petit remonter ce sentiment invasif.

         Je perds le contrôle…

         Les mains tremblantes, elle traça sa route, au travers des rues couvertes de sable. A ses côtés, le petit Clapper gambadait. D’habitude, il passait le plus clair de son temps sur son épaule, mais pour une fois il préférait marcher par lui-même. Comme sa jeune maîtresse, il se plaisait à découvrir la ville, ignorant avec joie les regards interrogatifs qui se posaient sur lui et la petite yordle.

         Bell profita de son temps libre pour faire quelques emplettes, de l’encre du papier du cuir et de quoi nourrir Clapper pendant leur trajet jusqu’à la capitale. Elle jetait des regard autour d’elle, scrutant chaque ruelle, à la recherche d’autres yordles.

         En réalité, elle ne cherchait plus seulement des connaissances sur son espèce, mais une personne. Dans le carnet qu’elle conservait avec elle, elle avait dessiné plusieurs portraits de la yordle qu’elle avait vu sur les croquis laissé dans les laboratoires Ratels. Îola Colfer, était inscrit à côté.

         Peut-être la trouverait-elle au détour d’une rue, continuant sa vie.

         Après un repas acheté en ville, elle observa les caravaniers travailler, affairés à leurs tâches, avant qu’elle ne les rejoigne pour les aider à préparer leur départ du deuxième jour.

 

         Le second soir venu, elle resta à l’écart de ses compagnons durant le repas, plongée dans ses pensées. C’est Nâmis qui finit par s’approcher et s’asseoir à ses côtés.

 - Quelque-chose te tracasse jeune Bell. Rien ne t’oblige à affronter ça seule.

 - Mmh.

         Le sage resta silencieux durant de longues secondes, regardant leur groupe de loin. Tous étaient souriants, profitant du repos bien mérité avant de reprendre la route.

 - Que se passe-t-il ? Finit-il par demander.

 - Je… je ne sais pas, admit la jeune navigatrice. J’ai des visions à répétition je n’y comprends rien.

 - Le manque de sommeil expliquerait ton irritabilité.

 - En partie seulement, je sens que quelque chose ne va pas…

         Nâmis posa la main sur l’épaule de son élève. De grands cernes étaient apparus depuis quelques temps sous ses yeux, et elle avait le visage creusé.

 - Et si on se trompait ? marmonna-t-elle.

 - Qu’est-ce que tu entends par là ?

 - Si mes parents n’avaient rien à voir avec la Ruine ? Si aller à Targon s’avérait inutile ? Pire, dangereux.

 - Les erreurs arrivent, même si nous ne trouvons rien qui aiderait les chercheurs de Piltover, nous pourrons au moins affirmer la tête haute que nous avons fait de notre mieux.

 - On ne sait même pas contre quoi on lutte précisément, et si l’un de vous venait à mourir durant le voyage ? On a déjà failli perdre certains de nos camarades…

 - Chacun d’entre nous sait ce qu’il risque, sourit le shurimien. Craindrais-tu quelque chose en particulier ?

         La jeune fille resta silencieuse, hésitante à l’idée d’évoquer ce qu’elle ressentait.

 - Je connais Victor depuis mes jeunes années, finit par dire Nâmis en se levant, il est sage, et s’il fait confiance à une personne, alors tu le peux aussi.

         Bell regarda le vieil homme rejoindre leur groupe, qui discutait à une table de l’auberge. Elle évita le regard inquiet que certains jetaient, ayant bien remarqué qu’elle souhaitait rester seule.

         Elle n’avait cependant pas la force de leur expliquer, pas encore. Elle redoutait qu’ils ne l’écartent du voyage, ou pire qu’ils annulent, sentant le danger approchant.

 

         Quelques coups résonnèrent dans la chambre, sortant Bell se sa contemplation. Ileae passa la tête timidement par l’entrebâillement de la porte. Le cœur de la yordle se souleva en apercevant son amie.

 - Je te dérange ? murmura la vastaya.

 - Non du tout, sourit Bell. Entre.

         Son amie pénétra, claquant la porte derrière elle. Elle s’approcha du bureau, intriguée par les dessins et croquis qui y étaient posés.

 - Qui est-ce ?

 - Je ne sais pas trop, admit Bell.

         La scientifique prit un des dessins, l’observant attentivement. Celui-ci était une copie de celui retrouvé à Zaun, représentant le portrait d’une yordle à la fourrure grise légèrement bleutée, et aux cheveux turquoise. Elle portait un collier auquel était attachée une fleur violette en forme de cloche.

 - Ce ne serait pas…

 - Je pense qu’il s’agit de ma mère, soupira Bell. Je sais c’est idiot, mais j’ai cette étrange intuition que…

 - C’est loin d’être idiot, la coupa Ileae, je vois une certaine ressemblance. Où as-tu trouvé ça ?

 - Dans les labos de Krenn.

         La vastaya se leva, et commença à marcher dans la pièce, réfléchissant à toute vitesse.

 - Ils en avaient après toi, savaient tout de toi jusqu’à chercher à te capturer. Entre ça et les goules de brume dans leurs souterrains, et la recherche de tes parents par l’équipage, ne manquait qu’un élément.

         Elle se tourna vers la jeune fille, montrant le portrait.

 - Elle est cet élément.

 - Mais pourquoi moi ? Pourquoi me capturer, ces expériences avaient forcément un but ? Est-ce que mes parents fuyaient Krenn, et l’inconnu derrière ses projets ?

 - Si c’est le cas, sourit Ileae, tu as sacrément changé ses plans, en tuant leur chef.

         Bell frissonna. Dans sa tête, les images de leur combat contre le baron Vildoric continuaient à la hanter, la douleur, la colère, le cœur de l’homme qu’elle avait fait exploser, la vastaya sur le point d’être tuée, la rage intense qui avait brûlé en elle.

 - Je suppose que tu n’en as pas parlé aux autres ? demanda Ileae.

         La yordle répondit par un non de la tête, détournant le regard. Son amie vint s’asseoir à ses côtés, enroulant son bras autour de ses épaules. Assise, elle dépassait de presque trois têtes la jeune navigatrice qui restait silencieuse. Discrètement, elle déposa un baiser sur la tête de cette dernière, et sentit le battement de son cœur accélérer.

 - Morgan est le seul à savoir, j’ai peur de me tromper.

 - Pourquoi ce serait le cas ?

 - Nous n’avons que peu d’éléments, soupira Bell.

 - Nous cherchons toute personne liée à des recherches sur la Ruine et la Brume Noire, et lorsque nous trouvons un groupe qui répond à ces critères, ils semblent être à ta recherche, et ont un croquis d’une yordle qui te ressemble. Je suis convaincue qu’il y a un lien assez évident.

 - Elle ne me ressemble pas tellement.

 - Et pourquoi ça ?

 - Elle est magnifique, elle a l’air si sereine.

         Ileae assena une petite tape sur la tête de son amie, en pouffant.

 - C’est bien ce que je dis, vous vous ressemblez.

         Bell rougit, et détourna le regard, tandis que la vastaya souriait de toutes ses dents.

 - Je te laisse, dit-elle en se levant. Tu devrais leur parler tout ça, tu as le temps.

         Bell resta silencieuse tandis qu’Ileae quittait la pièce. Elle mourrait d’envie de lui crier de rester, de la supplier de ne plus jamais la quitter, d’être auprès d’elle pour toujours. Mais elle n’en fit rien.

 

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