Bell de Bilgewater
Un silence de plomb régnait dans la salle. Le cliquetis des armes avait cessé en même temps que les derniers râles des défenseurs du bassin.
Le silence fut rompu par un bruit de pas, un homme, jeune et coiffé d’une couronne, s’avançait doucement. Entouré de dizaines de soldats, il se dirigeait vers le bassin, portant en ses bras le corps inanimé d’une femme
Sans un mot, il descendit les marches, posa sa lame sur le sol et s’enfonça, brisant le calme des eaux sacrées, dont le bruit des clapotements se nouèrent à celui des respirations.
- Reviens moi ma douce, murmura l’homme.
Il plongea doucement le corps de celle qui devait être sa bien-aimée dans l’eau, ne laissant que son visage dépasser.
Bell, face à cette foule, regardait la scène, en silence. Soit les spectateurs étaient trop captivés par la présence de leur roi, soit aucun d’entre eux n’étaient capables de la voir. Entre deux soldats, la yordle aperçut une fillette, qui regardait le bassin avec attention. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cette dernière était loin de sembler désorientée où inquiète comme les adultes autour.
À contrario, elle souriait en fixant le roi.
Ce dernier murmurait, le visage contrit d’un mélange entre espoir et tristesse. Dans ses mains, le corps de sa compagne commença à s’illuminer, de même que l’eau qui brilla d’un éclat bleu-vert splendide. La femme commença à convulser, elle ouvrit les yeux brusquement, avant d’inspirer avec force.
- Je suis là mon amour. Tu es de retour, plus rien ne nous séparera désormais.
La femme le regarda de longues secondes, en silence. Ses yeux se promenaient sur le visage de l’homme inquiet, qui attendant un mot de sa bien-aimée, ne devinant pas que dans la tête de cette dernière, le film de la vie solitaire du monarque se jouait.
- Non… murmura-t-elle, tu n’es pas… lui.
Son regard se transforma, affichant un mélange de dégoût et de peur. Elle repoussa son mari, terrifiée. Bell avait détourné son attention sur la fillette, qui contrastait de l’inquiétude ambiante par un large sourire qu’elle affichait, elle apparaissait comblée, presque euphorique. De fines bandelettes violettes voletaient autour d’elle, chose que personne ne semblait remarquer.
Avant que quiconque ne réagisse, la femme dans le bassin saisit la lame posée par son mari.
D’un geste rapide, elle la lui planta dans le cœur.
Quelques secondes passèrent, interminables, avant que le roi ne comprenne. Son expression béate se mua en un rictus de douleur et de colère, un hurlement féroce sortit de sa gorge. De la blessure sur son torse, une vague lumière verdâtre émergea.
L’instant d’après, avec pour épicentre le cœur du pauvre roi, une brume noire éblouissante jaillit. Et la pièce explosa.
Une lumière aveugla la yordle, qui dut se cacher les yeux avec la main. La chaleur était maintenant étouffante, digne du désert qui les entourait. Elle regarda autour d’elle, des centaines de bâtiments de pierre jaunâtre s’étendaient, remplacées au lointain par des dunes séparées par de grandes murailles.
Un éclat de voix la sortit de sa contemplation, elle se tourna vers sa provenance. Un homme se trouvait en haut d’un escalier, entouré de quelques individus similaires. Il était vêtu d’une somptueuse tenue, dorée. A ses côtés, un autre homme se prosternait respectueusement.
Au-dessus d’eux, un disque flottait dans le ciel, à la verticale. Il était grand, presque autant que la ville elle-même, et brillait d’un éclat doré resplendissant.
De très nombreux applaudissements retentirent, Bell regarda autour d’elle. Un peu plus bas, une foule était rassemblée, autour du grand escalier menant au disque. Des milliers d’individus étaient venus assister à la scène, et regardaient le promontoire avec attention.
L’homme, qui venait sensiblement de terminer un discours, salua les personnes autour de lui. Bell était quasi certaine qu’il s’agissait de la famille de l’homme. Elle remarqua cependant une personne qui dénotait le groupe, une petite fille aux cheveux bleus. Cette dernière se tourna soudain vers la yordle, pourtant noyée dans la foule, la fixant, avec un sourire malsain.
Ne me dis pas que…
L’homme qui présidait la cérémonie s’écarta du groupe, et se dirigea vers le bout de l’escalier. Il gravit une à une les quelques marches qui le séparait du sommet. Accompagné de son serviteur, il se plaça sur le plus haut promontoire, directement sous le gigantesque disque.
Il se tourna vers la foule, et après quelques secondes, prit la parole. Dans un langage que Bell ne sut comprendre, il déclama quelques phrases, qui firent réagit la foule. Cette fois, les applaudissements se mêlèrent à des cris de surprise, et des échanges surpris entre spectateurs.
Il posa la main sur l’épaule de l’homme qui l’accompagnait, l’aidant à se relever avec un sourire. Ce dernier semblait surpris, mais ne dit rien, laissant son ami se placer dos à lui sous le disque. L’atmosphère se fit pesante, en se concentrant, Bell sentit que le disque renfermait une magie d’une puissance qu’elle n’avait jusqu’alors jamais vu. C’est presque… divin, à ce niveau, pensa-t-elle.
Un rayon lumineux jaillit du disque, frappant l’homme en dessous. Ce dernier resta en place, accueillant la bénédiction de l’artéfact. Bell vit du coin de l’œil la petite fille rire, elle se concentra une seconde, et remarqua alors les bras similaires à des rubans s’étendre de l’être, jusqu’au serviteur désormais dans le dos de son ami.
Ce dernier sembla hésiter, puis il leva sa main. Un éclair jaillit, et frappa l’homme dans le rayon, qui se tordit de douleur.
Avant que qui que ce soit ai eu le temps de réagit, une onde magique se concentra en l’individu, et après un instant, jaillit, dans une explosion intense, désintégrant tout ce qu’elle touchait.
La jeune fille ouvrit les yeux, un souffle violent venait de la tirer de son inconscient. Elle regarda autour d’elle, un cratère brulant s’était formé sur le sol carrelé non loin d’elle.
Paniquée, elle observa les alentours rapidement. Elle se trouvait dans une grande salle, dont tout du sol au plafond était d’un blanc magnifique, orné d’or et de magnifiques tissus. Cependant, la scène qui s’y déroulait était chaotique, des hommes et femmes, habillés de manière très aléatoire, semblaient se battre à l’aide de leur magie contre de très nombreux gardes en armure. De nombreuses personnes étaient déjà à terre.
Du coin de l’œil, elle vit une petite fille, aux cheveux bleus, se diriger vers une autre pièce au bout du couloir. Comme avant, personne ne semblait la voir, ni elle ni la yordle. Elle s’arrêta une seconde, jetant un regard et un sourire glacial à cette dernière, avant de passer par une gigantesque porte.
Pas encore…
Cette fois Bell pouvait bouger. Elle se précipita vers la porte, pénétra la pièce en courant, puis se figea. Devant elle, un vieil homme était assis, tenu fermement par une femme à la tenue de cuir légère, et la chevelure d’un rouge sang.
Une tache de la même couleur s’étendait sur son torse, tandis que son regard se perdait dans le vide.
- Impossible… dit une voix derrière Bell.
D’autres étaient arrivés, l’un était équipé d’une armure ornée, l’autre torse nu avait aux poignets de lourdes chaines. La femme s’était évanouie discrètement, laissant le vieillard mourir seul.
Les nouveaux arrivants se précipitèrent à ses côtés, ignorant complètement la jeune yordle, passant même au travers d’elle, la petite fille qui riait aux éclats, assise sur une commode en bois.
Cette dernière s’arrêta, fixant soudainement Bell du regard, un sourire tordu sur le visage.
Ses bras, tels de vifs rubans, jaillirent, et fusèrent vers la yordle, qui ferma les yeux.
*
- Bell ! Bell est-ce que ça va ?
La jeune yordle se redressa, haletante. Il lui fallut de longues secondes pour reprendre son souffle, durant lesquelles elle regarda autour d’elle. Cette fois, elle était bel et bien dans sa tente. L’entrée était ouverte, Ileae se trouvait à ses côtés, lui tenant la main le regard inquiet.
- Je… quelle heure est-il ?
- Nous sommes au beau milieu de la nuit, répondit la vastaya. Tout le monde dort, mais je t’ai entendu, tu as fait un cauchemar.
Bell s’assit doucement, pensive.
- Je ne sais pas trop… j’ai eu de nouvelles visions.
- Le futur tu crois ? C’était si horrible ?
- Non, je ne pense pas… je crois qu’il s’agissait du passé.
- De qui ?
- Je ne sais pas encore.
Ileae s’assit aux côtés de son amie, et la serra dans ses bras. Bell, plus petite, avait la tête plaquée contre le torse de la zaunienne, elle pouvait sentir le battement de son cœur, qui l’apaisa.
- Tu te sens comment ?
- C’est assez étrange à décrire, admit Bell. Là tout de suite, j’ai peur.
- Qu’est-ce qui t’effraie ?
- Ces visions, et ce qu’elles provoquent en moi.
La yordle se détourna de son amie, n’osant pas la regarder dans les yeux.
- Décris moi ça, sourit la scientifique.
- J’ai vu des évènements atroces, des cataclysmes, des assassinats, et pourtant… Je me sentais comme…
La vastaya posa sa main sur celle de son amie, lui indiquant de continuer.
- Il y avait quelqu’un dans ces visions, je ne me rappelle pas son apparence… mais je ressens ce qu’elle traversait…
- C’est normal tu sais, sourit Ileae, l’empathie.
- Non c’était plus que ça, c’est comme si ses émotions affluaient directement en moi. Pas de tristesse, pas de colère, pas de détresse… Je me sentais heureuse, euphorique. J’ai vu des tas de gens mourir, souffrir, tout perdre… et pourtant un souffle d’exaltation m’a soulevé le cœur, à chaque fois.
La yordle planta son regard dans celui de son amie, des larmes lui montaient aux yeux.
- Je n’ai rien fait pour empêcher ce qu’il s’est passé, pire je m’en réjouissais, j’en tirais du plaisir.
Elle fondit en larme, serrant la vastaya aussi fort qu’elle le pouvait. La zaunienne répondit à son étreinte, caressant sa tête calmement.
- Ce n’était pas toi, chuchota-t-elle doucement. Tu ne peux pas changer ce que tu vois dans ces visions, tu es ici avec nous, ce que tu as vu ce n’était pas toi.
- Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive, sanglota la navigatrice. Tout change en moi et je n’y comprends plus rien. Je sais plus quoi faire…
- Ne t’inquiète pas, on t’aidera quoi qu’il arrive, on est tous là avec toi.
Bell ne parvenait plus à retenir ses larmes, lâchant prise dans les bras de son amie, qui resta de longues minutes à la consoler en silence.
***