Bell de Bilgewater

Chapitre 72 : Partie 5 - Chapitre 2

5266 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/08/2024 15:31

     Le bruit de charrettes sur les pavés accompagna les rayons du soleil shurimien au travers des volets de bois, réveillant doucement Bell.

         Elle était la dernière à se lever, les deux autres se préparaient en discutant. Clapper, couché dans un coin regarda sa maîtresse s’habiller et se coiffer. Lui aussi semblait attendre avec hâte leur excursion en ville.

         Dès qu’elle fut prête, la rat des quais se précipita sur l’épaule de la yordle.

 - Dis donc toi, lança-elle avec un faux air de méfiance sur le visage, tu ne te servirais pas de moi comme d’un transport des fois ?

         Le petit animal la regarda avec une moue, laissant ressortir de grands yeux. N’importe qui écarterai de son épaule cette créature de cauchemar, mais la yordle l’adorait. Ses yeux qu’elle trouva mignons semblèrent lui dire quelque chose comme « j’ai de petites pattes moi »

 - Tu ne paies rien pour attendre, dit-elle en lui gratouillant le dessous de la mâchoire.

Elle rejoignit ses amies qui l’attendaient dans le couloir. Ileae, avant si réservée, semblait ne plus pouvoir tenir en place.

 - Elle a changé, remarqua Cynthia alors que la vastaya les devançait.

 - Je trouve aussi, acquiesça Bell.

 - On en a parlé avec Vira l’autre jour. C’est grâce à toi.

         La jeune fille rougit.

 - Vous allez bien ensemble, ajouta son amie d’enfance avec un sourire.

 - Que… non ! Bafouilla la yordle. Enfin tu trouves... ?

 - C’est évident.

         La yordle trifouillait la sangle de sa sacoche, nerveuse.

         Un soleil de plomb cueillit le trio lorsqu’il pénétra la rue. Bell eut l’avantage d’avoir une protection minime grâce à sa fourrure, ce qui n’était pas le cas de son amie. Ileae quant à elle se portait comme un charme, insensible à la température comme aux rayons de l’astre.

         La veille, Nâmis leur avait remis un plan sommaire de la ville, en leur indiquant l’emplacement des meilleures rues marchandes. Pour ce qui était du retour, deux des filles faisaient entièrement confiance au sens de l’orientation de Bell. Cynthia avait dit à ce propos « à quoi cela sert-il d’avoir une navigatrice si je dois me repérer par moi-même ? ».

         L’effervescence dans les rues alla en s’accentuant à mesure qu’elles approchaient du centre et des marchés. Partout dans les avenues des stands se dressaient, certains accolés aux façades de boutiques, d’autres sur des chariots colorés.

         La plupart des shurimiens étaient vêtus de capes, mais ne semblaient pas redouter les attaques du soleil. Leurs vêtements étaient pour la plupart très colorés, souvent dans les tons ocres, surmontés de couleurs très vives. Le style était bien différent de Piltover et Zaun, l’élégance n’était pas dans un vêtement précisément taillé et décoré, mais plutôt dans un mélange de couleurs sur des tissus amples ou non, décorés de bijoux en matériaux divers.

         Ileae semblait avoir perdu le contrôle, elle se précipitait à chaque stand pour dévorer des yeux les étals. Elle voyait tellement de choses, et appelait Bell à venir voir à chaque nouvelle découverte. Cette dernière rappliquait au quart de tour pour observer curieusement.

         Entre l’agilité serpentine de la vastaya, et celle de la minuscule yordle qui se faufilaient au milieu des passants, Cynthia avait du mal à suivre. Clapper, qui était descendu de l’épaule de sa jeune maîtresse, lui tenait compagnie.

 - Je suis contente de voir qu’elles sont toujours aussi… innocente, dit-elle à l’animal. Après ce qu’elles ont traversé.

         Le rat des quais glapit, comme pour approuver.

 - Et maintenant me voilà à parler à un rat des quais… soupira la magicienne.

         Le minuscule compagnon la gratifia d’un regard qui sembla lui signifier « et alors ? »

 - Tu as raison, elles le font tout le temps excuse-moi.

         La bilgewatienne s’abaissa pour lui gratter affectueusement le dos. Clapper émit un claquement de mâchoire satisfait, et grimpa le long du bras de la jeune femme avant de se lover au creux de son cou. Cette dernière le laissa faire, malgré la surprise. Elle comprenait pourquoi Bell s’était autant attaché à ce petit animal.

         De loin, le duo semblait la chercher du regard, elle se précipita vers ses amies.

 - On a trouvé une superbe boutique de vêtements ! Dit Ileae enjouée. Tu dois voir ça !

         Les deux prirent la soigneuse par les mains, avant de la tirer avec hâte au travers de la foule. Elles débarquèrent sur un escalier, donnant sur une gigantesque place. En bas, des centaines de stands exposaient des marchandises et denrées diverses.

         Des centaines, non… des milliers de personnes allaient et venaient entre ceux-ci, les bras chargés de sacs aussi colorés que leurs vêtements. Parmi eux de très nombreux étrangers faisaient eux aussi des emplettes, des noxiens regardaient les tenues plus sombres, tandis que quelques freljordiens discutaient d’armes avec un marchand demacien. Quelques ioniens s’arrêtaient aux stands dont les étals regorgeaient de produits naturels, et des mercenaires de Bilgewater buvaient un coup accoudé à des tables de bars.

         La vastaya continua de tirer Cynthia, pour l’emmener vers une échoppe en contrebas. Comme tous les bâtiments alentours, celui-ci était un joli mélange de simplicité et de savoir-faire, monté en pierres jaune-orange.

 - J’aurai dû m’en douter… marmonna-t-elle en pénétrant.

         La boutique était remplie de mannequins, sur lesquels étaient exposés des armures, dans des matériaux légers, et des vêtements de travail. Un peu plus loin, elle put apercevoir des étals d’armes, et d’outils en tout genre. Bell était déjà affairée auprès des capes de voyage, cherchant à trouver une à sa taille. Ileae quant à elle avait à moitié disparu dans un grand bac à outils.

 - Et toi tu ne veux rien ? Dit-elle à l’intention de son compagnon sur l’épaule.

         Ce dernier fit un petit signe de refus de la tête. Il semblerait que ce dernier se satisfasse de son mélange de poils et d’écailles. La bilgewatienne s’approcha du vendeur. Un petit shurimien avec une très grande moustache poivre-sel se tourna vers elle.

 - Que puis-je pour vous jeune fille ?

 - Mes amies semblent trouver leur bonheur, mais auriez-vous quelque chose de plus… sophistiqué ? Je veux dire, niveau vêtements…

         L’homme resta pensif une seconde, toisa Cynthia, avant que son regard s’illumine soudain.

 - Je le savais ! Dit-il en souriant et se levant. Vous êtes de ces gens raffinés, j’ai exactement ce qu’il vous faut suivez-moi.

         Cynthia esquissa un sourire, espérant trouver de belles étoffes shurimienne. Le vieil homme la guida vers le fond de la boutique, lui faisant passer un rideau de jolies perles en bois. Elle débarqua dans une pièce où se trouvait déjà un client, qui regardait les étals avec le plus grand sérieux du monde.

 - Si vous avez besoin de renseignements n’hésitez pas, sourit le vendeur, je serais au comptoir où vous m’avez trouvé.

         La jeune femme le remercia, et commença à regarder autour d’elle. Un détail la frappa. La pièce était recouverte d’étagères, recouvertes d’articles bien mis en valeur. Partout dans la pièce, des meubles affichaient des pièces allant des plus simples, aux plus travaillées. Cependant…

         Il n’y avait ici que des chaussures.

         Elle observa en silence les différents modèles. D’une simplicité dans la structure, une simple semelle surmontée d’une bande servant à maintenir le pied, contrastait surtout le motif qui courait le long des éléments.

         Elle regarda le client qui continuait à scruter les différents modèles. Un homme, voyageur si elle en jugeait par sa tenue, il avait la peau plus foncée que la sienne, et les cheveux en bataille, d’un noir rappelant ceux de Jay, son ami d’enfance.

 - Euh… excusez-moi, vous sauriez s’il y a d’autres choses que des chaussures ici ?

         L’homme la fixa, l’air surpris.

 - Vous êtes nouvelle dans la région ?

         Devant l’expression d’approbation de la jeune femme il continua.

 - Ce ne sont pas de simples chaussures, ce sont des Tonghs !

         Cynthia le fixa, peu convaincue par l’air théâtral qu’il employait.

 - Ce sont les meilleurs amies du voyageur, dit-il en se saisissant d’une paire. En choisissant bien ses matériaux, elles sont plus légères que le vent sur les dunes du désert, plus résistantes que les rocs de Targon, et plus confortables que les lits d’un palais demacien.

         Il attrapa une paire, très ouvragée, et une autre bien plus simple.

 - Le voyageur avisé prendrait deux paires. L’une servirait pour le voyage, continua-t-il en désignant la seconde, résistante et fiable, elle convient en toutes circonstances. L’autre cependant, servirait aux grandes occasions, à montrer combien le voyage forge sa personnalité.

 - Ça me paraît léger pour la montagne.

 - Évidemment les terrains abrupts, et pays froids nécessitent d’autres souliers, mais dans les trois quarts de nos contrées, les tonghs sont des alliées sans pareil.

         La soigneuse regarda dubitativement l’homme, qui continuait à farfouiller parmi les paires, jusqu’à en proposer une à son interlocutrice.

 - Essaie donc ceci.

         Elle s’exécuta, retira ses souliers et enfila ce qui lui tendait l’homme. Elle fit un rapide tour de la pièce, pour juger du confort.

 - C’est plus sympa que ce que j’imaginais, dit-elle surprise, je vais peut-être les prendre.

         L’homme sourit, satisfait, avant de retourner à ses recherches. Cynthia quant à elle embarqua sa paire et rejoignit la salle principale. Au comptoir, Bell réglait l’achat de quelques capes, qui leur seraient bien utiles dans le désert.

 - Je vois que vous avez trouvé votre bonheur, sourit le marchand.

 - L’homme là-bas est de très bon conseil.

 - C’est un de nos plus fidèles clients, un grand amateur de tonghs.

         Le trio prit congé du marchand, et retrouva l’effervescence à l’extérieur. Après un rapide encas, elles reprirent leur exploration.

         À la tombée de la nuit, le marché n’avait apparemment pas fini de leur livrer ses surprises, mais elles durent se résoudre à rentrer à l’auberge. Malgré leur déception, les jeunes femmes savaient qu’elles auraient le loisir de revenir visiter un jour.

 

***

 

         Bell tournait une à une les pages de son livre. Plus tôt dans la soirée elle avait pu trouver un ouvrage intéressant sur le marché. Il contait les aventures d’un héros shurimien, parcourant l’empire pour sauver quiconque en eût le besoin. Malgré ces aventures, Bell fut un peu triste pour l’homme, qui ne vivait que par sa quête d’aider les autres, mettant de côté la femme qu’il aimait.

         Elle jeta un œil à Ileae. Par chance, son amie vastaya avait choisi de les accompagner, leur séparation aurait été un déchirement. Si elle lui avait demandé de rester…

         La scientifique était attablée avec ses deux amies, dans la grande salle de l’auberge. Elle avait sorti de la chambre quelques ustensiles qu’elle transportait dans son paquetage, et était affairée à préparer une mixture colorée. Cynthia quant à elle potassait un ouvrage sur la magie qu’elle avait acheté en même temps que Bell.

 - Vous êtes bien sages, dit une voix en s’approchant.

 - On est toujours sage Holly, répondit Ileae avec une moue boudeuse.

 - Allez dire ça à mes hommes, vous êtes les protégés les plus turbulents que j’ai pu avoir dans ma carrière.

         Bell referma son livre en silence.

 - Je ne vous ai jamais remercié, souffla-t-elle à la commandante. Je sais qu’on a eu quelques différents, mais vous nous avez protégé, et aidé.

         La commandante s’assit, et manqua presque d’esquisser un sourire.

 - Tu peux me tutoyer. Tu avais raison sur bien des points, je t’ai fait confiance et ça a payé.

 - Vos hommes méritent aussi des remerciements, ajouta Ileae. À notre retour j’aimerai leur parler.

 - Ça doit vous changer de vos habitudes militaires, remarqua Cynthia en levant le nez de son livre.

 - C’est le jour et la nuit, chez nous na hiérarchie prime, de même que l’obéissance. Même si je laisse une grande liberté d’action à mes hommes, ils sont grands maintenant.

 - Ça contraste pas mal avec les habitudes zauniennes, on ne gère pas une insurrection comme une unité d’élite.

 - Il y a un point commun, fit remarquer la vastaya. En haut comme en bas le pouvoir s’obtient par la reconnaissance et le mérite.

 - Si seulement les aristocrates fonctionnaient comme ça… marmonna la commandante.

         Les trois jeunes femmes laissèrent échapper un petit rire, constatant presque une grimace sur le visage parfait de la piltovienne. La grande et élégante femme se tenait droite, elle avait troqué sa tenue militaire pour une plus discrète, mais qui dégageait un côté strict. Son visage, fin, sans une ride, ne laissait transparaître aucune émotion.

         C’est amusant, remarqua la yordle, elle a les yeux légèrement bridés, peut-être a-t-elle des origines ioniennes ?

 - Piltover ne te manque pas ? Demanda la vastaya à la militaire.

         Cette dernière resta silencieuse quelques secondes. Elle détacha ses cheveux, laissant flotter de longs cheveux d’un violet améthyste, le temps de réfléchir.

 - Un peu je l’admets. Mon quotidien mes camarades, le thé. Mais je rêvais de voyager, et je compte bien mettre la main sur le fumier qui a mis mes villes sens dessus dessous.

         Le trio frissonna devant le ton glacial de la piltovienne. Même si Bell avait vaincu le chef du gang rebelle des Ratels, Vildoric, et que le professeur Krenn avait été tué, tous savaient que quelqu’un d’autre tirait les ficelles.

 - Au fait quel âge avez-vous ? Demanda Cynthia.

         Des trois, les mercenaires avaient pour estimation quelque chose comme entre vingt et trente ans. Ileae quant à elle la savait plus âgée, et allait jusqu’à lui donner trente-cinq ans.

         La commandante toisa les trois jeunes filles, et esquissa un petit sourire en coin.

 - J’ai quarante-deux ans.

 - QUOI !?

         Les voyageuses avaient réagi comme une seule personne, tandis qu’Ileae serait arrêté de travailler.

 - Eh bien on s’amuse bien par ici, tonna une voix qui s’approchait de la tablée. J’espère que vous avez pu explorer la ville !

 - Anna ! S’exclamèrent les filles en chœur.

         La lieutenante était accompagnée de Nâmis. Malgré l’âge avancé du shurimien à la peau brune, comme toujours il semblait déborder d’énergie. Anna s’assit lourdement sur une des chaises, qui grinça sous son poids. La freljordienne qui mesurait deux mètres, soit presque trois fois la taille de la yordle, une montagne de muscle, était pour chaque meuble rencontré une épreuve de résistance.

 - J’ai acheté de quoi nous habiller, sourit Bell. De même que Cynthia.

 - J’ai failli oublier, intervint la commandante. J’ai trouvé ça pour ton petit compagnon.

         Elle déposa sur la table une sacoche, que la yordle rapprocha d’elle. Dedans, elle trouva des sachets de papier, qui contenaient des lanières de viande séchée. Bien que tout le monde puisse les manger, Clapper raffolait de ces dernières.

         Elle se saisit de l’une d’elles, et la déposa sur la table. Le petit animal sauta sur ses pattes, et sautilla jusqu’à la viande pour l’attraper et la mâchouiller, dans son bruit caractéristique de mâchoire claquante.

 - Et toi jeune fille, que bricoles-tu ? Demanda le sage à l’intention de la scientifique penchée sur ses expériences.

 - J’ai bientôt finit, dit-elle en remplissant une pipette de liquide.

         Elle se défit de ses lunettes, qu’elle posa sur la table, face à elle. Elle déposa quelques gouttes sur chaque verre, avant de souffler dessus doucement. En quelques secondes, les verres transparents prirent une teinte foncée, grise presque noire.

 - Et voilà ! Dit-elle fièrement en brandissant sa paire. De quoi protéger mes yeux !

         L’assemblée siffla avec admiration. Même en voyage, loin de son labo et sur une terre étrangère, elle continuait à les épater.

         Curieux, le sage demanda à essayer les lunettes. Avec l’aide de la jeune vastaya, il passa la lanière en cuir extensible autour de sa tête, et posa les grands carreaux rectangulaires sur ses yeux.

 - C’est très confortable !

 - Et ce n’est pas tout ! Elles protègent des lumières dangereuses comme les laser, sont étanches, et presque incassables !

         Petit à petit, les discussions se lancèrent d’elle-même, principalement axées sur les découvertes faites dans l’immense marché de Nashramae. Même Holly semblait enjouée, laissant presque glisser un léger sourire au coin de ses lèvres.

 - J’ai quelque chose pour toi, souffla Ileae à la yordle.

         Bell se tourna vers son amie, laissant le reste de la troupe à leurs discussions. La scientifique tendit une paire de lunettes identiques à la sienne, aux verres teintés.

 - Comme ça le soleil n’abîmera pas tes yeux, sourit-elle.

         Bell rougit, en attrapant la lanière de cuir.

 - Attends je vais t’aider !

         La zaunienne passa doucement la lanière autour de la tête de son amie, procédant à de menus réglages. Bell sentir les mains douces de la vastaya effleurer ses oreilles, et rougit de plus belle.

 - Elles te vont à ravir, dit Ileae une fois l’ajustement terminé.

 - Merci.

         Ileae rougit à son tour, n’osant regarder la yordle dans les yeux.

         De loin, Cynthia qui avait reporté son attention sur le cadeau plutôt que sur la discussion du groupe, soupira en souriant.

 

         Le repas approchant, Ileae fit un rapide aller-retour dans leur chambre pour déposer son outillage, et les livre de ses amis. En revenant, elle croisa Reiner, le médecin de l’équipage, qui sortait de la sienne.

 - Monsieur Spert ! Lança la vastaya. Vous auriez une seconde ?

         L’homme se retourna. Plutôt grand, il arborait un air morose comme à son habitude.

 - Évidemment, et appelles-moi Reiner je te prie, pas de vous au sein de l’équipage.

 - Merci… c’est à propos de Bell.

 - Quelque chose ne va pas ?

         Ileae se tortilla, gênée. Elle savait que son amie ne parlait que peu de ses problèmes aux autres, de peur de déranger.

 - Les officiers sont au courant pour ses visions il me semble ?

 - Exact, il se peut qu’elles soient liées à nos recherches.

 - Je suis inquiète, depuis Zaun elle en a de plus en plus souvent, ça lui est même arrivé en plein combat.

 - Elle ne m’en avait pas parlé.

 - Évidemment… entre ça et ses changements physiques je suis inquiète. Elle semble découvrir un peu plus chaque jour sur ses pouvoirs, mais je ne sais pas si c’est naturel.

         Reiner réfléchit un instant.

 - J’en ai parlé avec mes compagnons, selon l’autre ponte de Piltover à l’Académie, la découverte de ses pouvoirs et la pousse de fourrure sont normales, mais le rythme l’inquiétait. Pour le reste, on ne peut qu’attendre et voir… qu’est ce qui a changé de plus chez elle ?

 - La couleur de sa fourrure, presque absente à notre rencontre elle parsème son corps. Ses yeux sont différents, et elle a tendance à perdre le contrôle de ses émotions, comme si on la forçait à agir, la perturbait.

 - Mes connaissances en magie sont limitées, admit Reiner en soupirant. Nous essayerons de trouver des gens compétents en chemin. En attendant tu n’as pas à t’en faire, on s’occupe de tout.

         Ileae sourit.

Bell a de la chance d’avoir de tels camarades.

 

         En descendant sans la grand-salle, la vastaya remarqua que l’atmosphère avait changé. L’auberge s’était remplie, toutes les tables étaient occupées.

         À la leur, des plats avaient été servis, de même que des boissons. Bell et Ileae comme toujours buvaient de l’eau, Holly un thé, mais Nâmis et Anna avaient sensiblement attaqué les réserves de bière de l’établissement.

         Disons surtout qu’ils étaient ivres.

 - Désolé mon petit Reiner, lança Anna d’une voix un peu trop forte, on ne t’a pas attendu pour attaquer.

 - Je vois surtout que vous êtes déjà bien attaqués.

 - J’ai encore de la marge, s’esclaffa la freljordienne. Dépêche-toi de trinquer tu fais une de ces têtes.

         Comme à chaque passage sur terre, l’équipage profitait de soirées aux bars portuaires pour se détendre, mais surtout conter à qui voulait l’entendre le récit de leurs aventures. Il ne fallut qu’une pinte supplémentaire pour lancer Anna sur cette voie.

         D’abord, elle raconta quelques passages de son enfance, elle avait grandi dans un village en bord des mers freljordiennes. Comme chaque jeune de son âge, elle avait appris la chasse, la pêche, et les rudiments d’une vie dans les contrées les plus froides du continent.

         Entre deux monstres marins, et bêtes féroces sur terre, la lieutenante décrivait les magnifiques paysages enneigés et couverts d’arbres gigantesques. Le contraste avec le désert au dehors de leur auberge attira un petit auditoire de curieux qui s’amassèrent petit à petit autour d’eux.

         L’histoire dévia sur celle de son voyage vers Bilgewater, comment elle était devenue mercenaire, puis leur dernier départ de l’archipel.

 - Et voyez-vous mes amis, racontait-elle debout aux clients venus écouter, l’histoire ne s’arrête pas ici, bien au contraire. Car la bête est REVENUE !

         Quelques murmures se dispersèrent dans la foule tandis qu’Anna montait sur la table, emportée par son histoire.

 - L’immonde Matriarche, maintenant rendue folle par une obscure magie, ME POURSUIVAIT. C’était une histoire personnelle, mais elle a commis une erreur, elle avait tenté de s’en prendre à mes AMIS !

         L’auditoire restait accroché à ses lèvres, d’autres curieux s’approchèrent doucement.

 - Imaginez, une nuit sombre, une brume nauséabonde, et soudain BAM ! Le navire subit un choc monumental… elle est là. Elle se dresse, imposante. BAM ! BAM ! Elle veut nous couler !

 - Mais cette fois, dit Nâmis en montant sur la table à son tour, nous sommes prêts. Nous armons les harpons, les canons et les mousquets ! Une pluie d’acier et de feu s’abat sur la bête, harcelée.

 - Peu de coups percent la peau de cette perfide créature.  La démente continue d’attaquer le navire, notre magnifique bâtiment. C’est alors que je me saisis de mes fidèles lames, et je cours, vers le bord. Et je SAUTE !

         Plus de la moitié des clients étaient maintenant pendus aux paroles de la freljordienne qui beuglait son récit comme si elle le vivait à nouveau.

         Un homme se tenait sans le fond, encapuchonné. Il écoutait l’histoire, en tapant du pied, avec sa drôle de chaussure.

 - Me voilà alors accroché sur son flanc, à tenter de passer les écailles de cette chose. La bête n’en démordait pas, se débattait comme un diable. Elle semblait INFATIGABLE.

 - C’est là, murmura Nâmis en prenant le relais, qu’elle a commis sa seconde erreur. Par un rapide mouvement, elle s’était saisie d’un homme, sans savoir qu’il s’agissait de l’amant de notre mage le plus puissant !

 - Cette jeune fille ici, désigna Anna en pointant Cynthia, se trouvait être ÉPERDUMENT amoureuse de l’homme désormais aux prises avec la puissante mâchoire du monstre. N’écoutant que sa rage, elle s’avance vers la créature, faisant face à un serpent long de CINQUANTE MÈTRES ! C’est alors qu’elle déchaîne tout son pouvoir, porté par un chagrin. Elle en appelle à la force de de la Mer elle-même ! Les eaux s’agitent, brillent d’une lumière inquiétante. Des dizaines, que dis-je des CENTAINES de pointes prennent forme dans l’eau, puis fusent vers la fête. Et TCHAC, la Matriarche se retrouve transpercée de toutes parts.

 - Et qu’arrive-t-il ensuite ? Lança un homme dans la foule. Le jeune homme a survécu ?

 - Oh que oui ! Tonna Nâmis. Ce jour-là l’équipage du Somua a affronté un de ses plus grands adversaires, et tous ont survécu. Le jeune homme a survécu malgré de graves blessures, a retrouvé sa bienaimée, et ils se sont fiancés.

 - OUAIS ! scanda la foule en applaudissant. HOURRA !

         Anna, fière de son récit, s’inclina aux côtés de Nâmis, avant de redescendre de la table sous les applaudissements et les cris de la foule.

 - C’est vraiment ce qu’il s’est passé ? Demanda Ileae à la magicienne au travers du brouhaha.

 - Quelques détails manquent mais c’est globalement vrai, sourit-elle gênée.

         Bell sourit, l’atmosphère légère de cette soirée lui rappela le jour où elle avait rencontré l’équipage pour la première fois. Ledit jour où elle avait pénétré sans le vouloir l’auberge des docks de Bilgewater : la Chope d’Icathia. Anna était ivre, et de la même manière, elle racontait ses histoires, avec le capitaine Morgan.

Mais ici, les aventures contées, elle les avait vécues.

 

***


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