Bell de Bilgewater

L’odeur saline des vagues, couplée à la fraîcheur de la mer vinrent caresser le visage duveteux de la jeune yordle. Voilà presque neuf jours qu’elle et son groupe avaient pris place à bord du Téméraire, un petit navire de commerce shurimien. Par chance, des vents porteurs avaient raccourci leur temps de trajet d’un quart.

La mer séparant Valoran au nord et Shurima au sud était relativement petite, Bell pouvait distinguer les paysages côtiers par temps ensoleillé. À ses côtés sur le pont, Ileae observait la mer elle aussi. C’était la première fois que la scientifique voguait, ses yeux brillaient autant que le soleil sur les vagues qui agitaient tranquillement leur embarcation.

Comme toujours, Bell la trouva resplendissante.

A son départ de Piltover, la jeune fille avait cru devoir quitter son amie, mais cette dernière s’était invitée au voyage comme elle en rêvait. D’ici peu elle débarquerait pour la première fois sur une terre étrangère.

 - Alors, lança Bell en souriant, que penses-tu de ton premier voyage ?

La grande vastaya jeta un regard pensif aux eaux calmes.

 - Je ne pouvais pas rêver mieux, répondit-elle avec un sourire radieux.

La yordle fixa l’horizon. La présence de la scientifique à ses côtés l’apaisait, il faut dire qu’elles s’étaient beaucoup rapprochées durant les dernières semaines, coincées dans les tréfonds de Zaun.

Sur son épaule, Clapper se reposait en silence. Lui aussi découvrait de nouvelles terres, et espérait surtout manger de nouvelles choses.

Des bruits de pas résonnèrent sur le bois du pont. Cynthia, l’amie d’enfance de la yordle, et Anna, sa mentor et seconde de leur équipage, vinrent se poser à leurs côtés. Cette dernière, énorme montagne de muscle freljordienne, assurait sans mal le rôle de cheffe de leur expédition.

 - On ne tardera pas à accoster, lança-t-elle.

 - Quelle est la suite du programme ?

La freljordienne pointa du nez la bande de terre qui commençait à se distinguer à l’horizon.

 - Une journée de repos à terre, le temps de se préparer à la traversée du désert. On retrouve une caravane et on s’y greffe jusqu’à Targon.

 - Les caravanes font souvent du transport de voyageurs ? Demanda Cynthia.

 - Ça arrive. Généralement les fortunés se payent eux même des escortes, les autres e débrouillent par eux même et voyagent en groupe.

 - Et nous ?

 - Disons que la présence d’un groupe armé aide à dissuader les voleurs, dit Anna avec un sourire sombre. Ça permet aux mercenaires de voyager pour peu cher.

         Le groupe acquiesça en soupirant, considérant leur chance, ils se doutaient que cette traversée ne serait pas une simple promenade.

         Tandis qu’elles parlaient, la terre continua de se rapprocher doucement. Les paysages avaient bien changé depuis les alentours verdoyant de Piltover, les terres du sud semblaient plus arides, bien moins riches en végétation.

         Un appel du capitaine résonna sur le pont, dans une trentaine de minutes ils arriveraient au port de Nashramae, chacun retrouva sa cabine pour préparer ses affaires. Durant les deniers jours, Bell Cynthia et Ileae avaient partagé la même chambre, du fait que cette dernière eut choisi de les rejoindre dans la précipitation. Elle et la jeune yordle dormaient ensemble comme à leur habitude, ce qui n’empêchait pas Cynthia de plaisanter sur leur proximité grandissante, ne manquant pas de faire rougir Ileae.

 - Prête pour ta première excursion ? Lança-t-elle à cette dernière.

 - C’est la première fois que je mets le pied hors des cités jumelles, admit la scientifique. J’appréhende un peu.

 - Tu n’as pas à t’en faire, nous non plus n’avions pas voyagé avant de venir en Piltover.

 - Et c’est sensé me rassurer ? Plaisanta la vastaya.

         Bell s’approcha, et se saisit de la main de son amie.

 - Tu n’as pas à t’en faire, sourit-elle.

         Ileae se détendit légèrement. Elle aussi avait à préparer ses affaires. Son paquetage ne transportait que peu de tenues contrairement à la magicienne. Pragmatique, elle avait emporté chaque vêtement en plusieurs fois, une douzaine de sa salopette marronne, le reste de la place était occupé par de nombreux outils, carnets et crayons.

         Elle vint en aide à Bell, pour qui l’imposant sac était complexe à porter. Pour la vastaya, qui faisait le double de la taille de la jeune navigatrice, il était déjà énorme, cependant elle le souleva sans broncher. Sa nature d’hybride lui conférait des capacités physiques hors norme, la frêle et timide jeune fille de Piltover s’était muée en jeune femme forte au cours des précédents mois.

         Le trio rejoint le reste de l’équipage sur le pont, balayé par une chaude brise venant du continent. Anna Wajäard discutait avec leur médecin et mentor de Cynthia, Reiner. Ce dernier comme à son habitude laissait apparaître un air renfrogné, ce qui contrastait avec l’écrasant sourire de leur meneuse. Sur le côté, Nâmis le vieux shurimien semblait heureux, échangeant paisiblement avec la sérieuse Holly.

         À la plus grande surprise de Bell, la commandante piltovienne s’était elle aussi jointe à l’expédition, elle qui était une femme d’action, avait pour objectif de traquer la personne responsable de l’agitation à Zaun, et de la capture de ses protégées.

         Pour rien au monde Bell n’aurait souhaité différents compagnons de voyage.

         À mesure qu’ils approchaient de terre, l’atmosphère se fit plus pesante. L’air chaud du continent désertique s’opposait à la fraîcheur de la mer, laissant entrapercevoir au groupe un avant-goût de ce qui les attendait.

         Ileae se précipita vers le garde-corps à l’avant du navire, avide de découvrir cette terre qui lui était inconnue. Un paysage rocheux accueillit l’embarcation, qui flottait doucement. D’immenses pics dominaient le plat des eaux, s’imposant à la vue des voyageurs.

         Ils pénétrèrent le port, avant que le navire n’aille s’arrêter avec douceur contre un des quais de bois. Immédiatement, le flot de voyageurs déferla dessus, dans une agitation rappelant aux jeunes filles les quais de leur archipel d’enfance.

         Malgré la foule, le groupe parvint à se frayer un chemin jusqu’à une petite place plus tranquille, grâce à l’imposante freljordienne qui dépassait de plus d’une tête de la marée humaine. L’air chaud pesait sur leurs épaules malgré la soirée déjà bien entamée, Cynthia et Bell se sentaient déjà fatiguées. Ileae quant à elle ne semblait pas dérangée outre mesure.

 - Étant partiellement reptile je résiste bien aux différentes températures, dit-elle en rougissant sous le regard des deux autres.

 - C’est injuste, soupira Cynthia.

 - Tu risques d’être désavantagée dans le désert, fit remarquer Bell à cette dernière, qui pratiquait sa magie aqueuse.

         La jeune mage haussa les épaules en soupirant. Comme son amie lui faisait remarquer, elle était affiliée à l’élément de l’eau, chose qui viendrait à manquer rapidement. Pour elle, c’était surtout l’occasion de s’entraîner dans un environnement hostile.

         Clapper sauta au sol, souhaitant se dégourdir les pattes. Il semblait plutôt bien supporter la chaleur, probablement dû à son espèce. Rien de plus résistant qu’un rat des quais, sourit la yordle en regardant son petit compagnon sautiller de joie.

         Anna donna le signal du départ, mais cette fois c’est Nâmis qui guida la marche. Étonnamment, le vieil homme sembla se débrouiller à merveille dans la foule, et guida ses camarades vers des quartiers plus calmes. Il était évident que le sage avait l’habitude de frayer dans cette ville, Bell avait appris qu’il y avait vécu de nombreuses années étant jeune.

         Le shurimien les guida jusqu’à une auberge en périphérie du centre-ville. Un grand bâtiment de pierre et de bois se dressait, légèrement plus haut que les maisons alentours. Ileae, les yeux brillants, dévorait du regard tout ce qu’elle pouvait. Les habitations contrastaient avec ses villes d’origine. Ici, pas de gigantesques immeubles en pierre blanc pur, pas de décorations en métal vrillant de toutes parts, de grands vitraux. L’acier le verre et le Gris zaunien lui semblaient eux aussi bien loin.

         Autour, les habitations étaient bien plus petites, dépassant rarement les deux étages, d’une pierre d’un blanc cassé virant au jaune pâle caractéristique des roches du coin. Certains avaient un étage supplémentaire en bas, orné parfois de gravures décoratives.

         Peu de maisons étaient dotées de fenêtres vitrées, la chaleur régnant l’immense majorité de l’année, les ouvertures arboraient de jolis volets de bois peints dans des couleurs chaleureuses.

         Malgré leur éloignement des quartiers actifs, les rues étaient bondées. Les gens circulaient entre les boutiques, mais surtout entre les étals disposés un peu partout, faisant du troc en discutant.

         Ville des marchés, pensa Bell, c’est indéniable.

 - On se pose à l’auberge pour ce soir, clama Anna. Demain vous aurez votre journée pour découvrir un peu la ville, on se retrouve dans une demi-heure dans la salle principale pour manger.

         Le groupe acquiesça comme d’un seul homme, et pénétra. Une aubergiste les accueillit en souriant, c’est Nâmis qui se chargea d’échanger avec. Ici, même au dernier moment, tout se négociait y compris une fois la réservation faite. Malheureusement pour la femme qui pensait avoir affaire à de simples voyageurs, elle faisait face au vieux shurimien, qui connaissait par cœur les coutures et ficelles.

         Il ne parvint pas à négocier de chambre supplémentaire pour la piltovienne et la zaunienne, comme lors de leur traversée en mer, Ileae aurait à partager la chambre de Cynthia et Bell, ce qui ne sembla pas déranger cette dernière.

         Ileae était surexcitée, son cerveau bouillonnait face à tant de découverte, elle ne pouvait s’empêcher de regarder et toucher à tout.

 - Tu devrais te reposer, plaisanta Cynthia, ou tu ne tiendras pas jusqu’à ce soir.

 - Il y a tellement à voir, répondit-elle. Tout est si… différent !

         Bell sourit en voyant son amie aussi enjouée. En réalité, elle avait été pareil lors de son arrivée à Piltover. Elle aussi bouillonnait d’envie d’aller explorer la ville.

         La chambre était sommaire, mais confortable. Les lits étaient assez grands pour deux, d’autant que la très petite taille de la yordle s’avérait avantageuse. Après avoir entreposé leurs affaires, et verrouillé leur chambre, le groupe s’empressa de rejoindre la grande salle principale. Leur arrivée et la traversée de la ville avaient creusé l’appétit du groupe, qui mourrait d’envie de déguster leur premier repas à terre depuis plus d’une semaine.

         Le trio pénétra la grande salle. Une immense pièce, chaleureusement décorée, accueillait une vingtaine de grandes tables rondes, quelques-unes étaient déjà prises par de petits groupes, sensiblement des voyageurs, mais aussi des locaux.

         Dans le fond, l’atmosphère rappela à Bell l’auberge bilgewatienne dans laquelle elle avait rencontré Anna et le reste de l’équipage. La chope d’Icathia.

         De loin, le trio aperçut Anna, qui comme toujours était remarquable du fait de son imposante stature. Elle était attablée avec le reste de leur petite troupe, discutant autour d’une table dans un coin de la salle.

         Les jeunes femmes se joignirent à eux, remarquant une carte dépliée devant eux.

 - Alors, avis à chaud sur votre arrivée ? Sourit Nâmis.

 - Chaud c’est le terme, soupira Cynthia.

         Bell sourit, et regarda Ileae. Les étoiles dans ses yeux et l’immense sourire qui barrait son visage laissèrent comprendre au sage sa réponse. Elle ressentait la même chose.

 - Bien, nous allons vous partager les détails de notre périple en Shurima, sourit la freljordienne en se levant. Ouvrez grand vos esgourdes.

         La lieutenante se pencha sur leur carte. Le continent était gigantesque, majoritairement composé d’un désert central. À l’est, l’empire était séparé des terres les plus fertiles du continent par une chaîne de montagnes : Ixtal. Un tiers de leur équipage était parti vers la capitale Ixaocan pour trouver des éléments susceptibles de les aider dans leurs recherches. Au nord de ces terres, Piltover et Zaun, leur point de départ, faisaient lien entre le continent nord de Valoran. De la même manière, la mer qui séparait les deux continents joignait l’océan est abritant Bilgewater au niveau des cités jumelles.

         Enfin, petit morceau de Shurima, montagneux, entourait un pic, connu de tous. Targon, sourit Bell, notre objectif.

 - Nous sommes ici, dit Anna en pointant le centre nord de la côte shurimienne. Après-demain nous entameront la traversée du grand désert vers le plein centre.

 - La caravane passera par Zuretta à mi-chemin, ajouta Nâmis. Notre seconde halte sera proche de la capitale historique : le Disque Solaire.

         La yordle se pencha pour observer. Une grande ville se dressait en plein milieu du désert, placé sur un immense fleuve. Elle semblait en être la source.

 - La première traversée étant la plus dure, ajouta-t-il, il nous faudra attendre que la caravane récupère avant de repartir. Nous longerons ensuite le fleuve, Mère de la Vie, jusqu’à parvenir à Nerimazeth.

         Bell tiqua à l’évocation du nom, tripotant machinalement le manche de la dague qu’elle portait à la ceinture. Elle avait à faire dans cette ville.

 - Je vous conseille d’acheter quelques vêtements adaptés, des capes avec de quoi vous protéger du soleil.

         Tous acquiescèrent. Ils savaient que le shurimien avait une grande expérience de ces terres, et plaçaient toute leur confiance en lui.

 - Voici votre solde, un peu en avance, dit Anna en sortant une bourse et en distribuant des pièces. Avec Nâmis on avait déjà prévu en monnaie locale, vous n’irez pas loin avec des rouages piltoviens.

 - Notez que le troc représente une bonne partie des échanges, sourit Nâmis.

         Pour la première fois depuis plus d’une semaine, le groupe retrouva le plaisir un repas cuisiné, au chaud. L’aubergiste leur servit divers mets épicés, qui furent pour les trois jeunes femmes une découverte de la cuisine shurimienne.

         Nâmis leur conta quelques récits sur la ville, Nashramae était une des plus grandes cités de l’empire, habituée du commerce, elle avait prospéré au travers des âges, parfois sous l’égide de l’empire noxien.

         Anna n’appréciait guère ce dernier, Bell avait appris que la contrée d’origine de leur cheffe faisait toujours le fruit de la barbarie noxienne, alors même que plusieurs tribus se déchiraient entre elles depuis des siècles.

         Petit à petit, les membres prirent congés pour se reposer, Anna était la seule à qui l’énergie ne semblait jamais manquer.

 - Vous devriez vous reposer, dit-elle, prenez le temps de visiter ce n’est pas souvent qu’on s’arrête dans une si belle ville.

 - Vous et Nâmis serez occupés demain, vous aurez besoin de quelque chose ? Demanda gentiment Cynthia.

         La freljordienne déclina en souriant, de même que le sage. La soigneuse se tourna vers Holly qui restait silencieuse comme à son habitude.

 - Je te remercie jeune fille, dit froidement la piltovienne. J’ai prévu de découvrir la ville moi-même, je me débrouillerai.

         Les jeunes femmes prirent congé à leur tour pour rejoindre leurs quartiers.

         Leur chambre était plus spacieuse que la cabine du navire. Pour Ileae, le confort était bien différent de son appartement dans le manoir à Piltover, mais d’un niveau bien supérieur à ce qu’elle avait pu expérimenter en Zaun.

 - Je vais enfin pouvoir dormir sans que le lit remue ! Soupira-t-elle en se jetant dans le sien.

 - Tu exagères Bell ne bouge pas autant ! Pouffa la magicienne.

         Pour toute réponse, la jeune yordle se saisit d’un oreiller et lui lança en plein visage, en s’indignant.

 - Jay a raison, tu es adorable quand tu t’énerves, tes oreilles se rabattent.

         L’intéressée arbora une moue vexée en tentant de cacher ses grandes oreilles velues. Elles faisaient la taille de sa tête, et s’agitaient en fonction de son humeur telles celles de chats.

 - Tu as eu du mal à t’habituer au tangage ? Continua Cynthia.

         La vastaya hocha la tête en se relevant pour enfiler sa tenue de nuit.

 - La mer était calme pourtant, remarqua Bell. Elle est enfermée entre les continents, il y a peu de vagues.

 - Tu veux dire que ça peut être pire ?

         Bell sourit devant l’air décomposé de la scientifique.

 - L’océan est bien plus agité, mais on s’y fait au bout d’un moment. Pas besoin d’avoir peur !

 - Je… je n’ai pas peur ! Je préfère simplement quand le sol ne bouge pas…

 - Je comprends pourquoi tu dors toujours avec Bell dans ce cas, rit la soigneuse.

         Sa remarque fut accueillie par un nouveau lancer d’oreiller, cependant cette fois elle s’y attendait et le rattrapa avant de le jeter sur Bell, qui riposta sans pitié.

         Quelques minutes d’affrontements suffirent à finir de fatiguer le trio, qui tentait de retrouver son souffle entre deux crises de fou rire.

 - Vous croyez qu’il nous arrivera encore des bricoles ? Demanda Ileae une fois couchée.

         Les deux autres restèrent silencieuses, pensives.

 - Je ne vois ni scientifique fou à l’horizon, ni monstre marin, ni brume noire, remarqua la yordle. Pour le moment je me permets d’être optimiste.

 - Et puis, avec tout ce qu’on a traversé, il en faudra beaucoup pour nous arrêter ! Clama Cynthia. Une aquamancienne talentueuse, une scientifique de génie, et une Baronne zaunienne de presque un mètre, j’aurais peur si j’avais tout ça en face de moi.

         Bell lui répondit par un petit gémissement d’approbation. Je me demande comment Vira s’en sort. Quelques semaines auparavant elle avait laissé la sœur d’Ileae s’occuper du gang de zauniens dont elle était devenue la cheffe par un concours de circonstances.

         Elle se plaça sur le côté, proche d’Ileae qui s’était déjà endormie. Elle sentait le souffle de la jeune vastaya glisser sur sa courte fourrure. Elle sourit, avant de s’endormir.

***