Bell de Bilgewater
Chapitre 31
Des voix, plusieurs fois, tournoyaient dans sa tête, se succédant, sans qu’elle ne les distingue. Des images défilaient devant ses yeux, pourtant, ce n’était pas ce qu’elle voyait.
Ileae… Ileae…
Elle vit les rues zauniennes, sombres et plongées dans le Gris, puis un de leurs élévateurs. La douce lumière de la Décharge déposa une légère sensation de chaleur sur sa peau, tandis qu’elle avançait.
Pourtant, elle ne marchait pas.
Quelqu’un me porte.
- … l’allonger, elle est en état de choc.
Bell identifia la voix qu’elle venait d’entendre comme celle d’Holly, qui la portait dans ses bras. L’image de son visage attristé lui revint en mémoire, suivi d’autres visions, fugaces.
Un mur, un corps allongé. Du sang.
Ileae.
- NON ! NON ! cria-t-elle en s’agitant soudain.
La yordle, comme prise de démence, se débattit avec ardeur. La commandante eu bien du mal à la maintenir, tâchant de ne pas laisser tomber la jeune fille. Elle réussit à la maintenir dans ses bras jusqu’à un lit.
- Calme toi Bell ! dit-elle d’une voix dure. Tu es en sécurité, tu es dans ta chambre la Décharge.
- Ou est Ileae ? Ou est-elle ? JE DOIS LA VOIR.
Désorientée, elle tentait d’échapper aux prises de la piltovienne. Un médecin s’approcha, et se saisit de son bras. Il y planta rapidement une seringue, injectant un liquide dans son corps.
Bell, dont le cœur battait la chamade, continua à s’agiter sur son lit.
- JE DOIS LA VOIR ! LIBEREZ MOI !
Un voile noir descendit sur ses yeux, et petit à petit elle sombra dans l’inconscience.
- Je dois… Ileae… je t’…
Un silence s’abattit dans la pièce, lourd. Holly essuya la larme qui coulait le long de la joue de sa protégée, avant de quitter la pièce.
*
En seulement quelques heures, la nouvelle se propagea, d’abord au sein des Ratels, puis tous les districts furent bientôt au courant.
Vildoric Mesrine, Baron des Ratels du Puisard, avait été vaincu.
Beaucoup eurent d’abord du mal à croire ladite nouvelle, plus particulièrement les gang lui-même. La présence de plusieurs pontes, et de nombreux membres durant l’affrontement, força tout le monde à accepter la situation.
Une toute petite yordle avait vaincu le géant des profondeurs.
Dès la première heure, les offensives en cours cessèrent, partout. Les Ratels, en l’attente de plus d’informations, restèrent immobiles. Une accalmie froide, angoissante, pesa sur tout Zaun, et Piltover. Une question taraudait l’esprit des habitants.
Qu’allait-il se passer ?
***
Une musique résonnait, accompagnée de chants aux rythmes entraînants. De nombreux marins festoyaient autour d’une table. Bell reconnut l’équipage du Somua, chantant en chœur avec Morgan, le capitaine, et Anna, sa seconde. Sur un banc, ses deux amis d’enfance, Jay et Cynthia, riaient en discutant avec le cuisiner.
Bell se sentait loin, embrouillée, mais heureuse. Elle adorait la musique, elle sourit lorsque ses amis l’appelèrent. Elle eut envie de les rejoindre.
Elle tenta de se lever, mais n’y parvint pas. Son corps refusait de répondre.
Elle regarda autour d’elle, et vit une personne adossée au mur, près de la porte. L’individu encapuchonné se redressa d’un geste souple. Elle tendit la main, ouvrit ladite porte, et s’engagea dehors. Bell put apercevoir de fines écailles irisées, brillant d’un bleu magnifique à la lumière de la taverne.
Ileae.
Instinctivement, elle se leva, et se dirigea prestement vers l’entrée, pour ouvrir la porte à son tour. Elle vit dehors, la silhouette drapée se tourner vers elle, semblant attendre.
- Bell ?
La jeune fille se retourna. Cynthia, la magicienne aux cheveux roses, la regardait avec un regard interrogateur. Plusieurs autres de ses camarades firent de même, regardant la yordle en silence.
- Tu viens avec nous ?
Bell jeta un regard au dehors. La femme resta à attendre, toujours cachée sous son vêtement. Elle posa timidement une de ses mains sur son autre bras, comme si elle semblait attendre. Cette fois, Bell put clairement identifier les fines mains de la vastaya.
- Tout va bien Bell ?
- Je… je ne sais pas trop… dit-elle en regardant ses amis.
Dehors, Ileae se tourna, et commença à s’éloigner, doucement. Bell mourrait d’envie de la rejoindre.
- Tu ne vas quand même pas nous laisser ? insista Jay.
- On est venu pour toi après tout, ajouta Cynthia.
- C’est nous ta famille, sourit Morgan.
Le cœur de la jeune fille s’accéléra, son pouls battait violemment dans sa tempe. Ileae s’éloignait de plus en plus, tandis que ses amis insistaient.
Elle ne voulait pas abandonner ses amis, ni laisser la vastaya de côté. Elle ne voulait pas les quitter, les voir tristes. Elle ne voulait pas avoir à faire ce choix.
- Il n’y a pas de choix, dit Anna en se levant.
L’immense freljordienne s’avança vers Bell. Sa voix était étrange… comme si elle n’était pas naturelle, trop… jeune ?
- Tu dois venir avec nous.
- Elle a besoin de moi… bredouilla Bell. Elle est…
Anna se plaça proche de la jeune yordle, plongeant son regard dans le sien.
Ses yeux…
Une teinte bleutée brillait dans lesdits yeux freljordiens. Ils étaient violets, soit pas du tout leur couleur habituelle.
- À moins que tu préfères rester avec tes nouveaux amis ?
- Anna tes yeux…
- Si tu tiens tant à cette fille, tu n’as qu’à la forcer à venir ?
- Quoi ?
Une expression étrange déformait le visage de la Seconde, un sourire dément accompagnait un regard appuyé.
- Ce n’est qu’une personne de plus à manipuler après tout, cracha-t-elle. Comme tu l’as fait avec les autres.
La voix de la freljordienne devint de plus en plus éloignée de celle dont se souvenait Bell. Elle ressemblait plus à celle d’une jeune fille moqueuse, qu’à celle d’une femme de Bilgewater.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Tous ces gens dont tu as abusé, sourit-elle encore plus, en utilisant ce pouvoir.
- Je n’ai pas essayé de…
- Tu instille de la magie dans tes mots, et par ton pouvoir tu les changes selon ta volonté.
- Je n’ai pas fait exprès ! S’indigna-t-elle. J’étais en colère… Comment-es-tu au courant !?
Anna se rapprocha, oppressant Bell de par sa grande taille. Son visage affichait désormais un rictus se rapprochant plus de la folie qu’autre chose.
- C’est ce que tu es au fond de toi, dit-elle avec une voix de plus en plus déformée. Ce que nous sommes. Tu manipules, détruis. Tu peux faire ce dont tu as envie ici, mais tu n’effaceras pas qui tu es Bell. Tu es à moi.
- Qui êtes-vous ? paniqua la yordle. Vous êtes celui qui a ordonné ma capture ? Qui a envoyé l’Hyyathan nous attaquer en mer ?
Anna fut prise d’un rire, un rire qui la fit tordre son corps. Un rire dément.
Les yeux violets brillaient maintenant d’une lumière bleue, et des rubans émergèrent du dos de la freljordienne.
- Tu as l’air de tenir à cette fille, énormément, je l’ai vu dans nos rêves. Nous avons encore du temps devant nous, sourit-elle, pourquoi ne pas nous amuser un peu ? Tu pourrais les asservir ? Qu’en- dis-tu ?
Des images refirent surface dans l’esprit de la jeune fille. Elle revoyait ce rêve étrange, une foule de zauniens scandaient son nom, elle qui était assise sur un trône en métal, plus conçu pour un homme de stature que pour une minuscule yordle.
À ses côtés, Ileae était agenouillée, enchainée. Elle fixait Bell d’un regard suppliant.
- Ileae… Ileae !
Une lumière aveuglante la força à se couvrir les yeux. Lorsqu’elle les rouvrit, un mur de pierre parsemé de schémas l’accueillit.
*
Bell se redressa, regardant atour d’elle avec inquiétude. Ni taverne, ni musique, ni Anna à l’horizon.
- Je devrais parler de ces rêves à quelqu’un… marmonna Bell à voix haute.
Elle s’habilla en vitesse, prenant quelques secondes pour se regarder dans le miroir.
Et si mes rêves disaient vrai ? pensa-t-elle. Si le but de mes pouvoir n’était que de détruire et manipuler..?
Elle secoua sa tête, chassant ces questions de son esprit. Elle avait plus des choses plus urgentes à faire.
Elle se précipita dehors, si encore une fois il était cocasse d’appeler cette grande cavité un « dehors ». Plusieurs passants la saluèrent de loin, avec un regard teinté d’une sorte de tristesse. Aucun n’osa s’approcher pour lui parler. Bell devina que les habitants avaient dû être mis au courant des récents évènements.
Les Ratels, l’attaque. Le Baron Mesrine.
Ileae.
La yordle se mit en marche, puis commença à courir. Ses jambes étaient engourdies par le long sommeil, mais elle apprécia une courte course jusqu’à la place centrale, le temps de se remettre les idées en place.
Dans une aile du bâtiment principale, elle trouva l’infirmerie, qui regorgeait de blessés, de retour des combats contre les Ratels. Elle chercha son amie des yeux, sans pour autant réussir à la voir.
Ne parvenant pas à la trouver, Bell commença à paniquer.
Et si… elle était…
Elle chassa cette pensée, refusant même l’idée que quelque chose ai pu lui arriver.
De loin, elle aperçut Nahia, qui discutait avec un médecin. Elle se précipita vers la cheffe, qui fut soulagée de la voir debout.
- Bonjour Nahia ! Où est…
- Ileae ? l’interrompit la femme. Il faut qu’on en parle avant.
Le cœur de Bell rata un battement. Son cerveau se mit à réfléchir de manière erratique, craignant le pire scénario.
- Elle est en vie rassure-toi, sourit la zaunienne. Elle est mal en point et a besoin de beaucoup de repos.
La jeune fille poussa un long soupir de soulagement, laissant quelques secondes à son corps pour redescendre en pression.
- Combien de temps ai-je été absente ?
- Tu as dormi deux jours, tu étais en état de choc on a dû te forcer à te reposer. Comment te sens-tu ?
Bell sourit doucement. À son agitation, la cheffe comprit que sa jeune amie ne tiendrait pas en place une seconde de plus. Elle la mena au travers d’un couloir vers une pièce, dont elle poussa la porte.
Sur le côté, Bell découvrir Ileae, allongée dans un lit.
- ILEAE !
Elle se précipita à ses côtés, regardant si son amie était consciente. Cette dernière respirait difficilement, sa peau déjà habituellement blafarde, était désormais aussi blanche que celle de sa tenue. Elle se tourna vers Bell, doucement, et lui sourit.
La jeune fille sentit les larmes lui monter aux yeux.
- Je peux..? parvint-elle à articuler en s’empêchant de pleurer.
La vastaya hocha doucement la tête. Bell sauta à son cou, l’enserrant dans ses bras de toutes ses forces.
Puis fondit en larmes.
- Salut toi… murmura Ileae faiblement.
Bell releva la tête, de chaudes larmes coulaient le long de ses joues duveteuses. Elle peinait à reprendre son souffle entre deux sanglots, fixant son amie comme si elle la découvrait pour la première fois, leurs visages à quelques centimètres.
Si proche…
- Je vous laisse entre vous, sourit Nahia derrière. La commandante Bertillon voulait vous parler, je vous l’envoie.
- Oh et, comment va Klem ? demanda Bell en se relevant.
Un sourire triste barra le visage de la cheffe, qui détourna le regard.
- Son état est stable, on espère l’aide de soigneurs piltoviens.
- Holly vous aidera, elle a de bon contacts.
Nahia acquiesça, avant de sortir.
- Comment tu te sens ? lança Bell à son amie alitée.
- Mal, admit Ileae. J’ai du mal à bouger, respirer, manger, etc. Peu auraient survécu à une telle blessure, heureusement que j’ai eu de quoi tenir.
La yordle s’assit sur un tabouret, forcée de sauter pour atteindre l’assise. Voir son amie peiner fit rire la vastaya, qui sourit doucement.
- Qu’est-ce qui t’a aidé ? demanda Bell curieuse.
- Toi, sourit à nouveau la scientifique. Et ma génétique de vastaya, un tout petit peu.
Bell rougit. Voir Ileae sourire et plaisanter la rassurait.
- Et toi ? Comment tu te sens ? J’ai cru comprendre que tu avais vaincu le Baron Mesrine après qu’on ait toutes été mises hors combat !
Bell resta silencieuse. Vildoric ne lui avait délivré que trop peu d’informations, des tas de questions restaient en suspens.
- Je… j’ai fait des rêves à nouveau…
- Raconte-moi !
- J’ai réfléchi sur mes pouvoirs. Comme je l’avais vu, je ne les ai pas utilisés à bon escient…
- Comment ça ?
Bell plongea son regard dans celui de son amie. Ce que la vastaya y décela fut un mélange de honte, de tristesse, et de peur.
- Dans ma colère, j’ai manipulé plusieurs personnes dont Holly, et j’ai fait exploser le cœur de Mesrine…
Ileae resta bouche bée.
- Je mets tout le monde en danger… entre mes pouvoirs, et les gens qui en ont après moi, bredouilla Bell, je te mets en danger…
- Tu m’as sauvé la vie, avec ce pouvoir, et probablement celle de centaines d’autres zauniens et piltoviens. Tu as aidé plus de gens que tu ne peux imaginer.
- Tu ne comprends pas… marmonna la yordle. Je… je ne sais que manipuler, détruire… je ne sais même pas ce dont je suis capable sous le coup de l’émotion.
- Tu ne ferais jamais une telle chose.
- Je suis une mercenaire recherchée par une entité inconnue, incapable de contrôler des pouvoirs qui apparaissent de nulle part… Si je te faisais du mal ? Tu ne devrais pas rester avec quelqu’un comme moi…
La vastaya leva doucement le bras, et posa la main sur la joue de son amie. Elle caressa doucement le duvet de cette dernière, tournant son visage vers le sien.
- Je n’aime pas quand tu dis ça, soupira tristement Ileae. J’ai l’impression que tu regrettes notre rencontre.
- Je ne la regretterait pour rien au monde, répondit Bell.
Quelques coups secs résonnèrent dans la pièce, avant que la porte ne s’ouvre. Holly pénétra, accompagnée de son médic qui s’affaira sur quelques médicaments au chevet d’Ileae.
La grande femme était bien habillée, d’une tenue militaire piltovienne qui soulignait sa ligne élégante. Elle écarta sa longue chevelure violette, avant de s’asseoir sur un des tabourets.
- Je vois que mes deux recrues préférées se retrouvent à nouveau, sourit-elle. J’avais confiance en vous et j’ai eu raison, une victoire éclatante a été remportée !
- Elle était morte d’inquiétude, railla le médic derrière, vous auriez dû la voir elle n’arrêtait pas de parler !
- Soldat, claqua-t-elle en rougissant, plus un mot.
- Bien mademoiselle.
Ileae pouffa, tandis que Bell resta surprise. C’était la première fois qu’elles voyaient l’image de la froide commandante de Piltover s’émietter, laissant apparaître une femme inquiète,
- Vous avez failli y passer, dit-elle d’une voix dure en recouvrant une expression neutre. La prochaine fois qu’il vous vient à l’idée de mettre fin à une guerre civile en affrontant le chef d’un gang de guerriers, ne le faite pas.
Un léger sourire en coin apparut discrètement sur son visage, laissant comprendre aux jeunes filles qu’il s’agissait de félicitations camouflées.
- Vous avez dit « mettre fin ? » remarqua Bell.
- Oui ! Je vous apporte une excellente nouvelle, le conflit arrive doucement à son terme. Il reste quelques détails à régler, et j’aurai besoin de ton aide pour cela Bell.
Les deux filles échangèrent un regard dubitatif. Elles avaient laissé derrière elles un baron mort, et des Ratels pantois.
- On a manqué quelques détails… dit timidement Ileae.
- Nos attaques ont portées leurs fruits, sourit Holly. La plupart de leurs installations sont sabotées, vous avez tué leur dirigeant. Les combats ont cessé, tout le monde se regarde dans le blanc des yeux, en attendant de savoir la suite. Cette suite, ce sont les ordres que toi Bell, tu donneras aux Ratels.
Cette dernière manqua de s’étouffé en écoutant la commandante décrire la situation. Des ordres ???
- Demain tu m’accompagnera, nous avons un entretient avec les pontes du gang.
Ileae lâcha soudain un petit cri, ayant sensiblement compris avant son amie.
- Les Ratels, dit-elle comme si elle avait eu une illumination. « Tue le chef, deviens le chef ».
- C’est ce que Nahia avait dit à notre rencontre, remarqua Bell. Tue le chef…
Son regard s’illumina à son tour, accompagnant une expression de surprise sur son visage.
- Non… me dites pas…
Son regard passa d’Holly qui la fixait avec son sérieux habituel, à Ileae, qui semblait aussi surprise qu’elle.
- Tu es l’héritière au poste de Baron du clan des Ratels du puisard, dit Holly.
Un hoquet de surprise étouffa Bell, qui avait désormais du mal à respirer. Elle n’avait pas du tout prévu de devenir cheffe de gang, mais alors pas du tout.
- Votre retour pour Piltover est pour bientôt, dès lors que nous aurons rouvert les voies entre les cités, vous pourrez retrouver vos amis.
- Que ferez-vous une fois rentrée ? demanda Bell.
La commandante réfléchit un instant. Contrairement aux deux filles, elle n’avait pas été coincée aussi longtemps en Zaun, elle aurait un paquet de choses à faire.
- Je fuirais bien Piltover, soupira-t-elle sous le regard surpris de Bell et Ileae.
- Mais les aristocrates auront besoin de vous pour les négociations avec Zaun, dit Ileae. Nous aurons besoin d’un médiateur.
- Oh non, je ne suis pas assez brave pour la politique, sourit-elle. Je vous laisse, vous avez encore besoin de repos. Ne faites pas de bêtises, lança la piltovienne en quittant la pièce avec le soldat.
***