Bell de Bilgewater

Chapitre 65 : Partie 4 - Chapitre 29

3661 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/01/2023 18:00

           Chapitre 29

 

         En silence, Klem pénétra l’ouverture. Un des battants de la porte gisait au sol, il devait peser si lourd qu’il s’était à moitié enfoncé dans le sol de pierre brute. Tout comme le second, il était tordu, comme si un gigantesque boulet de canon avait frappé son centre.

         Un boulet de canon équipé de griffes. Beaucoup de griffes.

         Bell contempla la porte en passant. Les sillons dans l’acier étaient de diverses tailles, les plus gros était aussi larges que la jeune fille. Elle frissonna en tentant d’imaginer ce qui avait bien pu provoquer cela.

 

         Il semblerait que la porte soit un accès menant à un laboratoire, de très haute sécurité.

         Si c’est aussi bien défendu, c’est important, sourit Bell.

- C’est sûrement un piège, commenta la zaunienne.

 - Que fait-on alors ?

         Klem lui lança un regard malicieux, accompagné d’un sourire.

 - On s’y précipite !

         Elles longèrent une longue galerie, sombre mais large, bardée de conduites, éventrées. Seuls quelques tuyaux subsistaient, approvisionnant le peu de lampes en état de fonctionner. D’autres traces de griffes couraient sur les murs carrelés, accompagnées de quelques traces de sang.

- Ils étaient beaucoup, dit Klem en désignant les marques. Les petites sont plus nombreuses.

 - Des sujets d’expérience en cavale ? s’interrogea la yordle. Quand on s’est évadé de chez Krenn avant de vous rejoindre, le complexe était attaqué, c’est ce qu’on a supposé.

 - J’en doute, les traces à la clinique concordent avec d’autres attaques partout dans Zaun, pas à ça.

- Les massacres évoqués dans les journaux ?

 - Ce que l’on a sous les yeux n’y ressemble pas. Les enquêtes évoquaient un seul individu, à l’apparence inhumaine.

 - On a vu des corps à la clinique. Broyés, la peau presque transparente, rachitiques, avec une expression d’horreur sur le visage. Et peu de sang.

         Klem réfléchit en s’engageant dans le couloir. Le témoignage de sa camarade concordait avec les rapports des autres scènes.

 - Ces attaques ont toujours visé les Ratels, dit-elle, des lieux connus pour être des prisons. Je ne connais rien capable de de subtiliser la vie d’êtres vivants de cette manière.

         Bell réfléchit, plongée dans ses pensées. En réalité, elle connaissait quelqu’un. Un bruit lui revint en tête, le bruit d’une démarche mécanique, et une voix, croassante.

         Jenkins ?

         Elle doutait que son camarade se trouva en Zaun, ils en auraient entendu parler. À moins que… Non, le capitaine Morgan n’aurait pas envoyé son second, la commandante Bertillon l’aurait interdit.

         En même temps est-ce que le capitaine obéirait à Holly ? Mais il ne pourrait pas avoir pu passer le blocus ?

 - Quelle que soit la cause des soucis ici, dit Klem en tirant Bell de ses pensées, ça n’a rien à voir.

         Bell rejoint la zaunienne, qui s’était arrêtée. Elles avaient sensiblement atteint le point central du complexe secret, et émergé dans une grande salle d’accueil. Des caisses entreposées étaient brisées, de même que les meubles. Une galerie en face de l’entrée continuait plus loin. Mais ce n’est pas ce qui retint le regard de la jeune fille.

         Des corps jonchaient le sol. Beaucoup de corps.

         Des traces de sang recouvraient la quasi-totalité des murs, des corps en charpie gisaient un peu partout. Les scientifiques du complexes avaient été attaqués, massacrés. Bell dut lutter pour ne pas vomir, et se concentra sur le reste.

         Sur deux niveaux, des portes éventrées menaient à des salles d’expérimentation, quasiment détruites. La vue de ces pièces carrelées fit ressurgir des images dans la tête de la yordle. Elle vit à nouveau les expériences dont elle avait été victime lors de son emprisonnement chez le professeur Krenn.

 - Merde, lâcha Klem en se précipitant à l’autre bout de la pièce.

         Bell accourut, inquiète. Une expression d’horreur déforma son visage en découvrant ce sur quoi était penchée sa camarade.

         Une personne était allongée contre une table, respirant à peine. Son corps était ravagé, de nombreuses blessures sanguinolentes luisaient à la faible lumière verdâtre. Il allait mourir. Elle reconnut immédiatement l’un des soldats qui les accompagnait.

         Du coin de l’œil, Bell aperçut le second combattant, sans vie.

 - Je suis désolée, murmura Klem à l’homme qui peinait à respirer. On ne peut rien faire.

         Ce dernier eut un sourire triste, trop faible pour décrocher un mot. Sa respiration sifflait, Bell le sentait s’éloigner.

         Elle s’éloigna en empoignant son fusil, aux aguets. La zaunienne récita quelques mots dans un dialecte des districts à l’homme, empoignant sa main. Sa présence sembla apaiser l’homme, qui s’éteint doucement.

 - Ça c’est pas la Garde, murmura Bell.

         Klem lui jeta un regard interrogateur. La yordle lui désigna du menton d’autres corps. Plusieurs zauniens, lourdement modifiés, en armure, étaient entassés dans un coin. Ils arboraient les mêmes blessures que leur camarade, et l’insigne de la Garde Chemtech.

 - Quoi que ce soit, c’est peut-être encore ici.

         Les deux femmes empoignèrent leurs armes, sortant dans la grande salle. Un silence de mort pesait sur ce qui pouvait être qualifié de champ de bataille. Sans un bruit, elles continuèrent d’inspecter les pièces alentours.

         À chaque porte, la respiration de Bell s’arrêtait. Elle craignait de découvrir le corps d’Ileae, sans vie. Si cela venait à arriver…

         La yordle chassa ces sombres pensées de sa tête, et se rasséréna. Elle pénétra un laboratoire dont les murs étaient recouverts d’étagères, effondrées pour la plupart.

         Sur un des bureaux, elle trouva des documents. Elle put voir de nombreux schémas, des dessins de machines, de corps plus ou moins humains. Entre feuilles de calcul, et textes trop long à lire, elle trouva un petit carnet, abîmé. Elle le feuilleta rapidement, s’arrêtant sur quelques pages. Il y était mention de magie, de la Brume Noire et de la Ruine, ainsi que de plusieurs mages.

         Une esquisse accompagnait un petit paragraphe, le dessin d’un buste.

Une yordle !

         Une femme aux traits fins regardait la jeune fille, d’un regard perçant. Le dessin était légèrement coloré, Bell put y voir du violet dans les yeux. Son violet. La femme semblait jeune, avec les grandes oreilles velues propres à son espèce. Sa fourrure était d’un joli bleu pâle, elle portait au cou une cordelette sertie d’une fleur, violette, en forme de cloche.

         Un nom accompagnait le dessin.

         Îola Colfer.

 - Bell, lança Klem en murmurant. On a de la visite.

         Plusieurs bruits leur parvinrent de la salle principale, comme si quelqu’un de maladroit marchait en renversant ce qu’il croisait. La jeune fille plongea le croquis dans sa poche, et suivit sa camarade à pas feutrés.

         Lorsqu’elles sortirent, plus aucun bruit ne retentit. Un lourd silence pesait sur leurs épaules, interrompu par quelques claquements de gouttes d’eau sur le carrelage. Un rai de lumière verdâtre attira l’œil de Bell, provenant d’une des portes du couloir qu’elles n’avaient pas encore emprunté.

         La yordle pénétra la pièce, lentement. Elle passa une porte en fer, qui donnait sur ce qui ressemblait plus à une cellule qu’à un laboratoire. Dans la pénombre elle distingua quelques machines, reliées à des tuyaux.

                   Non pas des machines…

Des cuves, identifia-t-elle, j’en ai déjà vu…

         Quelques images lui revinrent en tête. Des cellules, des laboratoires, des cuves, et des expériences.

         La clinique de Krenn !

         Bell compta cinq cuves faites d’acier et de verre, trois étaient détruites, les deux autres simplement ouvertes. Elle se retourna vers Klem, qui la suivait en silence. Cette dernière observa les alentours, la yordle comprit qu’elle aussi savait de quoi il retournait.

         Les autres sont en danger.

         Si le reste du groupe était passé par ici, il y avait fort à parier qu’ils aient continué dans le couloir qui faisait face à l’entrée. Devant elles, la galerie continuait, de nombreuses portes ouvertes tout du long.

 - BELL ATTENTION !

         Klem se jeta sur sa camarade, la poussant violement. À la place de la jeune fille, qui roula quelques mètres plus loin, atterrît une masse au sol.

Ce qui avait manqué de l’écraser se releva, doucement, émettant un son rauque, mi grognement mi gargouillement. La chose, en vie ou presque, se tourna vers la minuscule yordle, lentement.

         Elle était grande, vraiment grande. Elle possédait des griffes acérées, au bout de longs bras. Ses orbites vides et sa gueule ouverte émettaient une lumière bleu-vert, tranchant avec le noir de son corps décharné.

         Une goule, pensa Bell en paniquant.

         C’était certainement la raison de la panique des Ratels, et ce qui avait massacré les alliés qui les accompagnaient. Une chose cependant frappa la jeune fille, ladite goule était équipée de modifications, des tuyaux, pompes, et appareils métalliques courraient sur son corps.

         La goule marcha doucement, toisant Bell de son regard vide. Un coup de feu retentit, une mince fumée s’échappa du dos de la créature. Klem envoya encore d’autres tirs, légers.

         La goule ne broncha pas, continuant à marcher vers la yordle. Cette dernière n’attendit pas son reste, et fonça droit sur la créature. Un rapide coup de griffe fonça dans sa direction, mais il était trop lent, la jeune fille esquiva, et d’un vif coup de dague, traça une estafilade dans le torse de son adversaire.

         Bell s’écarta prestement, pour se placer aux côtés de Klem. Elle jeta un œil vers la blessure infligée, son regard se remplit d’effroi. La peau noire de la créature se referma, lentement, comme si le sillon n’avait jamais existé. Le coup de griffe cependant, avait tracé de profondes traces dans les murs, tranchants net tout ce qui s’était trouvé sur son chemin.

         La zaunienne déchargea une autre salve de tir, qui ne blessèrent même pas la goule. Elle continuait à fixer la yordle, en avançant. Elle s’élança, rapide comme l’éclair, avide de déchiqueter ses proies. Les deux femmes n’eurent d’autre choix que d’esquiver en se jetant dans l’une des cellules aux cuves.

         Dans celle-ci, toutes étaient encore intacts, le liquide brillant et verdâtre semblait indiquer la présence antérieure d’autres goules.

         Un hurlement glaçant retentit dans leur dos. Leur nouvelle amie les suivit, grondante.

         Elle se précipita à nouveau sur Bell, qui dut éviter la charge. Le monstre le lâcha pas l’affaire, et assena de nombreux coups de griffe, ravageant tout sur son passage. La jeune fille essayait tant bien que mal d’éviter les coups, tâchant de ne pas penser à son état si jamais une de ces griffes venait à l’atteindre.

         Un bref regard entre elle et Klem leur permit d’accorder leur pensées.

Aucune de nos armes ne la blesse sérieusement. On a pas l’ombre d’une chance.

         La zaunienne avait un plan. Elle indiqua à Bell quelle devait continuer à distraire la goule un petit moment, et s’installa près des machines.

La jeune fille n’avait aucune idée de ce que son amie avait en tête, mais choisit de lui faire une totale confiance. Elle se plaça face à la chose, et accepta son combat.

         Elle empoigna sa dague, se crampa sur ses appuis, et attendit. La goule passa à l’offensive, à nouveau à une vitesse folle. Il en fallait plus à la yordle pour se décourager, alors elle évita agilement le coup, passant sous le bras, et frappa. La créature se retourna pour attaquer, mais Bell ne se trouvait déjà plus à cet endroit. Elle reparut derrière, et frappa à nouveau. Elle disparût, puis frappa, encore et encore, harcelant la créature qui peinait à suivre le rythme.

         Elle sectionna les tuyaux, arracha les modifications, mais la goule en elle-même restait insensible. Aucune blessure sur la peau décharnée du monstre ne persistait, rien ne semblait entamer l’armure naturelle qui la recouvrait. Elle était invincible.

         Bell sourit. Elle ne cherchait pas à la vaincre.

         Elle se plaça dos à une des cuves, s’arrêtant pour souffler un moment. La goule croyant à une victoire se tourna vers elle, et avança en émettant son grognement grave.  Une fois assez proche, elle sauta.

 - Maintenant ! Cria Klem à l’autre bout de la pièce.

         Bell sauta, et disparut dans son habituelle gerbe d’étincelle. La chose, toujours lancée, s’écrasa contre la vitre intérieure de la cuve. Avant qu’elle n’ait le temps de réagir, la zaunienne appuya sur un levier, et la boîte cylindrique se referma brusquement.

         Enfermée derrière un épais verre et des grilles, la goule hurla, déchainant sa rage sur les parois.

 - C’était quoi ça ? Demanda Klem.

 - Une goule, lâcha Bell en reprenant son souffle.

 - Ça n’a rien à voir avec des infectés, les victimes de la Ruine ne sont pas aussi dangereuses.

 - Les goules sont différentes, expliqua Bell. C’est le stade secondaire en ce qui concerne la Ruine et la Brume noire, les infectés sont juste des pauvres gens récemment touchés. J’ai cru lire que certains individus rares s’en trouvaient transformés.

 - Au lieu de mourir ils deviennent des monstres invincibles, compléta Klem. Mais que font-ils ici… ils les préparent pour la guerre ?

         La yordle haussa les épaules, en regardant la goule maltraiter sa nouvelle cage. Elle l’observa de plus près, ses orbites vides dont s’échappaient des volutes de fumée noirâtres entrecoupées de lumière verte. Sa peau, pourtant solide, semblait décharnée, et son corps rongé par le Mal. Tu devais être quelqu’un de normal avant… pensa-t-elle, je suis désolée.

 - Je commence à comprendre la présence de la Garde, marmonna la zaunienne. Il faut vite retrouver les autres.

         Bell acquiesça, et suivit sa camarade dans le couloir, priant pour ne pas croiser une autre de ces choses.

 

***

 

         Les deux femmes émergèrent dans une ultime et dernière partie du complexe. Une série de pièces, encore et toujours des laboratoires, des machines et des câbles, précédaient une salle.

         Une gigantesque salle.

         Des cuves étaient placées un peu partout près des murs, tandis qu’au centre, d’énormes chaînes brisées gisaient par terre, aux côtés de machines détruites et de tuyaux déchirés.

         Quelque chose s’est échappé. Probablement ce qui a enfoncé la porte et les goules mineures.

- Bell ! Klem ! Vous en avez mis du temps.

         La jeune yordle se tourna, et constata la présence de Nahia, et Ileae à ses côtés. - ILEAE ! Cria-t-elle en se jetant sur la vastaya.

         Faute de pouvoir atteindre son cou, Bell se rabattit sur ce qui était à sa portée, et sera les cuisses de la scientifique aussi fort que possible. Cette dernière, surprise, mit quelques secondes à lui rendre son étreinte, gênée.

 - Des soucis en chemin ? Devina la cheffe.

 - Une goule, enfermée faute de mieux, lui répondit sa seconde.

 - On a trouvé quelques documents, mais la plupart sont rendus illisibles.

         Nahia guida le duo récemment arrivé vers des bureaux, leur désignant des papiers à moitié détruits.

 - Ça parle d’expérience sur les goules, des infectés, et de modifications militaires.

 - C’est donc leur but, créer des soldats ? Pour leur guerre contre Piltover ?

 - En ce qui concerne cet endroit oui. En revanche quelques notes parlent de la clinique où les jeunes étaient retenues. C’est cryptique, ça semble réellement se diriger vers une rémission des infectés, et ça parle d’un mécène.

 - Il faudrait donner tout ça à Holly, marmonna la zaunienne. Laissez-moi emballer ça.

         Bell s’approcha de son amie, qui regardait une des cuves en silence. Dedans, une goule semblait être en sommeil, elle ne respirait pas, ne bougeait même pas.

 - Dans un sens, dit Ileae pensive, c’est mieux que mes parents n’aient pas survécu à leur infection.

 - Comment ? S’étonna la yordle.

 - Si survivre veut dire finir comme ça, expliqua-t-elle en désignant la goule, alors c’est mieux ainsi. Je les préfère reposés que transformés et en souffrance.

 - Tu crois qu’ils souffrent ? Comment tu le sais ?

 - Je le sens, c’est tout. Ils agonisent sans avoir droit au repos final, quelque part là-dessous ils sont encore là…

         Bell ne sut quoi répondre. Elle ressentait la peine de la vastaya quant à la perte de ses parents, autant que pour la goule devant elles. La yordle voulut prendre sa main, lui montrer qu’elle était là, mais se ravisa.

         Un bruit monta dans la pièce, petit à petit. Un bruit de pas, lourd et imposant.

 

***

 

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