Bell de Bilgewater
Chapitre 18
- … c’est une yordle, dit une voix féminine. C’est assez rare, vous croyez qu’elle est dangereuse ?
- Elle veut nous piquer notre usine, lui répondit une autre voix masculine cette fois. On peut pas la laisser faire.
- Moi je trouve qu’elle a l’air inoffensive. On pourrait discuter ?
D’autres voix s’ajoutèrent à la discussion. Bell finit par arriver vers une petite pièce, située en contrebas de la fin du tunnel. Elle passa le haut de sa tête par l’ouverture, pour observer ces inconnus.
Des… enfants !?
En bas, dans une pièce ronde, un petite bande de jeunes zauniens étaient assis sur des canapés de fortune. Comment-ont-ils réussi à faire rentrer tout ça ici ? se demanda-t-elle. Plus étonnant, elle avait remarqué que dans les couloirs et cette pièce, l’air était filtré et respirable.
La plupart devaient avoir entre dix et quinze ans, tous habillés de fripes similaires à de simples habitants de la cité. Doutant qu’ils soient dangereux, Bell hésitait à se joindre à eux. Après tout, ils n’étaient que des enfants.
Après quelques instants de réflexion, elle s’arma de courage, et sauta en bas. Le bruit du métal sous ses pieds alerta les enfants, surpris de la voir débarquer. Immédiatement, les plus grands se levèrent, se plaçant entre elle et les plus jeunes, se saisissant de ce qu’ils trouvaient.
- Doucement ! lança Bell. Je ne viens pas pour me battre, je ne suis pas dangereuse.
Les zauniens échangèrent quelques regards inquiets, ne sachant que répondre ou faire.
- Je m’appelle Bell, je suis une voyageuse.
Elle mit ses mains bien en évidence, et s’assit sur un rebord métallique, espérant rassurer la petite troupe. Heureusement, cela eut l’effet escompté, et les enfants se détendirent petit à petit.
- Qu’est-ce que tu fais ici ? dit un jeune garçon. C’est à nous tout ça.
- C’est votre usine ? demanda Bell surprise. Je ne voulais pas vous déranger je pensais qu’elle était vide.
- Pourquoi tu viens ici s’il n’y a rien ?
- Je viens ici justement parce qu’il n’y a rien. C’est très calme, loin de la ville et ses problèmes.
Les jeunes enfants échangèrent quelques regards en silence. Manifestement, Bell n’était pas la seule à trouver régulièrement refuge au sein de l’édifice, les enfants avaient l’air de venir régulièrement. Je n’en ai jamais croisé aucun, étrange.
Elle retira son masque respirateur, laissant les jeunes zauniens découvrir son visage.
- Bell c’est bizarre comme nom, lança un autre garçon. T’es bizarre aussi, t’es une poupée ? Une machine de Piltover ?
- Non je suis…
- C’est une yordle espèce d’idiot, dit une fille en lui donnant un coup de coude. C’est un monstre qui mange les gens, c’est mon papa qui me l’a dit.
- Je mange pas de…
- Mais non, elle fait de la magie, elle doit manger des pierres hextechs c’est sûr.
Un long « ooooooh » d’approbation accompagna les paroles du dernier enfant, comme s’ils étaient tous d’accord sur ce qu’elle était.
- Non je ne mange ni les gens ni les cailloux, bafouilla la jeune fille. Je suis une yordle, je ne suis que… moi.
- T’es toute petite, et poilue, ajouta une fille.
- Merci, on me le dit souvent.
- Tu sais voler ?
- Euh… non ? répondit-elle déconcertée. Je ne pense pas.
- Donc t’as jamais essayé ?
- Pas vraiment, enfin une fois mais ça compte pas…
- Pourquoi ?
- Parce que je tombais, répondit Bell.
- Et pourquoi tu tombais ?
- Parce que j’étais en haut d’une falaise, poursuivie…
- Et pourquoi t’étais poursuivie ? la coupa la fillette.
- Eh bien…
- Bon ça suffit, dit un des plus vieux.
Il s’assit en face de la yordle, la regardant droit dans les yeux.
- J’ai entendu parler d’une yordle, recherchée. Tu te caches, n’est-ce pas ?
Bell acquiesça timidement, inquiète.
- Moi j’aime pas les Ratels, commenta un garçon. Ils sont méchants et sentent mauvais.
- Nous, on vient ici souvent, continua le grand. On veut juste être tranquilles, si tu dis à personne qu’on est là, nous on dira rien à personne non plus.
- Vous me faites confiance ? rétorqua-t-elle surprise.
- Non, mais nous on aime pas ce gang, et si t’es leur ennemie, alors on risque rien.
Bell leur sourit timidement. Elle n’avait pas eu souvent affaire à des enfants.
- Tu viens d’où ? T’es pas de Zaun ça se voit.
- Je viens de Bilgewater, vous connaissez ?
- Non, c’est comme Piltover ?
- C’est une ville de pirates et de chasseurs maritimes, répondit Bell. C’est sur un archipel.
- Oh comme pour faire des archi-trous ! lança une fille en pouffant.
- T’es bête, répondit un garçon en lui lançant un objet. C’est pas du tout ça.
Un rire parcourut la pièce, finissant de détendre l’atmosphère.
- C’est un ensemble d’îles, expliqua Bell avec un sourire amusé. C’est un bel endroit, avec plein de maisons en bois, et plein de dangers.
- J’ai entendu parler de cet endroit, dit une grande. Une ville sans lois, des pilleurs et mercenaires partout.
Bell sourit, cela correspondait assez bien à sa ville.
- T’es une pirate ! dit un des enfants. Je savais que tu mangeais des gens.
- Les pirates ne mangent pas des gens, railla un autre, par contre ils se nourrissent d’une boisson appelée bière.
- C’est quoi de la bière ?
- C’est une boisson d’adultes, qui pique !
Bell souriait. Les enfants faisaient preuve d’une imagination débordante. À moins que leurs idées ne soient véhiculées par la méconnaissance de leurs parents.
- D’ailleurs t’as quel âge ? finit par demander une fille.
- Vingt ans, mentit Bell.
Bien qu’elle ne sache pas réellement son âge, elle savait qu’elle devait avoir un âge proche de ce nombre.
- T’es vieille.
- Ça c’est la première fois qu’on me le dit, dit-elle en riant doucement.
- Les yordles ça vit longtemps, dit un garçon. Vraiment très longtemps.
- Et comment tu sais ça toi ? demanda une fillette à côté.
- Bah la maman de ma mamie elle a été mariée à un yordle.
- C’est vrai ? demanda Bell soudain intriguée.
- Oui ! continua-t-il. Elle l’a rencontré après avoir été maman. Comme il pouvait vivre des siècles, quand mamie est morte jeune il est parti. Il est revenu il y a quelques années sans avoir changé, pour voir ma famille.
- Il n’est pas ton arrière-grand-père alors ?
- Non, mais c’est tout comme, confirma le garçon. Un papi d’adoption !
- Un mariage entre espèces, je n’en avais pas encore vu avec un yordle.
- C’est pas le premier, dit une fille. J’ai déjà vu une yordle tenir la main d’un monsieur dans le district biochimique.
- C’est courant ?
- Bien sûr ! L’amour il s’en fiche de l’espèce, répondit la fillette en souriant.
Sans trop savoir pourquoi, un poids sur les épaules de Bell se dissipa.
Les discussions continuèrent, entre les enfants et la yordle. Ces derniers étaient très curieux, ils avaient comme tous peu de connaissance sur les yordles, mais étaient ravis de passer du temps avec elle, du moment qu’elle ne les mangeait pas.
- Vous acceptez que je revienne dans votre usine ?
- En fait, ce n’est pas vraiment notre usine, commenta l’un d’eux. Elle n’est plus à personne, alors on vient s’y amuser.
- C’est un endroit intéressant, admit Bell.
- Et toi tu viens faire quoi ici ?
- Je viens pour être seule, et m’entraîner.
- On t’a vu faire de la magie, c’est très joli.
- Euh, merci.
- Remontre nous !
Tout en discutant, le groupe emmena Bell au travers des tunnels qu’ils avaient empruntés auparavant, allant jusqu’au milieu d’une grande salle des machines. L’un des enfants se plaça devant elle, lui indiquant de leur montrer son Pas.
Bell acquiesça, et se concentra. Après un court instant, elle visualisa ses flux. En une fraction de seconde, un mince flux fila vers le point qu’elle visait, elle disparut, et réapparut de l’autre côté, dans une gerbe d’étincelles. Impressionnés, les enfants applaudirent, discutant de plus belle.
- Tu sais, moi aussi je peux faire de la magie, dit le garçon en s’approchant.
- Tu sais faire quoi ?
- Je peux chauffer des trucs… papa dit que c’est inutile, mais maman dit que je pourrais faire mieux, et trouver un super travail avec ça un jour !
- Tu veux bien me montrer ? demanda la yordle curieuse.
Le garçon ramassa un bout de métal cylindrique, qu’il posa devant lui avant de s’asseoir. Il se concentra, assez fort pour grimacer devant Bell qui se retint de pouffer de rire.
Après quelques secondes, il posa ses mains sur l’objet. Finalement, il le tendit à Bell, qui l’attrapa. Immédiatement, elle sentit l’objet chaud dans ses mains, presque brulant.
- C’est impressionnant ! dit-elle.
- C’est vrai ? bredouilla le garçon étonné. Tu trouves ?
- Oui ! Dis-moi comment tu fais !
- En bien… en fait je ressens la chaleur des gens, enfin une sorte de chaleur, pas la chaleur normale. Et puis quand je me concentre beaucoup, je peux donner cette chaleur.
- Oh je vois, moi la magie je la vois sous forme de flux, toi sous cette forme de chaleur j’imagine !
- Moi aussi j’ai des flux ?
Bell se concentra un instant. Ce qu’elle n’avait pas remarqué lorsqu’elle avait utilisé son Pas, c’est qu’en effet, cet enfant était entouré de flux. Son potentiel magique est grand ! remarqua-t-elle, il est… flamboyant…
- Oui, dit-elle. Mais tu as déjà essayé de prendre la chaleur, au lieu de la donner ?
Le garçon la regarda, hébété. Il n’avait jamais pensé à ça. Rapidement, il se saisit d’un objet, et réitéra son rituel de grimaces. Après quelques secondes, il cria de joie, en tendant l’objet à Bell, souriant jusqu’aux oreilles.
L’objet était glacé.
- Merci ! cria-t-il. T’es drôlement intelligente toi, je t’aime bien.
Il se jeta à son cou pour lui faire un câlin, avant d’aller montrer à ses amis sa prouesse.
Bell observa ces enfants. Ils étaient très débrouillards, ils lui rappelaient son petit groupe, avec Jay et Cynthia ses amis d’enfance. Évidemment, ils avaient d’autres amis, mais ces deux-là étaient les plus proches d’elle. Ils me manquent, pensa-t-elle en regardant l’objet chauffé par le garçon.
Ce dernier revint auprès de Bell, en souriant.
- Tu devais faire attention, il ne faut pas utiliser ça sur des gens ça pourrait leur faire du mal, dit Bell.
- Bah, bien sûr, rétorqua le petit en levant les yeux au plafond. Tu veux pas essayer ?
- Oh moi ? Je doute pouvoir faire pareil, admit-t-elle.
- Mais ça vaut le coup d’essayer ! insista le zaunien. Allez essaie de mettre les flux dans ce bout de métal.
Le garçon posa l’objet devant Bell, et la força à s’asseoir.
- Tu sais, les magies pouvant influer sur autrui sont rares et…
- Tais-toi et essaie, rétorqua-t-il avec une moue boudeuse.
Bell acquiesça, un sourire amusé sur le visage. Elle se tourna vers l’objet, avant de se concentrer. Elle vit quelques flux voleter autour d’elle.
Elle regarda l’objet, et tenta d’indiquer à sa magie d’aller le pénétrer. Elle essaya plusieurs gestes, de poser ses mains dessus et même de murmurer l’ordre, rien n’y fit. Elle souffla, et ferma les yeux. Après quelques secondes de méditation, tendit la main vers le cylindre. Le garçon à côté, qui lui ressentait la magie sous forme de chaleur, souffla d’admiration lorsqu’il sentit cette dernière gagner l’objet.
Les flux, chaleur pour le zaunien, semblèrent petit à petit gagner en intensité. Il fronça les sourcils, les sensations n’étaient pas les même qu’avec lui, l’objet ne chauffait pas, ni ne refroidissait.
Bell, dans ses pensées, oublia la scène, l’usine et les enfants. Dans sa méditation, des images lui vinrent en tête, des sons. Elle vit des couleurs, du violet, et entendit comme une voix, un chant. Cette voix, appela son nom, mais pas pour attirer son attention. Elle lui murmura un mot, un seul.
Détruis.
L’intensité monta d’un seul coup en pic, si bien que le garçon lâcha un cri de surprise. Il sauta sur ses pieds, se projeta derrière une machine.
L’instant d’après, des stries lumineuses parcoururent l’objet, qui explosa violemment, projetant Bell de plusieurs mètres.
En panique, le groupe d’enfant avait tout juste eu le temps de voir leur ami se jeter au loin à l’abri, avant qu’une énorme explosion ne provienne de la yordle, assise au sol.
Le souffle les fit tomber, sans pour autant qu’ils ne soient blessés. Bell quant à elle, roula quelques mètres à côté d’eux. La poussière retomba, et le silence avec lui. Une partie du groupe s’élança vers leur ami, l’autre vers Bell.
- Elle n’est pas blessée, constatèrent-ils avec stupeur.
La yordle eut l’air aussi surpris qu’eux, en se relevant pleinement consciente. Elle regarda ses mains, bras et jambes, elle se tâta le visage, à la recherche de blessures, ou simplement de brulures.
Rien, constata-t-elle.
- Alvin non plus ! lança l’autre groupe.
Le jeune garçon qui l’avait aidé, ainsi nommé Alvin, se précipita vers Bell, soupirant de soulagement en la voyant saine et sauve.
- C’est pas avec ça que tu seras artisane, dit-il l’air songeur.
- C’était quoi ça !? demanda un des grands.
- Je euh… tenta de répondre Bell, confuse et honteuse.
- C’est de la magie ! rétorqua Alvin. Comme moi ! Enfin en un peut pas pareil quand même, continua-t-il en se frottant le menton. C’était super !
- Ah bon ? bredouilla la yordle. J’ai trouvé ça effrayant, et dangereux surtout.
- Une fois j’ai perdu le contrôle de ma magie, j’ai fait fondre un truc chez moi. Depuis je fais très attention, je m’entraîne beaucoup !
- C’est la première fois que ça t’arrive ? ajouta le plus grand.
- Oui… admit Bell. Je suis un peu une enfant qui découvre ses pouvoirs elle aussi.
- Peut-être qu’Alvin pourrait t’aider ! Je sais qu’il n’est pas un mage de l’Académie, mais il se débrouille.
Bell acquiesça en souriant. Même s’ils étaient des enfants, il restaient des zauniens. Ils étaient loin d’être immatures, mais conservaient juste ce qu’il faut d’insouciance. Comme les enfants de Bilgewater dans le fond.
- Reviens jouer ici, demandèrent plusieurs d’entre eux.
Bell remercia Alvin, fier d’être presque devenu un professeur. Elle leur promit de revenir les voir souvent, avant de les quitter pour rentrer à la Décharge. Il faudra que je leur présente Ileae, pensa-t-elle sur le chemin.
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