Bell de Bilgewater
Chapitre 16
Dans la grande salle, ne restèrent que Nahia, Klem, Holly et ses hommes. La cheffe accepta de les accueillir, même s’il était évident que les membres de la Décharge seraient méfiants.
Les deux femmes en tête à tête, les discussions reprirent, moins tendues cependant. Si les petites lui font confiance, pensa-t-elle, cette femme pourrait être une alliée.
- Que comptez-vous faire des Ratels ? demanda-t-elle, espérant avoir des détails.
- Nous ? dit Holly avec un regard interrogateur.
- Vous les Piltoviens.
Holly réfléchit un instant. Elle avait pu apprendre quelques petites choses, mais ne s’était que très peu intéressé à ce que faisait la ville du dessus à propos de cette insurrection.
- Mon rôle n’est pas de m’occuper de cela dans l’immédiat dit-elle finalement. Ce n’est qu’un soulèvement populaire, pas une tentative d’invasion.
- Pas votre rôle ? Vous êtes militaire. De plus, des centaines de zauniens armés et barricadés hésitant à déferler sur vos aristocrates devrait les inquiéter.
- Ma mission et celle de mes hommes est de protéger l’intégrité de Piltover et Zaun, expliqua Holly. Nous défendons contre les menaces qui visent nos citoyens. Nous ne répondons pas de ce que ces coincés de clans ont provoqué avec vos gangs. Je ne réponds pas d’eux, mais du peuple.
- Alors vous devriez savoir ce que les Ratels réservent aux habitants d’en bas, rétorqua Nahia d’une voix dure. Ils les réduisent en esclavage, expérimentent sur eux, les envoient tuer des piltoviens.
- N’êtes-vous pas pour l’indépendance qu’ils proposent ?
- Pas de cette manière, soupira la cheffe. Pas à ce prix. N’avez-vous pas constaté leurs actions dans les districts ?
- Je… n’ai pas eu le temps, admit la commandante. Ma mission passe avant tout.
La cheffe soupira, s’asseyant dans son fauteuil. Il était évident qu’à cause du blocus des Ratels, il fut impossible aux piltoviens d’avoir connaissance de la situation en bas. De plus, peu d’entre eux auraient ressenti une quelconque compassion à leur égard.
Exception peut-être pour la femme en face d’elle.
- Que fera Piltover ? demanda-t-elle une nouvelle fois.
- Pour être honnête, souffla Holly, je n’en sais rien. Ces bons à rien d’aristocrates sont trop occupés à parler affaires, et ne prennent pas la situation au sérieux. Les pacifieurs sont tiraillés entre l’idée d’attaquer, causant certainement de nombreuses morts, ou laisser faire.
- Aucune de ces solutions ne me semble viable… soupira Nahia à son tour. Piltover n’y pourra rien de là-haut…
Holly acquiesça.
- Qui vous a envoyé ici ? demanda la yordle. Et pour quelle raison ?
- Je viens pour les petites. Le doyen Hekins de l’académie, et leurs amis, sont morts d’inquiétude.
- Lui…
- Cependant, nous ne pouvons pas remonter pour l’instant. Il va falloir qu’elles patientent le temps que l’on assure la voie pour remonter. Nous n’aurons qu’une chance
Nahia sourit, peinée.
- Vous serez la bienvenue ici en attendant, Ileae et Bell vous font confiance, alors moi aussi.
La commandante regarda la table. Elle laissa promener ses yeux sur de nombreux plans posés un peu partout. Ces derniers, dessinés à la main, étaient bluffant de détail et de précision, décrivant certains lieux avec un pragmatisme, teinté d’un peu de l’innocence de la qualité de visiteur de l’auteur.
- C’est son œuvre n’est-ce pas ? demanda-t-elle. Elle est douée en dessin.
- En tant que future navigatrice elle a toutes ses chances, admit Nahia.
- Elles vont bien ? Je veux dire, psychologiquement.
La cheffe réfléchit un instant. Arrivées depuis plus d’un mois, les jeunes filles s’étaient avérées investies et bigrement utiles à la Décharge. Elle s’était même attachée à elles, et même si elle avait quelques connaissances yordles en Zaun, elle était contente d’avoir pu croiser une nouvelle tête.
- Elles sont fortes, bien plus que je ne l’imaginais.
- Vous les observiez n’est-ce pas ? Mes hommes ont vu les vôtres régulièrement, mais ils nous a fallu du temps pour comprendre d’où vous veniez.
- Bien peu de gens ont eu la chance de nous percer à jour, admit Nahia. Vos hommes sont doués.
Un vague air satisfait apparut sur le visage de la commandante, fière de ses compagnons d’arme.
- Une chose m’échappe cependant, commença la cheffe, quel est votre but, et le lien avec cette jeune fille.
- Je suis une amie proche du doyen Hekins, de l’académie, expliqua-t-elle, j’ai cru comprendre que vous vous connaissiez.
- C’est une longue histoire.
- Vous avez des informations sur eux ?
- Plus depuis quelques décennies.
Holly resta silencieuse. Elle avait beau connaître Horace Hekins depuis toute petite, il restait globalement un mystère pour elle. L’homme était déjà un vieillard à sa naissance, et le sera probablement lorsque viendra pour elle le temps de s’éteindre.
Je me demande la raison de sa longévité, pensa-t-elle, est-ce naturel ?
- Peut-être avez-vous constaté une augmentation des cas d’infectés par la Ruine et sa brume noire.
- La consommation de Shimmer est déjà un fléau, dit pensivement Nahia, mais en effet, la brume noire semble s’être immiscée plus profondément dans Zaun.
- C’est là la raison des recherches de Hekins. La brume se fait plus présente dans l’archipel des îles obscures, et à certains endroits de Runeterra.
- Quel est le lien avec Bell ?
- Son équipage de mercenaires est employé pour les missions extérieures, elle est leur navigatrice. Cependant, ajouta-t-elle, plusieurs personnes ont croisé la route de ses parents, apparemment des chercheurs.
- Et elle le sait ? demanda Nahia étonnée.
- Oui. Mais aucun ne les connaissait réellement. Hekins dit qu’ils auraient peut-être travaillé sur la Ruine.
- C’est assez léger… rétorqua la cheffe. Vous semblez préoccupée cependant.
- Oui, admit la commandante. J’ai de bonnes raisons de croire que l’ancien cache encore beaucoup de choses, et pas qu’à moi, il y a plus à découvrir ici-bas.
- Vous pensez que Zaun a affaire avec tout ceci ?
- Les évènements actuels étaient à prévoir, ils seraient arrivés à un moment ou un autre. Cependant, je sens que d’autres forces sont à l’œuvre, je dois enquêter. On me cache des choses et je n’aime pas du tout cela.
- Je suis sûre que quelques jours dans les Tréfonds suffiront à vous faire réaliser à quel point la situation est tendue. Vous êtes ici libres tant que vous ne nous créez pas de problèmes !
Holly remercia la cheffe, la saluant respectueusement. Si comme la yordle le pensait, les Ratels représentaient une menace pour l’équilibre des cités, elle devrait peut-être s’en préoccuper. Elle avait des questions à poser, à ce professeur qui lui avait manqué de respect. Krenn.
À présent, elle devait se mettre en chasse.
***
Les pensées de Bell se bousculaient dans sa tête, elle avait du mal à les calmer. De nombreux sentiments opposés la tiraillaient, elle ne saurait décrire comment elle se sentait.
Quelques minutes auparavant, le médecin de l’escouade Êta, qui accompagnait Holly, les avait auscultés elle et son amie vastaya. La jeune fille ne souffrait de rien, mais il n’expliquait pas le changement de couleur de sa fourrure, ni la disparition de sa cicatrice. Elle était en forme, mais encore taraudée de nombreuses questions.
Elle se dirigea vers la salle de sport, où elle s’habilla et profita du calme de la soirée pour se défouler. Les exercices physiques d’Anna l’aidaient encore, quand bien même cette dernière était loin au-dessus d’elle. Tout en s’exerçant, elle mettait de l’ordre dans ses pensées.
D’une part, elle ressentait un énorme soulagement. Holly les avait retrouvées, elle était parvenue à les atteindre saine et sauve. Mieux, elle aurait l’opportunité de les faire remonter à Piltover.
Elle pensait à ses camarades. Cynthia son amie, sûrement morte d’inquiétude, mais aussi Jay, probablement parti vers Ixtal depuis déjà plusieurs semaines. Morgan le capitaine devait continuer d’organiser le départ avec Anna. Et surtout Clapper, qui lui manquait énormément.
J’espère qu’ils le nourrissent bien, pensa la jeune fille inquiète.
Cependant, un sentiment fort l’empêchait d’être simplement contente. Une gêne, une envie, une question.
Pourquoi.
Krenn, qui l’avait capturée, torturée, continuait de sévir à Zaun. Elle voulait savoir ce qui l’avait poussé à s’en prendre à elle, comprendre. Si elle devait déjà se remettre en route, elle n’aurait peut-être jamais ces réponses.
Ai-je le droit de ralentir mes camarades pour chercher ? se demanda-t-elle en frappant en rythme dans un sac.
Une vive couleur attira l’œil de la yordle. Violet.
Holly se trouvait dans la pièce, assise sur un banc, sa grande chevelure dénouée. Silencieuse, la même expression froide et impassible sur le visage, elle observait Bell s’entraîner. Cette dernière finit ses exercices, et vint s’asseoir à ses côtés.
- Vous vous en êtes bien sorties, commenta Holly. Vous êtes en vie, en forme qui plus est, je suis impressionnée.
Bell la regarda, ne parvenant pas à discerner sur son visage ce que la commandante disait ressentir.
- J’essaie de me maintenir, dit-elle.
- Anna serait fière de toi, tu as pris en musculature et tes mouvements sont plus fluides, mieux exécutés. Elle sera ravie de constater cela à votre retour.
Le cœur de la yordle se pinça à l’évocation de son mentor. La grande freljordienne chargée de ses entrainements lui manquait terriblement. Elle aurait affronté tout ça sans broncher, se dit Bell, elle n’aurait pas perdu chez les Ratels…
- Tu sembles contrariée, ajouta la grande femme en croisant les jambes. N’es-tu pas heureuse d’enfin repartir ?
- Je… j’ai envie de partir, admit Bell. Mais il me manque quelque chose…
- Vous vous êtes bien accommodées de la Décharge, c’est un bel endroit.
- Un petit havre de paix au fond d’une ville dangereuse, mais je comprends pourquoi Papy préférait Zaun à sa jumelle radieuse.
- Zaun a ce petit quelque chose que Piltover n’a pas, dit Holly. Elle est… palpitante.
- Vous devez être la seule piltovienne à dire ça, rétorqua Bell en souriant. Mais je vous rejoins sur ce point. Et les gens ici sont très intéressants.
- Tu n’as pas encore tout vu, commenta Holly. Et ces gens t’ont accueilli, donc tu les aide en retour, c’est bien plus que ce que ferait n’importe quel piltovien lambda. Mais est-ce la raison qui te pousse à rester ?
Bell réfléchit. La commandante avait raison, elle avait apporté son aide sans vraiment y penser, comme si c’était naturel.
- Il y a toute cette histoire avec les Ratels…
- C’est une page d’histoire pour Piltover et Zaun, dit Holly. Cela devait arriver. Tu devrais oublier ça et te concentrer sur ta propre vie, tu as des amis, une famille, et ta propre histoire qui t’attendent.
- Je sais.
- Qu’attends-tu des gens ici ?
- Rien, lâcha Bell. Ce que je cherche est ailleurs, au-dessus de cette caverne.
Holly croisa les bras, attendant que la jeune fille puisse trouver le moyen d’exprimer ce qu’elle avait en tête.
- Deux choses, commença Bell d’une voix plus ferme. La première, est que j’ai besoin de réponses. Ce malade de Krenn cours quelque part là-haut, je veux savoir.
- Tu meurs d’envie d’en apprendre plus, commenta Holly, d’une voix inhabituellement enjouée. Tu désires trouver tout ce que tu pourras pour comprendre, tu as en toi des questions qui te taraudent.
- J’ai besoin, de savoir, dit Bell en appuyant sur ce terme.
Pour la première fois depuis qu’elle connaissait la commandante, elle vit un sourire se dresser sur le visage de cette dernière. Comme un petit morceau humain émergeant sous la carapace de l’inflexible femme.
- Et ensuite ?
- Quelque chose a changé en moi depuis ma capture chez Krenn. Plusieurs choses, pas que physiques.
- Que ressens-tu ?
Bell regarda dans le vide, pensive. Elle n’avait encore fait part de ça à personne.
- Je sens que… je bouillonne, à l’intérieur. Les Ratels m’ont capturé, ont expérimenté sur moi. Depuis je me sens différente, je ressens les choses différemment.
Bell marqua une pause. Elle hésitait à continuer, ne sachant pas si elle avait à délivrer de la sorte ce qu’elle avait sur le cœur.
- Je ressens une sorte de colère, intense, incontrôlable. Quand je vais en ville, je vois ces hommes s’en prendre aux habitants innocents, prendre l’ascendant sur tous ces gens. Quand je les vois capturer, blesser, prendre le pouvoir et le rétribuer par la force, je sens en mois monter une rage profonde. Lorsque j’observer et entend ces gens se rebeller contre les Ratels, cette colère s’amplifie, s’accorde avec eux.
- Est-ce naturel ? demanda la commandante.
- Non. J’ai comme l’impression que cette rage au fond de moi ne vient pas de moi… Je ne sais pas comment l’expliquer, mais je perds le contrôle, j’ai même des visions… J’ai peur.
Bell se tordait les mains de gêne sur le banc, mal à l’aise. Rien que le fait de parler de tout ça faisait monter en elle ce même sentiment qu’elle décrivait.
- Tu veux me parler de ces visions ?
- Je ne préfère pas, dit finalement la jeune fille.
La commandante acquiesça, et réfléchit quelques instants.
- Je pense que les Ratels, mais surtout le professeur, cachent quelque chose, ajouta Bell.
- Toi aussi ? Je pense à un autre acteur de cette situation, toi aussi ?
- Peut-être Vildoric, leur Baron, ou je ne sais pas un de leurs alliés. Mais nous trouverons.
- Nous ? demanda Holly le regard interrogateur.
- Je ne suis pas la seule à qui ils s’en sont pris, dit la jeune fille en plantant son regard vers l’entrée de la pièce.
Ileae avait pénétré la salle, se dirigeant vers les deux femmes d’un pas léger et élégant. L’air sérieux, elle s’assit. Elle aussi avait pris le temps de mettre ses pensées en ordre, en bricolant un peu dans leur appartement.
Holly la salua de la main, et de sa froide expression habituelle. D’un simple regard, les deux jeunes filles comprirent immédiatement où elles étaient rendues. Chacune avait pris sa décision.
- Je reste, lâcha la yordle.
- Et toi ? demanda la commandante à l’intention de son amie.
- Partout où elle va, je vais aussi, répondit la vastaya d’un air grave.
La commandante acquiesça, semblant presque esquisser un sourire l’espace d’une seconde.
- Bien ! dit-elle en se levant. Alors nous aurons du travail durant les prochains jours. On a des réponses à trouver, et une fois fait, une voie d’extraction à se créer.
Les deux filles échangèrent un regard surprix, avant de se tourner vers Holly.
- Vous ne pensiez pas que j’allais vous laisser ici et repartir ? Si l’escouade Êta est avec moi c’était pour prévoir ce genre de tournure. Krenn doit répondre de ses actes, c’est mon travail de le chasser.
- Merci, dirent en cœur la yordle et la vastaya, non sans tiquer sur le dernier terme utilisé par la piltovienne.
Holly les salua, prenant congé. Puisqu’elle allait, elle et ses hommes, rester quelques temps à la Décharge, elle avait encore quelques détails à régler avec Nahia.
Bell et Ileae, encore sous le coup des émotions, regagnèrent leur appartement. Après quelques mots échangés, elle s’enfouirent sous la même couette, à la recherche d’un sommeil bien mérité.
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