Bell de Bilgewater

Chapitre 38 : Partie 4 - Chapitre premier

2903 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/01/2023 17:17

Partie 4

Jumelle Terne

 

                   Chapitre premier

Quelques traits de lumière verdâtre pointèrent, forçant Bell à n’ouvrir les yeux que très doucement. Le monde autour d’elle semblait tanguer, mais pas vraiment comme sur un navire, elle se sentait légère, tellement qu’elle n’arrivait plus à bouger un muscle.

 - Intéressant, tu résistes plutôt bien aux produits, commenta une voix.

         Les informations continuaient à parvenir à son cerveau, une salle carrelée, des tables, des outils, une douleur dans le bras lorsqu’elle bougeait. Elle pouvait bouger !

 - Doucement jeune fille, continue à la voix. Nous n’avons pas encore commencé.

         Ses pensées, jusqu’alors brumeuses, commençaient à être de plus en plus claires, aux sensations s’ajoutaient maintenant les souvenirs. Une zaunienne, Vira, des hommes, des armes, un combat, encore plus d’hommes, la douleur partout dans son corps, puis plus rien.

 - Rassures-toi, il ne te sera fait aucun mal, Il ne nous le permettrait pas, dit la voix sur un ton qui se voulait amical.

         La respiration de la yordle s’accéléra, à mesure que ses pensées se faisaient plus claires, les émotions prenaient le dessus. Elle était attachée.

         L’homme, non pas « l’homme », le professeur Krenn, s’approcha d’un tuyau auquel il brancha une seringue, y injectant un contenu. Encore groggy, Bell suivit du regard le liquide parvenir jusqu’à une perfusion dans son bras. Elle le sentit, froid, pénétrer et parcourir son bras.

         Elle regarda Krenn, l’implorant du regard, ne parvenant même pas à articuler un mot. Un voile noir s’abattit sur ses yeux.

 

         Bell eut l’impression de n’exister que par petits moments, parfois lors d’instants plus ou moins courts, elle parvenait à voir et entendre ce qu’il y avait autour d’elle. Des lumières, des gens, des machines, flous. Des murmures, des voix, des conversations, presque inaudibles.

         Régulièrement, elle était placée dans une pièce, seule, dans laquelle elle parvenait presque à reprendre le contrôle de ses pensées. Assise sur une paillasse, à côté d’un sceau, elle tentait de compter. Combien de temps s’écoulait-il ? Des minutes ? Des heures peut-être ? Une chose était sûre, ils ne tardaient pas à revenir.

         La yordle tremblait à chaque fois qu’elle entendait la lourde porte de fer tourner sur ses gongs. Le son électrique d’une matraque. La douleur. Le noir.

 

         Nouveaux pics de lumière assaillants ses yeux, vives douleurs sur un flanc. Des odeurs lui parvenaient des grandes cuves autour d’elle, remplis de divers produits agités par des mélangeurs. Bell avait du mal à retenir sa tête, qui tombait, la laissant observer la simple tunique marron dont elle était vêtue, hagard.

         Elle n’avait aucune idée de ce que faisaient ces gens, elle n’arrivait même pas à imaginer, à réfléchir. Tout ce qu’elle remarqua, c’est que cette fois, elle n’eut pas le droit à un produit la plongeant dans un profond sommeil.

 - … vérifier son potentiel… tests suivants…

 - … c’est bien elle… Il reste incertain…

         Des bribes de conversation lui parvenaient, non pas qu’ils fussent particulièrement éloignés, mais les pensées dissipées de la yordle l’empêchaient de saisir plus. Une femme s’approcha, toujours masquée comme ses collègues, et changea quelques leviers de place sur un cadran non loin du fauteuil. Ce sont de biens jolis boutons, pensa Bell, mais les machines d’Ileae sont plus jolies.

         Un éclair de lucidité lui traversa l’esprit, ramenant Bell plus proche de la réalité qu’elle ne l’avait été depuis un moment. Comment allait son amie ? Où était-elle ?

         Sans prendre plus en compte l’agitation de la cobaye, le professeur fit signe à un homme de tourner quelques rouages. Des bruits étranges parvinrent aux oreilles de la yordle, constatant qu’elle était reliée par perfusion à d’autres machines.

         Elle s’attendait à une injection du même produit qui perturbait ses pensées, et la plongeait dans le noir. Il n’en fut rien. Le liquide parvint à son bras, et presque immédiatement, elle vint.

         La douleur.

 

         Avoir mal, la yordle avait l’habitude. Les chutes dans Bilgewater, les blessures en mer, en combat, les maladies, les coups, elle avait vu beaucoup, mais rien n’était comparable à cet instant.

         Au moment même où le liquide d’un rose luisant pénétra son bras, une vague de feu s’étendit dans son corps. Elle sentit ses muscles se contracter, chaque cellule de son être bouillir comme si elle était directement tombée dans un feu spirituel Buhru.

         La vague se répandit el elle, petit à petit, elle sentit chacun de ses membres s’affoler, elle perdait le contrôle. Elle convulsa, la douleur lui arrachant d’abord un cri, qui se mua en hurlement.

         Sa voix fut la première chose à céder, ne parvenant plus à suivre la contrainte que la jeune fille subissait. Ensuite, ses membres fatigués cessèrent d’eux même de lutter, laissant la yordle seule face à la vague de feu qui s’intensifiait.

         Elle pencha la tête, chercha de l’aide. Son regard implorait, tandis que des larmes perlaient sur la fourrure de son visage. Elle ne sut jamais si un des regards sous les masques eut au moins éprouvé de l’empathie, elle n’eut en réalité pas le temps de se poser la question, son esprit fut le dernier élément à céder.

 

**

 

         Bell se sentait légère, comme si elle flottait dans le vide, et pour la première fois depuis un long moment, elle ne ressentait aucune douleur. Pour être plus précis, elle ne ressentait rien du tout. Elle observa les alentours, un promontoire rocheux, sensiblement au pied d’une montagne.

         Devant elle, deux individus semblaient s’approcher. Au fur et à mesure, la jeune fille put distinguer l’apparence des deux personnages, floues. Le premier était sensiblement un homme, dont l’accoutrement semblait… d’un autre temps. À ses côtés se tenait une femme, bien plus petite, tellement qu’elle n’arrivait pas à la taille de l’autre.

         Bell sentit comme une certaine chaleur émaner du duo, réconfortante, aussi tenta-t-elle de s’approcher d’eux. Leurs voix, semblables à des murmures, tendaient à appeler la jeune fille, pour autant elle ne pouvait pas bouger. Ses membres étaient lourds, son corps refusait de répondre. Alors qu’elle baissait les yeux pour se regarder, elle constata deux choses. La premier fut qu’elle n’avait pas la bonne couleur de fourrure, elle était différente, peut-être vivait-elle le rêve d’un autre personne ? La seconde fut la présence de serres, s’agrippant à la yordle.

         Avant qu’elle n’eût le temps de réagir, les bras la tirèrent avec une force qui lui coupa le souffle, l’emmenant loin des deux inconnus qui couraient en tentant de la rattraper. Sans comprendre, la yordle ne put que contempler le paysage défiler, les bras, semblables à de grands rubans violets, l’amenaient le long de la paroi d’une montagne gigantesque, tellement abrupte qu’elle douta que quelqu’un soit capable de la gravir.

         Les bras déposèrent violement la yordle sur un promontoire, qui dominait les nuages. Le souffle coupé, Bell découvrit avec stupeur que les bras étaient reliés à une sorte de bulle lumineuse qui flottait. Au centre de cette bulle, un être, brillant, incandescent même, riait d’un rire narquois.

         Sous une forme éthérée, la créature approcha. Bell n’arrivait pas à distinguer clairement ce qu’elle était, d’ailleurs à chaque seconde, elle semblait changer, être différente. Un instant, elle semblait humaine, un autre, elle adoptait une forme rappelant les dessins d’oiseaux demaciens, puis un scorpion shurimien, une petite fille, et enfin, une yordle. Tandis qu’elle s’approchait, les rubans de la créature s’enroulaient autour de Bell, la recouvrant petit à petit.

 - Tu es mienne, murmura la créature. Tu dois t’éveiller, et venir me trouver.

         A la douceur des rubans s’ajoutait le rire qui désormais s’immisçait dans l’esprit de la yordle, avant qu’un voile noir ne recouvre ses yeux et pensées, à nouveau.

 

**

 

 - … potentiel correct, mais des changements en contrepartie.

 - C’est une étape cruciale, dit une voix. Elle doit être préparée.

         Les paupières lourdes, il était impossible pour Bell de faire le moindre mouvement. Cependant, elle avait les idées assez claires pour entendre ce qu’il se passait autour d’elle, et reconnaitre la voix du professeur.

 - Nous ferons tout notre possible, mais les risques sont élevés monsieur. Avez-vous assisté à la vision ?

 - Oui, confirma une voix inconnue. Vous devez continuer, je serais…

         La voix s’arrêta avait de terminer, et Krenn se tourna vers la yordle, comprenant qu’elle reprenait conscience. Cette dernière entendit un étrange bruit, qu’elle comprit marquer la fin de la conversation, et avant qu’elle n’ait le temps d’ouvrir les yeux, elle sentit l’habituel liquide parcourir son bras.

 

***

 

         Depuis la minuscule ouverture, seule une faible lumière parvenait jusqu’à la prisonnière, qui attendait dans une cellule froide. Des jours, près de trois semaines, qu’elle avait été laissée ici, et n’avait droit qu’à un mince quignon de pain journalier, accompagné d’eau pour se nourrir. La vastaya était résistante, son corps accepterait sans problème la restriction, mais ce n’est pas ce qui la travaillait le plus. Durant des jours, Ileae tentait simplement de comprendre.

         Dès son arrivée elle avait été séparée de son amie yordle par des médecins, et elle avait été emmenée avec sa sœur vers ce qu’elle attendait être une chambre abritant ses parents contaminés. Après quelques minutes, Vira avait été emmenée à part, et les hommes de Krenn l’avait assommée avant de la jeter dans une cellule.

         D’abord elle avait tentée de s’adresser au garde. N’osant pas l’interpeller, elle avait mis plusieurs jours avant de lui demander de l’aider, demandes qui se muèrent en supplications, avant qu’elle ne se résigne à attendre. Elle ne comprenait pas, pourquoi le professeur ferait une pareille chose, pourquoi sa sœur l’avait abandonnée.

         Parfois lorsqu’elle tentait de dormir, elle percevait des cris, inhumains, des cris de rage. Parfois, il lui sembla que lesdits cris étaient comme des appels à l’aide, des êtres souffraient. Elle voulait sortir, appeler à l’aide, être loin de cet endroit.

 

         Alors qu’elle attendait, immobile, sur sa paillasse, des bruits parvinrent aux oreilles d’Ileae. Des pas, plusieurs personnes. Inhabituel, se dit-elle en se redressant d’un coup.

         Pour la première fois depuis longtemps, un bruit de clefs retentit, la vastaya prudente, se réfugia dans un coin de la pièce, à quatre pattes, paniquée mais prête à se défendre. La lourde porte pivota sur ses gongs, et dans la faible lumière verdâtre des hommes apparurent. Sans un mots, ils lancèrent quelque chose qui atterrit lourdement sur le sol, avant de refermer la porte et de s’éloigner.

         Ileae s’approcha, prudente, avant de reconnaître la forme qui gisait.

Bell !

         Immédiatement, la vastaya se précipita près de son amie, inconsciente. Cette dernière respirait à peine, elle était visiblement affaiblie, et lui paraissait frêle.

         Elle allongea la jeune fille sur la grande paillasse, veillant à ne pas la brusquer. Elle tenta de lui faire boire de l’eau, et fut rassurée en voyant son amie avaler le liquide sans mal. Néanmoins, un détail dérangeait la vastaya, la fine fourrure qui recouvrait d’ordinaire la yordle n’était plus exactement la même, légèrement plus longue, elle était passée de blanche à un rose pâle.

 

***

 

         Il fallut plusieurs jours à la yordle pour se réveiller, cette dernière émergea doucement, l’esprit embrumé. La première chose qu’elle remarqua fut la présence de quelqu’un assoupi à côté d’elle.

 - Ileae ! ne put s’empêcher de crier la jeune fille.

         Cette dernière se réveilla en sursaut, bafouillant dans sa panique.

 - Je, euh… nous… tu es réveillée..!

         La jeune scientifique se jeta sur Bell, serrant dans ses bras la petite yordle comme si elle allait disparaître d’une seconde à l’autre.

 - Doucement… dit Bell d’une voix étouffée. J’essaie de reprendre mes esprits.

 - Oh désolée…

         La vastaya recula un peu, regardant Bell avec ce qui lui parut être des larmes aux coins des yeux. Cette dernière se releva difficilement, et s’assit contre le mur pour faire face à son amie. Elle aussi était affaiblie, elle apparaissait plus fine, les cheveux en pagaille, et ses yeux trahissaient peur et angoisse.

 - Depuis… combien de temps on est ici ? demanda Bell.

 - D’après le rythme des repas et la lumière… je dirais près de trois semaines.

         La nouvelle eut l’effet d’un coup pour la jeune fille. Trois semaines ? Impossible, le capitaine doit être mort d’inquiétude à l’heure qu’il est, il doit retourner l’entièreté des deux villes.

 - Je n’ai vu ni mes parents… ni Vira depuis… notre arrivée, expliqua Ileae en bredouillant. Je ne sais même pas ce qu’on fait là… tu as été absente pendant des jours…

         La yordle voyait la panique sur le visage de son amie, mais était aussi perdue qu’elle. Ces derniers temps avaient été tellement flous, elle avait perdu tout repaire, et peinait à se remettre.

 - … et tu n’es plus la même… continua Ileae.

 - Attends, comment ça plus la même ?

 - Ta fourrure… elle est différente…

         Bell intriguée, prit enfin le temps de s’ausculter. Elle jeta un œil à ses mains, puis ses bras. Sa respiration s’accéléra, sa fourrure avait changée, elle continua à inspecter chaque partie visible de son corps, découvrant avec stupeur qu’elle avait changée de couleur. Si ils l’avaient fait changer, que lui avaient-ils fait d’autre ? Sa respiration devint incontrôlable, elle se sentit défaillir, et le monde autour d’elle bascula.

 

***

 

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