Bell de Bilgewater

           Chapitre 10

         Dans un bruit de cliquetis rappelant un peu celui que faisait Jenkins lorsqu’il se mouvait, la dame prit place en face de ses invités, écartant légèrement ses affaires pour éviter de gêner ces derniers. Son allure impérieuse et son visage impassible impressionnaient Bell, que ne dit mot.

 - Avez-vous fait bonne route mes enfants ? demanda-t-elle d’une voix dont la chaleur tranchait avec son air sévère.

 - Sans aucun problème, lui répondit Vira en souriant. L’ascenseur a fait son effet sur notre invitée, et le Gris n’était pas trop épais aujourd’hui.

 - Ravie de l’apprendre. Les enfants étaient surexcités à l’idée de votre visite. Il faut dire que la recrudescence de cas du fléau dans certains quartiers a eu tendance à instaurer une atmosphère bien pesante.

         L’hôte se leva une fois encore en parlant, et apporta un service à thé qui était posé sur une grosse commode en bois et métal non loin. Elle posa une à une les petites coupelles et leurs tasses, ainsi que des cuillères. Le service entier était fait de pièces de verre fin et coloré, et encore une fois, de métal ciselé.

 - Vous prendrez une tasse de thé ? demanda-t-elle. Il n’est peut-être pas aussi bon que chez les riches piltos, mais il reste très agréable.

 - Oui merci, répondirent de concert les deux vastayas.

 - Il me semble que les présentations n’ont pas été faites, dit la vielle femme à l’intention de la yordle, je suis Dame Talyn, propriétaire de cet orphelinat.

 - Je suis Bell, navigatrice d’un navire de Bilgewater, répondit poliment l’intéressée.

 - Oh je vois, une pirate ! Et que nous vaut le plaisir de ta visite ?

 - Plutôt mercenaire en vérité… Vira m’a proposé de l’accompagner, je serais ravie de passer un peu de temps avec les enfants !

 - Une mercenaire à Zaun, yordle qui plus est, remarqua-t-elle, pensive. Orpheline de surcroît, les sœurs m’ont un peu parlé de toi ces derniers temps surtout Ileae.

 - Vous connaissez d’autres yordles ? demanda Dom en attrapant une tasse que lui tendait Talyn.

 - Des rumeurs couraient sur une matriarche d’un des gangs puissants, arrivée ici sans parents lorsqu’elle aurait été enfant. Elle dirigerait un tas de sauvages avec un tatouage distinctif, railla la vieille. Je n’en connais pas personnellement, mais je sais qu’il y en a un certain nombre ici-bas.

 - Une autre yordle orpheline yordle à Zaun ? intervint Vira. La seule que je connaisse est assise ici.

         Dame Talyn tendit une tasse qu’elle avait rempli de thé chaud à Bell, qui s’en saisit en la remerciant poliment. L’odeur du breuvage lui rappela certaines plantes qui poussaient sur les arches montagneuses de son île.

 - J’ai cru comprendre que tu avais quitté Bilgewater à la recherche de tes parents. As-tu grandie seule dans ton archipel ?

 - Un marin m’a recueillie bébé, indiqua Bell. Il est devenu marchand pour s’occuper de moi, puis je me suis enrôlée sur le navire en rencontrant un de ses anciens contacts.

 - Un parcours peu commun, lâcha Dom. Qu’est-il advenu de tes parents ? Si ce n’est pas trop indiscret bien entendu.

 - Eh bien… personne que je connaisse n’en a la moindre idée. Ils étaient discrets, et même la personne qui m’a élevée ne connait pas leur vrai nom.

 - Étrange… souffla Dame Talyn.

         Les discussions allèrent bon train, Mère Talyn était ravie d’avoir un peu de sang neuf avec qui échanger, et semblait beaucoup aimer entendre parler de Bilgewater. Ileae écoutait les anecdotes de Bell avec grand intérêt, tandis que Vira et Dom tentaient de garder les enfants à l’écart pour éviter qu’ils ne les dérangent de trop.

 - J’imagine que tu voyages dans l’espoir d’en apprendre plus sur eux, dit Vira entre deux gorgées. C’est une envie que j’ai très souvent observée chez les orphelins.

 - Et vous madame ? Pourquoi êtes-vous dans cet orphelinat ?

 - Les enfants de Zaun n’ont pas tous la chance d’avoir quelqu’un pour les recueillir, soupira Dom. Il faut bien que quelqu’un s’en occupe.

 - En parlant de s’occuper d’eux, il est temps de jouer ! dit Vira en se levant joyeusement. Un cache-cache dans le manoir ça vous tente ? dit-elle avec un regard malicieux.

         À l’évocation du jeu, les enfants accoururent immédiatement vers la vastaya, et ses amis, les tirant par les bras pour les entrainer avec eux. Bien évidemment, Bell se joignit aux réjouissances.

***

         Pour les premières parties, Bell ne fut pas désignée comme le « loup », qui devait chercher les autres joueurs. Une fois le coup d’envoi lancé, tandis que le loup comptait, elle divagua dans les couloirs à la recherche de cachettes. Grâce à sa petite taille, elle pouvait aisément accéder à divers endroits, mais souvent pris par d’autres enfants malins, qui lui ordonnaient d’aller trouver une autre cachette, tout en lui faisant un pied de nez. Elle finit par jeter son dévolu sur une grande salle remplie de meubles, et essaya de se cacher derrière une maie dans un coin de la pièce. Elle fut assez surprise lorsqu’elle trouva Dom assis, discutant tranquillement avec Vira.

 - Tiens, vous ne vous êtes pas foulé pour la cachette, ricana Bell en s’asseyant avec eux.

 - On pourrait en dire de même de toi, railla Vira en souriant.

 - Il faut bien laisser une chance aux petits, dit Dom de sa voix grave. Il n’y a qu’Ileae pour trouver des cachettes improbables.

 - Une fois, elle a sauté sur un des lustres du hall d’entrée, pouffa la grande vastaya, et y est restée accrochée pendant deux bonnes heures. Même tous les enfants réunis n’ont pas réussi à la voir.

 - Elle est agile !

 - Les vastayas ont beaucoup de particularités, expliqua Dom, ces deux-ci ont des caractéristiques physiques exceptionnelles.

 - Quel âge a-t-elle d’ailleurs ? Je n’ai pas osé lui demander.

 - Tout comme ce que Maria m’a dit de toi, elle aussi est dans le début de la vingtaine, vous êtes très proches. Et déjà presque 6 ans au service de Johan.

 - Et toi Bell, tu sais faire des trucs spéciaux ? demanda Vira.

         Bell hésita un instant. Elle savait qu’elle pouvait avoir confiance en l’intendante et son fiancé, mais elle ne se faisait toujours pas à l’idée de partager l’existence de ses « talents ».

 - Eh bien… Il semblerait que les yordles aient une affinité avec la magie, j’essaie d’en étudier les bases pour l’instant.

 - C’est ce que m’a dit Ileae. Elle effectue quelques recherches sur le sujet depuis qu’elle t’a rencontré, et elle ne parle que de toi. Je crois que si tu ne fais pas attention tu finiras comme cobaye pour ses expériences, dit-elle avec un clin d’œil.

 - Il faut dire que les yordles sont assez rares, remarqua Dom. Je me demande si Mère en a côtoyé durant sa jeunesse.

 - La cheffe de gang peut être ?

 - Dame Talyn a le bras long, expliqua la vastaya. Mais l’existence de ce groupe reste une rumeur.

 - Je vois…

         Le trio entendit des bruits de pas, provenant de plusieurs enfants, passant dans le couloir. L’un d’eux sembla s’arrêter devant la porte, et jeter un œil dans la pièce, mais reprit rapidement sa course

 - Plusieurs bruits de pas différents, remarqua Vira, certains se sont déjà fait attraper.

 - En parlant de Dame Talyn, est-ce qu’elle gère seule tout l’orphelinat ?

 - Pas vraiment, il y a un cuisinier qui prépare certains repas, les enfants participent beaucoup, et font la majorité des tâches simples de l’établissement.

 - Je passe aussi régulièrement leur donner un coup de main, expliqua Dom. Une paire de bras en plus, ça repose Mère et Père.

 - Dame Talyn est-elle mariée ?

 - Oui, dit la vastaya. Gary, un ancien artisan. C’est lui qui a fait certains meubles et les vitraux que tu as pu voir dans le salon. Il est un véritable mentor pour Ileae ! Tu pourras lui en parler tout à l’heure.

TROUVÉ !

         Un des enfants avait surgi par dessue la maie, souriant de toutes ses dents, ravi d’avoir dégoté la cachette des grands. Reconnaissant sa défaite, le trio quitta sa place, et rejoignit le groupe d’enfants trouvés. Après avoir trouvé le contingent restant d’enfants cachés, les parties endiablées de cache-cache se succédèrent tout l’après-midi, parfois entrecoupées de pauses, permettant aux enfants de se reposer, en dessinant ou lisant. Ces derniers furent impressionnés par les qualités de dessinatrice dont Bell faisait preuve. Elle offrit à chacun d’eux un petit dessin de diverses choses de sa ville d’origine. Des arches montagneuses, des navires, des marins, et même un dessin de rat des quais, que les enfants trouvèrent adorable.

***

         Après une séance de jeu bien chargée, et ce malgré la motivation inébranlable des enfants, Bell, Dom et les deux sœurs durent s’arrêter, et joignirent Dame Talyn dans la salle principale. Cette dernière les accueillit avec une autre tasse de thé chaud, devant la grande cheminée, ce qui ne fut pas pour déplaire aux joueurs épuisés par l’énergie des jeunes enfants.

 - Je vois que vous vous amusez beaucoup, dit-t-elle en versant le thé dans les tasses.

 - Les enfants sont plus que motivés aujourd’hui, remarqua Vira, je ne me souviens pas avoir déjà enchainé autant d’activités en une seule journée.

 - Ils sont très content en effet. Tiens cela me fait penser que Nay a demandé à changer de chambre, vous pourriez aller l’aider à déménager ses affaires ?

 - Bien sûr ! acquiesça Dom en se levant. Reste ici Bell on en a pour quelques minutes.

         Le jeune homme se leva, suivi des deux vastayas, et se dirigea vers le couloir. Ils furent rejoints par le jeune garçon qui demandait leur aide, en trottinant, laissant Bell avec son hôte. De prime abord, la jeune fille n’osa pas parler, de peur de dire quelque chose qui puisse déplaire à la vieille femme qui finissait de préparer son thé.

 - Eh bien jeune fille, tu es bien discrète, tu dois t’entendre à merveille avec la jeune sœur de Vira. J’ai cru comprendre que c’était ta première visite à Zaun, comment trouves-tu notre charmante ville ?

 - Pour tout vous dire, j’en avais assez peur, admit Bell. Mais je trouve l’atmosphère intéressante. Papy disait qu’il préférait de loin être dans les profondeurs ici plutôt qu’avec des Piltos.

 - Il s’agit de l’homme qui t’a élevé ?

 - En effet.

 - Il n’y a qu’un pirate pour préférer un endroit comme Zaun. Bien peu de gens aiment à passer du temps dans une ville aussi dangereuse.

 - Et pourtant c’est ici que vous avez ouvert votre orphelinat, remarqua Bell. Vous êtes originaire de Zaun ?

 - Je suis née dans les quartiers médians de Zaun pour être exacte, expliqua Mère Talyn. J’ai rencontrée Gary jeune, il était apprenti artisan dans le même quartier, alors j’ai travaillé avec lui un temps.

 - Qu’est ce qui a fait que vous ouvriez un orphelinat ?

 - C’est une histoire assez sordide, souhaites-tu l’entendre ?

 - Si cela ne vous dérange pas, acquiesça la yordle.

 - Nous étions un jeune couple d’artisans, narra la vieille femme. Comme tout le monde dans Zaun, nous avions eu affaire à des gangs, certains même sous la direction d’un Baron de la Chimie. Un beau jour, je suis tombée enceinte, et nous attentions un adorable zaunien. Gary, loin d’être mauvais dans son travail, avait décroché un contrat de fabrication d’une modification. Malheureusement, les plans du client du gang local étaient des schémas volés à un autre gang. Ces derniers pour se venger m’ont capturé et retenue prisonnière. La vérité fut que ces schémas appartenaient à la base à un clan Piltovien, et qu’il s’agissait de leur plus grande trouvaille. Ils envoyèrent leur meilleur agent, une jeune femme impitoyable, qui n’avait que sa mission en tête.

         La yordle écoutait attentivement le récit de la vieille femme, sans dire un seul mot, ne souhaitant pas louper un seul détail de la vie de son hôte. Dame Talyn racontait nonchalamment son histoire, en regardant le feu crépiter dans la grande cheminée.

 - Cet agent traqua Gary, continua-t-elle. Il ne parvint pas à lui échapper, lui expliqua tout de la situation, et en échange la supplia de me sauver en allant récupérer sa propriété. Cette dernière accepta pour avoir les informations, mais le but de sa mission était tout autre. Elle ne devait pas récupérer ces schémas, mais les détruire, et punir les responsables. Elle traqua les membres du clan de voleur, mais provoqua un incident chimique dans leur quartier-général. Une catastrophe manqua de détruire tout le quartier, mais elle avait accompli ce pourquoi elle était venue. J’ai pris une explosion de plein fouet, perdu quelques… morceaux au passage, ainsi que… notre enfant. Gary réussit in-extremis à me sauver, il a lui-même conçu mes modifications. Beaucoup de familles furent détruites ce jour, et ne pouvant plus avoir d’enfants, j’ai pris la décision de les accueillir. Gary a travaillé dur pour qu’on puisse créer cet orphelinat, et nous voici aujourd’hui, à veiller sur ces petits.

 - Je suis désolée… souffla Bell.

 - Tu n’as pas à l’être jeune fille, la rassura Talyn. Aujourd’hui je suis heureuse, des dizaines d’enfants l’ont aussi été, et continuent de l’être.

 - Et cette femme ? Elle n’a jamais payé pour ses crimes ?

 - Le destin s’en sera sûrement chargé, sourit la vieille.

 - Votre mari… est-ce qu’il est… ?

 - Oh Gary ? Il est simplement parti faire quelques courses, et prendre de quoi effectuer quelques travaux dans une des chambres des enfants.

 - Les enfants savent-ils tout ça ?

 - Certains l’apprennent en grandissant, mais je préfère les préserver dans leur jeune âge.

         Un silence peiné s’installa, et Bell n’imaginait pas qu’il se passe de telles choses entre les clans piltoviens et les gangs zauniens.

 - J’ai cru voir que tu avais offert quelques dessins, commenta Mère Talyn, tu t’exerces souvent ?

 - Je griffonne régulièrement dans un carnet ce que je vois, ça aide à mieux voir et réfléchir sur mon environnement.

 - Tu as un sacré coup de main, tu devrais continuer.

         De retour de leur mission de déménagement, les camarades de la yordle firent leur entrée dans la salle. Alors que la soirée était déjà bien lancée, Vira indiqua qu’il était temps pour eux de regagner Piltover. Elle invita Bell à se préparer au retour. Dom, ainsi qu’Ileae, restaient aider Mère avec les enfants, ce dont l’annonce provoqua quelques cris de joie parmi ces derniers, tandis qu’Ileae devait attendre le retour de Gary pour s’entretenir avec lui sur ses dernières recherches.

 - Au revoir Dame Talyn, salua Bell. Et merci pour le thé !

 - Nous n’avons eu que peu de visites d’artistes ces dernières années, si un jour tu as le temps, n’hésites pas à passer me voir. Au revoir jeune yordle, salua-t-elle en retour, bon vent à toi.

         Vira raccompagna Bell au travers des rues de Zaun. Malgré la fin de journée, et le soleil probablement couché en surface, rien ne semblait avoir changé dans les rues de la ville. La pénombre y était la même, tout comme la brume qui recouvrait les sols.

***