Bell de Bilgewater

Chapitre 21 : Partie 3 - Chapitre 8

3560 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 25/08/2021 23:56

           Chapitre 8

         Comme à l’accoutumée, le soleil couchant caressait le dos de la yordle sur son chemin vers le manoir du docteur Grimbel, réchauffant ses épaules. Les vents marins, ébouriffaient sa chevelure blanche et secouaient ses grandes oreilles velues. Bell emprunta une ruelle à la pente très prononcée qui longeait une des écluses pour pénétrer la seconde partie la plus haute de Piltover, et prit le temps de faire un détour par les ruelles marchandes. Après tout personne ne m’attend pour manger, se dit-elle. Elle savoura la promenade au cœur des quartiers médians, où régnait l’effervescence de soirée, Elle regarda les riches passants de la grande ville apprécier le spectacle des lumières qui s’allumaient, tandis que l’astre solaire disparaissait derrière la ligne d’horizon.

         Un petit piaillement vint interrompre la contemplation de la yordle, ainsi que le tapotement régulier des pattes de Clapper sur le sol, rattrapant Bell. En voyant son compagnon près d’elle, cette dernière sourit, et tendit le bras, pour que le rat des quais y grimpe et s’installe sur son épaule. Ses petites pattes accrochant celle-ci, et sa queue-nageoire battant joyeusement, semblaient indiquer à Bell que son petit compagnon appréciait la promenade.

         Les Piltoviens les plus prudes s’étonnaient toujours de voir une jeune fille à la fourrure et cheveux blancs surmontant deux grandes oreilles velues, pas plus grande qu’un mètre, avec sur l’épaule une étrange petite boule d’écaille aux grands yeux brillants et aux petites dents avant dépassant de sa gueule. Drôle de spectacle qui attirait les regards, mais Bell commençait à s’y faire avec le temps, d’autant plus que pour elle, voir des tas de riches ridiculement parés, et arborant des gadgets étonnants, était tout aussi étrange.

 - Dis-moi Clapper, lança la yordle à son compagnon, tu crois que ces gens seraient capables de remplacer des parties de leurs corps avec leur technologie hextech ?

         Après une minute, le petit animal répondit par un piaillement, avant de reporter son attention sur les passants. Bien sûr, je n’en attendais pas plus de toi, se dit Bell en se contentant de la réponse.

 - Et toi, tu accepterais de te faire poser une modification ? lui demanda-t-elle.

         Nouvelle minute de réflexion, avant que le rat des quais ne saute au sol, interrompant la marche de la yordle. Il fixa sa maîtresse des yeux, avant de courir vers un muret. Il grimpa agilement, sauta les obstacles avec aisance, avant de sautiller joyeusement vers Bell, s’arrêtant fièrement devant elle.

 - Tu as probablement raison, soupira-t-elle, je me sentirais comme… différente moi aussi. Je doute que des implants aient les mêmes capacités que les membres d’origine.

         Elle reprit on chemin, l’animal toujours à ses côtés. Oh j’ai déjà vu cette boutique, se dit-elle en passant une épicerie à la devanture en bois somptueusement travaillé.

 - Reste ici une minute je reviens, dit-elle à l’intention de son petit compagnon.

         Clapper sauta de l’épaule de son amie, et cette dernière pénétra la boutique, dont la porte émit un tintement discret lorsqu’elle la poussa. Elle salua l’homme qui sortit de l’arrière-boutique pour l’accueillir, et parcourut les étagères à la recherche de quelque chose. Elle finit par trouver un paquet de viande séchée, qu’elle saisit, avant de se diriger vers le commerçant pour régler.

 - Viande séchée, pratique pour la conservation, dit l’homme en souriant. Si vous souhaitez j’en ai reçu un chargement assaisonné d’épices de Shurima hier !

         Intriguée, la yordle jeta un œil à la boîte que lui tendait le marchand, qui l’invita même à sentir l’odeur dégagée par les épices en question.

 - Très bien, je vais vous en prendre un paquet.

         Elle paya les rouages au commerçant, et retrouva la rue, dont l’agitation diminuait légèrement avec l’heure tardive. Elle ouvrit un bord du paquet épicé, saisit deux ou trois lamelles de viandes, et les donna à Clapper. L’animal, en voyant le présent, ouvrit tellement la gueule qu’il sembla à la yordle qu’il souriait. Il attrapa la viande, et la mâcha dans son bruit de claquement habituel. Les deux compagnons se remirent en route vers le manoir, éclairés dans la nuit tombante par les lampadaires de Piltover.

 

***

 

         La soirée suivait son cours, et la yordle approchait de sa destination, Clapper toujours niché dans le creux de son épaule, profitant de pouvoir reposer ses petites pattes. A quelques rues du Manoir, elle distingua deux personnes se dirigeant dans la même direction qu’elle, en discutant. Bell sourit lorsqu’elle reconnut la silhouette féminine de Vira, sa longue queue écailleuse attachée autour de sa taille comme une ceinture. A ses côtés se tenait sa sœur, portant un sac rempli d’affaires dans les bras. Les sœurs vastayas semblaient avoir reconnu la yordle de loin, puisqu’elles lui firent signe avant de la rejoindre, un grand sourire aux lèvres.

 - Eh bien je vois que tu rentres tard Bell ! lança Vira en arrivant à son niveau.

 - Bonjour… dit sa sœur en esquissant un petit signe de main.

 - Exact ! Je me suis un peu perdue dans un ouvrage sur les ruines targoniennes, admit-elle en rougissant légèrement. Je suis aussi passé par un quartier commerçant pour me promener.

 - Nous autorises-tu à t’accompagner jusqu’au manoir ? demanda poliment l’intendante.

 - Avec plaisir ! répondit Bell en ouvrant la marche.

         Le trio, qui n’en était pas vraiment un du fait de la présence discrète du rat des quais, prit le chemin de la demeure Wajäard-Grimbel.

 - Je me doute que tu es au courant mais… Tu as un rat qui dors sur ton épaule ?

 - Oh oui ! sourit la yordle en caressant la peau écailleuse de son compagnon. C’est Clapper, un rat des quais qui me tient compagnie depuis quelques semaines. A vrai dire il m’aide un peu à me sentir moins seule.

 - Techniquement… intervint timidement Ileae derrière, les rats des quais tiennent plus des requins, dont ils ont muté dans l’archipel de Bilgewater pour devenir quadrupèdes, attirés par les carcasses des monstres découpés aux quais abattoirs. Ils n’ont en commun avec des rats que la taille, et ils sont adaptés à la vie terrestre comme aquatique.

 - Mais, ce sont des charognards non ? demanda la grande sœur.

 - En réalité ils sont omnivores, commenta Bell, ils sont tout aussi capable de chasser, que de se nourrir de carcasses, et dans les temps difficiles ils peuvent ne se nourrir que de fruits ou légumes, voire de certaines plantes.

 - Tu sembles en savoir un rayon sur eux.

 - J’ai lu quelques paragraphes à leur propos il y a quelques jours.

 - A ce rythme tu auras lu la bibliothèque entière avant de repartir, plaisanta la grande vastaya.

 - Oh… vous repartez déjà bientôt ? demanda sa petite sœur.

 - Je n’ai pas eu encore d’informations à ce sujet, admit la yordle, on verra bien.

         A mesure qu’elles approchaient du manoir, les conversations allèrent et les trois jeunes femmes apprécièrent la fraiche nuit de Piltover. L’édifice se dessina bientôt devant, et Clapper profita de l’arrivée pour descendre de l’épaule de Bell et de s’éclipser, non sans avoir auparavant profité d’une petite tranche de viande.

 - Dis-moi Bell, dit Vira à l’intention de son amie, que dirais tu de faire une petite pause demain après-midi ? Nous allons faire un tour dans un orphelinat avec Dom, tu accepterais de venir ?

 - Je ne sais pas j’ai un cours demain…

 - Oh allez s’il te plaît ! insista Ileae. Les enfants sont adorables et ils adoreront voir une nouvelle tête !

         Bell réfléchit pendant quelques secondes, ne souhaitant pas rater les cours de magie dispensés par Dame Arda. Sous l’insistance de Vira, et le regard suppliant de sa jeune sœur, elle finit par accepter, finalement très contente d’avoir un prétexte pour flâner un peu. Les jeunes femmes se quittèrent et chacun regagna ses quartiers pour une bonne nuit de sommeil méritée.

 

***

 

         Epuisée de ces derniers jours, passés à écouter des intervenants sur des domaines divers à l’académie, et sur les heures passées penchée sur des livres qu’elle trouvait dans la bibliothèque, Bell s’était directement couché, et endormie comme une souche. Elle se réveilla assez tard dans la matinée, en pleine forme cependant, prête à en découdre avec tout ce qui l’attendait.

         La yordle prit le temps de remettre de l’ordre dans la chambre, elle négligeait un peu les efforts sur le rangement, trop occupée par ses recherches et l’opportunité de trouver ne serait-ce qu’un fragment d’information sur ses parents, ou les yordles en général. Bien peu de gens savent de vraies choses sur mon espèce, se dit-elle, et personne ne sait me dire d’où ils sont originaires, comment peut-on ignorer la ville ou la terre d’origine d’une espèce entière ? Elle s’installa à son petit bureau, et à la lumière du soleil haut dans le ciel, griffonna ses notes sur les derniers jours dans un de ses carnets. Elle avait dû en acheter d’autres, le sien étant déjà pas mal rempli, à force d’y consigner tant ses découvertes, que son quotidien.

         Le milieu de journée approchant, elle prit un repas rapide, finit de ranger ce qu’il restait, nota ses dernières idées, prépara ses affaires, et se dirigea vers l’entrée de l’immense manoir.

         Deux vastayas l’attendaient dans l’entrée, leur tenue différant quelque peu de leurs habitudes. Les sœurs arboraient des vêtements plus ordinaires, bien moins spécifiques qu’à l’accoutumée, changeant de l’élégante intendante et de la sérieuse chercheuse qu’elles étaient. Bell avait troqué son ensemble piltovien pour ses confortables sapes de voyage : Haut bordeau, pantalon robuste, son écharpe verte, et surtout l’éléments le plus important, ses bottes de cuir épais. Elles m’avaient manquées, pensa-t-elle, rien ne vaut les godillots des bottiers de Bilgewater.

         La yordle fut accueillie comme toujours par un sourire radieux de Vira, ravie qu’elle les accompagne, et d’un signe gêné d’Ileae qui restait en retrait. Elles quittèrent le manoir et Bell suivit ses amies au travers des rues. Pour ne pas déroger à son habitude, Piltover baignait dans l’agitation mondaine, brillant sous un soleil encore bien haut dans le ciel. Bell avait passé les dernières semaines à fureter dans les quartiers de la cité, et commençait à avoir une certaine connaissance de cette dernière, et remarqua qu’elles se dirigeaient vers l’un des cours d’eau qui traversaient la ville. Par moments, il était parfois possible, avec un peu de chance, d’apercevoir les plus hauts bâtiments de Zaun, bien moins classes. Pas sûr que les Piltos considèrent cette vision comme une chance cependant, se dit la yordle.

 - Un orphelinat donc, dit Bell à voix haute, même dans des villes aussi civilisées il reste des enfants sans parents.

 - En réalité, il y en a très peu à Piltover, répondit Vira. D’abord peu nombreux à la base, majorité d’entre eux sont adoptés par des couples qui ont payé du prix de leur fertilité les modifs qu’ils arborent.

 - C’est… un drôle de choix.

 - Ils adoptent même des Zauniens, c’est d’ailleurs là que nous nous rendons.

 - Attends… On va à Zaun !?

         Bell s’arrêta net, en repensant à tout ce qu’elle avait appris sur la jumelle souterraine depuis son arrivée. Même si cette dernière fut située juste autour, et en dessous de leurs pieds, il s’agissait d’une ville totalement différente de Piltover. Vira posa un regard interrogateur sur la jeune fille, ne comprenant pas l’étonnement de cette dernière.

 - C’est que… je ne suis jamais allé à Zaun… dit la yordle.

 - Ah je vois, répondit la vastaya. Tu n’as pas à t’en faire, contrairement à ce que les Piltos en disent, elle ne se résume pas que par misère et crime. C’est aussi le lieu de vie de centaines de milliers de gens, dont nous il y a encore quelques années.

 - Je vois…

 - Ne t’inquiètes pas, lui lança Vira en se remettant en route, on connait.

         Bell suivit les deux sœurs vers rivière, et traversa l’un des grands ponts qui menaient à la ville périphériques. Devant eux, les quartiers les plus hauts de Zaun s’étendaient, bien moins impressionnants dans leur extravagance, mais laissant apparaître une tout aussi grande complexité architecturale. Les premières rues étaient un peu plus sombres, sales, et on n’y croisait très peu de piltoviens. Au contraire, en voyant autant de gens habillés bien plus normalement, Bell eut une certaine impression de retrouver certains endroits de Bilgewater. Après tout pourquoi aurai-je peur d’aller à Zaun ? se dit la jeune fille pour se rassurer. Je viens littéralement d’une ville de pirate et de criminels en tous genres.

Bell, partagée entre excitation, curiosité, et anxiété, vit approcher une des ravines menant aux quartiers souterrains de la cité, offrant à sa vue un trou béant vers toujours plus de bâtiments intéressants. Après quelques minutes de marche, la yordle entendit un petit tapotement familier, qu’elle devait sensiblement être la seule à distinguer dans le bruit de la cité. Clapper se joignit au petit groupe, qui l’accueillit avec joie. La jeune fille le laissa se lover au creux du cou de sa maîtresse, ce dernier pas du tout dérangé par la présence d’une écharpe, bien au contraire. Elles s’approchèrent d’une machine à l’allure étrange, une sorte d’énorme cabine bardée de rouages, vitrée. Accrochée à d’énormes câbles en métal qui plongeaient vers les profondeurs. L’énorme ascenseur accueillait déjà quelques passagers, assis sur des sièges à l’intérieur.

 - Voici un des points clefs de passage entre la Zaun souterraine, et la surface, des Ascenseurs Rugissants.

 - Tu comprendras vite leur nom, souffla Ileae devant le regard interrogateur de Bell.

         Après avoir discuté avec une femme en uniforme à côté des portes, Vira fit signe à sa sœur et Bell de la rejoindre. Les trois jeunes femmes prirent place au sein de la cabine, où étaient déjà installées quelques autres personnes qui discutaient tranquillement, tandis que le rat des quais quitta l’épaule de son amie pour profiter du confort d’un siège. Bien évidemment, aucun Piltovien parmi eux. Jamais les Piltos n’accepteraient de descendre dans ce qu’ils considèrent comme leur décharge, se dit pensivement Bell. La dame de l’entrée pénétra la cabine et se plaça près d’une sorte de tableau de contrôle, annonça le départ imminent, et appuya sur des leviers. Immédiatement, la cabine se mit en branle, amorçant petit à petit une descente, dans un bruit de crissement. La plainte des câbles métalliques frottés par les attaches de l’engin s’accentua, jusqu’à devenir un rugissement presque animal. Vira claqua la fenêtre en verre à côté d’elles, seule à être restée ouverte, et le rugissement se fit plus discret.

 - Sacrée isolation, commenta Bell. Je comprends mieux le nom maintenant.

 - Alors, prête pour ta première excursion à Zaun ? demanda Vira avec un sourire malicieux.

 - Je ne sais pas… On m’a décrit cet endroit comme assez hostile.

 - Et tu dis venir de Bilgewater ? Je croyais les habitants de l’archipel des pirates plus courageux, surtout une orpheline.

 - Je connais presque tout l’archipel, ai grimpé chaque arche de pierre, sait qui éviter et qui approcher, se renfrogna la yordle. Bilgewater est dangereuse pour les étrangers, mais je n’ai jamais mis les pieds à Zaun, je ne sais même pas s’ils savent ce qu’est un yordle.

 - Les habitants d’en bas sont bien plus développés que tu le crois, rétorqua Vira, ils sont plus que la décharge des Piltos, ils sont la seconde face de la pièce qu’est Piltover. Il y a pas mal de yordles aussi, normalement bien plus qu’en haut.

 - Tu croises beaucoup d’autres yordles à Bilgewater ? intervint Ileae timidement.

 - Malheureusement non, soupira l’intéressée. Mais beaucoup des habitants ont déjà eu la chance de voyager, ou connaissent des voyageurs en ayant rencontré, parfois.

 - Toi et les tiens êtes donc rare… Nous n’avons pu en rencontrer que de vu, de loin.

         Bell jeta pensivement son regard par la fenêtre, se demandant ce qu’elle allait finalement voir une fois arrivée. Elle se sentait bien sûr rassurée de la présence de deux zauniennes avec elle, mais ne pouvait oublier une sorte d’intuition qui lui pesait.

 - Maria et Anna m’ont dit que malgré ton statut d’orpheline, tu avais été élevée par un marin qui t’avait recueillie. Tu devrais bien t’entendre avec Dom.

 - J’ai eu la chance de grandir aux côtés d’un ancien marin, commenta Bell. Je l’aidais dans sa boutique, il vend des instruments de navigation.

 - D’où le fait que tu sois apprentie navigatrice, dit Ileae. Ca fait quoi de voyager ? De découvrir autant de choses si différentes ? Et la mer c’est comment ?

 - Tu n’es pas la seule curieuse ici, rit doucement la grande vastaya. Elle n’arrête pas de poser des questions sur toi, ajouta-t-elle en désignant sa sœur de la main. Et n’a de cesse de parler de toi depuis que tu lui as filé un coup de main l’autre jour.

 - Ne dis pas ça… rougit Ileae, Johan m’aurait encore passé un savon si elle n’avait pas été là…

 - Celui-là, soupira Vira, il trouve le moyen de te faire exploser ses expériences au visage et te mettre ça sur le dos. Il finira par te blesser un jour.

 - Maria ne le permettra jamais, commenta Bell. C’est elle la maîtresse de maison, je suis convaincue qu’il a presque peur d’elle.

         L’image de l’armoire à glace freljordienne, élégamment vêtue, entrer dans une colère noire fit frissonner de concert les trois jeunes femmes. Je me demande si toute la fratrie Wajäard est aussi imposante, se dit-elle tandis que la cabine s’enfonçait plus loin dans la ravine.

 

***


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