Bell de Bilgewater

Chapitre 8 : Partie 2 - Chapitre 4

2935 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/05/2021 21:11

           Remous



         Alors que les premières lueurs du jour perçaient la brume matinale recouvrant les étendues de l’océan, un son brouilla la tranquillité de la vie qui flottait paisiblement. Le cor du capitaine retentissait, indiquant aux marins que la mer les appelait. Tout comme les autres, Bell émergea de son sommeil doucement, savourant la fin de sa première nuit sur le vaisseau de sa nouvelle vie. En sortant de son lit, elle trouva un petit mot de Cynthia sur la table, griffonné sur un bout de papier. La jeune femme s’était levée plus tôt et avait rejoint directement Nâmis à l’infirmerie, quant à la yordle, c’est Jenkins qui se chargerait de l’occuper pour ses débuts. Génial, un rendez-vous avec une chose frissonna Bell.

La jeune fille prit le temps de bien se préparer, elle se coiffa comme elle appréciait le plus : une queue de cheval derrière, et deux longues nattes sur les côtés, ainsi qu’un léger tressage des pointes autour de son visage. La yordle se regarda longuement dans le miroir, cherchant à vaincre le stress qui commençait à lui nouer le ventre en se concentrant sur ses cheveux d’un gris presque blanc. Cynthia a raison, mes yeux ressortent beaucoup. Dans son reflet, elle s’observa ses grands yeux dont le violet lui rappelait certaines fleurs que l’on retrouvait au sommet des arches de pierre de Bilgewater. Elle frotta son visage pour se revigorer, enfila ses bottes, et attrapa un second carnet qu’elle gardait pour y noter ce que lui enseignaient ses mentors. Je ne pense pas avoir besoin d’une arme pensa-t-elle en voyant sa sacoche en cuir trainer sur le lit, malgré la frousse que me colle le second. La yordle sortit en trombe de sa chambre, et se dirigea d’un pas dansant vers la salle principale. Je vais manger un bout de pain en attendant Jenkins.

         Une fois une collation récoltée, Bell se dirigea vers la salle des officiers. Passant par le pont, elle apprécia la caresse du vent matinal et le rayonnement du soleil sur sa fine peau blanche. Une fois dans la pièce, elle ferma la porte pour éviter le bruit et s’installa tranquillement sur l’une des caisses au bord d’une fenêtre. A l’intérieur régnait un bazar sans nom, allant des étagères pleines d’objets, de livres et de documents divers, aux tables recouvertes de toutes sortes de choses. Le désordre ici ferait faire un malaise à Papy, s’amusa Bell.

         Tandis qu’elle observait les vagues s’échouant doucement sur le navire au dehors, c’est une sensation de malaise justement qu’elle ressentit tout à coup. Son corps fut comme paralysé, elle perdit le contrôle de ses pensées. Un tapotement de bois régulier, accompagné d’un léger chuintement et d’un bruit que ferait un morceau de métal qui frotterait contre le bois parvint aux oreilles de Bell. Sans pouvoir se contrôler, la jeune fille sentit son corps se retourner lentement, entièrement tétanisé. Derrière elle, parfaitement immobile, se tenait une créature difforme, d’une ossature mi-bois mi métal, dont les lambeaux de tissu enchevêtrés seraient une peau décharnée, recouverte de vieux vêtements de forban délavés. Juste à côté du tricorne rapiécé qui lui servait de couvre-chef, une sorte de troisième bras auquel était accroché une lanterne s’agitait d’une manière de dire...

 - Coucou.

 

***

 

         Quittant son immobilité effrayante, l’étrange second recula de quelques pas, toujours en fixant Bell de son regard, du moins c’est l’impression que donnaient les lueurs vertes qui lui servaient d’yeux.

 - T’ai-je fait... peur... jeune fille ? croassa Jenkins, ne t’inquiète pas je... n’aspire pas à faire de mal à mes propres... camarades.

 - Qu’en est-il des autres gens ? dit la jeune fille qui recouvrait un peu de constance.

 - Je les aspire... tout court.

         Le second sembla trouver amusant son calembour, son corps fut parcouru de soubresauts. En voyant son béant sourire, Bell devina qu’il devait être en train de rire.

 - Qu’êtes-vous au juste ? brava la yordle

 - Très... impoli... ricana le second. Surveille tes manières...

         L’étrange être parlait très lentement, insistant sur chaque syllabe de ses mots, comme s’il pesait l’importance de chacun. Il allait et venait, grinçant et grattant, en tentant de ranger çà et là des objets divers qui pouvaient traîner, emmitouflé dans une longue écharpe verte enroulée autour de son cou décharné.

 - Je suis yordle vous le savez, mon espèce est rare mais je n’ai jamais vu quelqu’un comme vous. On entend de drôles de choses sur vous.

 - Je ne suis pas... une espèce. dit-il simplement. Je suis... en quelque sorte... un démon. Détends toi je ne... Mords pas.

 - Depuis combien de temps voyagez-vous ? demanda Bell en s’asseyant, encore moins détendue.

 - J’existe. Je ne sais... pas depuis combien de temps. J’ai vu... des endroits et des époques. Je peux t’apprendre...

 - Que souhaitez-vous m’enseigner ?

 - Nâmis te... dira. Il te montrera... le monde. Moi, je t’apprendrai à… le regarder.

         Le démon se traîna doucement vers la porte de sortie, ouvrit la porte et invita Bell à le suivre dehors. Elle serra son carnet contre elle, et le suivit jusqu’à la barre de navigation. Du plus haut pont, elle ne pouvait cependant rien distinguer qui perçait l’horizon bleuté.

 - Ton carnet... jeune fille. Dessine les... Les nuages.

         Le second leva un de ses bras crochus, et sembla pointer le ciel avec ce qui ressemblait être un doigt. Au-dessus d’eux, quelques nuages traversaient la voûte aérienne paisiblement. J’aimerais pouvoir voler moi aussi se dit Bell en les regardant glisser.

 - Qu’ont-ils de si spécial ces nuages ? demanda la yordle

 - Tous. Tous sont… spéciaux. Le temps… la mer, changent avec... Eux. Regarde les comme... Les vagues et... dessine les.

         Le regard de Bell sembla s’illuminer d’un coup, à mesure qu’elle comprenait d’elle-même l’importance de l’exercice.

 - Le vent est comme la mer ! s’exclama-t-elle. Les nuages nous permettent de distinguer les courants qui nous porteront.

         La jeune fille s’assit avec hâte sur une caisse posée non loin, ouvrit son carnet et griffonna ce qu’elle observait au-dessus d’elle, au loin. A ses côtés, le démon attendait tranquillement qu’elle lui montre chaque dessin afin de lui parler un peu plus en détail de la manière de voir et de comprendre chaque signe du ciel. Déconnectée du reste du navire, elle passa la plupart de ses journées à regarder le ciel en se posant des tas et des tas de questions.

         Jenkins, outre sa manière très spéciale de s’exprimer, était très peu loquace. Durant quelques jours il resta aux côtés de la yordle pour répondre à ses questions, respirant péniblement derrière son écharpe. Malgré le nombre de questions de plus en plus grand qui lui venaient, Bell préférait simplement dessiner. Le soir venu, Jenkins prenait congé, laissant la jeune fille manger, bien qu’elle se contentât souvent de quelques vivres qu’il lui apportait avant d’aller relayer le capitaine au commandement de nuit. Elle continuait ensuite de regarder le calme des vagues, hypnotisée par la beauté mouvante qui lui faisait face, jusqu’à rejoindre son lit, exténuée, alors que la plupart de l’équipage était déjà endormi depuis longtemps. Elle passa ainsi trois journées entières à observer comment le navire, les courants, la mer et les nuages se comportaient entre eux, parfois ponctuées d’un échange avec le démon, qui se contentait de regarder les eaux. Ce fut après quelques temps que son professeur qui rompit le silence de lui-même, baissant l’écharpe verte derrière laquelle il ne disait mot.

 - Nous en avons... Fini je pense, croassa l’épouvantail en se tournant vers la jeune fille.

 - Mais je ne sais encore rien ! paniqua Bell, j’ai juste passé trois jours à dessiner et interpréter je n’ai aucune idée de quoi faire ensuite !

 - Continue... Observe et consigne... sans jamais t’arrêter. Apprends.

         Il esquissa de nouveau un semblant de sourire avant de se retourner et d’aller vaquer à ses occupations, laissant la yordle seule. Quel drôle d’être, se dit-elle, mais qui sait ce que peuvent bien receler ses pensées… Elle continua cependant de dessiner tranquillement comme elle en avait pris l’habitude, dans son petit carnet relié de cuir.

 

***

 

         Alors que le dernier repas du troisième jour approchait, et que le second avait laissé Bell à ses dessins, ce fut Reiner Spert qui interrompit le fil de ses pensées en s’asseyant auprès d’elle.

 - Bonjour jeune fille, je vois que le démon à l’écharpe en a fini avec toi. Pas trop effrayée ?

         Pour toute réponse la yordle haussa les épaules, elle ne savait qu’en penser. L’infirmier tendit le bras et saisit le carnet de cuir posé sur les genoux de la future navigatrice. Il feuilleta rapidement les pages, et souffla d’admiration.

 - Dis donc tu as un sacré coup de crayon petite !

 - J’avais l’habitude de me promener dans les auteurs de Bilgewater, je dessinais souvent le port et la mer vu d’en haut.

 - As-tu toujours vécu dans l’archipel ? interrogea le médecin. Je veux dire, tu es une yordle c’est peu commun.

 - Je vivais avec mon Papy, il était marin avant, expliqua la yordle, mais il a cessé de voyager dans sa jeunesse et a rencontré mes parents un jour. Pour m’élever il est devenu marchand. Et vous ? Un de vos collègues disait que vous étiez de vieilles connaissances.

 - Jean Cadat, nous étions soldat il y a quelques années.

 - Et vous avez préféré quitter votre armée pour voyager ?

         Reiner s’assit lourdement avec la jeune fille en observant la mer et soupira.

 - Nos armées, oui. J’étais infirmier dans les rangs de l’empire noxien, je m’y suis fait enrôler par quelques amis, qui voulaient voir du pays. C’est peu après que j’ai fait la connaissance de Jean.

 - Vous savez vous faire des amis ?

         L’homme taciturne esquissa un sourire, en effet difficile d’imaginer un homme peu souriant comme lui fraterniser pendant un voyage avec des amis. Cependant, ce n’est pas de la nostalgie quelconque que la yordle vit dans les yeux de son interlocuteur. En son regard elle décela de la peine, les traits de l’infirmier laissaient apparaître une profonde tristesse malgré son sourire. Après une grande inspiration, celui-ci reprit la parole.

 - Lors d’une patrouille de routine, aux pieds des Monts d’argent dans la forêt silencieuse, nos éclaireurs ont croisé un détachement demacien, deux d’entre eux sont revenu à nous. Nous n’étions qu’un contingent d’exploration et de patrouille, nous n’avions pas à combattre. Cependant, à la nuit tombée, un groupe de cavalier nous a rejoint, il s’agissait de mages, traqués par l’armée demacienne.

 - Qu’avaient-ils fait ?

 - Ils étaient mages, répondit avec tristesse le médecin. Non pas qu’ils utilisaient la magie, mais leur potentiel magique existant, Demacia souhaitait leur mort.

 - Mais… C’est horrible…

 - Parmi eux se trouvait apparemment un mage particulièrement puissant, ce qui justifiait de la présence d’un corps renforcé de l’armée ennemie. Au matin, nos forces se faisaient face, l’ennemi nous accusait d’être responsable de la présence de ces mages sur leurs terres.

 - Noxus a orchestré la révolution en Demacia ?

 - Non, c’est un demacien qui s’est révolté, avec son peuple contre l’oppression de ses dirigeants. D’ailleurs, c’est ce qu’aurait dû faire l'officier ennemi, car tandis que la bataille s’engageait, c’est une troisième armée qui en a profité pour se joindre à nous.

 - Vous avez eu des renforts ?

 - Si seulement… En quelques minutes, ce sont des centaines de mages surentraînés qui balayèrent nos deux camps. J’ai entendu dire que des hauts placés de Demacia avaient orchestré cette bataille, mais ils l’ont perdu en beauté tout comme nous, nous ne savons rien là-dessus, et c’est très étrange du fait que cela leur a coûté une division entière de leurs troupes d’élite. La faction dissidente demacienne en a profité pour s'immiscer dans le chaos et prendre sa part du butin. J’ai vu nos rangs brûler sous les flammes et les éclairs, tandis que l’ennemi se battait contre des torrents et des monstres sortis du néant. La plupart des amis avec lesquels je m'étais engagé se sont fait massacrer, devant mes yeux, je n’ai pu en sauver aucun. D’ailleurs, on ignore même s’il y a eu d’autres survivants.

 - Est-ce la faute des demaciens ?

 - Nous ne saurons peut être jamais qui étaient les fautifs, soupira le médecin en se détendant, Jean était dans les rangs de Demacia, comme simple soldat. Lorsque je me suis abrité en attendant que les combats cessent, je l’ai trouvé blessé derrière un talus. Un mage isolé réussit à nous repérer, fort heureusement Jean même blessé eut le réflexe de lui planter un carreau dans le cou, il était redoutable à l'arbalète. Je l’ai soigné, puis il m’a aidé à chercher des rescapés, mais on en a trouvé aucun. Ce sinistre combat fut nommé la Bataille Silencieuse dans nos nations respectives. Jean m'avait accompagné à Noxus, mais lorsque nous sommes rentrés chez moi, on nous a accusé de désertion et condamné à mort.

         Reiner regardait la mer d’un regard vide, comme si ce dont il parlait était un lointain passé.

 - Depuis, continua soudain le médecin en retrouvant de l’entrain, nous nous sommes enfuis, gardant pour nous ce que nous avions vu. Nous ne nous sommes plus quittés, nous avons rejoint Bilgewater, nous sommes ensemble.

 - Vous avez connu la mère de Cynthia n’est-ce pas ? questionna Bell, curieuse.

 - Avant de trouver Morgan, j’ai tenté de rejoindre Tourmaline, dont la réputation m’était parvenue. Cependant, elle m’a refusé le droit d’apprendre d’elle. Me voici donc ici, termina l'infirmier en se levant.

 - Je n’aurais jamais imaginé que vous ayez vécu tant de choses… dit Bell gênée, mais merci de m’avoir raconté.

 - Tu sais jeune fille, nous sommes tous de Bilgewater maintenant, il n’y a pas un marin qui ait vécu paisiblement, dit-il en souriant, c’est d’autant plus vrai pour ton Papy et Morgan. Un jour à l’occasion, pose leur des questions sur comment ils ont rencontré Jenkins, et comment Morgan lui a offert sa fameuse écharpe.

         Sur ces mots, le médecin s’éloigna tranquillement, les mains dans les poches, retournant auprès de ses livres à l’infirmerie. Bell quant à elle, resta assise sur sa caisse face à la mer, et bercée par le son des vagues, esquissa ce qu’elle imaginait de la bataille qu’avait vécu Reiner. J’en parlerai à Nâmis, pensa la yordle, en revenant je raconterai ça à Papy, il doit en savoir des choses. La nuit approchante, elle décida de veiller un peu, avant d’aller se reposer. Demain elle devait passer un peu de temps avec le lieutenant Wajäard, qui devait lui montrer comment se servir de la dague offerte par son grand-père.

 

***


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