Bell de Bilgewater

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         Les planches de la passerelle craquaient sous le passage des nombreux marins, chacun chargé de lourds objets. A son extrémité, l’imposant navire flottait paisiblement, amarré aux quais agités de Bilgewater.

 - Des vivres pour le voyage, expliqua Nâmis en désignant les chargements, nous partons pour un peu plus de journées, nous devons emporter de quoi nourrir la cinquantaine d’hommes d’équipage.

 - C’est vraiment impressionnant, souffla Jay.

 - C’est peu dire, cependant dans une flotte ordonnée, comme celle de Noxus pour exemple, on en aurait le double.

 - Pourquoi n’avons-nous pas les mêmes moyens ? demanda Bell.

 - Parce que nous ne partons pas en guerre jeune fille, s’amusa le vieil homme, Noxus possède une flotte militaire, il leur est nécessaire d’avoir assez d’hommes et de vivres, dans le cas où il leur serait impossible de se ravitailler.

 - Pourtant nous ne sommes pas complètement désarmés n’est-ce pas ? intervint Cynthia.

 - Très bonne remarque Cynthia, nous devons être capable de nous défendre sur les mers comme sur terre. Le monde n’est pas sûr, et ce n’est pas parce que vous venez de Bilgewater que vos ennemis vous laisseront en paix.

         Arrivé sur le pont principal, Nâmis héla un groupe de loin. Le premier des marins s’approcha, un petit homme au visage jovial, accompagné d’une femme de même taille. Cette dernière, bien plus large que son camarade, avait le regard animé d’une lueur étrange, plus inquiétante encore si l’on ajoutait le sourire qui l’accompagnait.

 - Bell, commença Nâmis en se tournant vers la jeune yordle, je te présente Adam Granson, second lieutenant, il soutient Anna dans ses tâches, et voici Berthe Klar, major et responsable de l’armement du bâtiment, et de nos hommes.

 - Enchanté jeunes gens, salua le lieutenant, vous êtes donc les nouveaux arrivants !

 - Bell sera notre nouvelle navigatrice, expliqua le vieil homme, la demoiselle aux cheveux roses, Cynthia, secondera Reiner aux soins. Enfin, Jay sera aux côtés d’Anna, qui le prendra en charge. Berthe s’occupera aussi de te former, dit-il à ce dernier.

         La femme à l’inquiétant sourire s’approcha du jeune homme en le jaugeant.

 - On verra bien ce que je peux tirer de toi, dit-elle amusée, si tu n’exploses pas avant !

 - Ne les fais pas encore fuir, je te rappelle que le navire est à quai, lança Adam. Plus sérieusement, bienvenue à vous les jeunes, n’hésitez pas à nous demander de l’aide si besoin est. L’homme qui est là-bas, continua-t-il en désignant un marin qui dirigeait les autres, c’est Reiner Spert, il gère les ressources et l’infirmerie, il vous éclairera et pourra même soigner vos petits bobos !

- Je m’occupe de leur faire visiter les lieux, expliqua Nâmis, déposez leurs affaires dans leurs quartiers respectifs.

 - Bien monsieur, saluèrent en cœur les deux marins.

***

         Bell, Jay et Cynthia suivirent le vieil homme en montant sur le troisième pont. Ils s’arrêtèrent devant une porte, menant à la salle la plus haute du navire, en face de laquelle trônait l’imposant gouvernail.

 - Ici, commença Nâmis, nous sommes sur le troisième pont arrière, le plus haut. Devant vous se trouve la salle de navigation, ou le capitaine et ses lieutenants discutent des routes à emprunter. C’est ici que tu passeras une partie de ton temps Bell, dit-il à la yordle, ton rôle sera d’apprendre les compétences d’un navigateur pour qu’un jour tu puisses apporter conseil, voir diriger, certains voyages.

 - Comment serais-je formée à cela ? interrogea la yordle.

 - Je m’occuperais de la partie instruction culturelle, le second Jenkins viendra compléter mes enseignements, expliqua le sage.

         Devant le regard inquiet de la jeune fille, le vieil homme laissa échapper un rire.

 - Ne t’inquiète pas jeune fille, lui dit-il, son apparence d’épouvantail décharné n’affecte en rien ses qualités. Très bien descendons un peu !

         Avant de descendre les escaliers, Bell prit le temps d’observer les alentours. Du haut du navire, elle pouvait voir l’entièreté de la baie portuaire. Les quais fourmillaient de marins, certains en plein travail, d’autres simplement en permission allaient et venaient pour discuter avec les autres équipages. Elle pouvait apercevoir de loin Morgan, énergique, donner des ordres à ses hommes. Derrière lui se tenait son second, Jenkins. Même de loin, le personnage l’intimidait : une créature certainement magique faite de bois et de métal, recouverte de haillons de pirate, coiffé d’un tricorne noir délavé. Ses yeux luisant d’un vert fantomatique surplombaient une bouche que l’on croirait pouvoir dévorer votre âme, de laquelle sortait une voix caverneuse et croassante. Sa vision donna des frissons à la jeune fille, qui détourna le regard vers les hauteurs de l’archipel, préférant admirer les impressionnantes arches de pierres la surplombant.

 - Tu viens Bell ? l’interrompit Jay dont la tête dépassait de l’escalier, on t’attend pour la suite.

 - Oui j’arrive ! assura la jeune fille sortant de ses pensées.

         Elle descendit l’escalier derrière son ami pour rejoindre Cynthia et le vieux Nâmis dans une pièce du pont principal.

 - Ici nous sommes dans la salle des officiers, expliqua ce dernier, la gestion générale se fait ici, et au fond vous aurez accès à vos quartiers. Vous deux jeunes filles vous partagerez une cabine à cet étage, du fait de votre rang. En revanche jeune homme, dit-il à l’intention de Jay, vous serez à un autre niveau, avec d’autres marins, mais ne t’inquiète pas ils sont tout à fait sympathiques !

 - Qu’y a-t-il sur le second pont ? interrogera le jeune homme.

 - Actuellement ce sont les quartiers privés du capitaine Morgan, veillez à ne pas le déranger s’il s’y repose, répondit Nâmis, ainsi que les miens. Très bien, continuons ! s’enjoua-t-il en sortant sur le pont principal, sous nos pieds se trouve le corps principal du navire, serti de nos pièces d’artillerie. A l’arrière se trouve la salle des repas, où vous pourrez échanger avec tous les membres librement, mais surtout il y a deux repas par jour, dit-il avec amusement. Les cuisines sont juste en dessous, ajouta-t-il. A l’avant vous trouverez le niveau supérieur des quartiers des marins.

 - C’est là-bas que je serais installé ? intervint Jay.

 - Pas exactement, répondit le vieil homme, tu seras juste en dessous dans le niveau inférieur, avec d’autres jeunes marins. Tu es d’ailleurs tout proche de l’infirmerie en cas de besoin, précisa-t-il. Enfin viennent les soutes, où nous rangeons tout ce que vous voyiez au chargement ! termina-t-il. Avez-vous des questions ?

         Les trois jeunes recrues se regardèrent, mais aucun n’eut mot à ajouter sur la visite du navire. Nâmis laissa les jeunes filles rejoindre leur quartier afin de s’installer pendant qu’il guidait Jay aux siens.

***

         Une fois dans leur cabine, les deux jeunes filles s’attelèrent au rangement de leurs effets personnels. Chacune possédait une malle remplie d’outils divers, de navigation pour la yordle, contre des ustensiles et des livres sur les soins et magies aquatiques pour son amie, qu’elle aligna sur une étagère. En voyant celle-ci ouvrir sa seconde malle, Bell fit la moue en voyant les robes que Cynthia avait emportées.

 - Ne sois pas trop jalouse, la taquina celle-ci, une femme se doit d’être élégante !

 - Tu sais très bien qu’on ne trouve que peu de robes de ma taille, bougonna Bell, ou elles sont faites pour les enfants.

 - N’y pense pas trop, rigola la soigneuse, des vêtements de marins te vont bien mieux et te seront plus utiles.

 - Lors de notre escale je ferais en sorte de m’acheter de quoi attacher ma dague à la hanche, dit la yordle en sortant la lame, offerte par son grand-père, de sa sacoche. J’espère ne jamais avoir à m’en servir…

 - Elle est magnifique, admira son amie, mais ne t’inquiète pas, tu es navigatrice maintenant ! Tu n’aurais pas à te battre, dit-elle pour la rassurer.

         Après s’être installés, les jeunes filles rejoignirent leur camarade Jay dans la salle principale. En parcourant le navire, elles croisèrent divers marins, qui les saluèrent.

 - Tous semblent déjà nous connaître, souffla Cynthia gênée, c’est dérangeant.

 - Une perche en robe aux cheveux roses et une yordle, taquina Bell, je pense qu’ils sont au courant de nos identités.

         Nos deux jeunes filles passèrent sous le pont principal, longeant les flancs du navire, sertis d’énormes canons. Je n’aimerais pas me retrouver sous le feu de ces bêtes-là, pensa Bell, et dire que certains bateaux en possèdent près d’une centaine. Tandis qu’elles approchaient de la salle commune, elles entendirent la voix de Jay, ainsi que celle de deux inconnus. Celui-ci se trouvaient assis à une grande table avec deux jeunes hommes.

 - Bell ! Cynthia ! s’enthousiasma le garçon, je vous présente deux des personnes avec qui je partage ma cabine. Alid, Felix, voici Bell et Cynthia, deux amies d’enfance qui nous accompagneront ! Bell est même la nouvelle navigatrice, souffla-t-il au deux autres.

 - Enchanté, salua le plus jeune, je suis Felix, au nid-de-pie, c’est moi qui vous avertirai lorsque nous approcherons de nouvelles terres !

 - Je suis Alid, j’aide à la gestion des réserves, expliqua le plus vieux, et toi tu dois être la charmante soigneuse dont Reiner nous a parlé ?

         Le visage de la jeune fille vira d’un rose semblable à sa chevelure, visiblement gênée.

 - Reiner est un habitué de nos quartiers en ville, lui expliqua Jay, il connaît la réputation de ta mère, et est très honoré de former sa fille.

 - Et toi où va-t-on t’envoyer ? interrogea la Bell pour détourner la conversation de son amie, dont le teint tournait au rouge.

 - Je serais formé aux armes par Dame Wajäard, ainsi qu’à l’artillerie par la vieille Klar. Ils semblent avoir besoin de nouveaux harponneurs, ajouta ce dernier, deux camarades se chargeront de m’apprendre.

         Tandis qu’ils discutaient, le groupe fut interrompu par le son retentissant d’une corne de brume. Cette dernière annonçant le départ du navire, Bell s’empressa de sortir sur le pont, profiter une dernière fois de l’air de Bilgewater.

***

         Sur le pont, l’activité était à son paroxysme, chaque membre de l’équipage s’affairant à une tâche en vue du départ imminent. A la barre, l’effrayant second se tenait prêt à manœuvrer l’imposant navire, avec à ses côtés, le capitaine Morgan, braillant les directives à ses hommes. En contrebas, le Reiner Spert dirigeait les marins dans leurs tâches, secondé par un homme, plus discret. A leurs côtés, Berthe Klar était assise sur un canon, tapant joyeusement en rythme, semblait visiblement ravie de reprendre la mer. Elle déborde d’énergie, pensa Bell, je me demande si elle ne serait pas même plus vieille que Papy. Cynthia toucha l’épaule de la yordle, lui indiquant Anna Wajäard, prostrée fièrement sur la proue du Somua, aux côtés d’une énorme pièce d’artillerie offensive.

 - Nous devrions la rejoindre, lui souffla la jeune femme.

         La jeune Yordle s’élança, glissa agilement sur la rampe de bois. Sur le pont principal, elle esquiva habilement les membres de l’équipage affairés au déploiement des cordages. Les amarres larguées, l’imposant bâtiment de bois commença à s’éloigner doucement des longs quais taillés à même la roche. Sur ceux-ci, elle aperçut Baldassare saluer le départ de ses camarades, auquel elle répondit par de grands gestes des bras. Bon, il est temps de rejoindre Anna. Elle observa les marins nouer de complexes cordages, organiser le rangement des diverses caisses, briquer le pont et surtout, trouver un chant au rythme adéquat à leur humeur. Au-dessus d’elle, Bell vit les forts vents s’engouffrer et se lover au creux de la voilure du navire, prêtant sa force aux voyageurs pour qu’ils glissent lentement vers la grande mer.

 - N’est-ce pas magnifique ? dit une voix se faisant entendre par-dessus le brouhaha de l’équipage.

 - De quoi parlez-vous ? demanda la jeune fille, rejointe par Cynthia.

         Sur son promontoire, tenant un bout, Anna Wajäard semblait se délecter de la scène que la hauteur de la proue lui offrait.

 - Tout, tout est absolument magnifique, s’enjoua cette dernière, la vue des quais et de la ville de plus en plus lointaine, l’architecture naturelle de cet archipel, la lenteur avec laquelle nous sommes petit à petit entraînés de l’avant, rien ne saurait arrêter un marin qui voyage.

         Le regard du lieutenant Wajäard tourna son regard en direction des falaises, laissant aller au vent sa dense chevelure blonde.

 - Ce vent, continua la femme en se tournant vers les moussaillons, nous emmènera jusqu’à nos plus lointaines destinations jeunes gens, sa puissance à elle seule suffit à porter le poids des marins du monde entier. Retiens bien ceci Bell, insista-elle en se tournant vers la petite navigatrice, ces courants sont tout aussi importants que ceux opérant sous nos pieds, il te faudra les comprendre et les utiliser si tu veux un jour nous mener à bon port.

 - Comment suis-je censée utiliser quelque chose que je distingue à peine ?

 - Demande donc à ceux qui en sont capables, rétorqua Anna amusée, je ne suis pas navigatrice.

         Au-dessus de leurs têtes, les arches naturelles de pierres de l’archipel, hautes comme plusieurs centaines d’hommes, se courbaient, forçant le vent à les envelopper, détournant la force de l’élément. L’architecture complexe qui s’était taillée au fil des siècles à même la roche laissait chuter à ses pieds, sur les habitants, une douce mélodie d’air marin.

         Le lieutenant descendit d’un saut du canon sur lequel elle était, atterrissant d’un bruit sourd aux côtés de la jeune yordle. Cette dernière, impressionnante de par sa forte carrure et sa grande taille, s’agenouilla et sourit à Bell.

 - Mon travail jeune fille, sera de t’apprendre à te servir du cadeau de ton grand père, dit-elle à la future navigatrice. Le monde, et ses mers, ne sont pas des endroits où règne le calme, il te faudra parfois te défendre, quitte à devoir faire un choix entre blesser et être blessée. Montre-là moi, dit-elle en souriant.

         Bell s’exécuta, sortit la dague de la sacoche qu’elle avait dans le dos, et tendit son arme à Anna. Cette dernière la sortie de son fourreau, laissant échapper un léger chuintement. La lame d’un blanc léger étant ornée de complexes gravures accompagnant les dents finement ciselées dans la courbure.

 - Je retire ce que j’ai dit tout à l’heure souffla le lieutenant, cette lame est époustouflante, le travail qu’elle a demandé est bien loin de la plupart des artisans de Bilgewater, il me semble avoir déjà vu pareil style en Demacia. C’est une remarquable pièce que tu as ici petite, s’enquit-elle, mais sache qu’elle ne servira pas qu’à décorer, d’ici quelques jours tu apprendras à la connaître;

         Des pas pressés retentirent sur l’escalier menant à leur promontoire, en haut duquel apparut un Jay visiblement heureux de vivre son premier départ en mer.

 - Bell ! Cynthia ! s’exclama le garçon, nous sommes en mer !

 - Techniquement nous sommes encore au sein de l’archipel mon garçon, le railla le lieutenant en se relevant, mais notre entrée en mer ne saurait tarder.

 - Bien sûr Dame Anna, acquiesça timidement le jeune homme. Oh et sachez que le capitaine vous demande, ajouta-t-il.

         Le visage du lieutenant Wajäard se durcit d’un seul bloc, comme si tout son être était soudain passé à un état de forte contrariété.

 - Sais-tu nager matelot ? lança-t-elle durement.

 - B...bien sûr ! affirma Jay confus par le changement soudain d’humeur de son supérieur.

 - Alors écoute moi bien, articula lentement la guerrière, recommence encore une fois, une seule fois, à appeler une personne telle que moi Dame, et je peux t’assurer que tu passeras ce voyage accroché à un cordage lancé à l’eau en pleine mer.

         Elle se saisit de son sabre posé sur le côté, le posé lourdement sur son épaule, et s’éloigna furibonde.

***

 - Tu sais Jay, commença Cynthia en jouant avec une mèche de ses cheveux roses, tu devrais éviter de contrarier Anna.

 - Je ne vais tout de même pas m’adresser à elle comme à vous ? se plaignit le garçon.

 - Et pourquoi donc ? Elle est très jeune, d’après Nâmis elle n’aurait que quelques années de plus que nous.

 - Parce qu’elle fait deux mètres, qu’elle a les bras aussi larges que les canons du navire, et qu’elle est ma supérieure, énuméra Jay, je ne peux pas c’est tout.

 - Tu devrais pourtant, intervint Bell. Attends une seconde, je fais moitié moins de la taille d’Anna moi, je ne serais jamais une dame selon toi ?

         Devant le regard de son amie, Jay s’avoua vaincu et s’appuya à la rambarde en soupirant.

 - Un jour je serais une grande Dame tu verras, affirma la yordle, je connaîtrais des gens partout dans le monde, et je les présenterai à Papy.

         Aux côtés de ses compagnons, la jeune fille se mit sur la pointe des pieds. Elle jeta un dernier regard à Bilgewater qui l’éloignait lentement derrière eux. Au sein de celle-ci, son grand père attendrait son retour.

         Elle observa ensuite la mer qui s’étendait devant elle, calme pour le moment. Elle ne tarderait pas à s’agiter de même que son périple, du moins c’est ce qu’espérait la yordle. Elle ouvrit grand ses yeux, dont le violet tranchait avec le gris de sa chevelure. Elle sentit l’air marin sa fourrure et caresser ses grandes oreilles duveteuses.

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