Vaer aen birke - the Witcher

Chapitre 15 : Migration

3141 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 20/10/2024 17:45

Année 1275, Rédania, cité de Novigrad

 

Yaevinn s'approche avec circonspection des faubourgs de Novigrad. Depuis longtemps, son groupe de Scoia'taels s'est discrètement infiltrés parmi la population non-humaine vivant là et a petit à petit alertés et préparé la population pour une évacuation discrète. Ce n'a pas été tellement difficile, la voie entre les faubourgs et la Porte de la Gloire est garnie de buchers sur lesquels pourrissent les restes brulés de nombreux non-humains. La plupart des non-humains de Novigrad se sentent suffisament en danger pour vouloir partir, même avec l'aide de ceux qu'ils considéraient autrefois comme des terroristes. Le bel elfe aux cheveux noirs réprime un haut-le-cœur quand l'odeur agressive des cadavres assaillit ses narines. Barbares,ils payeront pour ça, pense t'il furieusement. Mais pour l'heure il a une mission plus importante.

Encapuchonné, Yaevinn s'approche de la Porte de la Gloire l'un des deux accès à la ville proprement dite depuis les faubourgs. Une file d'attente s'y trouve déjà, paysans, marchands, membres de guildes, petite noblesse, tous sont examinés scrupuleusement par les Gardes du Temple, le bras armé du Bureau de Sécurité de Novigrad. Armés d'épées et d'hallebardes, la Garde scrute toutes les autorisations et laissez-passer.

Yaevinn ne peut malheureusement passer par cette voie-là. En dehors du fait qu'il est un scoia'tael leader recherché dans tous les royaumes du Nord, les contrôles pour entrer dans la cité ont sévi et il est désormais impossible pour la plupart des non-humains d'entrer ou de sortir de la cité. Par bonheur, il existe bien d'autres voies permettant d'entrer dans la ville, pour peu qu'on ne soit pas trop attaché à la propreté de ses bottes. Yaevinn se détourne de la route pour suivre la rivière qui longe la partie sud de la ville. De là, il se met à marcher jusqu'à trouver ce qu'il cherche, une bouche d'égout qui se déverse dans la rivière. La bouche est fermée par une grille mais celle-ci contient une porte qui peut être ouverte par quiconque possède la clé. Yaevinn s'arrête devant l'égout et émet un long sifflement puis un court puis un long suivi de deux sifflements court et un long qui se termine sur une note.haute. Il attend anxieusement à la porte, conscient des nombreux gardes et des chasseurs de sorcières qui patrouillent les faubourgs à la recherche de non-humains au comportement suspect. Mais enfin, une ombre bouge dans le noir et un nain avec une petite coiffe et un gilet entre dans la lumière. Il examine Yaevinn de haut en bas avant d'ouvrir la grille avec une clé.

– Par-là, fait-il d'une voix bourrue. Surin vous attend.

Carlo Varesee, alias Surin, était l'un des grands pontes de la pègre locale, l'un des Quatuors du Syndicat, le gouvernement officieux de la ville du Saint Feu Éternel. Yaevinn ravale son dégout quand ses belles bottes en peau de daim pénètrent dans le purin des égouts. Il suit le nain à travers un dédale de longs tunnels, éclairés par des torches et d'où s'écoulent les immondices de la ville. Ils finissent par sortir à l'air libre dans le coin sombre d'une ruelle déserte. Sans un mot, le nain fait signe à Yaevinn de le suivre et ils s'engagent à travers de nombreuses petites rues, s'arrêtant occasionnellement pour laisser passer une patrouille. Autour d'eux, la vie bat son plein, des enfants jouent dans la rue à Tue-l'Elfe, des femmes lavent ou battent leur linge pendant que les hommes travaillent ou jouent aux dés. Dans les recoins les miséreux et les réprouvés de la cité mendient pour quelques pièces dans l'espoir de s'offrir un verre ou une dose de fisstec pour oublier un instant leur vie de misère. Sans un regard, le nain continue jusqu'à une plus large rue qu'il remonte en trottinant. Il oblique sur sa gauche et remonte plusieurs petits escaliers flanqués de parterres de fleurs. Ils arrivent à une vaste place presque vide où trois grandes arches soutiennent une rue. Un peu plus loin se dresse un élégant pavillon où jouent des musiciens et jongleurs pour le plus grand plaisir de la noblesse locale. Le nain continue sur sa lancée et passe sous les arches, droit vers un long et large couloir de briques. Dans la lueur rougeoyante des torches apparait une porte à doubles battants entourés d’alcôves où s'abritent d'élégantes statues de femmes peu vêtues. Le guide toque à la porte. Un moment plus tard, celle-ci s'ouvre sur un petit homme chauve et aux traits rondelets. Il échange un instant avec le nain avant de lever les yeux vers Yaevinn, toujours dissimulé par sa cape. L'homme hoche la tête et fait signe à l'elfe d'entrer. Une chaleur moite bondissent au visage de l'Aen Seidhe.Sous un dôme richement sculpté, soutenu par de hautes colonnes, s’alignent des bains luxueux, les parties privatives délimitées par d’élégantes palissades de bois. Des rires féminins s’élèvent dans la vapeur parfumée et le brouillard des braséros.

– Si messire veut bien se donner la peine, vous pourrez vous changer dans la pièce suivante, fait l'homme rondouillet

– Me changer ? Demande Yaevinn, perplexe.

– Eh bien oui messire, cela se fait dans les bains publics, explique patiemment l'homme. Vous pouvez laisser vos affaires ici, à ma charge.

– Mais il n'en est pas question, s'insurge l'elfe. Je ne suis pas ici pour prendre un bain mais pour rencontrer Carlo Varese, Surin...

– Monsieur Surin se trouve déjà à l'intérieur dans le pavillon le plus select des bains. C'est ici qu'il tient la plupart de ses rendez-vous et conclut ses marchés. Si vous désirez le rencontrer, vous allez devoir déposez armes et armures et aller le voir avec une simple serviette.

Les yeux marrons de Yaevinn étincèlent mais l'homme se contente de lui rendre son regard, indifférent. L'elfe pousse un soupir avant de dégrafer sa cape et son habit de cuir. Bientôt, il se retrouve nu comme le jour de sa naissance et accepte avec des grognements, la serviette que lui fournit le serviteur. Il l'enroule autour de sa taille et s'introduit dans les bains. La brume chaude est bien plus compacte ici et limite le champ de vision. Partout, des hommes et des femmes en serviette se prélassent dans les bains ou se détendent sur les marches et les bancs. Les torches jettent de brillants reflets sur Yaevinn, mettant encore plus en valeur son corps musclé et imberbe. Autour de lui se font entendre des soupirs d'envie et il sent sur lui des regards brûlant de désir ou de jalousie. Au plus profond de l'établissement se dresse une grande cuvette de pierre emplie d'eaux. Tout autour se trouvent plusieurs nains au corps tatoué et parer de nombreux bijoux. Yaevinn repère facilement Surin, le nain au corps le plus tatoué, flanqué de deux naines, probablement considérées comme des beautés par les standards de leur espèce. D'un geste, Surin fait signe à l'elfe de prendre place devant lui. Peu pudique, Yaevinn retire sa serviette avant de s'introduire dans l'eau et la pose non loin de lui.

– Salut, elfe, lui fait le nain à la crête brune, J'espère que la température de l'eau est bonne ?

– Oui elle l'est, répond Yaevinn en se mouillant le cou.

Les naines gloussent avec un timbre de voix très grave. Elles n'accordent qu'un bref regard à l'elfe un peu dédaigneux avant de se reconcentrer sur Surin.

– Bien, maintenant dites-moi ce qui me vaut la visite d'un chef Scoia'tael. Vous êtes là en tant que... représentant, c'est cela ? De ce Hen Uniade ?

– En effet, vous en avez entendu parler ? Une alliance des Races Anciennes pour en finir avec l'oppresseur humain...

– Épargnez moi vos plaidoyers grandiloquents, fait Surin en levant une main. Vous autres Scoia'taels ne faites que remuer une merde déjà nauséabonde. Vos attaques sur les convois sont une attaque sur les profits commerciaux. Mes profits. J'ai accepté de vous rencontrer seulement par curiosité. Maintenant dites ce que vous avez à dire et ça a intérêt à valoir mon temps sinon vous ressortirez de ces bains à coup de pieds dans le derrière, à poil. Je suis sûr que la Garde sera ravie de mettre la main sur un des chefs terroristes recherchés dans tout le Nord. Vous ferez plus ample connaissance avec les instruments de torture des Chasseurs de Sorcières, il parait qu'ils en ont une vaste collection. Après quoi vous finirez émasculé sur la place publique et pendu comme le bandit que vous êtes.

Yaevinn ne se laisse guère impressionner. Carlo Varese est loin d'être le premier chef de gang qu'il rencontre et ni l'entretien le plus périlleux de ceux qu'il a menés.

– Je suis ici pour vous proposer une alliance, une aide mutuelle. Vous n'avez surement pas manqué de remarquer les cadavres qui pendent aux arbres ou attachés aux bûchers. Les fanatiques du Feu Éternel ont commencé la purge dont ils rêvent depuis des années et cela va vite s'étendre dans tous les royaumes du Nord...

– À cause de vous tout ça, fait Surin en abattant son poing dans l'eau, délogeant une des demoiselles accrochées à son bras. Vous avez commencé une guerre, une insurrection et c'est mauvais pour les affaires. À cause de vous, les humains sont sur des charbons ardents, vous êtes responsable pour ces bûchers et notre situation précaire.

– La situation était déjà précaire avant et vous le savez. Certes, nos actions dans le sud ont certainement précipité les choses mais vous savez tout comme moi qu'ils avaient toujours prévus de se débarrasser des non-humains. C'est la raison de ma présence ici. Vous savez qu'ils s'attaqueront un jour ou l'autre à votre gang, votre mainmise sur les marchés véreux ne vous protégera pas des fanatiques. Les dirigeants d'Hen Uniade avaient prévu cela. En ce moment même, la Scoia'tael évacue des communautés non-humaine vers nos nouvelles terres, vers Temeria et Aedirn. Nous comptons le faire ici aussi mais l'entreprise est... délicate. C'est le centre de tout le continent et le cœur du fief du Feu Éternel. Il y a près d’un millier de non-humains, évacuer discrètement une telle population ne sera pas facile.

– Et donc vous comptez sur mon aide ? Et je suis supposé vous la fournir comme ça, charitablement ? Vous m'avez pris pour une foutue bonne sœur de Melitele.

– Hen Uniade est prêt à vous payer en échange de votre aide.

– Ah voilà qui sonne mieux, fait le nain les yeux brillants. J'ai en effet constaté que les chiens de l'église deviennent de plus en plus téméraires. Je pense qu'il est en effet temps de déplacer mes affaires. Je vous aiderai en échange d'or en brut, disons deux lingots par tête que je vais évacuer.

– C'est une sacrée somme, proteste Yaevinn

– C'est le prix de mon aide, sans discussion, affirme Carlo Vasere fermement. Et encore une chose, ni moi ni mes gars ne repartiront pour Mahakam, tenez-le-vous pour dit. Je n'ai pas quitté cette fosse à purin pleine de traditions fossilisées pour y retourner la queue entre les jambes. Jamais, vous m'entendez ?!

– Cela a également été pris en compte, Brouver Hoog n'est pas très enclin lui non plus à accueillir les nains exilés. Il reste encore des colonies actives de Mahakam comme Vergen dans la vallée du Pontar. Vous pourrez vous installer là-bas. Vous serez à la lisière entre le nouveau royaume des Aen Seidhes, Kaedwen et Mahakam. Nous ne comptons pas rester en guerre avec les humains perpétuellement. À un moment donné ou un autre, la paix sera rétablie. Vous serez dans une position commerciale de choix, entre Kaedwen et le reste des royaumes de Hen Uniade. Qui sait, vous pourrez même obtenir une fonction officielle.

– Si cette fonction m'empêche de mener mes affaires comme je veux, je m'en cogne le coquillard. Mais je suis d'accord sur le reste. Amenez moi l'or que je réclame et je vous aiderai à évacuer ces pauvres rejetés de la société. Maintenant, dites-m’en plus sur vos projets d'évacuation.

 

 

Année 1275, Rédania, les faubourgs de Novigrad.

 

 

Angvach regarde distrait la nuit qui tombe par sa fenêtre, comme si le monde perdait lentement ses couleurs pour se fondre dans un noir profond. Attablés avec lui sa femme, Lisa et ses deux enfants mangent une maigre soupe avec un quignon de pain. Son plus jeune ne manifeste qu'un intérêt distant pour sa nourriture, préférant jouer avec sa cuillère, qu'il laisse retomber bruyamment dans son assiette, répandant du liquide un peu partout. Angvach est sur le point de le réprimander pour gaspiller la nourriture quand plusieurs petits coups sont frappés à sa porte.

– Qui est là, demande t'il en se levant aussitôt, son couteau en main.

– Angvach, ouvre, c'est moi, Vaeniel. Lui répond aussitôt une voix rendue sourde par le bois.

– Vaeniel ?

– Oui, au nom des dieux, laisse-moi entrer.

L'elfe se lève et ouvre la porte. Sur le seuil se tient un autre elfe aux cheveux blonds et vêtu d'une tunique de lin qui a connu des jours meilleurs. Son compatriote se précipite à l'intérieur.

– C'est un peu tardif pour une visite, fait remarquer Lisa en se levant. Qu'est ce qui t'amène ?

– Des affaires pressantes. Angvach, je dois te dire, Baenock m'a fait part d'une affaire importante et tu es l'un des derniers que je dois informer. Il regarde soudainement autour de lui comme effrayé qu'il puisse être écouté avant de reprendre d'une voix plus basse. Il va y avoir une évacuation, un exode de tous les non-humains de Novigrad. Les anciens ont rencontré des membres de la Scoia'tael -non, je sais, laisse-moi finir- Ils ont un plan pour évacuer tous les non-humains avant le retour de Radovid.

– C'est insensé, une évacuation ? Des Scoia'taels ? Qu'est-ce que tu me racontes, Vaeniel ?

– Ni plus ni moins que ce qu'on m'a dit et crois moi j'ai du mal à y croire moi aussi. Nous sommes supposés partir dès demain soir avant que les pontes du Feu Éternel se rendent compte de ce qui se passe. Les Scoia'tael vont nous escorter vers une ancienne ruine Aen Seidhe qui contient un portail endormi. Ils ont un Sage parmi eux qui va réactiver ce portail pour nous permettre d'évacuer vers Dol Blathanna où nous serons en sécurité.

– Demain soir ? Ça nous laisse fort peu de temps pour nous préparer. Qu'est-ce que les Anciens en disent ?

– Ils ne sont pas ravis, tu penses mais ils disent que c'est la meilleure chose à faire. Les rafles sont de plus en plus nombreuses, ils craignent que bientôt les humains ne s'embarrasseront plus de prétextes pour jeter les nôtres au bucher. Le Sage qui accompagne la Scoia'tael affirme que ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils ne nous tuent jusqu'au dernier. Je suis censé faire passer le mot discrètement dans les familles, vous êtes parmi les derniers.

– Très bien, je... Lisa, commence à préparer des baluchons, les enfants...

– Oui, euh, fait Vaeniel, embarrassé. Je suis aussi chargé de te dire que Lisa ne peut pas être du voyage.

– QUOI ?!

– Doucement, moins fort. Les anciens disent que ce sera trop dangereux pour elle dans la vallée. Beaucoup d'elfes ne sont pas aussi... amicaux que moi envers les humains. Les anciens disent que seul toi et les enfants peuvent venir.

– Non mais ils ont perdu la tête ? Il est hors de question que je laisse ma femme toute seule ici. Et si les Chasseurs de Sorcières s'en prennent à elle ? Ce ne serait pas la première qu'ils s'attaquent à quelqu'un pour avoir eu des relations mixtes. Je ne partirai pas sans elle.

– Si, tu vas devoir, Angvach, pense à tes enfants, c'est le plus important. Je dois repartir, j'ai encore des familles à prévenir. Je t'en prie, Angvach, prépare tes affaires, n'emporte que le strict minimum, pense à tes enfants.

Sur ce, l'elfe blond ouvre la porte et se glisse dans la nuit, laissant derrière lui le couple désemparé.

– C'est impossible, je ne peux pas faire ça... murmure l'elfe.

Sa femme lui prend la main, douce mais ferme, ses yeux ronds brillants d'amour.

– Si, Angvach, il le faut, tu le dois. Vaeniel a raison, les clercs du Feu Éternel sont de plus en plus violents, les Chasseurs de Sorcières s'en prennent aux gens avec impunité dans la rue, personne ne proteste ou ne peux protester. Ils se sont arrogé tous les droits et les non-humains sont leurs nouvelles cibles depuis qu'ils ont fait partir tous les mages. Je refuse que mes enfants finissent sur un bucher parce qu'ils ont les oreilles un peu trop pointues.

– Mais... et toi ? Proteste faiblement Angvach

– Je m'en sortirai. Je retournerai à la maison de mes parents. Mon père sera ravi que je me sois enfin débarrassé de toi et des petits. Angvach, je t'en prie, je vis dans la peur, chaque jour, je crains que l'on vienne briser la porte pour vous emmener toi et les enfants vers le bucher, c'est la meilleure solution, la seule solution. Je vivrai bien plus heureuse seule en vous sachant en sécurité loin d'ici plutôt qu'avec moi en danger.

L'elfe ne répond pas à sa femme, les larmes coulant sur son visage, laissant deux stries humides derrière elles. Il empoigne sa femme et l'embrasse passionnément, désespérément. Alors qu'ils s'écartent un peu de l'autre, Lisa sent une main tirer sa manche. Sa fille ainée est là en train de pleurer de manière fort laide, l'eau s'échappant de ses yeux à gros bouillons.

– Maman, dit-elle d'une voix désespérée. Je t'en prie maman, ne nous laisse pas, s'il te plait...

– Je ne vous laisse pas, ma fille dit Lisa en prenant ses enfants dans les bras. Je ne vous laisse pas, quoi qu'il arrive, je penserai toujours à vous et vous garderait proche de mon cœur. Même quand tu ne me verras pas, je serai là, mon amour, ma petite Sarriette.

Angvach enlace sa famille dans ses grands bras, pleurant de plus en plus et en priant les dieux que sa famille puisse se réunir un jour. Son vœu ne devra jamais se réaliser.

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