Vaer aen birke - the Witcher
Année 1275, Dol Blathanna, Fidhail
L'hiver bat son plein dans la Vallée des Fleurs, les étoiles brillent dans le ciel nocturne telles des diamants sur un tapis sombre et la Vierge de l'Hiver entame la dernière part de sa danse saisonnale. Une fine brise balaie la capitale elfique de son souffle glacial. Sous la lueur argentée de la lune, les palais de marbre miroitent d'étincelles spectrales, des ombres de leurs pinacles retentissent les hululements de chouettes tandis que les branches craquent dans la brise. Des sons encore plus étranges résonnent parfois, loin au plus profond des bois que les elfes laissent sauvages, tels des caquètements déments, des rires légers ou un rugissement. Une fumée s'élève vers le ciel, d'un feu allumé par aucun elfe.
Mais les Aen Seidhes dorment sereinement dans leurs palais au sein de leurs jardins car la ville est protégée de sortilèges et les sentinelles de la vallée sont vigilantes. Tous, toutefois, ne sont pas assoupis. Au sein du palais ducal, éclairé par de petites lumières magiques, Francesca Findabair veille encore. Elle traverse précipitamment les couloirs de sa demeure, vêtue d'une robe vite mise, quelques bijoux et colliers lévitent derrière elle tandis qu'elle tente de mettre de l'ordre dans sa chevelure. On n'a pas idée... en pleine nuit ! Si ça ne tenait qu'à moi... Enfin, ce n'est pas le genre de convocation qu'on peut refuser.
Elle arrive rapidement devant la porte des appartements de Ida Emean. D'une formule, ses boucles d'oreilles se posent d'elles-mêmes tandis que son collier s'enroule autour de son cou. Un faible glamour pour effacer toutes traces de fatigue et les plis de ses vêtements. Francesca prend le temps de reprendre le contrôle de sa respiration avant de frapper. Peu de temps après, la porte s'ouvre sur Ida, vêtue d'une robe jaune et verte sans prétention avec pour seul accessoire un collier muni d'une unique perle translucide. Impossible de deviner si elle sort du lit ou non.
– Tu es là, bien. Salue la Sage à sa manière habituelle. D'un geste, elle l'invite à l'intérieur. Elles nous attendent dans mon laboratoire. Qui donc ? pense Francesca, un peu déboussolée. Attends... Est ce que ça pourrait être ...?
Le vestibule et l'appartement sont à l'image de leur propriétaire : simples, humbles, garnis de décorations discrètes naturels tel quelques plantes ou des étagères avec des coraux ou de l'ambre. Sur le plus grand mur est peinte une fresque représentant la mer que Ida aime tellement, ses vagues, dans lesquelles jouent dauphins et sirènes, si réalistes qu'on s’attend presque à ce qu'elles s'écrasent dans le salon. Des sièges et une table de bois trônent au centre, prêts à accueillir les rares personnes que la Sage invite dans son intimité. Des portes, délicatement ouvragées, donnent accès à d'autres couloirs ou pièces, certaines réelles, d'autres non.
Ida pose la main sur l'une des portes en marmonnant une incantation. La porte s'illumine doucement un instant avant de s'ouvrir. Les deux femmes empruntent un escalier qui descend profondément dans le sol. Elles arrivent dans une caverne, creusée par magie, à l'aspect bucolique. Une petite cascade descend le long du mur le plus éloigné dans une rivière qui s'écoule le long de la caverne avant de s'engouffrer dans une ouverture dans la roche. De la mousse et des plantes décorent les murs,éclairer par d'autres lumières magiques. Le sol est recouvert d'une herbe courte et douce, idéale pour les pieds nus de la Sage. Sur une grande plateforme rocheuse, se trouve le laboratoire d'Ida, parsemé de tables d'auscultations, d'outils étranges et de bibliothèques. Au centre se trouvent trois appareils, des megascopes, disposés en cercle, chacun ornés de loupes et d'un diamant au sommet. Et au sein de ce cercle se tiennent deux femmes.
Seules de légères fluctuations laissent deviner qu’il ne s’agit que de projections, parfaitement détaillées et colorées comme si elles étaient présentes dans la pièce. L'une des femmes, brune, a une plume de chouette dans les cheveux. Elle est richement vêtue et maquillée, un bandeau lui recouvre entièrement les yeux. L'autre est habillée d'élégants vêtements noirs et blancs et d'un léger maquillage qui rehausse ses magnifiques yeux violets. Même à travers la projection, Francesca peut sentir la douce fragrance de groseille et de lilas.
– Dame Phillipa, dame Yennefer. Salue Francesca d'un élégant mais rapide mouvement du buste avant de se tourner vers la dernière. Triss nous avait apporté la nouvelle de ta mort, Yennefer, lors du pogrom de Riv contre les Non-humains. Que ta protégée, accompagnée d'une licorne, avait emporté ton corps et celui de ton sorceleur bien-aimé dans une barque. Et que vous aviez disparu en traversant une mystérieuse brume qui s'est levée sans prévenir au beau milieu de la journée. Un véritable conte de fée.
– Oui, répond Yennefer de ce ton légèrement moqueur que Francesca lui connait bien. J'ai eu l'occasion d'entendre plusieurs rapports, et ballades, sur ma... disparition.
–Et voilà que tu nous reviens d'entre les morts. D'une façon bien spectaculaire, tu fais ton retour dans le Nord dans la suite de l'Empereur de Nilfgaard lui-même en tant que sa conseillère. Et Geralt, le Loup Blanc, que tout le monde affirmait positivement s'être vidé de son sang sur le sol du quartier non-humain à Riv, est lui aussi revenu il y a quelques années, en parfaite santé quoique souffrant, dit on, d'une complète amnésie, incapable de se souvenir de son passé ou de ce qu'il s'est passé après cette disparition des plus mystérieuses. Et toi, ma chère Yennefer ? Souffres tu d'un mal semblable ? As tu perdu tout souvenir ?
– En effet mais comme tu pourras le constater, j'ai récupéré.
Les deux femmes se jaugent un moment, Bleus océans contre violet enflammés. Et puis, Francesca sourit.
– Eh bien, crois le ou non, Yennefer, mais j'en suis ravie. Nous ne nous sommes pas quittées en bons termes mais je suis néanmoins ravie de te savoir en vie. J'espère que tu me raconteras ce qui t'est arrivé ces dernières années.
– Un extraordinaire conte, intervient la femme aveugle, mais un que nous n'avons pas le temps de raconter maintenant. J'apprécierais que nous abordions l'affaire qui nous amène.
– Phillipa... Dit Francesca en se tournant vers elle. Horreur et pitié se disputent la place dans son regard. J'ai entendu des rumeurs sur ce que Radovid t'as fait, c'est...
– Barbare, en effet, réplique la magicienne brune d'un ton sec. Mais ce n'est pas le sujet de cette rencontre. Quoique, sois en assurée, ce petit ingrat recevra ce qu'il mérite. Pour l'heure, il y a plus pressant. J'imagine que Dame Emean t'as parlé de sa dernière entrevue avec Yennefer, de ce à quoi nous faisons face et des enjeux ?
– Dearg Ruadhri... la Chasse Sauvage, Fait la duchesse dans un murmure.
– En effet. Yennefer ici présente, compte embusquer la Folle Escapade afin de faire cesser la menace qu'ils représentent sur sa fille, Ciri. Mais elle ne peut le faire seule. Aussi, sur son bon conseil, l'Empereur de Nilfgaard offre à la Loge des Magiciennes son pardon en échange de notre aide pour protéger l'Enfant de Sang Ancien. Nous sommes tenues de retrouver la marine nilfgaardienne près de Undvik dans l'archipel de Skellige...
– Attends un instant, l'empereur recherche toujours l'Enfant du Destin ? Au point de se mesurer à la Chasse Sauvage, ce cortège de spectres et de malédictions ? Et pourquoi à Skellige ?
– L'empereur a des... intérêts dans la protection de Ciri, Déclare Yennefer sur un ton des plus amers. Il tient à la protéger presque autant que moi. Et Francesca, nous savons toutes deux que la Chasse Sauvage n'a rien de spectral. Je suspecte même, poursuit elle en regardant l'elfe dans les yeux, que vous le savez toutes deux depuis bien plus longtemps que moi.
Les elfes ne répondent pas.
– Quand à pourquoi Skellige, reprit Phillippa, c'est tout simplement parce que c'est là que se trouve la marine Nilfgaardienne et l'île d'Undvik est presque complètement déserte. Un extraordinaire concours de circonstances ou bien le destin. L'endroit ainsi que le plan ont été suggérés par un Sage que je n'avais jamais vu. Peut-être une connaissance à vous, dame Emean ?...
– J'en doute fort, Dit l'elfe rousse, imperturbable.
– Quoi qu'il en soit. Le plan est ainsi. Nous attirerons la Chasse sur Undvik en nous servant de Ciri comme appât. Nous, les magiciennes, formerons un sort de protection contre la magie de la Traque et les empêcherons de se téléporter. Triss, Margaritta Laux-Antille se trouvent déjà sur place avec nous. Geralt de Riv et l'armée nilfgaardienne s'occuperont d'élimer la menace une bonne fois pour toutes. En retour, l'empire nous offrira sa protection contre Radovid. Alors, mesdames, je vous le demande, quand serez vous prêtes à partir ?
Les deux elfes se consultent du regard. Ida émet un simple hochement de tête résigné.
– Jamais, j'en ai peur, dit Francesca. Je ne peux tout simplement pas laisser mon royaume, pas avec la guerre juste à nos frontières. Mes sujets ont besoin de moi maintenant plus que jamais.
– Vous êtes magiciennes et membres de la Loge, objecte Philippa, calmement. Vous devez loyauté à ses buts, à la protection de la magie. C'est votre devoir d'intervenir. Sans cela, vous vous retrouverez sans protections contre nos ennemies, rappelez vous, Radovid a juré la perte de la Loge.
– La Loge n'est plus. Elle a disparu à Loc Muinne quand toutes nos petites machinations ont été dévoilée au grand jour. Tous nos petits mensonges nous ont éclaté au visage comme du fumier et ce fut la débandade depuis lors. Depuis la déclaration des Chasses aux Sorcières. Vous parlez de Triss et Margaritta, c'est bien. Qu'en est il de Sheala de Tancarville ? De Keira Meitz ? D'Assire var Anahid et Fringilla Vigo ? Ou est Sabrina Glevissig ? Soit mortes, soit disparues. Quant à moi, je dois me concentré sur un devoir tout aussi important et bien plus présent, la protection de mon peuple. En d'autres circonstances, j'aurais accepté, ou du moins, je souhaite que j'aurais pu acceptée... mais je ne peux tout simplement pas abandonner mes sujets en temps de guerre. Pas même pour quelques jours.
– Aep D'yaebl avec les circonstances ! S'exclame Yennefer, la voix soudainement aussi froide que la Reine de l'Hiver, les traits durs. Ma petite fille est en danger, le monde même est en danger. La Chasse menace de l'envahir et vous Aen Seidhes, ne comptez pas faire un geste pour le défendre ? Ce n'est pas votre monde après tout, donc vous ne lui devez rien ? Ces terres vous ont accueillies alors que vous erriez comme des enfants ayant perdu leur foyer et c'est comme ça que vous lui montrez votre gratitude ? Après vous être si souvent vantés à quel point vous preniez soin de la nature, mieux que toute autre race ?!
– Mon peuple, fait Francesca, sans reculer ni céder, a largement prouvé sa gratitude envers ces terres. Nous y avons vécu en harmonie pendant près de 2000 ans et pas une fois avons nous été ennuyés par des pétitions de druides ou de Nymphes contrairement aux rois humains. Et tu veux que nous nous précipitions au secours de ta fille adoptive, Yennefer ? Qu'en est il de celles qui sont à ma charge ? De toutes les familles qui peuplent Dol Blathanna ? Si je te demandais d'abandonner Ciri au péril pour venir les protéger eux, le ferais tu ? Ces elfes m'ont choisie comme suzeraine parce qu'ils ont foi en ma capacité, en ma volonté de les défendre. Je ne peux leur faillir, Yennefer, jamais. Je suis responsable d'eux et j'ai déjà bien trop sacrifié pour leur sécurité pour prendre des risques maintenant.
Yennefer ne répond rien mais la colère fait briller ses yeux tels deux flammes violettes.
– Et vous, dame Emean ? Prend la parole Philippa. Sûrement, Dol Blathanna n'as pas autant besoin de vous que de sa duchesse.
–Non, répond Ida laconiquement. Aucune explication, aucune accusation, un simple refus.
–... Soit, nous ferons donc sans vous. Dit Philippa, le visage dur comme le marbre. Il y aura toutefois des conséquences à tout ceci. Si Radovid franchit les frontières de Dol Blathanna, ne comptez pas sur notre aide.
Et sur ces sinistres paroles, les deux femmes disparaissent et les megascopes perdent leur éclat. Les deux elfes ne bougent pas, contemplant en silence l'espace où se trouvait les deux magiciennes.
– N'aurions nous pas pu... N'y a t'il rien qu'on puisse faire ? Demande Francesca d'une voix légèrement tremblante.
– Pas avec la guerre à nos portes, ni avec celle que nous préparons. Lui répond Ida, bien plus posée. Ni contre eux, contre la Chasse. Nos peuples ont divergé depuis longtemps mais il n'en reste pas moins tabou de faire couler le sang d'un cousin.
– C'est tout de même un acte de cruauté, dit Francesca, qui se frotte le front, fatiguée. Et la petite Ciri... Je me souviens d'elle à Montecalvo, elle m'avait faite forte impression. Je ne mentais pas quand je disais que je tuerais pour avoir une fille comme elle... Et je n'ose imaginer ce que pense Yennefer de moi, ça fait maintenant deux fois que je la trahis.
– Cela ne pouvait être évité. Nos chemins se sont séparés à jamais. Fait Ida, fataliste. La providence resserre son étreinte et la sentence va bientôt tomber. Si cela peut te réconforter, elles s'en sortiront très bien sans notre aide. Et maintenant que le destin a choisi sa voie, je me dois de te donner un avertissement que tu devras sans doute relayer aux autres membres de Hen Uniade.
– Quoi ? Qu'y a-t'il donc ?
– L’Hirondelle va vouloir affronter son destin sur Undvik, dans la Tour du Faucon. Cette confrontation va rapprocher les mondes comme ce fut le cas il y a 1500 ans. Une nouvelle Conjonction des Sphères. Des monstres vont surgir de partout et le feu tombera du ciel. La prophétie d'Ithlinne pourrait se réaliser bien plus tôt que prévu. Je pense que nous et nos alliés devrions nous préparer en prévision du chaos à venir.
– Dieux d'en Haut... Francesca est maintenant pâle comme la perle autour du cou d'Ida. Je vais envoyer des messages immédiatement. Tu dis que cela sera provoqué par Ciri ? Ne pense tu pas que nous devrions au moins les en avertir ?
Ida reste silencieuse, sa main caresse son collier. Quand elle reprend la parole, celle ci est ferme, dépourvue d'hésitations.
– Ils s'en sortiront.
Mais les magiciennes ne sont pas les seules à avoir des réunions nocturnes. Dans son propre laboratoire, au sein des appartements aménagés pour lui dans le palais ducal, Calened fait aussi face à une figure tout aussi inattendue. Au centre de son propre mégascope se tient un grand spectre recouvert d'une armure sinistre et rouillée, une cape carmin-vermillon sur les épaules. Un grand heaume à la semblance d'un crâne lui couvre le visage mais le Sage n'a pas besoin qu'il le retire, il connait déjà son interlocuteur.
– Ceádmil, Aen Saevherne, fait la projection, sa voix déformée telle un écho par son casque.
– Taedh...Rion y Deargh Ruadhri. murmure Calened. Il se tend un instant, hésitant entre s'incliner ou pas. Puis se remémorant ses promesses, il s'abstient. Son visage se durcit pour masquer la surprise qui l'a frappé un instant plus tôt. Un effort futile néanmoins car l'autre n'a pu la manquer.
– Ainsi donc, de tous les mondes que vous auriez pu choisir, vous avez choisi celui-ci... étonnante coïncidence, étonnante en effet... ou peut-être pas.
– Que... Qu'est ce que tu veux, Épervier ? Demande le Sage, la voix dure alors qu'un essaim de papillon volette dans son estomac.
– Votre aide, Aen Saevherne, quoi d'autre ? Vous êtes parti trop longtemps, il est temps que vous reveniez parmi les vôtres.
À ces mots, le spectre saisit son casque de ses mains et le retire, révélant de beaux yeux verts sur un visage qui serait magnifique sans le sourire monstrueux qu'il arbore. Un large sourire malsain aux petites dents blanches bien alignées, sans canines.Entre ses cheveux, noirs comme jais, pointent deux oreilles pointues.
– Temps que tu revienne parmi nous, Vagabond. Reprend l'elfe guerrier, sa voix, qui n'est plus déformée par son casque et les enchantements, est bien plus limpide, chaleureuse, avec un accent qu'aucun elfe de ce monde n'a jamais prononcé. Le temps presse pour les nôtres. J'imagine que je n'ai pas besoin de t'expliquer la menace qui pèse sur nous ? Tu n'as pas pu l'oublié, n'est ce pas ?
Calened frissonne. Non, je n'ai pas oublié. Personne ne le pourrait...
– Tedd Deireadh est sur nous. Poursuit l'Épervier. Le Froid Blanc a déjà planté ses crocs dans notre monde, certaines provinces sont déjà perdues. Et nous, les Cavaliers, nous n'avons jamais cessé de poursuivre la solution, le miracle qui peut sauver notre peuple. Elle nous a longtemps échappés mais maintenant elle est ici, dans ce monde.
– Hen Ichaer, murmure Calened, L'Enfant de Sang Ancien...
– Précisément, fait le guerrier aux cheveux noirs, précisément. Elle ne fuit plus, comme tout animal aux abois, elle a décidé de se retourner contre ses traqueurs et de faire face. Comme une bête, elle se lancera une dernière fois contre les lances de ses chasseurs avant de finir abattue. Nous pourrons alors récolter son essence là et ouvrir la voie entre ce monde et Tir na lia. Nous pourrons alors sauver notre peuple tout entier.
– Son essence, répète Calened, sa voix toujours aussi basse. Ce n'est pas ainsi que cela aurait dû se passer. Ce n'était pas ce que Auberon et Avalla'ch avaient prévus...
– Je sais, coupe l'elfe aux yeux verts, la voix acerbe et son sourire disparu. Mais Auberon est mort et Avalla'ch nous a trahis. Calened relève la tête à ces mots, les yeux ronds. Ah, tu ne savais pas ? Il a aidé la petite Dh'oine à fuir alors que nous l'avions presque acculée et il continue de l'aider à nous échapper. J'ignore ce qu'il veut avec elle, je donnerais cher pour le savoir... Mais quelles que soient ses manigances, elles menacent la réalisation de notre entreprise et la survie de notre peuple. J'ai cru l'avoir une fois mais il semble qu'il s'en soit quand même sorti. Maintenant, il semble vouloir l'aider à nous tenir tête avec elle. Ce qui veut dire que sa tête finira bientôt à mes pieds tandis que les Molosses s'occuperont du reste.
– Et pourquoi un tel délai ? Demande le Sage roux. Pourquoi sa tête n'est elle pas déjà à tes pieds ? L'Enfant entre tes mains ? Pourquoi venir me voir maintenant ?
– Elle a... trouvé quelques protecteurs dans ce monde. Rien dont mes cavaliers ne puissent se charger mais le temps commence à manquer. Cette histoire doit être réglée le plus rapidement possible pour le salut de notre peuple. Et tu vas m'y aider, Vagabond. Tu t'es assez amusé à parcourir les Sphères, il est temps que tu reviennes pour accomplir ta charge et ton devoir. Me, Eredin Bréacc Glas, Rion y Aen Elle, beddreste taedh
Calened ferme les yeux tandis que l'essaim de papillon dans son estomac se transforme peu à peu en un bloc de glace. Ça y est, c'est maintenant... ça devait arriver...
– Non.
– Squaess me ? Tu refuses ? Tu ne peux pas refuser ! Je suis ton roi...
– Tu n'es plus mon roi, rétorque Calened en se redressant, la tête haute. Je ne suis plus l'un de tes Chasseurs et j'ai quitté les Aen Elle depuis longtemps. Je suis ma propre voie désormais.
– Tu oses... tu abandonnes notre peuple à son sort, tu es Aen Saevherne, un Érudit, l'un des guides du Peuple des Aulnes ! Tu ne peux pas te détourner de ton devoir maintenant, alors que notre survie est dans la balance.
– N'offense pas mon intelligence, si tu te souciais réellement de notre peuple, tu laisserais l'Enfant accomplir son destin. Tu ne cherches pas à sauver les Aen Elle, tu veux juste conquérir de nouveaux mondes. C'est tout ce que tu as jamais désiré, Redevenir le Conquérant, le Fléau des Sphères. Arse D'yaebl, même avec nos capacités limitées, nous pourrions toujours évacuer les nôtres vers ce monde, petit à petit. Ou faire la paix avec les Licornes pour obtenir leur aide. Mais non, tu ne le feras pas, Eredin l'Orgueilleux. Car tu ne veux pas sauver, tu veux envahir.
– C'est le seul moyen d'assurer notre sécurité, nous devons dominer afin que personne n'ose s'en prendre à nous. Tu as vu les Aen Seidhes de ce monde, comment les humains les ont réduits à l'état de mendiants, détruit leurs royaumes et les brutalisant à leur guise ! Nous sommes Aen Elle, nous sommes destinés à être des maitres, pas des réfugiés. Nous devons montrer que nous ne sommes pas comme les faibles elfes de leur monde, les écraser avant qu'ils nous écrasent comme nous avons fait sur Tir na lia.
– Et provoquer l'ire des Licornes, la plus noble et ancienne espèce de l'univers, les vrais maitres du temps et de l'espace. Toi et Aubéron avez condamné notre espèce avec cette décision stupide ! Tu n'es pas différent des Dh'oines que tu méprises. Tu es un fou sanguinaire, un sombre abîme sans fond, toujours affamé de nouvelles conquêtes et de nouveaux butins, jamais satisfait...
– Tu n'as pas toujours dit ça, rétorque Eredin, son œil vert froid et dur comme une feuille de printemps gelée. Tu chevauchais parmi les Cavaliers Rouges à une époque, t'en souviens tu ? Pillant les mondes tout le long de la Spirale à mon coté. Je me souviens de toi alors que tu riais férocement, ton épée et ton visage couverts de sang. Tu ne te préoccupais pas alors si la Chasse était insatiable ou non.
Calened reste interdit un instant. Non... non, je ne m'en souciais pas...
– J'étais comme toi, un jeune fou qui ne se souciait que de satisfaire ses désirs charnels, de gloire et de batailles. J'étais aveugle aux conséquences et au prix que ça demandait. J'ai appris depuis. Mes yeux ne sont plus fermés aux souffrances des autres. Je ne chevaucherai pas avec toi et je ne me battrai plus pour les Aen Elle. Quand les humains ont assujettis le Peuple des Collines, qu'avez vous fait ? Envoyé des troupes ? Tenté une évacuation ? Même avec nos limites, il y avait moyen d'aider. Mais non, vous n'avez rien fait. Aubéron n'as rien fait, TU n'as rien fait ! Vous avez laissé nos cousins se faire massacrer sans réagir ! Alors j’agis aujourd'hui, je mets mon pouvoir au service des Aen Seidhes et seulement à leur service. Chevauche après l'Hirondelle, après le Sang Ancien si tu le désires, Roi des Chasseurs. Mais tu le feras sans moi.
Eredin ne bouge plus, les traits durs et tranchants comme sculptés dans la glace. Ses yeux sont froids et implacables comme un hiver qui ne connait le réconfort d'aucun printemps. La température de la pièce autour d'eux semble chuter drastiquement. Quelques flocons volètent doucement, un bref instant avant de disparaitre.
–Soit. Dit il lentement. Je vois que tu es parti trop longtemps de Tir na lia et as bien trop fricoté avec les races inférieures. Tu veux les mettre au dessus de ton propre peuple ? Soit. Mais je vais retrouver la petite Dh'oine et utiliserai le pouvoir volé par ses ancêtres pour sauver notre peuple. Et quand je reviendrai en ce monde à la tête de toutes les armées Aen Elle, je te ferai subir le même sort qu'à Avalla'ch, le sort des traitres.
La projection oscille, se replie sur elle-même et implose. Un vent brusque et froid balaie un instant le laboratoire et une longue trainée de givre se répand depuis le centre du mégascope jusqu'aux murs. Calened l'observe encore sans bouger, le souffle haché. C'est fait... dieux, c'est fait... j'ai redouté ce moment si longtemps...
– Pauvre fou, murmure t'il enfin. Tu as déjà perdu et tu ne le vois même pas.
D'un mouvement ample, il se détourne de l'appareil. Il faut qu'il se débarrasse du givre avant qu'il n'abime ses élixirs. Et après ça, une rencontre bien méritée avec son lit.
NOTES:
Dearg Ruadhri: Les Cavaliers Rouge.
Aep D'yaebl: Au diable.
Dol Blathanna: la Vallée des Fleurs.
Ceádmil: Bonjour/Salutation
Aen Saevherne: Sage/Érudit
Taedh: Toi/Vous
Rion y Deargh Ruadhri: Roi des Cavaliers Rouge.
Tedd Deireadh: la Fin des Temps.
Hen Ichaer: le Sang Ancien.
Me, Eredin Bréacc Glas, Rion y Aen Elle, beddreste taedh: Moi, Eredin Bréacc Glas, Roi des Aen Elle, te l'ordonne.
Aen Elle: Peuple des Aulnes.
Squaess me: Excuse moi
Arse D'yaebl: Cul du Diable.
Aen Seidhe: Peuple des Collines.