Mon aventure avec le Sorceleur

Chapitre 24 : Brokilone, vécu de chacun.

4000 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/05/2020 10:10

Chapitre 24 : Brokilone : vécu de chacun.


Gaëlliane :


La flèche aux plumes noires rayées de jaune s'était fichée dans le montant du chariot, à quelques centimètres de ma tête. Je savais que s'il y en avait une suivante elle me serait fatale. Lentement, je levais les mains pour montrer que je n'étais pas armée. 


Je savais qu'il était temps d'entonner le chant mais ma gorge était nouée par la peur. Je sentais le sang battre violemment à mes tempes. Ma vision s'obscurcissait. Il fallait que je reprenne le contrôle de ma respiration mais je n'y parvenais pas.


Ce fut encore une fois le médaillon offert par Triss qui m'aida à reprendre le contrôle face au danger : il se mit à vibrer et à chauffer sur ma poitrine, me provoquant un apaisement salvateur. Ma respiration reprit avec ampleur et ma gorge se dénoua. Ma voix s'envola claire et puissante. Je la faisais porter aussi loin que possible. Jamais je ne l'avais projeté aussi loin d'ailleurs, peut-être l'amulette en forme de trèfle à quatre feuilles l'amplifiait-elle par la magie ?


Les dryades apparurent devant moi, sortant de la végétation où elle s'étaient fondées, invisibles. Elles faisaient sensiblement ma taille bien que nettement plus fines que moi (qui avait pourtant beaucoup perdu en chemin). Leur peau était verdâtre et leurs chevelures aux couleurs improbables. Leurs vêtements se composaient d'un savant camaïeu de verts et de bruns expliquant en partie leur capacité à se camoufler dans leur environnement. 


Elles reprirent le chant avec moi puis l'une d'entre-elles s'approcha, me regardant attentivement en inclinant la tête de côté. Elle avait les cheveux et les yeux dorés. Il me sembla reconnaître la dryade de ma projection astrale et cela me fit mal mais je n'en montrai rien. Elle pointa sa poitrine indiquant "Taänië" puis me désigna, interrogative "Galeïann"? J'étais donc attendue. Cela me soulagea. Je répondis avec un franc sourire :


-Gaëlliane, oui et Geralt de Riv, indiquai-je en désignant le chariot derrière moi, il est blessé, il a besoin d'aide. 


Elle me regarda interrogative. Je me souvins alors du nom que Jaskier m'avait indiqué :


-Gwynbleidd! Besoin d'aide pour Gwynbleidd !

-Gwynbleidd ?


Elle semblait savoir de qui je parlais mais ne comprenait pas ma demande. Geralt se fit entendre à l'arrière, provoquant la mise en joue du chariot par quatre dryades. Taänië me fit signe de la suivre, confiant les guides du chariot à une des autres. Elle m'accompagna à l'arrière. Je lui désignai le blessé qui s'exprima avec peine :


-Ceádmil ! Vá an Eithné meáth e Duén Canell ! Esseá Gwynbleidd ! [1]


Taänië hocha la tête et fit signe aux archères qui replacèrent leur arc dans leur dos avant de la rejoindre. Contre toute attente, à elles quatre, elles portèrent sans effort le brancard du Sorceleur. Je guidait Hekké pour lui faire faire demi-tour, récupérai nos affaires et nos chevaux, puis encourageai le cheval pie à prendre le trot. Il reparti d'où nous étions venus sans aucune hésitation, impatient de retrouver son frère. 


Courant à petites foulées avec Orage et Ablette en main, je suivis Geralt, qui restait conscient pour le moment. Deux dryades tendirent la main vers les chevaux. Un regard du sorceleur me confirma que je devais les leur confier. C'était difficile pour moi de laisser partir Orage mais je lui fis confiance. 


Nous marchâmes un long moment. Les dryades, après avoir emporté les chevaux, m'avaient bandé les yeux, me faisant perdre tous repères. Enfin, l'une d'entre-elles vint dénouer le textile qui m'ôtait la vue et je découvris le cœur de la forêt. Nous arrivions dans leur village composé de maisons végétales extraordinaires. Pourtant je ne regardais pas autour de moi. L'angoisse de la confrontation m'avait à nouveau saisi et j'ancrais mon regard sur Geralt, me raccrochant à sa présence rassurante. 


J'aperçus la silhouette de Rodric du coin de l'œil. Juste avant que nous n'entrions dans la maison devant nous, Mélusine m'appela. Sa voix me transperça, un élan d'amour me traversa mais la peur de la confrontation avec Rodric était plus puissante : lâche, je lui offrit un sourire et un signe de main rapide avant de suivre le brancard dans l'habitation. 


Il me fallut du temps pour m'accommoder à l'obscurité ambiante et aux lueurs verdâtres des champignons luminescents. Je fis connaissance avec la reine de ce peuple, Eithné qui, par chance pour moi, parlait la langue commune et, connaissant Geralt, accepta de l'aider. Je demandai à rester à son chevet tant qu'il serait affaibli et cela me fut accordé.



Mélusine :


Je suis perchée en haut d’un arbre géant. Si Papa le savait il serait pas content. Je m'en fiche : je suis bien cachée et je surveille ma copine Sulva. Elle compte. C'est elle qui cherche. Elle est juste en dessous de moi mais elle ne me voit pas, j'ai envie de rire! 


D'un coup, j’entends la chanson des Dryades, celle que m'a appris Maman, de très, très loin. Je tends le cou mais je ne vois rien. Seulement les arbres tout autour. Tant pis si je perds cette fois-ci : je sors de ma cachette et descends de mon perchoir en me laissant tomber de branche en branche, ça me fait des guilis dans le ventre, c'est rigolo et ça va vite ! Bien-sûr, Sulva me voit. Elle me dit que c’est moi qui vais compter mais d'abord elle doit trouver les autres. Moi j’arrête de jouer : il se passe quelque chose. 


Je crois que c’est Maman qui arrive. J’espère ! Je regarde autour de moi, les adultes s’agitent, ils chuchotent entre eux. J’entends le mot « étrangers » qui revient dans leur drôle de langue et aussi "Gwynbleidd", c'est quoi cette histoire de loup blanc ? 


Je tends le cou, je guette. J'attends longtemps, longtemps. Ça y est je crois qu'elle est là. Oui, je la vois ! Ou non…, si ? Je crois… Je suis pas complètement sûre que c’est elle : elle a changé… Elle porte un arc dans le dos et un pantalon d’homme. C’est bizarre. Je suis contente qu’elle soit là. J’ai envie de lui faire un câlin, de lui dire qu’elle m’a manqué, mais je comprends pas, elle vient pas me voir… Papa non plus… Elle nous regarde même pas.


Elle regarde seulement le grand monsieur à cheveux blancs que les dryades portent allongé sur une espèce de planche. J’aime pas trop sa tête à celui-là, il fait peur ! Il a des gros muscles, même plus gros que ceux de papa ! Et sa peau elle est toute abimée ! Il est plein de bandages qui dépassent des couvertures et il a une cicatrice sur le visage. J’ai vu ses yeux bizarres, tous jaunes avec une fente noire, comme le chat de Madame Berra, la boulangère. Je me demande pourquoi il marche pas lui-même plutôt que de se laisser porter… Il doit être malade. Peut-être que Maman le soigne, c’est son travail, ça je sais. 


J’appelle Maman mais elle se retourne à peine pour me faire un petit sourire et un signe de la main. Elle a sa tête de quand elle est inquiète. Elle les suit jusque dans la maison de la reine, Eithné, et me laisse sans elle, dehors. Il doit être important s’il va chez la reine.  


Maman, elle reste là-bas avec lui au lieu de s’occuper de Papa et de moi. Moi je trouve pas ça juste : ça fait longtemps qu’on l’attend… J’ai envie de le crier fort mais j’ose pas… On est pas vraiment chez nous ici, même si tout le monde est gentil… 


Je vois Papa là-bas, il reste sans bouger. Il regarde la maison de Dame Eithné. Il fait une drôle de tête. Je vais lui faire un câlin. Il me porte dans ses bras et me serre contre lui, ça me fait du bien. Je me sens triste et fâchée. Je crois que lui aussi…



Rodric :


Gaëlliane était enfin là, en sécurité à Brokilone. J’avais vu l’agitation des Dryades ce matin-là. Je me doutais qu’il se passait quelque chose. Quand le chant m’était arrivé, porté par le vent, j’avais su que c’était elle. J’étais à la fois réjoui et inquiet : réjoui de la retrouver enfin, inquiet de découvrir ce qu’elle avait pu vivre loin de nous, et aussi de lui avouer le plaisir que j’avais pris avec les Dryades... 


Elles avaient été nombreuses après Taanië à m’être passées sur le corps et j’y avais pris bien plus de plaisir que je ne l’aurais souhaité. Oserai-je partager avec mon épouse cette jouissance inespérée ? En fermant les yeux je revoyais des scènes très crues, me provoquant une demi-molle. Il fallait que je me calme, ce n’était pas comme ça que je voulais retrouver ma femme.


Nos retrouvailles ne furent pas du tout ce que j’espérais : elle ne m’accorda pas un seul regard ! Elle marchait les yeux rivés sur l’autre, le Sorceleur, pâle comme la mort sur un brancard. Lui m’avait regardé. Ses étranges yeux de chat m’avaient troublé : ce que j’y avait lut me mit profondément mal à l’aise. Ça ressemblait à de la fierté et des excuses muettes. J’étais estomaqué. Cet enfoiré, en un seul regard, venait de me confirmer qu’il s’était tapé ma femme ! 


La colère remplaça l’excitation des pensées précédentes, me laissant une chaleur insupportable dans la poitrine. Dans la foulée, la tristesse me poignarda, me glaçant l'échine dans une vague qui m'écrasa le coeur, alors que je réalisai que mes pires craintes étaient, pour ainsi dire, confirmées. J’étais figé, en état de sidération devant la violence des émotions qui me traversaient. 


Mélusine accourut, levant les bras pour un câlin. Je la serrai fort contre moi et cela me fit du bien. Nous attendîmes ainsi longtemps que Gaëlliane se décida à sortir, à venir nous voir. Mélusine commençait à peser dans mes bras. J’étais las de cette attente insupportable. J’hésitai à me rendre moi-même auprès de ma femme mais je doutais qu’il soit raisonnable de rentrer chez Eithné sans y avoir été invité.


-Pourquoi Maman elle vient pas nous voir? Et c'est qui le Monsieur dont elle s'occupe ? me souffla Mélusine d'une petite voix triste.

-Je ne sais pas ma chérie, il doit être blessé, elle doit faire son travail, j'imagine.


J'avais envie de crier et de l'insulter pour ce qu'elle nous faisait subir. La tristesse de ma fille ajoutait une dimension insupportable supplémentaire à cette situation rocambolesque. La seule chose qui me retint de faire un scandale chez la reine des Dryades c'était la présence de Mélusine. Elle avait besoin que je garde le contrôle de mes émotions. Je pris sur moi.


-Allez, viens ma chérie, on va aller manger un morceau, on reviendra plus tard…


Le temps de cuisiner, de manger, juste tous les deux, une fois de plus, et je proposai à ma "plus si petite fille" de faire une sieste. Elle était un peu réticente, elle voulait voir sa mère… mais quelque chose me disait que Gaëlliane était toujours occupée avec l'autre. Je ne voulais pas qu'elle fut une nouvelle fois déçue si sa mère ne venait pas à nous. Elle se laissa bercer le temps d'une histoire et s'endormit. 


Je tournais comme un lion en cage. Il avait de la chance d'être déjà mal en point : j'avais une vilaine envie de lui casser la gueule ! Je me verrai bien lui envoyer un carreau d'arbalète pour le punaiser contre un arbre ! Pour ensuite le massacrer gaiement à coup de poing ! J'ai toujours eu un bon crochet du gauche. Tout en imaginant la scène je frappais l'air de mes poings soufflant et ahanant. Dommage qu'il ne soit pas en état de se battre : je me serais fait plaisir mais aucun intérêt sur un homme alité.



Mélusine :


Papa me berce en me racontant une histoire comme quand j'étais toute petite. J'aime bien ça. Je sens que je vais m'endormir. Il me pose sur la couchette. Je me sens bien. Je m'endors.


Je me réveille reposée mais Papa n'est plus là. Je sors de chez nous, il n'y a personne. Sulva vient me voir :


-Ben t'étais passée où ? C'était ton tour de compter.

-Je t'ai dit que je joue plus : ma maman est arrivée. 

-C'est elle qui est chez Dame Eithné avec Gwynbleidd ?

-C'est le grand monsieur qui fait peur que vous appelez comme ça ? Oui elle est avec lui. Du coup elle s'occupe même pas de moi ou de papa….

-C'est moche… Tu viens jouer? Niila a trouvé une termitière !

-Ah ouais trop cool ! 


Je suis ma copine, on va se régaler avec les termites, et puis c'est tellement rigolo de les attraper !


On joue longtemps. Je suis super forte pour attraper les termites. Je vais en ramener à Papa, il va être content ! La lumière diminue, c'est déjà le soir ? Il faut que je rentre, il va s'inquiéter…


J'arrive à la maison. Il est là. Il a préparé un dîner et fait une drôle de tête quand je lui propose mes petites bestioles. Je lui demande si maman va venir. Il ne sait pas. Elle est toujours chez la reine avec le le Loup Blanc comme ils l'appellent tous. Pourquoi elle veut pas être avec nous? Ça me donne envie de pleurer… Papa me prend dans ses bras. Il me donne à manger comme quand j'étais bébé. Je profite. C'est bon en plus ! Je me sens fatiguée. Il me met dans mon lit mais je veux pas qu'il parte. Il s'allonge avec moi. Je respire son odeur et je me sens bien. Il me caresse les cheveux. J'aime bien ça. Je m'endors.



Gaëlliane :


Qu'est-ce que je fais là ? J'ai l'impression de surplomber la scène. En dessous de moi une clairière. Face à face, à quelques mètres l'un de l'autre, Rodric et Geralt. Ils se toisent du regard. Rodric a son arbalète à la main, Geralt la main sur la poignée de son sabre. Ils ne vont quand-même pas se battre, si? Ils se mettent doucement en mouvement, chacun gardant l'autre parfaitement en face de lui, ils se jaugent dans un silence menaçant. Geralt le brise de sa voix rauque et basse :


-Tu es donc le mari de Gaëlliane…

-En chair et en os et toi tu es celui qui a baisé ma femme.

-Et bien baisée même ! Elle avait le feu au cul, une vraie chaudasse!


La violence de ses propos me heurte de plein fouet : c'est donc ce qu'il pense vraiment de moi? Je me sens salie, humiliée par cette révélation. 


La colère monte d'un cran chez Rodric mais il garde le contrôle, ne voulant pas faciliter la tâche de son adversaire. Geralt reprend :


-Si tu savais ce que je lui ai mis! Et elle en redemandait en plus ! Elle a du se sentir bien malheureuse toutes ses années avec toi! 


Rodric se crispe, il arme l'arbalète et tiens en joue le Sorceleur qui continue de parler, imperturbable, tout en tournant autour de mon homme :


-Tellement en manque qu'elle a invité une autre femme dans notre lit, j'imagine que ça t'aurait pas déplu ! Elle y a pris goût figure-toi et c'est ensuite avec mon meilleur ami qu'on l'a bien baisée par tous les trous ! Une vraie salope !


C'était le mot de trop pour Rodric qui appuie sur la détente. Geralt dégaine sa lame au même moment, il devie le trait d'un coup d'épée, esquive, pirouette, se fend... et vient enfoncer sa lame dans le ventre de Rodric !


Mon hurlement ne réussit pas à franchir mes lèvres. Je veux me détourner de la scène mais cela m'est impossible. J'assiste impuissante à l'agonie de mon mari dans une flaque de sang grandissante tandis que Geralt nettoie sa lame sur les vêtements de sa victime.


-C'est con de mourir comme ça. Tu pensais vraiment faire le poids face à moi? Encore une preuve que tu ne la méritait pas. 


Il crache au sol et tourne les talons. Mon mari gît sans vie, ses yeux grands ouverts tournés vers moi.


***


Une main me secouait sans ménagement. J'ouvris les yeux à grand peine ne reconnaissant pas où j'étais. J'avais la nausée, mon mari était mort sous mes yeux. Je croisai le regard inquiet et bienveillant de Geralt, alité près de moi. C'est lui qui venait de me tirer de ce cauchemar. 


Un cauchemar, pas une projection astrale ! Une de mes parts soupira de soulagement tandis que l'autre me traitait d'idiote d'avoir pu penser que ces mots violents auraient pu sortir de la bouche de Geralt et qu'il aurait pu aussi cruellement tuer mon homme. Je l'avais pourtant assez côtoyé pour savoir qu'en situation pareille il se serait contenté de se protéger, sauf à n'avoir pas le choix.


J'essayai de reprendre le contrôle de ma respiration. Je tremblais encore en me remémorant les images et des paroles insupportables de mon rêve. Je me répétais mentalement que ce n'était qu'un songe et la projection de ma culpabilité. Je me blottis dans les bras de Geralt pour m'apaiser. Il ne me demanda rien, se contentant de m'offrir la contenance et la chaleur humaine dont j'avais besoin à ce moment-là.



Rodric :


Trois jours ! Trois putains de jours qu'elle était arrivée à Brokilone et je ne l'avais pas encore eue en face de moi! A croire qu'elle m'évitait! Ou alors elle m'avait remplacé… Je fulminais continuellement, ne contenant mon agressivité qu'en présence de Mélusine, qui avait le don de m'apaiser, mais elle était souvent en vadrouille, occupée à jouer avec les enfants dryades. 


Ce matin-là, une jeune dryade avait eu le malheur de me solliciter et j'avais honteusement passé ma rage sur elle dans une étreinte plutôt violente. Je m'étais excusé après coup devant son visage effrayé et meurtri. J'avais honte de mon comportement. Je craignais de lui avoir fait mal. Peut-être aurais-je à en subir les conséquences… En attendant elles restaient dorénavant à une distance raisonnable de moi. 


Je n'arrivais à me concentrer sur rien. Mon esprit était sans cesse hanté par le sentiment d'inexistance que me faisait vivre Gaëlliane et la haine que je développais pour celui à qui elle accordait toute sa disponibilité.



Gaëlliane :


Trois jours, trois jours que j'étais arrivée à Brokilone et je n'avais toujours pas eu le cran d'aller voir ma famille… Les savoir en sécurité me suffisait. J'essayais de me convaincre que Geralt avait besoin de moi avant tout. En vérité je fuyais l'inévitable confrontation avec Rodric. Chaque fois que j'y pensais, la nausée me submergeait tant j'étais angoissée. Le cauchemar me revenait par la même occasion, attisant ma honte de l'avoir trompé et ma culpabilité de ne pas l'avoir encore rejoint.


Geralt allait beaucoup mieux. L'eau des Dryades et leurs soins avaient un effet vraiment extraordinaire. Il restait très fatigable mais ses moments d'éveil étaient de plus en plus longs. Les échanges étaient redevenus possibles et il n'allait pas tarder à pouvoir reprendre tranquillement une activité physique. En vérité ma présence à ses côtés n'était plus réellement nécessaire…


-Gaëlliane ?

-Hum?

-Tu comptes l'éviter combien de temps ? Tu sais que je ne vais pas toujours pouvoir te servir de prétexte…


Je ne répondis pas, baissant les yeux, le rouge aux joues, les mains agrippées au bandage que j'étais en train de replacer.


-De quoi as-tu peur comme ça ?

-Qu'il… me rejette… murmurai-je

-Donc c'est toi qui le rejette en première, c'est ça ?

-Je… Je ne le rejette pas…

-Tu ne lui a pas accordé un seul regard ! Comment veux-tu qu'il interprète ça ?!


J'en restai bouche bée, prenant conscience de la douleur que je devais être en train d'infliger aux personnes que j'aimais. Cela me serra le coeur… Dire que je n'avais même pas serré Mélusine dans mes bras non plus.


-Comment va ta fille ? Tu es allé la voir au moins ? 

-Je l'ai aperçue quand on est arrivés… Elle a grandit. 

-Même elle tu l'évite ? Gaëlliane… ne gâche pas ta chance d'avoir une famille ! Surtout pour un vieux loup comme moi…

-Je n'ai aucune intention de rester entre toi et Yennefer si c'est ce que tu crains.


Il fronça les sourcils, me signifiant que sa pensée n'allait pas par là. Je savais le sujet sensible. Je posai la main sur son bras dans une excuse muette :


-Je suis sûre que vous vous retrouverez. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement !

-La vie n'est pas un conte de fée. Maintenant je vais te demander de sortir d'ici et de faire ce que tu as à faire. Nos chemins se séparent ici et maintenant. Adieux Gaëlliane, merci pour ce que nous avons partagé. 


J'étais choquée qu'il coupe court comme ça. Il me prit dans ses bras, me serra un bon moment contre lui avant de m'embrasser le front. Puis m'accompagna fermement vers la sortie.


-Va rejoindre ta famille. C'est là qu'est ta place. Ils le savent aussi bien que toi. 

-Adieux Geralt… et merci pour tout.


Ma voix avait tremblé d'émotion, j'avais une boule dans la gorge. C'était douloureux de réaliser qu'une fois qu'il aurait quitté Brokilone, je ne le reverrais certainement plus jamais… J'avais vécu tant de choses auprès de lui en l'espace d'à peine plus d'un mois… Cela me semblait avoir la valeur d'une deuxième vie. J'avais trouvé en lui un repère, un guide spirituel pour moi qui avais perdu mes parents si tôt… Un ami sur qui compter aussi et un initiateur à des plaisir incommensurable également ! Dans ses bras j'avais découvert mon potentiel féminin sauvage et sacré. J'avais vécu à ses côtés des émotions puissantes et fondatrices : l'extase et la brutalité, l'humiliation et la protection, l'amitié et la peur, j'avais protégé la vie et aussi donné la mort… Je connaissais aujourd'hui la valeur de ma vie et j'en ressortais grandie. Il avait raison, une fois de plus : il était temps que je reprenne le fil de ma vie, que je retrouve ma vraie place.


Sortir de la maison végétale me laissa une grande impression de vulnérabilité. J'étais éblouie par la lumière du soleil qui passait à travers les feuillages. Je clignai deux, trois fois des yeux le temps de m'habituer à la luminosité. C'est là que je le vis, faisant les cent pas, fulminant si clairement qu'il me semblait voir un nuage noir tout autour de lui. Il se figea en m'apercevant.


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[1] L'épée de la Providence, Andrzej SAPKOWSKI, p 211.


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