Mon aventure avec le Sorceleur

Chapitre 23 : Dernière étape

3153 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/12/2020 20:03

Chapitre 23 : dernière étape


J'aspirais à une nuit tranquille et je fus exhaussée au-delà de mes espérances : quand Wellan posa la main sur mon épaule pour que je le relaie, je m'éveillai comme une fleur, paisible et reposée. Karvill attendait hors du chariot. Je m'assis près de lui et il vint se blottir contre moi, m'offrant une chaleur bienvenue. Tout en observant autour de moi, je caressais distraitement sa fourrure douce et fournie, lui battait discrètement de la queue. 


Je pris le temps de humer l'air de la nuit : les effluves de terre et d'herbe, mêlées au parfum des fleurs printanières m'enchantèrent. Au-dessus de moi, la voûte céleste était magnifique. Le croissant d’argent de la lune brillait, une étoile filante traversa le ciel de part en part. Je fis un vœu. Le chant de la source se mêlait aux bruissements des feuillages caressés par la brise et aux craquements du feu juste devant moi. Des chouettes hululaient dans le lointain, les chevaux paissaient : j'entendais leurs pas tranquilles et le son de leurs lèvres et leurs dents happant les herbes hautes. Un rossignol chanta dans la nuit douce. Il régnait là un moment d'éternité et je me sentais bien.


Je m'offris un moment de méditation loin du tumulte des pensées et des émotions qui m'avaient submergée ces derniers temps. Je vins porter toute mon attention sur chacun de mes sens, un à un, ouvrant ainsi mon champ de conscience. 


Je commençais par le tactile : d'abord la sensation dure et fraîche du rocher sous mes fesses dont une arrête anguleuse me meurtrissait un peu, le sol sous mes pieds et la sensation des chaussettes et des chaussures les enserrant fermement, me prodiguant un rempart contre la fraîcheur de la nuit, le poids et l’agréable chaleur du chien contre mes jambes, la douceur de son poil, le contact chaud de mes jambes entre elles et entre mes avant-bras et mes cuisses, l'air circulant au creux de mes mains naturellement ouvertes et la délicate brulure du feu qui irradiait la face externe de mes doigts et mon visage, la sensation de mon carquois et de mon arc dans mon dos, celle plus ou moins légère de mes différents vêtements dont le serrage des bandes soutenant ma lourde poitrine sous ma tunique, enfin, la caresse du vent sur ma peau nue et la chatouille de mes cheveux blonds sur mon visage et mon cou… Certains de mes muscles se rappelaient à moi par des douleurs diffuses de courbatures mais cela m'était juste égal. Je sentais tout mon corps ancré, solide et détendu à la fois. J'en percevais chaque contour, chaque limite, le solide et le moelleux, les creux et les pleins, les immobilités et les mouvements internes.


Partant de cet ancrage profond, je portais alors de nouveau mon attention sur les fragrances présentes dans l'air. Je les accueillais sans les juger. Odeurs de mon propre corps mêlée à celle du chien, odeur de terre, de verdure, de fleurs, odeurs âcre des chevaux que je portais sur mes vêtements et que m'amenait le vent, mêlée à celle du feu qui brillait devant moi. Toute une synergie de parfum pour un moment unique.


Je me concentrai alors sur ma respiration, le glissement de l'air frais dans mon nez et ma gorge, le déploiement de mon ventre et de ma poitrine tandis que l'air venait gonfler mes poumons, la chaleur et l'humidité de cet air quand mon corps le laissait repartir dans un mouvement de reflux… Je me laissais bercer par le rythme, consciente que chacune de mes cellules respirait en moi.


Je perçus alors avec une grande netteté le battement calme et régulier de mon cœur et la circulation de l'air à chaque respiration. Tous mes sons internes me paraissaient amplifiés comme une symphonie unique et personnelle à laquelle venait s’ajouter le frôlement de mes vêtements à chaque infime mouvement. J'étendis mon attention aux sons environnants du plus proche au plus lointain : la respiration de Karvill qui soupirait par moment, le crépitement joyeux du feu, la respiration lente et régulière de mes compagnons endormis, les bruits des chevaux et de la source, le vent dans les feuillages, les cris d'oiseaux, le trottinement de petits animaux et autres bruits de la nuit tout autour. Chaque son trouvait sa place dans mon tableau mental, me donnant une cartographie des éléments naturels et des êtres vivants autour de moi. 


J’avais fermé les yeux pour ce petit voyage sensoriel. Tout était calme en moi. C’était vraiment confortable cette intime connexion qui me donnait l’impression d’être à ma juste place. A travers mes paupières closes, je percevais la lueur orangée et dansante du feu, jeu d’ombres et de lumières mouvantes. Je flottais dans la plénitude, sur le fil entre veille et sommeil. 


Il me fallait à présent accepter de laisser mes paupières s’ouvrir à nouveau pour ne pas achever de glisser dans la douce torpeur qui me tendait les bras. Après un petit moment de lutte intérieure je parvins à dépasser mon envie de m’abandonner pour retrouver un peu de tonus et de mouvement. 


J’ouvris les yeux, éblouie un instant par la lumière du feu. Je me laissai fasciner quelques minutes avant de détailler à nouveau tout mon environnement proche : le bosquet était composé de différentes essences d’arbustes et de plantes, baignées par la lumière argentée de la lune : du sureau qui ouvrait ses premières fleurs délicates et parfumées, des noisetiers couverts de chatons duveteux, des cerisiers sauvages dont les petites fleurs blanches s’épanouissaient et un prunus aux feuilles rouges rivalisant avec la teinte rose délicate de ses dernières fleurs de la saison. J’aperçus le déplacement d’un lièvre dans les fourrés, Karvill y jeta un œil flegmatique. A en croire la position des étoiles, il restait encore environ deux heures avant l’aube naissante ce qui me laissait encore le temps de profiter du calme.


C’était sans compter sur mes pensées qui revinrent à la charge dès que l’occasion se présenta : par association d’idées, les arbustes présents m’avaient amenée aux arbres, les arbres à la forêt, la forêt à Rodric... Geralt avait monopolisé toutes mes pensées ces derniers jours et quelque part cela m’arrangeait… J’avais soigneusement mis de côté mes retrouvailles prochaines avec mon mari, retrouvailles que je venais à appréhender plus qu’autre-chose. Je n’étais vraiment pas confortable avec ma conduite vis-à-vis de lui. Je le savais jaloux et il pourrait l’être à juste titre…


Mes tripes se nouèrent à l’idée qu’il pouvait tout simplement me rejeter, j’imaginais le dégoût sur son visage, la colère dans sa voix et les mots violents qui viendraient pulvériser ce qu’il pouvait rester de notre mariage. Pourtant je n’avais de sentiment amoureux que pour lui : Geralt c’était autre chose… Une ouverture sur une autre vision de la vie peut-être… Un gain de liberté ? Il était tellement âgé, expérimenté, blessé…, il avait tant à transmettre. Il était désirable par sa force tranquille, sa dangereuse puissance et son corps viril qui, mis à part les cicatrices, ne témoignait pas de ses décennies sur la voie mais c’était ses valeurs qui me touchaient le plus : depuis notre rencontre, il s’était montré vraiment digne de confiance, loyal et fiable. Il m’offrait un précieux sentiment de sécurité qui me permettait d’être moi-même sans filtres ni craintes mais je savais que ce que je vivais avec lui n’était pas destiné à perdurer : ce n’était qu’une expérience de vie qui m’avait appris beaucoup sur moi-même, au-delà de l’aspect orgasmique de l’histoire.


La Gaëlliane que j’étais quand les soudards m’avaient enlevée n’existait plus : j’étais à présent une femme plus forte et entière, connectée à mes envies et mes besoins et capable de lutter pour ma survie et de tuer si nécessaire, bien que je ne m’habituerais probablement jamais à verser le sang d’autrui. Rodric avait toujours été protecteur avec moi, me jugeant fragile, prévenant toute situation à risque, désapprouvant certains de mes choix et me reprochant souvent de ne pas suivre ses recommandations. Je doutais qu’il apprécie mon nouvel aplomb... Encore fallait-il que je me sente aussi solide face à lui et, pour l’heure, la peur qu’il ne veuille plus de moi dominait. La pensée de son rejet me traversa à nouveau, mêlant les sensations d’angoisse à une vague de tristesse… Il me fallait me préparer à cette éventualité-là.


Geralt me tira de mes ruminations en s'éveillant. Il avait soif. Bénissant la bienvenue diversion de ses besoins, je lui apportait de quoi se désaltérer. Il parvint à m'aider à le redresser ce qui était un net progrès même si cela le laissa anormalement essoufflé. Il n'était pas encore tiré d'affaire… Profitant de son éveil, je lui proposai à nouveau de la soupe puis, à la lueur de ma veilleuse, fis le tour de ses pansements, réenduisant de baume les différentes blessures qui le nécessitaient, vérifiant que tout était en ordre. C'était le cas et cette constatation me soulagea : pas sorti d'affaire mais sur la bonne voie. J'aidai le Sorceleur à se rallonger tandis qu'il replongeait dans les limbes. Le ciel commençait à blanchir à l'horizon : il était temps de préparer le petit déjeuner et de réveiller mes compagnons.


Farfouillant dans les fontes de selles, je trouvais les merveilles offertes par les gens du village : des tourtes salées et sucrées, du pain, du fromage, de la charcuterie, de belles pommes et des carottes. Je pris le parti de tirer les hommes de leur sommes en leur chatouillant les narines avec l'odeur des tourtes réchauffant doucement. J'en profitais pour poêler quelques pommes qui diffusèrent un agréable parfum caramélisé, j'en avais l'eau à la bouche!


C'est Jaskier qui s'éveilla le premier, l'air ensommeillé, les cheveux sans dessus dessous, il vint s'asseoir auprès de moi après m'avoir offert un baiser sur la tempe. Je me blottis contre lui pour profiter de sa chaleur. Karvill qui s'était installé un peu à distance vint se joindre à nous en mode pot de colle. Jaskier rit devant cette concurrence déloyale. 


-Tu as faim?

-Toujours! Donne-moi donc une de ses tourtes, elle à l'air chaude à point ! 


Il se léchait les babines en tendant les mains. Je lui offrait l'ustensile pour qu'il se serve lui-même, tenant l'assiette pour réceptionner sa tourte.


-Tu as bien dormi ? 


Il me répondit la bouche pleine avec une lueur grivoise dans le regard :


-Hummm ! Délicieux ! Ça peut aller… Quelques tensions difficiles à faire passer... je t'aurais bien demandé de l'aide maintenant que Geralt est un peu mieux mais bon… avec les gamins à côté ça n'aurait pas été très approprié… Et puis deux ça avait l'air bien suffisant pour toi la fois dernière, imagine trois ! 

-Jaskier! Tu es incorrigible ! Ce sont des enfants, tu n'imagines quand-même pas que ça pourrait me tenter?! J'espère en tous cas que tu auras bien profité la fois dernière parce qu'il n'y aura pas de prochaine fois. 


Je dis cela d'une voix ferme tout en le maudissant intérieurement pour la crispation de désir et la vague de chaleur humide que ses propos avaient provoqué en moi à l'idée de ses mains sur mon corps, de son corps dans le mien. Le souvenir du plaisir était encore vivace et cet homme connaissait son affaire. Heureusement qu'il avait nommé les jeunes : même s'ils dormaient encore, je n'avais aucune envie de les mêler de près ou de loin à ma vie sexuelle ! Et puis bientôt toutes ces frasques seraient derrière moi, je retrouverai ma place d'épouse, si mon mari veut toujours de moi, et de bonne mère de famille. Au moins personne ne pourrait me reprendre le plaisir intense que j'avais vécu avec Geralt, Triss et Jaskier… A défaut de revivre une telle intensité j'aurais toujours le loisir de me la remémorer dans mes plaisirs solitaires….


-C'est dommage…, reprit Jaskier, je suis sûr que j'aurai eu encore des choses à te faire découvrir… 

-Jaskier! Arrête tu t'fais du mal! 

-Bon… Plus sérieusement, ça m'attriste un peu que nos chemins se séparent bientôt. Ça a été un réel plaisir de faire ta connaissance. J'ai aimé ce qu'on a partagé et pas seulement au lit… 

-Le plaisir a été partagé... J'imagine que tu ne pourras pas nous suivre dans Brokilone… 

-Non… Je ne prendrais pas ce risque… Les humains n'y sont pas les bienvenus. Geralt c'est un peu différent… Je repartirai au village avec les garçons, j'y attendrai Geralt quelques semaines avant de partir pour Gors Velen : j'y suis attendu pour une noce mi-mai.

-D'accord… Bon, allez, il est plus que temps de réveiller les garçons : on leur chante quelque chose?


Un grand sourire illumina le visage de Jaskier à cette proposition. Il alla chercher son luth et nos voix se mêlèrent, joyeuses. 


Quelques minutes après, les jeunes nous avaient rejoints et mangeaient avec appétit ce que nous leur avions laissé. Pour ma part j'étais encore en train de déguster mes pommes cuites. J'en mis un peu de côté pour Geralt quand il s'éveillerait. Le temps de finir de nous sustenter, de ranger nos affaires et d'éteindre le feu et nous étions de nouveau sur les routes, avançant à bonne allure sur le terrain dégagé. Le Ribbon était maintenant bien visible. Nous allions le suivre un bon moment, restant hors de portée de flèches, remontant vers le Nord pour entrer dans Brokilone sans devoir passer à gué. 


La journée se déroula sans heurts. Nous étions presque à destination mais le soir commençait à tomber. Nous allions devoir passer une dernière nuit à découvert avant de pouvoir entrer dans Brokilone. Geralt avait eu plusieurs moments d'éveil de qualité dans la journée et il avait su avaler quelques solides. C'était bon signe. L'infection était apparemment totalement éradiquée et il retrouvait un semblant d'énergie même s'il s'épuisait très vite à la moindre action. Son pronostic vital ne semblait heureusement plus engagé et j'étais convaincue qu'avec les soins des Dryades il serait bientôt sur pied.


La nuit fut aussi paisible que la journée. Au soleil levant nous reprîmes la route. La forêt était là, toute proche. Le temps des adieux allait venir. Nous avions convenu que je rentrerais seule avec l'atelage à proximité des arbres, Orage et Ablette attachées à l'arrière. C'était Heppé qui était attelé, Jaskier était pour l'heure juché à cru sur Tekké, Finn montait Gasmauw et Wellan, Kaki. Nous avions pris le temps de nous dire adieu. Les garçons étaient émus et reconnaissants. Leurs velléités de vengeance semblaient apaisées pour le moment et cela me rassura quant à leur avenir. Ils avaient serré la main de Geralt qui avait eu le bon goût de s'éveiller au moment opportun, lui souhaitant un prompt rétablissement et un rapide retour à leur village pour récupérer Jaskier, qui lui donna une longue accolade, souhaitant le retrouver sur pied bientôt.


J'avais un pincement au cœur en saluant une dernière fois Jaskier. Son insolent babillage allait me manquer, le partage de ses chansons aussi et toutes les flagorneries dont il m'avait délicieusement embarrassée également. C'était un homme joyeusement désinvolte et j'enviais assez sa liberté, même si elle le conduisait inévitablement à des situations périlleuses qui n'auraient pas lieu d'être s'il savait garder sa langue, voire ses mains, dans sa poche. Une chose était sûre : c'était un personnage haut en couleurs auprès duquel on ne s'ennuyait jamais, un amant hors du commun et un ami dévoué, comme il l'avait prouvé plus d'une fois avec Geralt. J'espérais avoir vent de ses nouvelles ballades, cela me permettrait de garder un certain lien avec lui… Et puis il y avait celle qu'il avait écrit sur moi, même si je me voyais mal la chanter à Rodric et Mélusine. 


Allez, il était temps de nous mettre en route. Un dernier signe de la main et je montais dans le chariot, saisissant les guides, je claquai de la langue pour mettre le cheval au pas. Nous traversions l'espace herbeux entre le Ribbon et la première partie de la forêt. Il me fallut longer cet espace un moment avant de pouvoir contourner la naissance du cours d'eau et entrer à proprement parler dans Brokilone. Il était prévu que je laisse ensuite repartir l'attelage, faisant confiance à Heppé, qui ne supportait pas d'être séparé de son frère, pour rejoindre seul le groupe avec le chariot. D'ailleurs les deux chevaux hénissaient plaintivement, rechignant à laisser la distance s'agrandir entre eux et je devais maintenir un contact vocal et physique permanent avec l'animal qui menaçait de s'arrêter. 


Le paysage était magnifique : sur ma gauche, l'eau du Ribbon était calme et transparente. Difficile d'imaginer que des créatures dangereuses pouvaient y habiter. Le cours d'eau était bordé de roseaux et d'iris d'eau ouvrants leurs fleurs jaunes. Les grenouilles y coassaient gaiement et quelques canards colverts se laissaient glisser sur l'eau. J'aperçus également des foulques et des grèbes huppés. Sur ma droite les arbres étaient immenses et la forêt très dense : toutes les essences poussaient enchevêtrées les unes dans les autres. Un écureuil roux flamboyant suivi un moment mon attelage, sautant de branche en branche en parallèle de nous. Il régnait une sérénité qui me faisait presque oublier que j'allais rentrer sur un territoire interdit. 

 

Ça y était : j'arrivais à la naissance du Ribbon, j'allais maintenant le contourner vers la gauche. Heppé luttait de plus en plus pour faire demi-tour. Il me fallait l'encourager sans cesse. Il s'arrêta d'un coup, levant la tête effrayé,les naseaux dilatés et laissant voir le blanc de ses yeux. 


Sifflement, impact. 


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