Mon aventure avec le Sorceleur

Chapitre 22 : Inquiétudes et espérance

2688 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 15/05/2020 07:42

Chapitre 22 : inquiétudes et espérance.


Les préparatifs se firent en un temps record. Griselda nous offrit des vivres pour tous les quatre et me remit de la soupe pour plusieurs jours pour alimenter Geralt. Il y en avait plusieurs différentes, cuisinées par les femmes du village, ce qui devait lui apporter les nutriments nécessaires jusqu'à Brokilone. Il fallait absolument qu'il reprenne des forces pour lutter contre l'infection, reconstituer le sang perdu et cicatriser ses trop nombreuses plaies. Elle me proposa aussi une outre de décoction de saule, ce qui m'éviterait de devoir la préparer en chemin, et me fournit du fil à suturer puisque j'avais épuisé tout le mien sur le corps du Sorceleur. Ce dernier était fiévreux et son front luisait de sueur. Sa conscience émergeait de plus en plus souvent mais pas suffisamment pour un échange verbal. Il persistait à appeler sa magicienne, lui parlant dans son demi-sommeil.


Finn arriva à bord d'un chariot couvert, tiré par un magnifique irish cob pie noir et blanc, à la robe luisante, la crinière fournie et aux longs fanons qui flottaient à chacun de ses pas. C'était vraiment une bête magnifique, qui respirait la puissance et la noblesse. Un deuxième était attaché à l'arrière de l'attelage avec deux purs sang fins et racés. On m'avait choisi une monture de petite taille, à la robe entièrement noire. Pour Jaskier, l'animal alezan était plus grand, élancé.


J'étais étonnée et émerveillée de trouver des montures de cette qualité dans un si petit hameau. Voyant mon air ébaubi, un homme du village, grand, bien bâti, au visage franc et souriant, qui suivait le chariot m'expliqua :


-Ici notre spécialité ce sont les chevaux, nous élevons plusieurs races que nous vendons partout en Témérie des montagnes de Manhakam jusqu'à Gors Velen, mais également dans les contrées voisines : Verden, Cidaris, Brugge, Sodden… Notre village est petit mais riche, nous veillons sur nos chevaux comme sur la prunelle de nos yeux, nos chiens nous y aident, ajouta-il en flattant l'énorme dogue qui marchait à ses côtés. Les Irishs sont à moi : Tekké, qui est attelé, et Heppé, sont des chevaux courageux et endurants, il ne vous décevrons pas. 


Un autre homme, plus râblé, aux grands yeux sombres, m'indiqua qu'il nous confiait sa jeune jument noire : Gasmauw et un de ses hongres, Kaki :


-Ils sont rapides et volontaires et peuvent trotter pendant des heures sans difficultés. Ils seront un bon relai pour vos chevaux. 


Je remerciai les deux hommes pour leur générosité et la confiance qu'ils nous accordaient puis revins superviser les préparatifs, notamment le transfert de Geralt auquel se joignirent les deux hommes. Le pauvre homme reprit conscience au moment le plus inopportun, c'est à dire à l'instant critique de son élévation jusqu'au chariot quand le premier groupe d'homme le transférait au deuxième qui l'attendait à l'intérieur. Je sentis sa peur et sa douleur et m'empressai de le rejoindre pour le rassurer :


-Tout va bien, on est avec des amis, on repart vers Brokilone. Tu as une infection qui commence à s'étendre, j'aurais vraiment besoin que tu m'indiques lequel de tes élixirs peuvent t'aider… ajoutai-je dans un murmure alors qu'il re-sombrait dans l'inconscience.


J'espérais qu'il avait entendu ma demande et serait capable d'y répondre à son prochain moment d'éveil. J'avais le sentiment que ce soin que je ne pouvais lui prodiguer pouvait faire la différence, lui faire gagner un peu de temps avant que l'infection n'envahisse tout son organisme. 


Nous étions prêts à partir. Les adieux furent chaleureux et émouvants, tout particulièrement avec Griselda qui s'était montrée si accueillante et généreuse. Cette femme avait le cœur sur la main. La mort injuste de son mari ne l'avait pas aigrie. Au contraire, elle semblait porter le monde entier dans son cœur, luttant contre les ténèbres en brillant de toute sa lumière. C'était vraiment une belle rencontre. Je la serrai dans mes bras, la remerciant pour tout ce qu'elle avait su nous apporter en si peu de temps. C'était comme si l'espace d'une nuit j'avais retrouvé la sécurité d'une mère… La mienne me manquait tant. 


Les jumeaux se courbèrent dans le même élan pour m'embrasser chacun une joue, émus. Ils redirent à haute voix leur promesse muette de ne plus se lancer dans leur entreprise de vengeance avant de s'être parfaitement préparés. Une part de moi espérait qu'ils y renonceraient totalement : la vengeance a amené tant d'hommes bons à se perdre... Jaskier était pendant ce temps-là happé par les bras puissants de leur mère qui l'étreignit longtemps lui coupant presque le souffle. Enfin nous saluâmes de la main toutes les personnes venues nous dire au-revoir, les remerciant encore pour leur soutien. 


Finn se mit aux commandes du chariot, Wellan près de lui. Un énorme chien monta à l'arrière à leur appel, se couchant contre le Sorceleur fiévreux, un allier de plus en cas de besoin. La bête faisait bien quatre-vingt-dix centimètres au garrot, couverts de longs poils gris, les oreilles pendantes et la queue basse. Elle répondait au nom de Karvill. Jaskier et moi nous mîmes à cheval, lui sur Ablette, moi sur Orage, les autres chevaux suivaient l'attelage, attachés à l'arrière. Je prévoyais de me mettre au chevet de Geralt un peu plus tard, laissant un des garçons me remplacer à cheval pour ouvrir la route et choisir l'itinéraire le plus confortable pour le Sorceleur.


Je sentais la présence confortable de mon arc et mon carquois dans mon dos et mon amulette se mit à rebondir sur ma poitrine quand je laissai Orage prendre le galop. La sensation de vitesse et de liberté me soulagea d'un poids après la lenteur du dernier jour. Jaskier restait à proximité du chariot où Tekké trottait à belle allure. Il me rejoindrait si Geralt devait avoir besoin de moi. 


Pour ma part je partis en éclaireuse sur le large chemin de terre confortable entre les pâtures. Les chevaux du village s'y ébattaient en liberté et certains se mirent à galoper en parallèle d'Orage, excitant la jument qui prit de la vitesse et se mit à caracoler gaiement sous ma selle, enchaînant sauts de mouton et levades. Heureusement que j'avais une bonne assiette pour ne pas me laisser désarçonner par ses facéties. Ainsi défoulée elle reprit une allure plus adaptée. 


Les premières heures se déroulèrent ainsi sans encombres. Nous étions partis avant que le soleil soit au zénith, aussi nous nous arrêtâmes une première fois pour déjeuner et changer de chevaux, puis régulièrement pour les besoins du Sorceleur. J'alternais entre la position d'éclaireuse et les soins, Finn me relayait, montant Gasmauw qui, bien qu'un peu petite pour ses longues jambes, convenait bien à sa faible corpulence. Orage récupérait alors au rythme du chariot. De la même façon, Jaskier et Wellan alternaient les rôles pour économiser l'énergie des chevaux comme la leur. 


Les moments d'éveil de Geralt persistaient à rester trop ténus pour qu'il puisse me donner la précieuse information dont j'avais besoin, la moindre parcelle du peu d'énergie qu'il arrivait à reconstituer partant dans la réponse à ses besoins d'alimentation et d'élimination. Cette constatation de mon impuissance me vrillait les entrailles. Le souvenir du visage résigné de ma mère au chevet de mon père peu avant sa mort me revenait sans cesse… 


Nous avions convenu de faire halte avant le coucher du soleil pour organiser un bivouac le plus sécur possible et ainsi repartir avant le lever du jour suivant. J'étais satisfaite de notre avancée, la forêt de Brokilone semblait plus proche d'heure en heure. Avec un peu de chance nous y serions le lendemain soir, le surlendemain matin au plus tard. Je priais les Dieux pour que Geralt tienne jusque là : à chaque fois que je changeais son pansement, la plaie apparaissait plus profonde et suintante que jamais. L'odeur qui s'en dégageait me levait le cœur, les tissus semblaient en train de se nécroser. Il fallait absolument arrêter le processus avant qu'il ne soit trop tard…


Le soleil commençait à descendre à l'horizon et je jouais de nouveau les eclaireuses. J'avais déniché l'endroit idéal pour nous arrêter : un petit espace au calme, dans lequel coulait une source cristaline, abrité par plusieurs bosquets. J'avais fait le tour avec Orage, rien à signaler. Je comptais mettre à contribution Karvill, le chien, pour confirmer mon intuition que l'endroit était sûr : n'en déplaise à Jaskier, qui devait certes être un allié de poids face aux gens de pouvoir, pas question d'affronter quelques créatures avec mon peu d'expérience (merci les marais!) et seulement deux gamins à mes côtés… 


Je revins au galop vers le reste du groupe pour indiquer notre lieu de repos. La nouvelle fut accueillie avec satisfaction, la fatigue commençant à se faire doucement sentir. Geralt, toujours aussi fiévreux délirait à l'arrière, criant des choses incompréhensibles. Je carrai les épaules, prenant mentalement la décision de tout faire pour savoir enfin lequel de ses élixirs je pouvais utiliser pour lui. 


Dès que nous fûment arrêtés, je sollicitai l'aide de Jaskier pour sortir les précieux flacons pendant que je stimulais Geralt sans ménagement pour qu'il ouvre les yeux :


-Geralt ! Il faut que tu m'aides! Ouvre les yeux ! Montre-moi lequel je peux utiliser ! Tu vas mourir si on ne fait rien ! Tu dois tenir bon ! Si ce n'est pas pour toi, fais le pour Yennefer ! 


Il s'était raidi quand j'avais prononcé son prénom, je l'avais fait sciemment : j'avais l'impression qu'il était en train de lâcher prise, de renoncer au combat et c'était insupportable pour moi. Je sentais qu'il avait encore un rôle à jouer, ne serait-ce qu'avec cette histoire d'enfant surprise dont il m'avait parlé, et puis pour Elle. Pas question de le laisser s'abandonner ainsi. J'insistais encore :


-Je sais que tu as mal et que tu es épuisé mais tu dois me montrer ! Je ne peux rien faire sinon. Et je refuse de te regarder mourir ! 

-Je ne suis pas prêt pour ta mort non plus ! Je ne veux jamais composer cette ballade ! Et je vais faire quoi sur les routes sans toi pour m'inspirer et me protéger ? D'ailleurs tu m'as toujours dit qu'on n'a jamais vu un Sorceleur mourir dans son lit, tu veux vraiment être le premier ?!


Je sentis qu'il rassemblait ses forces. Il ouvrit péniblement un oeil, regarda les flacons que Jaskier tenait à hauteur de son visage, laissa son oeil se refermer et lâcha dans un souffle :


-Le... trois...zième… 


Jaskier s'en saisit, demandant confirmation :


-Celui-ci?


Geralt ré-ouvrit son oeil avec la même difficulté :


-Oui… ver...sez...sur… la…


Sa voix mourut sans qu'il parvienne à finir sa phrase mais j'avais enfin ma réponse. Jaskier m'aida à le basculer depuis le côté sur le ventre. Le bouchon était coincé. Je dus l'enlever avec les dents. Il céda enfin avec un grand pop! incongru et festif digne d'une bonne bouteille. L'odeur de l'élixir était entêtante et répulsive à la fois. Je versai le contenu du flacon sur la plaie vive. Le liquide se mit à fumer et mousser violemment dans un atroce son grésillant. Geralt hurla de douleur, faisant bondir le chien sur ses pattes, un grondement menaçant à notre égard, puis perdit conscience. L'effet se calma, Karvill aussi. La morsure à l'épaule de Geralt, bien que toujours aussi impressionnante, apparaissait maintenant propre et nette, débarrassée de tout signe d'infection ou de nécrose. La bête quitta le chariot appelé par Wellan qui, avec Finn, s'inquiétait et était venu voir ce qu'il se passait.


Rassurant d'un signe les jeunes, je badigeonnai généreusement la blessure de mon baume à la consoude avant de faire un pansement neuf. Ils partirent s'occuper du campement et confirmer que les alentours étaient sécurisés. Quelque chose lâcha alors en moi et j'éclatai en sanglots irrépressibles. Jaskier m'accueillit dans ses bras réconfortants, son émotion, bien que plus contenue, au diapason avec la mienne. Cette fois nous avions fait tout ce qui était en notre pouvoir. Restait à arriver jusqu'aux Dryade pour le leur confier. 


Mes larmes finirent pas se tarir. Je m’excusai auprès de Jaskier pour l’eau salée et la morve sur son veston. J’étais un peu embarrassée mais il y répondit par un grand éclat de rire et une œillade appuyée :


-Bah, je vais prendre ça comme une marque de confiance et d’affection !


L’eau fraîche de la source me fit du bien et me permit de reprendre visage humain. Les garçons avaient préparé un feu et mis à chauffer le repas en plus de la soupe pour Geralt. L’air commençait à embaumer. Je me sentais plus légère d’avoir enfin pu lui prodiguer un soin efficace et d’avoir lâché les émotions que je contenais depuis le moment où nous l’avions abandonné, seul face aux goules, pu quoi que ce fût, qui arrivaient. Une part de moi s’en voulait de l’avoir écouté et de n’être pas restée pour le seconder dans ce combat : avec mon arc j’aurais certainement pu infliger quelques dégâts à ces viles créatures ce qui lui aurait évité de telles blessures… Enfin… Comme il disait souvent : « ce qui est fait ne peut être défait ».


Jaskier aussi semblait se sentir mieux : il retrouvait petit à petit son naturel expansif, plaquant des accords sur son luth pendant que le repas finissait de cuire. Sa voix chaude s’envola dans la nuit tombée, nous évadant dans une aventure joyeuse pleine de rebondissement et de pitreries. Cela nous fit beaucoup de bien à tous. Mon cœur s’allégea encore quand la voix de Geralt, éraillée mais audible, résonna à son tour depuis l'arrière de l'attelage :


-J’ai faim !


C’était la première fois en deux jours qu’il s’exprimait normalement. Quand j’arrivais avec son bol de soupe, cette fois non diluée, à la main, ses yeux étaient entrouverts. Il me sourit faiblement, passant sa langue sur ses lèvres sèches à la vue du récipient. Jaskier et Wellan l’aidèrent à se redresser ce qui lui arracha un gémissement sourd auquel firent écho les regards désolés des deux hommes.


-Ça fait du bien de te voir en meilleure forme ! Nous avons vraiment cru te perdre…, lui indiquai-je en commençant à l’alimenter.


Il ferma les yeux en savourant avec un soupir de contentement. Cuillerée après cuillerée, il parvint à avaler tout le contenu du bol avant de s’endormir à nouveau. Le temps de nous sustenter à notre tour, de nourrir et abreuver les chevaux et nous nous préparâmes pour la nuit, organisant un tour de garde en bonne compagnie de Karvill, rassurant par sa présence chaleureuse, son ouïe fine et sa stature imposante. 


J’étais lasse. La libération de mes émotions avait achevé de me vider de ce qu’il me restait d’énergie après cette journée passée à chevaucher et à m'inquiéter. Je me proposai donc de prendre du repos immédiatement pour relayer celui qui serait de garde vers trois heures du matin. J’enchainerais ainsi sur notre nouvelle journée de voyage juste avant le lever du jour. Après une dernière décoction de saule et une vérification des pansements du Sorceleur, je me laissai glisser, contre lui, dans un sommeil sans rêves.



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