Mon aventure avec le Sorceleur

Chapitre 21 : Bel accueil

2727 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/05/2020 19:06

Chapitre 21 : Bel accueil


Des heures s’étaient écoulées. La nuit était tombée depuis un bon moment quand nous arrivâmes enfin au village de nos compagnons de route. Village me semblait d'ailleurs un grand mot : il devait s’agir tout au plus d’un hameau de quelques fermes réunies autour d’une vieille forge. Des aboiements de chiens réveillèrent les habitants. Des hommes et des femmes, en tenues de nuit, sortirent sur le pas de leur porte armés de fourches et d’autres outils contondants ou tranchants, bien décidés à protéger leurs biens. Une femme cria en voyant les adolescents :


-Josh, Karl, c’est vous ?!


De taille moyenne, replète, les cheveux bruns en bataille sous son bonnet de nuit, elle déposa l'immense couteau de cuisine qu'elle avait à la main et accourut vers nous pour attraper les garçons chacun par une oreille, les obligeant à descendre de cheval.


-Je vais vous faire payer cher la peur que vous m’avait faite, comme si ça ne suffisait pas que votre père soit mort ! Wellan dépêche-toi de descendre toi aussi, ta mère doit être folle d’inquiétude ! Revenant à ses fils : où étiez-vous passés ?! Je vous ai cherché toute la journée ! Se tournant vers le rouquin elle s'adoucit : Finn… vient manger un morceau à la maison mon garçon.


Les autres habitants regardaient la scène, curieux. Certains repartirent se coucher en baillant, d'autres s'attardèrent encore. La mère des jumeaux remarqua enfin notre présence. Elle nous salua :


-Excusez-moi Monsieur, Madame, j’espère que ces chenapans ne vous ont pas importunés…


-A dire vrai ils nous ont apporté une aide précieuse… Notre ami est gravement blessé, expliquai-je en désignant le brancard, c’est grâce à eux et à leur ingéniosité que nous l’avons acheminé jusqu’ici. Ils nous ont proposé l’hospitalité mais nous ne voulons pas vous importuner.


-Vous êtes les bienvenus chez moi, coupa Finn, je vis seul maintenant, même si tout le village me soutient.


-Hors de question, trancha la femme, c’est chez moi que vous viendrez. Je veux savoir dans quelles histoires mes fils sont encore allés se fourrer. Wellan, c’est pas la peine de trainer ici. Va rassurer ta mère.


Le jeune homme ne bougea pas, soutenant froidement le regard de la femme :


-Tu sais aussi bien que moi qu’à cette heure-ci elle est ivre morte. Je te parie qu’elle n’aura même pas remarqué mon absence. De toute façon ils vont encore avoir besoin de mon aide.


La femme ne le contredit pas. Elle se contenta de hocher tristement la tête :


-Je suis désolée… Allez viens manger à la maison toi aussi : j’ai gardé de la soupe au chaud sur le feu. Venez tous, on ne dira pas que Griselda a perdu son sens de l’hospitalité !


Nous suivîmes la femme à pieds. Les adolescents emmenèrent tous les chevaux à l'écurie, à l'exception d'Ablette que Jaskier conduisit en main jusque devant la maison pour la dételer. Elle aussi fut alors emmenée profiter d'une bonne ration d'avoine pendant que je détachait Geralt de sa civière. Griselda l'observa avec attention, laissant s'attarder son regard sur le médaillon à tête de loup. Je vis passer une ombre soucieuse dans son regard. Je m'attendais à la grimace de dégoût habituelle mais elle ne vint pas. Au contraire, la femme s'empressa de préparer un lit pour le blessé toujours inconscient. 


Ses fils, Wellan et Finn joignirent une nouvelle fois leurs forces pour transporter le Sorceleur, le déposant dans le lit préparé pour lui. Je vérifiai une fois de plus ses constantes et lui proposait à boire après l'avoir calé avec les oreillers. La femme m'apporta un bol de soupe diluée et m'aida à la lui donner. Elle s'assura que je n'avais besoin de rien de plus. Je vérifiai ensuite rapidement l'état des pansements avant d'accepter, à regrets, de le laisser pour rejoindre la pièce principale où chacun s'était attablé. Je m'installai de façon à le voir depuis la porte ouverte.


La pièce était assez spacieuse. Les murs de pierre s'ouvraient sur des fenêtres de taille moyenne. Une grande table en chêne occupait une partie de la pièce. Contre les murs, plusieurs plans de travail offraient des espaces propices pour diverses préparations. Des ustensiles de cuisine et des outils étaient suspendus au dessus, indiquant à quelle activité quotidienne chaque espace était destiné. Un feu joyeux flambait dans la cheminée. Le chaudron de soupe y était suspendu, juste au dessus des flammes qui en léchaient le fond. Cela embaumait. Je me rendis compte que j'étais affamée et frigorifiée, percluse de fatigue.


La table était en bois brut et épais, suffisamment grande pour accueillir confortablement huit personnes voire plus. Griselda faisait des allers retours entre la soupière et la table pour servir chacun. Un des jumeaux coupait d'épaisses tranches de pain pour l'accompagner. Il les distribua. 


Elle se servit en dernière puis s'installa à son tour. Je m'autorisai enfin à plonger ma cuillère dans l'assiette creuse en bois qui, après le clapoti de la soupe, émit un son mat en retour. Je soufflai sur la cuillère fumante avant de la laisser franchir mes lèvres. Quel délice que cette soupe au cresson et pommes de terres légèrement aillée et parfaitement assaisonnée ! Sa saveur ravissait mes papilles et sa chaleur réchauffa agréablement toute ma bouche. Je suivis mentalement cette sensation chaleureuse jusqu'à mon estomac qui grogna de contentement. Je rompis un morceau de pain, appréciant sous mes doigts le moelleux de la mie. Je le trempai dans ma soupe puis savourant le croustillant de la croûte sous mes dents. Cuillerée après cuillerée, morceau de pain après morceau de pain, je sentais le bien-être s'installer et une douce torpeur m'envahir.


Griselda nous laissa le temps de manger un peu avant de poser la question qui devait lui brûler les lèvres depuis le retour de ses enfants :


-Racontez-moi à présent où vous étiez et ce qu'il vous est arrivé.


Les jeunes se tournèrent vers Jaskier qui accepta de raconter, à sa façon bien entendu, notre rencontre avec eux et la raison de leur quête. Il mit en avant leur sens de la justice, leur courage et leur détermination et affirma qu'ils avaient rempli avec succès leur mission. La partie de Geralt fut immanquablement abordée mais l'habile barde parvint à garder l'attention de la mère de famille sur les qualités de sa progéniture et sur le fait que feu son épou reposait désormais en paix en un lieu où elle pourrait dorénavant se recueillir. Il va sans dire que malgré l'intervention de Jaskier pour les dédouaner, les jeunes eurent droit à un sacré sermon concernant leur prise de risques inconsidérée. 


La femme nous surprit ensuite en venant nous serrer tous les deux fort dans ses bras. Alors que j'avais le visage calé malgré moi contre son opulente poitrine, elle dit d'une voix tremblante pendant que ses grands gaillards de fils levaient les yeux au ciel :


-Merci d'avoir pris soin de mes petits ! Je ne sais pas si j'aurai survécu à leur perte… Demain je solliciterai le conseil du village, pour vous aider au mieux à emmener ce brave homme auprès des Dryades comme vous le souhaitez. En attendant je vais vous préparer une chambre pour que vous puissiez dormir.

-Celle où est Geralt sera très bien. Je souhaite continuer de veiller sur lui.

-Pareil pour moi, ajouta Jaskier.


Griselda hocha la tête un peu surprise mais ne fit pas de commentaire. Le temps de me rafraîchir et je m'endormis blottie contre le Sorceleur pour lui tenir chaud et le sentir respirer tandis que Jaskier investissait l'autre lit.


***


Je fus réveillée par du mouvement. A en croire la luminosité ambiante, le soleil devait être levé depuis plusieurs heures, j'étais surprise d'avoir dormi si longtemps. Geralt s'agitait près de moi, appelant Yennefer, comme souvent depuis le début de notre voyage. Il gémissait, semblant lutter pour s'éveiller. Je m'assis près de lui, posant mes mains sur le haut de sa poitrine pour le rassurer. Il entrouvrit un oeil de chat inquiet, croisa mon regard, puis le laissa se refermer avec un soupir. Il semblait sans forces mais il était sorti de son inconscience ce qui était bon signe.


-Nous sommes avec toi, tu es en sécurité. Tu as perdu beaucoup de sang laisse-toi le temps de récupérer. 


Ne voulant pas rompre le contact avec Geralt, je réveillai Jaskier en lui lançant mon oreiller, il bondit sur ses pieds l'air hagard, les cheveux en bataille. 


-Hein? Qu'est-ce qu'il se passe ? Est-ce une façon de tirer du sommeil un honnête homme?!

- Il s'est réveillé, Jaskier, mais il est très faible. Il va avoir besoin de toi. Je vous laisse entre hommes pour les questions d'élimination. Vois, Griselda nous à laissé un seau d'aisance. 

-Non mais tu plaisantes ?! Je sais pas gérer ça moi ! 

-Tu vas t'en sortir à merveille ! Tu ne vas quand-même pas le laisser se souiller...


Éclatant d'un rire mutin, je déposai un baiser sur la tempe de Geralt et filai comme une voleuse. Ce n'était pas franchement correct de ma part mais présentement je me sentais plus amante que guérisseuse et je ne me voyais pas gérer cela. C'est en refermant la porte derrière moi que je réalisai avec embarras que ma tenue n'était pas du tout appropriée pour côtoyer de parfaits inconnus… Le rouge aux joues, je retournai dans la chambre où Jaskier était en train d'aider Geralt à se redresser. Son regard soulagé de mon retour ne me laissa pas d'autre choix que de l'aider dans cette tâche que j'avais voulu esquiver.


Cet effort terrassa le Sorceleur, épuisant le peu de forces qu'il avait réussi à reconstituer. Le temps de le remettre au lit et il sombrait à nouveau dans un sommeil profond. Mon cœur se serra de le voir si amoindri. J'en profitai pour faire ses soins, lui épargnant ainsi des douleurs inutiles. Je fus une nouvelle fois surprise par la vitesse de régénération de son organisme : les sutures semblaient propres et en bonne voie de cicatrisation. 


Je demandai à Jaskier de m'aider à le tourner sur le côté pour accéder à l'arrière de son corps. J'étouffai alors un juron : a en croire le liquide qui tâchait le pansement, malgré mes précautions et mes baumes, sa morsure à l'épaule semblait malheureusement en train de s'infecter… Je défis le pansement. L'aspect de la plaie était vraiment inquiétant, l'odeur qui s'en dégageait aussi. Je jurai cette fois franchement, regrettant de n'avoir pas pensé lui demander d'informations sur ses élixirs lors de sa courte reprise de connaissance. 


C'est à ce moment-là que Griselda frappa à la porte. J'enfilai à la hâte mes vêtements de voyage : des braies sombres et ma tunique verte fendue sur les côtés, tandis que Jaskier se rajustait de son côté avant d'aller lui ouvrir. Elle eut un mouvement de recul en voyant la plaie, fit demi-tour en lançant par dessus son épaule :


-Je vais vous faire bouillir de l'eau et lui préparer une décoction d'écorce de saule. Je vous amène du linge propre aussi. C'est dans ces moments-là qu'on regrette de n'avoir pas de magicien sous la main…


Deux minois inquiets apparurent dans l'embrasure de la porte : Josh et Karl tremblèrent de concert en voyant la plaie infectée. Il firent un bref signe de la main et semblèrent opter pour un repli stratégique avant de tourner de l'oeil. Je les entendis s'affairer à la cuisine avec leur mère qui m'amena ce qu'il fallait pour mon patient tandis que ses fils préparaient apparemment une collation. Griselda prit le départ, annonçant :


-Je vais solliciter le conseil du village, je reviens dès que possible. Si vous avez besoin de quoi que ce soit demandez aux garçons. Wellan et Finn ont prévu de passer prendre des nouvelles eux aussi. N'hésitez pas à les renvoyer chez eux s'ils vous importunent. 


Nettoyer la plaie infectée me prit plus de temps que je ne l'aurais souhaité. Geralt émergea juste assez pour gémir de douleur sous mes soins mais pas suffisamment pour m'indiquer lequel de ses élixirs pouvait l'aider… Jaskier avait pourtant apporté ses affaires jusqu'à lui mais il ne sut pas ouvrir les yeux… Il replongea vite dans l'inconscience. Jaskier avait l'air las et inquiet. Blanc, mâchoire crispée, il passa sa main dans ses cheveux pour essayer de les discipliner.


-J'ai passé ma nuit à rêver de sa mort. Je la sens qui rôde. Je ne suis pas prêt pour ça…

-Garde confiance… Je crois en lui. Il va la combattre cette infection… Déjà il reprend conscience par moment, c'est encourageant...


En vérité je n'en menais pas large non plus mais je devais tenir l'espoir coûte que coûte que nous arrivions à bon port à temps. Jaskier carra les épaules et raffermit son regard avant de me sourire.


-Tu as raison, il en a vu d'autres. Allons lui dénicher un peu de soupe pour le requinquer et prenons le temps de manger nous aussi! Je meurs de faim ! Après nous réfléchirons à un moyen de transport plus rapide pour lui. J'estime qu'en forçant l'allure on doit pouvoir couvrir la distance restante en deux ou trois jours en relayant les chevaux. 


Tandis que je terminai le soin, Josh et Karl qui avaient entendu nos besoins par la porte restée ouverte nous apportèrent de la soupe tiède et diluée comme la veille et deux assiettes garnies de généreuse tartines au fromage pour Jaskier et moi. 


Caler Geralt en semi-allongé pour l'alimenter fut malheureusement douloureux pour lui : arraché à son sommeil par la sensation, il gémit et se crispa, le souffle court. Il réussit de nouveau à entrouvrir un oeil mais le referma aussitôt, réservant ses forces. Il grimaça à la saveur de la décoction que je l'encourageai à prendre quand-même, puis son visage se détendit quand je lui offrit la soupe. Il ne l'avala pas toute entière, trop épuisé, il retomba dans l'inconscience.


Wellan et Finn arrivèrent au moment où nous terminions de manger. Il s'enquérirent de la santé de Geralt, se réjouissant de ses moments d'éveil et nous surprirent en nous offrant plusieurs bouteilles de vin de Toussaint. C'était leur manière de nous remercier une fois encore. Je me doutais de la provenance du vin étant donné l'échange de la veille, aussi j'acceptai-je sans discuter et avec gratitude, ne voulant pas retourner le couteau dans la plaie.


Griselda rentra peu de temps après. Elle nous remit, de la part du conseil, une petite bourse ventrue :


-C'est pour dédommager le Sorceleur pour nous avoir débarrassés des goules. Désolée de ne pas pouvoir offrir plus, chacun a mis un peu. 

-Nous n'en attendions pas tant...

-Ce n'est pas tout : nous avons décidé de mettre à votre disposition un chariot, deux chevaux de trait pour le tirer et deux autres pour vous permettre de mettre au repos les vôtres. Cela vous permettra d'avancer plus vite vers Brokilone. Wellan et Finn se sont portés volontaires pour vous accompagner et ramener nos biens une fois votre destination atteinte. 


Un élan de gratitude me traversa, me faisant monter les larmes aux yeux. Jamais je me serais attendue à une telle générosité ! Je serrais les mains de la femme en la remerciant de tout cœur : par son intervention elle venait d'offrir une réelle chance de survie au Sorceleur. 


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