Mon aventure avec le Sorceleur

Chapitre 20 : Point par point

2465 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 15/05/2020 09:47

Chapitre 20 : Point par point


Avec un cri de détresse et de rage je décochai une flèche sur l'impudent volatile, le transperçant de part en part, faisant s'envoler ses congénères occupés à festoyer. Je sautai de cheval dans le même mouvement, sans même songer à l'attacher. Je courus jusqu'au Sorceleur, venant prendre son pouls à la carotide. Un soupir de soulagement m'échappa en sentant son cœur battre à peine plus lent que d'ordinaire, c'est à dire incroyablement lentement pour un humain ordinaire. Il était en vie mais en mauvais état. Outre la plaie au visage, des bandages de fortune sur ses deux avant-bras révélaient des tâches rouges indiquant la gravité des blessures qui continuaient de saigner à travers le textile. Il avait dû perdre connaissance juste après avoir noué le deuxième. A en croire ses vêtements de cuir lacérés et poisseux de son sang, il présentait probablement d'autres plaies mais apparemment rien de cassé, pour ce que j'avais pu palper.


Jaskier et les jeunes hommes étaient arrivés à leur tour, visiblement incommodés par la scène et l'odeur, ils restèrent à distance un temps. Jaskier ne sut pas se résoudre à approcher. Il avait perdu de sa superbe face à la vision de son ami inerte. Pâle comme la mort il me sembla voir briller ses yeux et trembler ses mains qui agrippaient convulsivement sa tunique. 


-Il est en vie! Venez m'aider à le déplacer : il a perdu beaucoup de sang et a besoin de soins urgemment! 


Wellan vint me prêter main forte pour soulever le Sorceleur pendant que ses amis vomissaient piteusement. Dieux qu'il était lourd ainsi sans connaissance. Finn prit sur lui pour venir nous aider ce qui n'était pas du luxe. Wellan le soutenait sous les aisselles pendant que Finn et moi essayions tant bien que mal de soutenir une jambe chacun. 


Enfin nous pûmes le déposer sur l'herbe grasse auréolée de la lumière du soleil levant. 


-Jaskier ressaisis-toi! Trouve-moi de quoi faire bouillir de l'eau ! Les garçons, j'ai besoin d'un feu et de la sacoche accrochée sur Orage, ajoutai-je en sifflant ma jument qui s'était un peu éloignée pour paître. Wellan, aide-moi à le déshabiller. J'ai besoin de voir l'étendue de ses blessures pour pallier au plus urgent. 


Une fois sa veste et ses bottes enlevées, ce que je découvris au fil du découpage de ses vêtements en lambeaux me fit frémir. Mes mains se mirent à trembler devant le nombre de lacérations à vif rien que sur la partie antérieure de son corps. Il fallait que je me ressaisisse pour être la plus efficace possible. D’abord le retourner, voir ce qu’il en était au niveau de son dos. La morsure qu’il avait sur l’épaule gauche était impressionnante et présentait un gros risque d’infection. D’autres marques de griffes striaient également ses flancs, son postérieur et ses cuisses, certaines nettement plus profondes que d’autres. Il avait déjà perdu beaucoup de sang et nombre de ses plaies ouvertes saignaient encore trop. La panique menaça de me submerger, je ne savais pas par où commencer. Mon amulette se mit à vibrer, produisant une chaleur apaisante. Je fermai les yeux un instant et pris le temps de respirer profondément. Le calme se fit en moi. Faisant abstraction de tout le reste je me mis au travail. 


Après un nettoyage sommaire de son corps à l'eau bouillie, je mis à contribution chacun, après désinfection des mains, pour faire pression sur ses plaies qui saignaient le plus : il fallait contenir les différentes hémorragies et je ne pouvais pas tout recoudre à la fois. Fouillant dans ma sacoche, j’avais sorti mon nécessaire, déroulant sur le sol la toile enveloppant mes instruments, gardant à portée de main mes différents baumes cicatrisants et antiseptiques. Les sutures me prirent des heures tant il y eut de points à réaliser. Il vint même un moment où je me retrouvai à cours de fil de soie et il fallut fouiller dans les affaires de Geralt pour trouver son propre matériel de suture. Je regrettais de ne pas connaître la teneur de ses élixirs : il devait en avoir qui auraient pu l’aider mais je ne pouvais pas prendre le risque de jouer à l’apprenti sorcier. Au fur et à mesure que soignais les plaies, je libérais un à un les garçons de leur travail d’assistants, leur permettant d’aller faire ce pour quoi ils étaient là : réunir dans un linceul les restes de leurs proches et leur offrir une tombe décente afin qu’ils puissent enfin reposer en paix. 


Je terminai par la plaie au visage. Seul Jaskier était encore à mes côtés. Je le surveillais du coin de l’œil : sa pâleur et son silence m’inquiétaient. J’espérais qu’il n’allait pas finir par tourner de l’œil. J’étais épuisée par la répétition monotone de ma tâche et l’angoisse qui était revenue me nouer les entrailles. 


Le soleil était maintenant haut dans le ciel et Geralt ne revenait pas à lui. Régulièrement, je vérifiais sa respiration et son pouls : ses signes vitaux restaient faibles mais présents. J’allais arriver au bout de ce que je pouvais faire pour lui. Il me fallut encore le temps de protéger chacune de ses blessures préalablement couvertes de baume par des bandages. Je dus sacrifier des vêtements pour avoir assez de bandes. Les jeunes avaient fini leur tâche macabre. Ils étaient à présent occupés à récupérer des griffes et des dents des goules en guise de trophées. Je les entendais chuchoter entre eux, sur leurs découvertes et leurs observations, mi-fascinés, mi-révulsés. C'est Wellan qui nous indiqua à Jaskier et moi :


-Une de ces créatures est vraiment différente des autres, nettement plus grosse, toute hérissée, encore plus hideuse et effrayante que les deux autres... Ce doit être elle qui l'a mise à mal comme ça... Peut-être est-ce une algoule[1]? Lui seul pourrait nous le confirmer...


Nous ne pûmes que hausser les épaules en réponse... Je ne connaissais pas suffisamment les monstres pour pretendre les identifier. J'imaginais cependant que les blessures récemment guéries de Geralt avaient du jouer en sa défaveur. Sans compter que ses élixirs qui auraient pu l'aider à la fin du combat étaient restés dans la selle d'Ablette où il les avait rangés, certainement par habitude, après s'être préparé. Pour l'heure je faisais ce que je pouvais pour lui.


Les garçons entreprirent de faire brûler les carcasses putrides des monstres. L'odeur qui s'en dégageait augmentait encore la puanteur environnante, me donnant la nausée. Il me tardait vraiment de quitter cet endroit maudit.


Geralt ne reprenait toujours pas conscience. Cela m'inquiétais profondément, même si ça lui évitait de souffrir. Jaskier m'aida à le redresser suffisamment pour lui donner un peu d'eau, ses réflexes fonctionnaient encore correctement et il parvint à déglutir sans fausse-route. J'en profitai pour lui faire ingurgiter le précieux élixir que j'avais récupéré chez moi. Ses propriétés magiques devaient l'aider à survivre jusqu'à Brokilone. Avec la quantité de sang qu'il avait perdu, tout autre homme que lui serait déjà mort. S'il devait s'en sortir ce serait grâce aux soins des Dryades et aux capacités de régénération exceptionnelles de son organisme de mutant. Encore fallait-il réussir à l'acheminer jusque là-bas…


Reconnaissants pour son sacrifice involontaire, les garçons prirent l'initiative de fabriquer un brancard de fortune à l'aide de leurs haches d'arme et des cordes que nous avions à disposition. Pour cela ils abbatirent deux jeunes arbres aux troncs fins, solides et bien droits et les assemblèrent à plusieurs traverses destinées à soutenir le corps de Geralt, garnissant le tout de hautes herbes pour un semblant de moelleux. Je profitai de ce temps pour prendre un peu de repos et me sustenter. Je vins me caler contre Jaskier, toujours aussi terriblement silencieux. Il poussa un grand soupir et s'exprima enfin :


-Je ne suis pas prêt pour composer la ballade de sa mort. J'avais escompté ne jamais avoir à la faire…

-Il est en vie. Il est fort. Il a survécu à pire que ça et tu es bien placé pour le savoir. J'ai fait tout ce qui était en mes moyens, maintenant c'est à lui de se battre jusqu'à Brokilone. Les Dryades nous le remettront sur pieds, il n'y a pas de soins plus puissants que les leurs. Allez mange un peu, ce n'est pas en te laissant mourir de faim que tu vas l'aider.


Jaskier hocha la tête et accepta le morceau de pain que je lui tendais. Il mordit dedans sans appétit.


Le brancard était prêt. Il ne restait plus qu'à y installer Geralt avant d'atteler Ablette. Cette dernière s'était couchée contre son maître lui partageant sa chaleur, caressant du bout du nez et des lèvres les cheveux blancs du Sorceleur, comme pour essayer de le réveiller. A défaut de le rhabiller, nous avions enveloppé son corps dans plusieurs couvertures pour le garder au chaud tout en me laissant la possibilité d'accéder facilement ses blessures en cas de besoin. 


Quand elle vit les jeunes hommes amener la civière improvisée, la jument se leva d'elle-même pour nous laisser le champ libre le temps du transfert du Sorceleur. Je laissais cette fois les garçons le porter, supervisant les opérations. Ils étaient robustes et habitués à travailler ensemble, ils le déplacèrent en douceur dans un mouvement parfaitement synchronisé. Je pris alors soins de l'attacher solidement pour lui éviter toute chute impromptue durant le trajet. 


Lui caressant le chanfrein, j'expliquai à Ablette ce que l'on attendait d'elle et elle recula d'elle-même entre les bras du brancard ce qui nous permis de le fixer solidement de part et d'autre de sa selle, inclinant l'homme inconscient. Jaskier flatta l'encolure de la jument avant de se mettre en selle, s'adaptant tant bien que mal au dispositif. Nous étions prêts à prendre la route. 


Nous nous mîmes en marche en silence, cherchant les terrains les plus lisses possibles pour le confort du Sorceleur dont la civière glissait derrière la jument, dans un son de frottement aussi monotone qu'irritant. Je suivais Ablette avec Orage, surveillant l'état de mon patient qui était bringuebalé par les irrégularités du sol. Chacun semblait plongé dans ses pensées. 


Le temps s'étira puis les adolescents se mirent à chuchoter entre eux devant nous. Wellan s'exprima au nom du groupe :


-Nous avons une dette envers vous, envers lui… Acceptez, s'il vous plaît, l'hospitalité de notre village. Il n'est qu'à quelques heures encore, cela ne vous déviera pas de votre route vers Brokilone et vous pourrez prendre un repas chaud et un peu de repos. 


Je croisai le regard de Jaskier qui s'était retourné vers moi, interrogateur. J'acquiesçai en silence avant de dire :


-D'accord mais à une condition : que vous nous fassiez la promesse de mettre de côté vos projets de vengeance pour le moment. Surtout toi Finn. Aujourd'hui vous ne faites pas le poids contre des hommes adultes. Vous êtes jeunes et inexpérimentés, vous seriez morts cette nuit si Geralt n'avait pas été sur place avant vous. Voyez dans quel état ces goules l'ont mit. Pourtant c'est un Sorceleur expérimenté, rompu à de nombreuses techniques de combat, aux sens plus aiguisés que le commun des mortels. Si vous aviez affronté ces créatures vous-même, vos proches ne reposeraient toujours pas en paix. Promettez-moi de prendre le temps de mûrir, de vous fortifier, d'apprendre à vous battre avant de tenter quoique ce soit contre les hommes qui ont massacré vos êtres chers. Quand le temps aura passé, que vous vous serez aguerris alors, si vous y tenez toujours, vous pourrez exercer votre vengeance. Finn, ce à quoi tu as assisté est d'une ignominie sans nom : c'est insupportablement injuste et inacceptable. Ce traumatisme te suivra probablement toute ta vie. Je te souhaites de parvenir à le dépasser pour devenir un homme dont tu seras fier, sans te laisser ronger par la haine. Je vous le souhaite à tous les quatre.


Les jeunes prirent le temps de se concerter du regard avant de lever la main en hochant solennellement la tête dans une promesse muette.


Le trajet continua dans le même silence pensif qui commençait à me peser. Geralt restait toujours désespérément inconscient. La seule chose qui me rassurait un peu c'était de l'entendre gémir par moment. Il semblait moins inerte, peut-être plus connecté à ses sensations. 


Nous nous arrêtions régulièrement pour nous assurer de son confort et lui faire boire un peu d'eau. Je surveillais également toute fièvre qui serait le signe d'une infection. J'avais récolté de l'écorce de saule pour en faire une décoction si besoin. Le temps passait, nous avancions tellement lentement... Ne supportant plus le silence je décidai de le rompre :


-Jaskier, maître troubadour, il est temps de reprendre du service ! Tu dois bien avoir quelques histoires à nous raconter pour faire passer le temps et chasser les ruminations maussades dans lesquelles nous baignons. Geralt est en vie et il a besoin d'ondes positives pour le rester. 


Le barde lâcha un soupir puis se redressa sur sa monture, inspirant profondément pour se remettre dans sa fonction. Même si le cœur n'y était pas vraiment c'était un professionnel consciencieux. Bientôt nous nous laissâmes tous transporter par son histoire. Le trajet se poursuivit donc en récits et en musique ce qui nous allégea un peu le coeur et fit sembler le temps moins long.


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[1]Les algoules sont des goules qui ont mangé des cadavres pendant des années, jusqu'à ce qu'elles découvrent la saveur de la chair humaine et commencent à attaquer les vivants pour se repaître de leur viande tiède. On les trouve dans les cryptes et sur les champs de bataille, généralement entourées de goules. Le commun des mortels ne voit pas de différences entre les charognards, mais les sorceleurs savent que l'algoule est un adversaire plus agressif et plus redoutable.


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