Mon aventure avec le Sorceleur

Chapitre 19 : Macabre Découverte

2490 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/05/2020 09:25

Chapitre 19 : Macabre découverte


L'expression de Jaskier me confirma que l'attitude de Geralt n'était pas de bon augure : le Sorceleur reprenait du service. Les corbeaux étaient nombreux, laissant présager d'un festin à leurs yeux. Geralt fit faire demi-tour à Ablette et je suivis avec Orage. Nous descendîmes du promontoire pour le contourner par la droite où il y avait un bosquet vers lequel s'étaient dirigés les volatiles. L'odeur me heurta bien avant la vue : il y avait plusieurs cadavres, apparemment humains, en décomposition avancée à en croire le grouillement de surface. Je contins difficilement ma nausée, Jaskier descendit vomir, s'appuyant contre un arbre. 


Geralt fit le tour de la zone, chassant les corvidés qui se délectaient de lambeaux de chair. D'après le nombre de crânes et ce qu'il restait des vêtements, il devait y avoir les corps de trois hommes, une femme et un enfant mais il était difficile d'en avoir la certitude tant les corps avaient été malmenés après leur mort, enfin je le leur souhaitais…


Non loin de là se trouvaient les restes d'un chariot : partiellement pulvérisé, il ne subsistait qu'une roue sur quatre et le toit avait l'air déchiqueté, des éclats de bois avaient volé alentours et on pouvait voir des parties noircies comme brûlées. J'ignorais ce qu'il s'était passé ici mais celà me donnait froid dans le dos. C'est Jaskier qui finit par poser la question qui n'arrivait pas à franchir mes lèvres :


-Quel genre de monstre a pu faire ça ?

-Des hommes… Je ne sais pas ce que ces pauvres gens avaient fait ou possédaient mais on a usé d'un engin explosif contre leur chariot et on les a massacrés. Ils n'ont même pas eu droit à une sépulture décente ce qui veut dire que comme le soleil est sur le point de se coucher vous allez devoir vous mettre en sécurité et me laisser travailler. Si j'en crois les traces sur les corps, il y a au moins une goule[1], probablement plusieurs, qui a festoyé ici récemment et aucun de vous n'a envie faire connaissance avec des nécrophages. 


Geralt fouilla dans ses sacoches, choisissant soigneusement les élixirs dont il avait besoin, il échangea également ses lames, plaçant celle en argent dans son dos après en avoir enduit la lame d'une huile, attachant l'autre, en acier, à sa selle. Il vérifia l'ajustement de ses divers éléments de protection.


-Jaskier, je te confie Ablette, à pieds tu n'iras pas assez vite pour mettre suffisamment de distance et être en sécurité. Partez vers le Nord, galopez sur quelques lieues, attendez que le soleil soit levé pour revenir me chercher. Choisissez un espace en plaine pour une bonne visibilité et faites un feu. Relayez-vous pour dormir. Gaëlliane, si ça devait mal tourner, sers-toi de ton arc, les goules craignent l'argent.


L'instant suivant nous étions en route. Tout s'était assombri. Couchés sur l'encolure de nos juments, Jaskier et moi galopions comme si nous avions la mort aux trousses, ce qui n'était pas loin d'être le cas. J'avais jeté un dernier coup d'œil à Geralt avant de partir : il avait bu son élixir qu'il nommait chat-huant et ses pupilles totalement dilatées lui donnaient un regard entièrement noir dans la pâleur cadavérique de sa peau recouverte de ses veines devenues sombres. Je ne me faisait pas à cette apparence. Il se tenait prêt, campé sur ses jambes, son glaive à la main. Des hurlements à glacer le sang résonnèrent derrière nous a l'instant où le soleil acheva de disparaître à l'horizon. La bataille allait commencer. 


Suivant les conseils de Geralt, nous nous éloignâmes jusqu'à-ce que le bosquet ne paraisse plus qu'une tâche sombre au loin. L'endroit était désert, un maigre buisson nous offrit un peu de bois. Je sortis un briquet d'une de mes sacoches et un peu d'amadou que j'avais récolté en forêt. Jaskier dénicha des herbes sèches et de la mousse. Notre feu serait petit et difficile à alimenter mais ce serait toujours mieux que rien. La demi-lune montait lentement dans le ciel, jouant à cache-cache parmis les nuages, nous privant régulièrement de sa lumière froide. Les sons couraient loin sur la plaine, des cris terrifiants arrivaient à nos oreilles, témoignant de l'action au loin. Je me rongeais les sangs pendant que Jaskier cassait la croûte, imperturbable. Assise près du feu, j'avais posé mon arc et mon carquois à portée de main, tendue.


-Comment peux-tu encore manger dans un moment pareil?!

-Si j'arrête de manger à chaque fois qu'il part se battre contre une monstruosité, je n'aurais plus que la peau sur les os. Il va s'en sortir, comme toujours.

-J'admire ta sérénité… répondis-je en serrant frileusement mes bras contre moi, le cœur battant la chamade, les tripes nouées par les échos.


Jaskier me regarda avec un sourire tendre : 


-Tu as l'air toute tendue, viens-là que je te masse les épaules, ça te fera du bien et ça passera un peu le temps. 


J'hésitai un instant puis acceptai, haussant les épaules avant de m'asseoir devant lui, face au feu. En ôtant ma veste, je doutais que cela apaise mon angoisse et mon sentiment d'impuissance mais effectivement ça ne pouvait pas faire de mal à mes muscles crispés. 


J'avais oublié que cet homme avait des doigts de fée ! Ses mains chaudes et des doigts agiles dénouèrent efficacement les tensions au niveau de mes épaules et de mon dos. Je sentais mes trapèzes s'assouplir délicieusement sous ses doigts. Quand il dénicha et fit disparaître le noeud sous mon omoplate droite je laissai échapper un soupir de bien-être. Il entreprit enfin de venir exercer de délicates pressions tout le long de ma colonne vertébrale avant d'insister sur ma zone lombaire, me faisant beaucoup de bien. Il m'attira alors à lui, m'invitant à appuyer mon dos contre son torse chaud. J'étais bien, enveloppée par sa chaleur et celle du feu. J'en avais effectivement presqu'oublié que Geralt était en train de se battre à quelques lieux de là. Ma respiration était calme et profonde. Jaskier me murmura à l'oreille :


-Dors, tu en as besoin. Je veille. 


Je fermai les yeux. Je sentis alors les mains de l'incorrigible barde glisser vers mes seins mais un claquement sec de ma langue l'arrêta dans son geste. Il me chuchota amusé :


-Je ne pouvais pas ne rien tenter après la merveilleuse nuit que nous avons passé. Dors, je me tiendrai tranquille, promis! 


S'il tint sa promesse, mon esprit n'en fit pas autant ! Dans mes songes je repartis dans un voyage charnel plaisant dont Jaskier était l'acteur principal. Le plaisir, même en rêve, était au rendez-vous. La brume étrange m'envahit de nouveau : je reconnus vu de haut notre chariot, je flottai jusqu'à une fenêtre et vit au travers Rodric et Mélusine, profondéments endormis l'un contre l'autre. Leurs visages apparaissaient sereins. Mélusine s'agita un peu dans son sommeil, m'appelant. Son père se réveilla pour la câliner, la réconforter… La brume repris ses droits et je m'éveillai au sol, Jaskier paniqué à mes côtés.


-Enfin tu reviens à toi! Lève-toi vite! On a de la compagnie ! 


Je bondis sur mes pieds, saisissant mon arc, enfilant ma veste et mon carquois dans le même mouvement. Plusieurs cavaliers arrivaient de l'ouest, vers nous, leurs silhouettes se découpant dans la lumière lunaire. D'après ce que j'en voyais, il avaient l'air lourdement armés. 


Jaskier rangea en un tour de main le peu d'effets que nous avions sorti, prêt à enfourcher Ablette si le besoin se faisait sentir. J'attendais bien campée sur mes jambes, prête à bander mon arc. Nous attendîmes que les cavaliers soient à portée de voix et de flèches. Ils étaient au nombre de quatre, effectivement lourdements armés mais l'air plus effrayés que dangereux. Ils étaient jeunes, trop jeunes pour être des soldats, ils avaient à peine du poil au menton. Leurs épaules larges laissaient deviner des corps fortifiés par le travail aux champs. Ils se mirent en position défensive et l'un d'entre eux pris la parole d'une voix qu'il voulait impressionnante :


-Vous ne devriez pas être ici. Il y a des goules à quelques lieues de là, il désigna le bosquet.

-Nous sommes au courant, affirmais-je tranquillement.


Le gamin me regarda effaré.


-Et vous attendez quoi ici, ça aime la chair fraîche les goules… Pis c'est rapide aussi...

-Venez prendre place près du feu, on ne mord pas. Répondit Jaskier en s'asseyant. 

-Mais euh… Nous avons une mission ! Repris le chef de la bande en bombant le torse.

-Elle est en cours de résolution. Assoyez-vous les garçons, confirmai-je en m'asseyant à mon tour, rangeant mon arc dans mon dos.


Ils se regardèrent hébétés et soulagés à la fois puis acceptèrent notre proposition, attachant leurs chevaux les uns aux autres avant de s'approcher prudemment de notre feu. De près ils avaient l'air encore plus jeunes et incertains que de loin. Le chef devait avoir une quinzaine d'années, un grand gaillard blond et bien bâti qui se présenta comme Wellan. Les trois autres apparaissaient plus jeunes encore, treize ou quatorze ans? Le moins charpenté de tous arborait une tignasse rousse et un acné juvénile florissant, Finn, les deux autres se ressemblaient comme deux gouttes d'eau : bruns aux yeux sombres et à la peau hâlée par le travail extérieur Josh et Karl. 


-Bon expliquez-nous ce qu'il se passe les mômes ! Comment ça se fait qu'on vous envoie vous à la chasse aux monstres ? Vous êtes un peu jeunes pour ça… Et puis c'est un boulot de Sorceleur, non? Vous en avez déjà affronté une de goule vous?!


L'entrée en matière de Jaskier les avait un peu hérissés. Ils s'étaient regardés, bombant le torse pour paraître plus solides avant de finalement baisser les yeux. Wellan expliqua la situation :


-Dans notre village personne voulait y aller… Mais nous on peut pas laisser leurs corps continuer à se faire déchiqueter… Ça fait déjà trop longtemps qu'ils attendent qu'on les enterre… 

-Mais pourquoi ne pas y aller de jour, en sécurité ? Osai-je demander.

-Parce que ces saloperies ont bouffé les corps de nos proches ! lâcha le rouquin. J'étais là quand les brigands les ont tous tués… Ils ont fait exploser notre chariot pour quoi? Quelques orins et des légumes ?! J'ai réussi à me planquer dans un arbre mais j'ai rien pu faire pour ma famille ! J'ai vu ma mère se faire violer sous les yeux de mon père avant qu'il ne soient tous les deux égorgés et dépouillés ! J'ai vu ma sœur se faire briser la nuque par un de ces salopards ! Les pères de mes amis, il désigna les trois autres, ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour empêcher ça, il se sont bien battus mais les autres étaient plus nombreux, mieux armés, sans scrupules… Ils nous ont tout volé, les bijoux de famille, les outils, les chevaux, les victuailles… Ils se sont barrés à la nuit tombée et là les goules sont arrivées et ont achevé de massacrer les restes de ceux que j'aimais! La seule chose qui m'a sauvé c'est de m'être roulé dans la merde pour cacher mon odeur avant de remonter dans l'arbre. Il était trop tard pour quitter les lieux de toutes façons. 


Sa voix se brisa. Une larme coula sur sa joue tandis que ses amis, unis dans la même douleur, vinrent instinctivement serrer les rangs autour de lui. Il crispa les poings renouant avec la colère qui le gardait en vie. 


-Donc on va tuer ces saloperies de goules et après on retrouvera les salopards qui ont fait ça pour leur faire subir le même sort. Nos proches seront vengés, j'en fais le serment, dit-il en crachant au sol. Je n'oublierai jamais les visages de ces monstres. Jusqu'à ma mort je les chercherai, je les traquerai.

-Je vois, lâcha Jaskier, pour les goules, si j'en crois le silence actuel, le problème est réglé. Nous en aurons confirmation dans quelques heures. Vous avez eu de la chance les gars, vous n'auriez jamais survécu à cette bataille là. 


Maintenant qu'on en savait un peu plus et que les jeunes s'étaient posés, le Barde en profita pour nous présenter l'un et l'autre et leur offrit de partager une collation. Reprenant ses vieilles habitudes, il se lança dans le récit des exploits du Sorceleur qui venait d'occire les goules à leur place. 


Les garçons étaient captivés. Je les voyais frissonner en réponse aux actions. Quelque chose me disait qu'ils commençaient à prendre conscience du type de créatures auxquelles ils avaient prétendu se mesurer. La nuit passa, étant maintenant six, nous eûmes la possibilité de nous relayer et de dormir suffisamment pour être requinqués au soleil levant. J'avais hâte de retourner au bosquet m'assurer que Geralt était indemne, aussi, dès le premier rayon du soleil, je tirai tout le groupe du sommeil sans ménagement, les incitant à sauter le petit-déjeuner pour aller au plus vite sur le lieu de la bataille.


Quelques minutes après nous étions tous à cheval, au petit galop sur la plaine. L'aube colorait le paysage d'une lumière flamboyante qui faisait étinceler les gouttelettes de rosée couvrant les végétaux. Les corbeaux se remirent en mouvement, croassant sinistrement. 


Bien que de plus petite taille, Orage était la plus rapide de nos montures. Je fus donc la première à arriver sur les lieux. Une nouvelle fois l'odeur putride me sauta au visage. Elle était néanmoins différente de la veille à cause des nouveaux cadavres : Geralt gisait au sol, entouré de trois monstruosités inanimées, un corbeau était perché sur sa poitrine, lui triturant du bec une plaie sur sa joue en me jetant un coup d'oeil mauvais. Mon coeur me donna l'impression de cesser de battre.


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[1] créature humanoïde nécrophage qui se déplace à quatre pattes et erre habituellement en bande autour des cadavres. Pour une goule, un humain vivant est une matière première qui doit être traitée avant de devenir de la chair fraîche. Dechiqueté en morceaux par ses crocs et ses griffes, le cadavre humain devrait être laissé pour faisander.

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