Mon aventure avec le Sorceleur

Chapitre 18 : Départ précipité

2727 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/05/2020 12:35

Chapitre 18 : départ précipité 


Cette projection astrale, comme l'avait nommée Geralt, me laissa secouée un bon moment. Je ne m'étais pas attendue à un tel déferlement d'émotions : je connaissais la contrepartie des Dryades mais d'en voir la réalité m'avait été brutal et, je devais le reconnaître, assez insupportable. Chaque fois que je fermais les yeux je revoyais cette dryade chevaucher mon homme, chaque fois je revoyais son visage dans le plaisir et cela me faisait plus mal que de raison, étant donné les circonstances.


Geralt, Jaskier et moi avions quitté la chambre pour prendre un solide déjeuner. Il nous fallait reprendre des forces après cette expérience intense. Nous avions donc rejoint la grande salle que je n'avais aperçu que succinctement la veille : c'était une salle spacieuse aux murs blanchis à la chaux et aux plafonds lambrissés. De larges fenêtres ornées de voilages de couleur et de ferrures, tant ornementales que protectrices, laissaient entrer la lumière du soleil au zénith. L'endroit était bondé, il y régnait une effervescence en lien avec le marché en cours. La foule était bigarrée mêlant non-humains et humains avec apparemment peu de tensions entre les différents peuples. 


A en croire les cris, une tablée de nains jouait aux cartes et l'un d'eux perdait avec beaucoup de mauvaise grâce. Un groupe de marchands était réuni autour d'un plat et semblait discuter âprement des prix du marché. Quelques soldats prenaient une pause bien méritée, non sans scruter les visages des personnes présentes, cela m'inquiéta : peut-être étaient-ils à notre recherche ? Croisant le regard de Geralt, j'eus la confirmation que lui aussi les avait repéré mais il ne semblait pas plus inquiet que ça. 


Je continuais mon observation pendant que Jaskier usait de son charme pour tenter de nous dégotter un coin où manger mais cela ne semblait pas gagné, étant donné la foule. Il y avait peu de femmes dans cet endroit mais l'une d'entre-elle attirait tout particulièrement l'attention tant elle était richement parée, probablement une noble de la région. Brune, sa chevelure brillante était relevée dans une coiffure complexe agrémentée de bijoux, apparemment en or, aux pierres précieuses colorées. Sa robe bleue sombre était garnie de fines dentelles, de broderies et de rubans plus pâles. Le décolleté, plongeant, était agrémenté d'un lourd collier assorti à sa coiffure. Pour compléter sa parure, elle portait également des bracelets tintants aux deux bras et de nombreuses bagues.


Cette noble dame était entourée de trois suivantes aux tenues simples d'une couleur grise terne, les cheveux dissimulés sous une étoffe assortie, faisant faire-valoir de la riche toilette de leur maîtresse. Elles trois semblaient avoir leur attention accaparée par la présence de Jaskier. Toutes le dévoraient des yeux d'une manière presque indécente en chuchotant entre elles avec animation. Leur maîtresse, percevant leur agitation volubile, leva le nez et apperçu elle aussi le Barde. L'expression de convoitise que je vis passer sur son visage n'était pas à son avantage. Sa voix fusa, provoquant un silence surpris dans la salle. 


-Seigneur Jaskier, me feriez-vous l'honneur de partager ma table ?


Elle parlait d'une voix haut perché légèrement pédante. Jaskier s'était raidi à nos côtés. Je ne le sentais pas enthousiasmé mais le fait était qu'il n'avait pas réussi à obtenir gain de cause auprès du maître des lieux. Une bourrade de Geralt le tira de son immobilité. Reprenant contenance il prit un air sciemment enjoué et répondit d'une voix exagérément chaleureuse et joviale :


-Dame Katarina, quel plaisir de vous voir ici! Mes compagnons et moi-même acceptons votre invitation avec plaisir!


Passant un bras derrière chacun de nous, il nous entraîna à sa suite, faisant fi du pincement de lèvres contrarié de la noble dame. Les trois demoiselles étaient en émoi en voyant approcher Jaskier : elles papillonnaient des cils et rosissaient des joues tout en offrant leur sourire aux lèvres entrouvertes et brillantes. Il m'était fascinant d'observer l'effet du Barde sur ces jeunes femmes. Je les vis se mesurer du regard pour savoir lesquelles auraient la chance de s'asseoir à ses côtés mais leur maîtresse, au regard brillant d'envie, trancha en désignant une chaise libre près d'elle.


-Assoyez-vous vous donc cher ami. 


Le brouhaha ambiant avait repris. La femme, vue de près, accusait les effets du vieillissement malgré la tentative de camouflage par un maquillage un peu trop criard de mon point de vue. Elle présentait également un certain embonpoint, témoin d'une vie d'opulence, la rendant pour le moins plantureuse. Elle offrit un sourire béat à Jaskier avant de décocher un rictus dégoûté à Geralt et un regard assez méprisant à mon égard, nous indiquant vaguement de la main qu'elle tolérait que nous prissions place près de ses suivantes. 


Elle se mit alors à chuchoter et glousser avec entrain à l'oreille de Jaskier, le faisant changer de couleur. Je jetai un oeil à Geralt et son air goguenard m'indiqua qu'il ne perdait pas une miette de la conversation. J'espérai secrètement qu'il me la retranscrive ensuite tant l'embarras du Barde était cocasse à voir. Mon attention fut vite détournée par la jeune femme à ma gauche qui commença à me poser des questions sur le musicien, ses compagnes ouvrant grands leurs oreilles pour ne rien perdre de mes réponses.


Elle semblait avide de tout connaître sur lui et j'étais bien en peine de lui répondre ce qui fit franchement marrer Geralt qui en profita pour engloutir la nourriture et la bière, sans intention aucune de me venir en aide. C'est le cri de mon estomac qui me sortit finalement de ce mauvais pas et la demoiselle, se montrant embarrassée de m'avoir ainsi accaparée, me laissa enfin déjeuner en paix.


Quel délice que cet agneau rôti au thym avec ses pommes de terres fondantes et ses flageolets cuits dans le jus de la viande! A chaque bouchée, le plaisir était si grand que je sentais comme une crispation presque douloureuse sous ma langue. J'étais ravie de pouvoir à présent savourer sans avoir à parler. Je décidai de me concentrer uniquement sur mon plat, laissant de côté le brouhaha extérieur et l'agitation autour de Jaskier qui était à présent en train de monopoliser l'attention en racontant, comme à son habitude, toutes sortes d'histoires basées, certes, sur la réalité mais dont il rendait les détails aussi croustillants que difficilement crédibles. La diversion qu'il offrait m'arrangeait bien, j'avais besoin de me recentrer. De toutes façons j'avais déjà entendu plusieurs de ces histoires sur les derniers jours et quelque chose me disait que j'aurai d'autres occasions de les entendre. Les suivantes de Dame Katarina, elles, étaient suspendues à ses lèvres, poussant de petits cris, gloussant ou soupirant selon l'action en cours. 


Jaskier maîtrisait l'art de conter tout en mangeant et buvant avec entrain, son auditoire entièrement captivé. J'étais assez effarée de la quantité de nourriture que lui et Geralt parvenaient à ingurgiter à chaque repas, à croire qu'ils compensaient leur temps passé sur les routes à se contenter de maigres repas. J'en étais à cette réflexion quand parut le dessert qui, étonnamment, ravit à Jaskier l'attention qu'il monopolisait. Il s'agissait d'une gigantesque pièce montée formée de divers choux et agrémentée de chocolat et de chantilly. Je me demandais en quel honneur était un tel gâteau ! 


C'était en fait l'anniversaire de Dame Katarina et, dans sa grande modestie, elle souhaitait que toute l'auberge le sache et mesure sa générosité par le partage de la gourmandise. Elle fit signe à Jaskier qui, bon prince, prit son luth dans son dos pour entonner la chanson rituelle, accompagné par toute la salle. C'est dans le silence qui suivit les applaudissements que Dame Katarina surprit tout le monde en annonçant qu'elle et Jaskier allaient se marier. La manière dont le concerné manqua de s'étouffer dans sa boisson, m'indiqua qu'il n'était pas vraiment concerté. Il nous lança un regard paniqué pendant que sa Dame lui tapotait le dos pour l'aider à expectorer. Geralt éclata de rire et partit en me lançant :


-Profite du dessert et prépare les affaires, je vais récupérer les chevaux.


Je ne me fis pas prier. Je savourais lentement un des choux, profitant de la saveur extatique du chocolat et de la douceur fraîche et sucrée de la chantilly tout en observant Jaskier subir les attentions de sa Dame. Maintenant qu'elle avait fait son annonce, elle se montrait déçamment tactile, assurant son emprise physique sur lui. Le pauvre essayait d'esquiver ses embrassades sans la vexer. J'avais pu comprendre, extorquant quelques informations à ses suivantes, qu'elle avait un certain pouvoir dans la région et qu'elle était réputée pour ses colères et ses châtiments publiques. 


Suivant les recommandations de Geralt, je m'éclipsai discrètement pour faire nos bagages à tous les trois. Ce fut vite fait et bientôt la chambre ne comportait plus trace de notre passage, si on faisait abstraction du lit! 


Je ne sais quel prétexte trouva Jaskier mais à l'instant où Geralt apparu à la porte de l'auberge, il s'échappa avec une profonde révérence pour remercier son public, envoya de la main un baiser à Dame Katarina qui étouffait de rage, et tourna dignement les talons à la suite du Sorceleur. Le temps de mettre les bagages sur les chevaux et de se mettre en selle, moi sur Orage, Jaskier en croupe derrière Geralt et nous étions partis. Nous eûmes quand même le temps d'entendre les imprécations de Dame Katarina à l'égard du Barde. Un coup d'œil en arrière me la révéla rouge de colère et vociférante. Jaskier rentra la tête dans les épaules et sollicita une accélération impossible étant donné la foule environnante. La grande Dame ne s'abaissa pas à nous poursuivre mais il était fort à parier que Jaskier ne serait plus le bienvenu par ici.


Les gardes nous laissèrent partir sans heurts ce qui nous amena à croiser les nombreuses personnes qui attendaient pour entrer dans la ville. A l'extérieur de l'enceinte, un marché parallèle semblait se tenir : comme nous l'avait indiqué Jaskier, un énorme campement sauvage s'était constitué de diverses tentes et baraquements assortis d'échoppes de fortunes et de vendeurs ambulants. Le marché avant le marché. Certains badauds semblaient s'en contenter, découragés par la file d'attente pour entrer dans la place. C'est là que nous dénichâmes quelques provisions pour la route : des saucissons, de belles tourtes à la viande, des pommes et des carotte, une grosse miche de pain et un fromage. Quand les sacoches furent pleines et que les hommes se furent offert en prime une outre d'alcool chacun, nous nous éloignâmes de l'agitation ambiante, reprenant route vers Brokilone.


Sitôt éloigné de sa "fiancée", Jaskier avait repris son babillage habituel, racontant insouciamment comment il avait eu une aventure avec la dite Dame qui était alors mariée. C'était il y avait bien une décennie de ça. Il lui avait bêtement, sous le coup d'une inspiration aussi poétique qu'inconsidérée, fait la promesse de l'épouser si un jour elle venait à se trouver veuve. Volage comme il était il avait complètement oublié ses dires et était donc tombé des nues quand elle les lui avait rappelé, lui détaillant la promesse d'une nuit de noce bien épicée. Jaskier soupira de soulagement de n'avoir pas perdu sa précieuse liberté avec cette femme aussi influente que caractérielle : séduire faisait partie de lui au même titre que chanter ou respirer et c'était un coup à se retrouver à l'échafaud avec une telle femme comme épouse.


Hormis le blabla jaskien, le calme était revenu autour de nous, nous marchions sur un chemin pavé bordé de champs où les semailles commençaient à germer, déployant leurs jeunes pousses sous le soleil du début d'après-midi. Les fers de nos chevaux résonnaient sur les pavés, le rythme que cela induisit sembla inspirer soudainement le musicien qui, bondissant de la croupe d'Ablette, se saisit de son luth pour plaquer quelques accords. Marchant aux côtés de nos chevaux, il déclara vouloir écrire une chanson en mon honneur ce qui me toucha autant que cela m'embarassa :


-Le Sorceleur prisonnier

Surprenament fut libéré

Par une femme toute menue

Présentant de beaux attributs.


Il m'offrit un sourire entendu et enchaîna :


-Sa générosité débordante

La rendait vraiment bandante

C'est donc avec son grand cœur

Qu'elle séduit le Sorceleur


Je tiquai sur ce deuxième couplet, secouant la tête en rougissant violemment. Il rectifia le tir :


-Elle avait de grands yeux verts

Et dans son sourire quelle lumière !

Sa générosité débordante

La rendait fort séduisante, ça te plaît mieux comme ça ? 


-Oui, c'est moins… vulgaire. Par contre j'aimerais que Yennefer ait sa part dans la chanson, j'aime trop celle que tu as fait sur le Dernier Voeux, je ne voudrais pas qu'on s'imagine que j'essaie de le ravir à elle… que dirais tu d'un refrain comme : 


Mais la Destinée

Pourtant on le sait

Toujours le ramène

A sa magicienne ! 


Geralt, impassible comme à son habitude, feignait de ne pas prendre garde à nos échanges mais je l'avais vu réagir quand j'avais nommé Yennefer. Je la savais désespérément dans son cœur et j'espérai qu'il finirait par retrouver sa place à ses côtés… Jaskier adopta ma proposition, l'intercalant entre ses couplets qu'il enrichit de notre expérience commune, provoquant une nouvelle fois mon embarra. La chanson terminée donnait ceci : 


Le Sorceleur prisonnier

Surprenament fut libéré

Par une femme toute menue

Présentant de beaux attributs.


Mais la Destinée

Pourtant on le sait

Toujours le ramène

A sa magicienne !


Elle avait de grands yeux verts

Et dans son sourire quelle lumière !

Sa générosité débordante

La rendait fort séduisante


Mais la Destinée

Pourtant on le sait

Toujours le ramène

A sa magicienne !


Ainsi elle ouvrit le cœur

De notre fidèle Sorceleur

Le détournant pour un temps

De certains de ses tourments.


Mais la Destinée

Pourtant on le sait

Toujours le ramène

A sa magicienne !


Lui qui prétendait n'avoir cure

De quelques nouvelles aventures

Traversa pour elle le pays

La ramenant vers son mari.


Mais la Destinée

Pourtant on le sait

Toujours le ramène

A sa magicienne !


Ne pensez pas pour autant

Qu'ils ne prirent pas de bon temps 

J'ai même eu droit à ma part,

Quel tournant dans notre histoire!


Mais la Destinée

Pourtant on le sait

Toujours le ramène

A sa magicienne !


Lui qui n'était pas prêteur

S'est avéré partageur

Pour notre plus grand plaisir

A tous trois ça va sans dire!


Mais la Destinée

Pourtant on le sait

Toujours le ramène

A sa magicienne !


Je m'arrêterai ici

Par égard pour le mari 

Évitons qu'il prenne ombrage

Quant à son épouse volage


Mais là Destinée

Pourtant on le sait

Toujours le ramène

A sa magicienne !


Que le Dernier Voeux

Les comble tous les deux

Ramenant le Sorceleur

Là où se trouve son Cœur.


Ce dernier ajout, qui clôturait la chanson partant des aigus pour finir sur une note grave, était de mon cru. Il fit inconsciemment sourire Geralt comme si un peu d'espoir avait grandit en lui concernant cet amour perdu. Cela me réchauffa le cœur.


Depuis un moment, les champs avaient laissé place à des plaines légèrement vallonnées et verdoyantes. Le ciel bleu s'était progressivement chargé de nuages que le soleil, baissant sur l'horizon, colorait de reflets flamboyants. En arrivant sur une hauteur, nous apperçûmes au loin, à quelques jours de marche encore, la silhouette sombre de la forêt de Brokilone longée par le ruban argenté du Ribbon. Un vol croassant de corbeaux, assorti au mouvement d'alerte de Geralt détournèrent notre attention de notre objectif. 

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