Mon aventure avec le Sorceleur

Chapitre 14 : Échauffourée

2214 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/02/2021 22:21

Chapitre 14 : échauffourée


Nous bûmes, nous mangeâmes. Jaskier était d'une excellente compagnie, me contant des histoires que Geralt semblait avoir entendu cent fois. Il me dévorait des yeux, me flattait, me remerciait encore, ce qui restait plaisant mais embarrassant. Tant d'égards sur ma personne, de la part de quelqu'un d'aussi célèbre que lui, me laissaient un peu pantoise. Geralt avait renoncé à le stopper. Il me laissa le soin de décrire notre situation et je notai que la mention de mon mari ne semblait absolument pas refreiner Jaskier. Il nous invita d'ailleurs à partager sa chambre à l'auberge, nous indiquant qu'avec la foire qui devait durer trois jours, tout était déjà réservé, provoquant un campement sauvage hors de la ville. Nous n'avions pas encore totalement récupéré de notre traversée des marais, l'invitation fut donc acceptée. 


Jaskier nous accompagna tout naturellement chez l'artisan à qui nous avions passé commande. Je fus émerveillée par la qualité du travail et la beauté des objets qu'il me présenta. J'enfilai le brassard de cuir après avoir ôté mon bandage. Il s'ajusta parfaitement à mon avant-bras. L'intérieur avait été doublé de soie, le rendant incomparablement confortable. L'artisan avait gravé des motifs végétaux constitués de boucles fleuries, transformant cet élément de protection en un véritable bijou. Le gant assorti était à la fois solide, souple et confortable. Une fois enfilé je n'eus plus envie de le retirer. Je remerciai chaleureusement le vieil homme, lui demandant si je pouvais faire quoi que ce soit pour lui. Il refusa tout autre paiement que ce qui était convenu mais accepta néanmoins que je lui offre un petit sac contenant des herbes médicinales contre les rhumatismes. C'est le coeur ravi que je suivis les hommes vers les autres étals de la foire. 


Jaskier nous servit de guide, nous emmenant goûter les meilleurs mets, voir les plus beaux étalages. J'étais émerveillée de la qualité des textiles, leurs couleurs chatoyantes, la délicatesse des dentelles et des broderies rehaussées d'or, d'argent et de perles en verre colorées. Un peu plus loin, de la vaisselle peinte à la main offrait toutes sortes de motifs fleuris ou animaux, rivalisant de finesse et de détails. Plus loin encore nous nous attardâmes à un étal d'instruments de musique. Jaskier présenta les différents instruments, jouant de certains pour le plaisir du marchand qui se voyait offrir une publicité gratuite par une célébrité. 


Ayant fait le tour de l'étal, il pris son propre luth accroché dans son dos, plaqua un accord et se mit à chanter de sa voix douce et chaude. Reconnaissant la balade je joignis spontanément ma voix haute et claire de soprane à la sienne. Jaskier écarquilla des yeux surpris et ravis, souriant de toutes ses dents tout en continuant son chant. 


Le calme s'était fait autour de nous, chacun avait arrêté ce qu'il faisait pour écouter nos voix mêlées chanter l'histoire d'amour du Sorceleur et de sa Magicienne. L'émotion était puissante tant les paroles étaient belles et je sentais Geralt touché à mes côtés. Bien-sûr il le dissimula soigneusement mais j'avais appris à le connaître.


Quand le chant pris fin, les applaudissements résonnèrent, me laissant surprise et émue. Notre public imprévu réclama une nouvelle chanson, deux individus se joignirent alors à nous, empruntant des instruments pour nous accompagner. Nous chantâmes ainsi plusieurs chants du répertoire de Jaskier, répertoire que je connaissais globalement bien, même si j'appris au vol ce qui m'était inconnu. Je profitai alors pleinement de ce moment de partage et de complicité.


Le soir commençait à tomber et la fatigue à se faire sentir. Nous terminâmes une dernière balade sous des applaudissements nourris puis saluâmes de concert, Jaskier ôtant son chapeau à plume, lequel fut bientôt garni d'orins sonnants et trébuchants. Cette rentrée d'argent inattendue ne fut pas de refus.


Il était temps de nous rendre à l'auberge prendre un bon repas et du repos. Jaskier continuait de nous guider. Il nous fit passer par une petite ruelle sombre. Mon amulette vibra très légèrement. Je détaillai les lieux, alertée par la sensation. Geralt perçut ma réaction et se mit également sur le qui-vive. Seul Jaskier continuait d'avancer en jacassant à qui mieux mieux. Il se tut subitement en apercevant trois silhouettes face à lui. Je me retournai vivement dans l'intention de provoquer un repli stratégique mais trois silhouettes de plus nous prenaient à revers. 


La voix de l'Homme Ventru grinça dans l'obscurité : 


-Comme on se retrouve le ménestrieux, le mutant et l'archère! Il cracha au sol puis repris. Comme vous pouvez le constater on a profité de votre petit concert pour vous préparer un petit comité d'accueil, ajouta-t-il tandis que lui et les hommes qui l'accompagnaient faisaient étal de leurs lourds gourdins.


Pendant que l'Homme Ventru parlait, j'observai les murs de chaque côté de moi dans l'espoir de trouver une échappatoire : sans expérience du corps à corps, vulnérable, j'étais non seulement une cible facile mais en plus je risquais d'être une gêne pour Geralt voire pire si je finissais en otage à nouveau. La ruelle présentait un rétrécissement à un endroit, une curiosité architecturale, une lubie de propriétaire venait empiéter sur l'espace. En effet un des bâtiments avait vu son mur construit avec une excroissance arrondie se terminant en tourelle. Je tenais là l'occasion de prendre de la hauteur, ce que je fis sans tarder, ignorant mes courbatures, prenant appui des pieds et des mains en opposition sur les parois de chaque côté de la ruelle. Je gravis les quelques mètres de hauteur en quelques instants, escaladant finalement le garde-fou pour me mettre en sécurité sur le toit terrasse de la tourelle.


J'entendis des jurons en contre-bas. Le groupe d'hommes n'était pas ravis que je me sois ainsi extraite du piège. De là où j'étais, je constatai amèrement que j'avais trop peu de marge de manœuvre pour prétendre tirer à l'arc. Il me faudrait réfléchir à une autre stratégie si je voulais aider d'une quelconque manière mes compagnons. Par ailleurs, j'observai que l'étroitesse de la ruelle allait certainement gêner les mouvements de Geralt : aucune place pour un combat à l'épée. Il la laissa donc dans son dos.


Jaskier ne semblait pas avoir mesuré le caractère périlleux de leur situation puisqu'il était en train de fanfaronner, harranguant les hommes, les insultant de manière imagée, se sentant visiblement intouchable avec son ami Sorceleur près de lui. Pour ma part je me demandais comment il allait faire pour ne pas gêner Geralt dans le combat qui allait immanquablement avoir lieu. 


L'étau se refermait progressivement sur eux qui s'étaient positionnés dos à dos, protégeant mutuellement leurs arrières bien que n'étant pas armés ni l'un ni l'autre. Les hommes s'approchaient sans hâte, se réjouissant d'avance de la pluie de coups qu'ils comptaient faire pleuvoir sur le barde et le Sorceleur. 


Geralt attendit que ceux face à lui soient suffisamment proches pour faire le Signe de l'Aard, les projetant en arrière sur plusieurs mètres, le reste du groupe se précipita à l'assaut, brandissant leurs gourdins vers Jaskier. J'eus un éclair d'inspiration alors qu'ils allaient passer sous mon perchoir, avisant des pots de fleur en terre cuite j'en saisit un pour le lâcher sur la tête des assaillants. Il manqua son but pour s'écraser sur l'épaule du Ventru qui cria de surprise et de douleur, lâchant son gourdin au sol avant de le reprendre aussitôt. Je réitérai l'expérience tant qu'ils étaient en dessous de moi mais ne fis plus mouche et les agresseurs se gardèrent bien de s'attarder.


Jaskier avait blêmi en les voyant arriver si proches, il conserva cependant son air bravache et son discours fleuri. Le premier coup allait s'abattre sur lui mais Geralt para de son avant bras. J'eus mal pour lui rien qu'au son. Jaskier réalisa enfin le danger et se mit en boule autour de son précieux luth, le protégeant ainsi que les parties vulnérables de son corps, couvrant sa tête de ses bras. 


J'assistais au combat, impuissante. Les coups pleuvaient sur Geralt qui les évitait comme il pouvait, encaissant ceux qui l'atteignaient, restant entre Jaskier et leurs agresseurs, offrant à son tour ci un coup de coude, là un coup de botte, là encore un coup de genou ou un coup de tête bien senti. J'avais du mal à suivre tant les mouvements étaient rapides. Les hommes projetés par le Signe s'étaient remis sur pied, prêts à prendre leur revanche en arrivant dans le dos de Geralt qui protégeait Jaskier, toujours en position foetale, regardant à travers ses doigts protégeant son visage. 


Agrippée au garde-fou jusqu'à faire blanchir les articulations de mes doigts, impuissante, j'hésitais entre le prévenir de l'arrivée des trois autres et la peur de le déconcentrer. C'est Jaskier qui l'alerta finalement en même temps que ses sens développés et il eut juste le temps de faire la pirouette qui lui évita un coup magistral sur la tête. Le coup qui lui était destiné arriva sur les épaules et le crâne de Jaskier qui émit un gémissement sourd.


S'en fut trop pour le Sorceleur qui dans un rugissement de colère saisit un des hommes simultanément par le cou et les parties sensibles, le projetant sur les autres qui tombèrent à la renverse. Avisant le gourdin du type tombé au sol, il entreprit alors de rouer méthodiquement de coups tout ce qui s'offrait à lui. Des cris résonnèrent en réponse aux bruits mats des coups de gourdin. Les corps s'effondrèrent les uns sur les autres dans un méli-mélo de membres enchevêtrés. Le silence se fit.


Jaskier se releva prudemment, tâtant délicatement son crâne meurtri. Constatant la présence de sang il se laissa glisser au sol dans un gémissement paniqué. 


-Je me vide de mon sang! Lança-t-il un brin théâtral, je croyais que tu avais toujours une dague sur toi, pourquoi tu ne l'as pas sortie? Reprocha-t-il à Geralt.

-Pas envie d'avoir encore des ennuis en versant le sang. Et puis nous n'étions pas en danger de mort, si?


Je redescendis prudemment de la même façon que j'étais montée. Mon coeur battait la chamade et j'avais le ventre noué en réaction à ce à quoi j'avais assisté. Serment de guérisseuse obligeant, je pris la peine de vérifier l'état de nos agresseurs. La plupart étaient inconscients, ceux qui ne l'étaient pas feignaient de l'être de peur de recevoir à nouveau des coups. Aucune blessure ne semblait critique. Je décidai donc de les laisser tels quels. Ils trouveraient quelqu'un d'autre pour les soigner. 


Je me tournai alors vers Jaskier : blanc comme un linge il geignit qu'il était gravement blessé à la tête. Son chapeau était tombé au sol, un peu écrabouillé, la plume ébouriffée. Je jetai un oeil à son crâne pour constater une belle bosse et une petite plaie sans gravité mais qui saignait abondamment comme le font toujours ces blessures là. Je sortis un mouchoir propre de ma poche et l'appliquai sur la plaie en lui demandant de le tenir fermement. Je le recoudrai à l'auberge. Certes j'avais mon matériel sur moi mais je manquais de luminosité : la nuit était tombée et les seules sources de lumière venaient des fenêtres des habitations.


Je me tournai vers Geralt pour m'assurer que tout allait bien. Il m'inqua être uniquement contrarié que Jaskier ait pris ce coup. Suspicieuse, je me promis intérieurement de vérifier cela à l'auberge. Un peu honteuse, je m'excusai auprès des deux hommes :


-Désolée de vous avoir laissé tomber comme ça les gars… J'ai eu peur de vous gêner et de me faire massacrer… Je pensais pouvoir aider d'en haut mais ça n'a pas été le cas… C'était dur d'assister à ça, impuissante… J'ai eu peur pour vous deux. 

-Au moins tu connais tes limites toi. Tu évites de rendre les choses plus compliquées, me répondit Geralt avec un regard sévère pour Jaskier. Il ajouta à son adresse : quand vas-tu apprendre à te taire?!


Jaskier baissa le regard un peu vexé. Geralt lui tendit la main pour l'aider à se relever et lui donna une bonne tape sur l'épaule qui manqua de peu de le renvoyer au sol.


-Allez, amène nous à ton auberge que Gaëlliane puisse jouer les repriseuses et que nous puissions manger. Je meurs de faim !


Et c'est dans cette bonne humeur que nous repartîmes vers l'auberge. Décidément, Geralt était de ces hommes qui savent se réjouir d'une bonne bagarre.



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