Les contes de l'Oie Saoule

Chapitre 22 : Cavale au palais

1511 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/04/2017 00:56

Cavale au Palais.

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Lorsque les lourdes bottes claquèrent sous la voute de l’auberge, réveillant des échos impérieux et rehaussés du tintement de l’acier, la salle fit silence. Le heaume de fer de l’étranger étincelait du feu des candélabres, mais c’est bien son regard luisant sous sa visière de cuir, qui fit taire le brouhaha des habitués.

Maitre Finran, alerté par le silence soudain, où se mêlaient curiosité et malaise, remonta de sa cave et surgit derrière son comptoir. Avisant le cavalier, il déploya sa haute taille et s’avança, dissimulant sous son chiffon d’aubergiste, un grand coutelas de cuisine.

Les deux colosses se firent face. L’étranger retira son casque, révélant une tignasse blonde et une barbe hirsute à effaroucher un fantôme. La salle entière observait, les convives oubliant jusqu’à leur bière pendant quelques instants.

L’étranger salua, la paume de sa main droite haut levée devant lui. Ce sobre salut militaire détendit un peu le maitre de céans, qui ne se trouva tout-à-fait en confiance, que lorsque broigne et baudrier furent suspendus aux patères.

Une fois étanchée sa soif de douze lieues, le cavalier consentit à échanger quelques nouvelles du vaste monde. Il conta son périple à travers les contrées désertiques qui séparaient la vallée du Gwathlo, de la marche du Rohan, sa patrie.

L’étranger ne dévoila point ce qui l’amenait au nord. Mais sous des dehors rugueux, le fils d’Eorl s’avéra un hôte courtois. Sans doute soucieux de respecter les coutumes locales, le cavalier rapporta ce petit conte, témoin des terreurs et des pouvoirs tutélaires de son peuple.

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Une lune bleutée traversait un ciel chargé, jetant une lueur hivernale sur le Riddermark. La brume épaisse des nuits d’Egereoh [1] montait des pâturages à l’assaut des collines, bordant de volutes menaçantes, les tumulus des rois du Rohan.

Ces nuits-là, les villages alentours se vidaient – hommes et bêtes trouvaient refuge derrière la palissade d’Edoras. La rumeur des cavales de bruine, horreurs sanguinaires qui dévoraient maîtres et montures, les chassaient de leurs foyers. Fuyant la brume glacée de ces soirs maudits, les cavaliers rassemblaient familles et troupeaux, et s’entassaient chez leurs parents, dans les granges et les écuries de la capitale.

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Au sommet de la colline, le Château d’Or radiait de vermeil, illuminant d’une douce lueur protectrice, les chaumes qui se blottissaient autour de lui.

Le palais accueillait, en ces temps de détresse, les Thegn [2] des villages tributaires et leurs familles, qui dormaient dans la grande salle. Enfants et parents, entassés sur des fourrures ou roulés dans des couvertures, jonchaient les dalles de Meduseld, comme la grande moisson d’un peuple aux cheveux d’or, engrangée jusqu’aux jours meilleurs.

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Vieillard bienveillant quoique sur le déclin, le roi leur avait laissé ouvrir sa Maison et déférer ses huissiers pour leur venir en aide. La princesse avait œuvré tout le jour, réconfortant les enfants, distribuant des vivres, trouvant des logements. Au crépuscule, les derniers réfugiés avaient été abrités sous des tentes, disposées sur la terrasse de gazon autour du château.

A présent, tous reposaient dans la torpeur maligne des nuits d’Egereoh.

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La princesse avait regagné sa chambre. Alanguie sur sa couche de lin, elle glissait en songe vers les étendues sauvages, elle se réfugiait dans son dernier espace de liberté, elle chevauchait en rêve par le vaste Riddermark, appelant de ses vœux les coursiers Mearas de jadis. Loin des obligations de la cour, loin de l’agonie déshonorante de son tuteur chéri, loin enfin des insinuations insistantes de conseillers mielleux et horripilants.

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La lune à son zénith couronnait le dôme du château assoupi. Les dormeurs dans la grande salle gisaient sous les bannières ternies, qui retombaient des poutres comme les lambeaux d’une gloire passée. A l’ombre des formidables piliers de chêne, fourmillaient les souvenirs du peuple d’Eorl, dont les ancêtres avaient vécu à l’orée de la forêt noire et du mont Gundabad. Nourrie de leurs cauchemars, la peur séculaire d’Egereoh répandait son frisson glacé. Une silhouette s’avançait parmi eux, dressée dans sa robe claire-obscure, des replis de laquelle sourdait l’éclat d’une force cachée.

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Dans les âpres limbes du songe, chevauchait la princesse, sa monture flottant comme un navire sur la houle verte de la prairie. Libre fille d’Eorl, elle éperonnait son coursier sous la lune. Mais les vents du septentrion envahissaient sa chimère, portant le cri lugubre des cavales en maraude. Oppressée par un sombre pressentiment, elle tourna bride vers les tertres des rois aux portes d’Edoras.

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Une ombre furtive glissait, le long des couloirs de Meduseld, de la démarche équivoque du lâche. Sa face blême de courtisan jetait des regards éperdus, de convoitise déçue. Depuis des lustres l’intriguant hantait les coulisses du pouvoir, achetant les consciences, perçant les secrets, répandant le fiel de ses harangues, pour étendre sa toile.

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Du fond de son cauchemar, la princesse accourait au galgal. Ployant sous ses ensorcellements méphitiques, le roi chenu et hagard inclinait déjà sa couronne pour en passer le seuil et s’étendre sous les symbelmynes [3]. Vive comme un éclair, l’implacable vierge guerrière brandit son épée sous la lune froide. Frappant de taille et d’estoc, elle disputait son parent bien-aimé aux spectres du tombeau.

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Le masque blafard du conseiller, sa pupille exaltée par un espoir impie, épiait sa victime, aspirant déjà son souffle de rose haletant sur sa couche.

Sa main flagorneuse forçait lentement la porte de la chambre tiède, quand soudain se dressa derrière lui un cheval de grande taille, qui poussa un hennissement formidable.

Le puissant Meara [4] se cabra, sa robe étincelant dans l'ombre. D’un coup de sabot, l'étalon jeta à terre l’obséquieux scélérat.

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La princesse poussa un cri, tirée de son cauchemar par un hennissement d'outre-monde. La garde accourut, mais l’on ne retrouva trace d'aucun agresseur, ni d'aucune monture dans le château d’or.

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Pourtant l’on raconte que depuis cette nuit, un étalon royal, à la robe gris-argent, surgit des plaines lorsque le royaume du Rohan est en danger, poursuivant ses ennemis comme un fantôme en furie. Son hennissement vainqueur surpasserait même l’ignoble ricanement des terribles cavales de bruine, lors des nuits d’Egereoh.

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Pour les amateurs de vers obscurs, voici la version déclamée par le redoutable cavalier :

Une lune pâle traversait les nuages,

Haute Meduseld [5] illuminait les abords

Du bourg blotti dans le giron du Château d'Or.

La marée de brumes baignait ses pâturages.

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Rebelle reposait, son âme noble et sage,

Sur le drap coulaient ses souples boucles d’ivoire.

La Belle rejetait son destin, fors la gloire,

Chevauchant le rêve d’un honneur sans féage.

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Mais quelque silhouette avançait claire-obscure,

Sombre robe luisant d'une force cachée,

En défi menaçant aux glorieux piliers.

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Alertée en songe, cinglait la fille dure,

Son glaive au clair sous la froide lune,

Rappelant son Roi, de l'ombre des symbelmynes.

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Un pas obsédant insinuait sa menace.

Le spectre gris exhalait de lugubres pleurs.

Les rais d’or du faîte perdaient toute lueur,

Dans les couloirs glacés de la royale place.

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Haletant au seuil de l’adorable endormie,

Grimaçait un masque blême de convoitise.

Violant la tiédeur de la chambre soumise,

Sa serre suintante répandait l’infamie.

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Quand hennit soudain le fidèle Meara !

Sa robe d’acier impétueux égara

L'horreur impie, tapie au chevet de la Belle.

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A peine la garde alertée aperçut-elle,

Un lambeau de blême pénombre poursuivi

Par le spectre d'un gris destrier en furie. [6]

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NOTES

[1] De l’anglo-saxon Ege, la peur, et Eoh, le cheval.

[2] Dignitaire noble, chevalier

[3] Petite fleur blanche, qui pousse sur les tumulus, notamment ceux des Rois du Rohan, devant Edoras, capitale du royaume.

[4] Race des chevaux royaux du Rohan, grands et endurants, rejetons du cheval d’Eorl, lui-même descendant, dit-on, de la monture d’Oromë le Vala chasseur…

[5] Le palais des Rois de la Marche, construit par Brego, le fils d’Eorl. Sa toiture était recouverte d’or.

[6] La lectrice qui détectera un anachronisme dans cette chronique, aura raison. Mais la logique est sauve, puisqu’aucun personnage n’est explicitement nommé ! Eowyn, Langue de serpent et Gripoil appartiennent au futur de l’oie saoule, mais les fantômes sont intemporels…

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