Les contes de l'Oie Saoule

Chapitre 10 : La geste de Gigolet

4840 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 00:57

La petite voix ânonnait ses lignes de lecture sur un ton monocorde. Penchée sur le grimoire, la tête blonde du petit garçon grimaçait d’effort en déchiffrant les exploits d’Eärendil sous le vent des îles boréales. Sa petite voisine, tendue comme un arc, anticipait des lèvres le prochain rebondissement merveilleux en lisant par-dessus son épaule.

-« Aux suivants ! » fit la voix malicieuse du maître après que le fils de Tuor eut arraché ses compagnons des griffes de l’hydre marine.

-« Non point vous, Eliahel, vous lûtes déjà tantôt ! Regagnez vôstres placettes, mes enfants ! »

Avec une moue boudeuse, la fillette s’engagea entre les bancs, en entraînant le petit garçon.

Sous les hautes et puissantes poutres de chêne, quelques mouches bourdonnaient dans la poussière de farine, zébrant les rais lumineux qui tombaient des lucarnes sur le lutrin lustré. Dans la classe de maître Gigolet, tous lisaient aux mêmes livres. Mais quels livres ! Celui-ci, un tome relié de cuir, aux lourdes pages enluminées, faisait autrefois partie de la bibliothèque royale de Thalion. L’annotation manuscrite la plus ancienne remontait à l’époque lointaine de Thorondur, le premier roi de Cardolan.

Maître Gigolet promena son regard scrutateur parmi ses élèves. C’était le tour de Mardoc et Lulabille. Le petit dunéen baillait aux corneilles et l’adolescente rentrait les épaules, dans l’espoir que l’ambition pédagogique du magister glisserait sur elle sans s’y attarder.

Le maître soupira. Les prairies ensoleillées du printemps captivaient l’esprit de ses élèves, petits et grands. Il mit fin à la classe d’un geste bienveillant. Les enfants s’élancèrent dans le grenier, soulevant un nuage de farine, dévalèrent l’escalier et se dispersèrent dans la cour du château, célébrant leur congé d’une longue clameur unanime et libératrice.

Maitre Gigolet ferma pieusement le lai d’Eärendil et Elwing. Il avait sauvé et restauré quelques douzaines de livres précieux de l’ancienne bibliothèque du château. Il s’escrimait encore sur les plus abîmés, les plus anciens, puisant dans les souvenirs du lettré, parfois dans l’érudition du sage et plus souvent encore dans ses pots de poix ou de cire, pour pallier aux assauts du temps et des parasites. Les reliques étaient conservées dans l’endroit le plus sec du castel, la réserve à grains. La classe s’y déroulait également, réunissant autour du maître, le matou qui délaissait la chasse aux rongeurs pour se chauffer au poêle, les fils d’artisans envoyés apprendre à lire et à compter, et les petits paysans venus échapper à leurs corvées.

.oOo.

Maître Gigolet rangea le vénérable volume dans l’armoire et s’apprêta à s’atteler à ses travaux de copiste. Soudain il sursauta : la petite Eliahel était restée assise à sa place, une ride maussade et soucieuse lui barrant le front, et le regardait d’un air déterminé.

-« Qu’advient-il, Eliahel ?

- Je veux savoir la fin, moi ! Ils sont si lents en lecture… »

Maître Gigolet eut un sourire indulgent – « ils » étaient encore plus lents en écriture ou en calcul… Mais l’impatience de la petite lectrice l’intriguait :

- « Vos aspirez à cognoistre l’issue du lai d’Eärendil et Elwing ! Et si triste fin vos narguoit ? »

Le maître vouvoyait tous ses élèves de son inimitable style suranné, jusqu’au plus crotté et inculte rejeton de métayer.

- « Je veux la connaitre quand même ! Eärendil ne peut pas mourir, je ne veux pas !

- Devancer sien destin point ne l’adoucira ! Si l’issue vos estoit révélée, prochaine leçon point n’esgourdiriez ! Diantre pamoison fors livresque épuisement ![1] »

Une expression peinée passa fugitivement dans le jeune regard aigu. Mais la petite fille savait bien la corde sensible de son vieux maître :

-« Vous inventerez bien une histoire nouvelle pour moi, maître Gigolet ? »

Le maître se gratta l’occiput. Décidément, il allait falloir répondre à la soif inextinguible de cette petite ! Et pourquoi pas, convaincre ses parents d’en faire son assistante… Il se pencha vers la fillette d’un air docte et gauche, mais ses yeux pétillaient de jubilation :

-« Ne puis vos auctoriser à voiagement en Lai précéans vostres compères. Si fait, rouerie nostre divertira feste vespère ! Vos porrez odir contes à foison, bachelette, vos en créant, et possiblement lais fleuris. Courez avancir vostre parentèle ![2]»

-« Ouais ! Une veillée au château !», glapit la petite en bondissant dans l’escalier.

.oOo.

Pour ce soir-là, l’aubergiste maître Finran avait confectionné, avec l’aide de sa bonne amie la boulangère, généreuse pourvoyeuse de miches, des tombereaux de crêpes pour la fête de l’équinoxe. L’auberge de l’oie saoule accueillait de nombreuses familles pour la veillée, venues partager leurs dernières confitures, les premiers miels et des contes de toujours.

Surexcitée, la petite Eliahel avait rameuté maman, parée de ses plus beaux atours, papa, qui cachait sa timidité derrière une impressionnante moustache, grand-maman qui adorait les crêpes parce qu’elle n’avait plus guère de dents, et son petit frère, même si les contes ça l’intéresse seulement quand on se bat.

Lorsque maître Finran les accueillit, la petite déclara que Messer Gigolet avait promis de raconter une histoire qu’il avait en garde. Le maître des lieux saisit malicieusement l’occasion et s’écria :

-« Oyez, oyez ! Céans Messer Gigolet va vous narrer la geste de ses exploits de jeunesse ! »

L’ovation qui s’élève toujours avec beaucoup d’empressement et de spontanéité, pour désigner le premier volontaire de chaque veillée, venait d’investir le majordome-maître d’école, qui dut se résoudre à dévoiler son passé.

.oOo.

« Pour bailler entière véracité, le jeune Gringolet – cy-devant vôstre serviteur - descendoit pesamment de sienne montagne, dans tous les sens de l’expression. Cadet de modeste famille sise en Morthond au Gondor, j’avois quitté père palefrenier de son état, et mère blanchisseuse du sien, placé en apprentissage chez clerc juriste. J’appris la calligraphie sous la leste baguette sourcilloise d’icelui docte et sévère prévôt de lois, en escrivant lettres de change, reportant colonnes enchiffrées, copiant toute la longue journée, des signes dont noncque se donnoit la peine de m’instruire, et qui frayèrent sols leur chemin jusqu’en mienne mémoire.

Fichtre ! N’allez point imaginer qu’icelle destinée fut à plaindre ! J’estois garni, repu, affublé de neuf ! Lectures et abacs en soulte ![3] La nuit, je gardois l’échoppe de mien maître. J’en profitois – sans sien acquiescement, mes maigres gages en eussent pâti – pour prestement lire sienne bibliothèque : libers grands et petits, sérieux ou poétiques, en langage vernaculaire ou en haute langue de jadis, classiques ou licencieux.

- Si fait, Mère Dugadin, les ouvrages lestes également !, ajouta sobrement maitre Gigolet, en coulant un regard égrillard à la prime commère du village. Sans guide aucun, aveugle choit à chaque pas !

Icelles lectures hétéroclites et solitaires firent diverses malaventures, durablissime estoit mienne coutume oratoire, chasque mansuétudissime galtier baille uniquement. »

Distribuant quelques cervoises aux tablées attentives, maître Finran s’avisa de la mine dubitative de ses clients, et se permit un petit éclaircissement :

- « Ces lectures hétéroclites et solitaires eurent diverses conséquences malheureuses, la plus durable étant les tics de langage, que la plus grande mansuétude de ses meilleurs amis ne peut empêcher de qualifier maître Gigolet d’unique. Je dois corriger ce dernier point : la verve de notre ami nous élève et nous met en joie, parce qu’elle est délicieusement unique ! »

Le sobre visage de Gigolet, que sa pinte avait à peine réhaussé d’un rose timide, s’éclaira d’un sourire modeste et reconnaissant. Il reprit :

-« Un client coutumier de l’échoppe me prit en amitié, de son estat escuyer de plume du seigneur de Morthond. Gringolet – car icelui estoit alors mien nommage, héritage de mien géniteur, appelé par sien seigneur du même sobriquet que sien destrier ! – fit donc primes humanités sous sienne férule.[4] »

La petite Eliahel s’exclama, indignée :

« C’est point courtois de l’appeler comme son cheval ! »

L’aubergiste Finran lui répondit avec un clin d’œil :

-« Au contraire, jeune fille, ne dit-on pas que cheval jouit de mémoire sans faille ? »

Gigolet poursuivit, avec un geste d’impuissance :

-« Mien maître bailla billevesées à mien mécène[5] –clercs sont gens âpres au gain et procéduriers en toute affaire - mais finalement je rejoignois l’école des clercs copistes en Dol Amroth pour mes treize printemps, sur les deniers de mien bienfaiteur escuyer.

Y croisois moulte menuaille de jouvenceaux, les uns imbus de leur ancestrerie, les aultres avides de pouvoir. Sous icelle charte de saine émulation, modestie - déjà fort rabattue - et lacunaire éducation me valurent le rôle involontaire – mais parfois mérité - de souffre-douleur de la plupart iceux baronnets. Cadets de hautes familles s’estimoient lauréats de plein droit. Prétendants de petite noblesse et des bourgeoisies marchandes rivalisoient en mesquineries pour rafler les honneurs.

Un baronnet[6] en particulier - Hysla, aîné d’une famille de magistrats et diplomates au service de la couronne, les Peydefaure – nous disputa âprement la palme. Nôstre ambition de devenir maitre du savoir en la bibliothèque royale de Minas Tirith, pour partagée, n’admettroit point deux vainqueurs du même âge. Icelle rivalité exacerbée promettoit donc d’occuper une grande partie de nôstres existences.

Ce fut Hysla qui remporta la première manche, aux grand dam et mortification de vôstre serviteur, à qui échappa de peu le prix récompensant la palme – convoyer comme clerc, une véritable mission diplomatique. De temps à autres, Gondor mandoit un légat en ambassade en Tharbad. Les royaumes dunedain septentrionaux s’estoient déconfits depuis longtemps, mais la ville tenoit prestigieux commerce et influence. L’intendant Belecthor y affirmoit donc la puissance du Gondor, lorsque deniers pouvoient et guerres vouloient[7].

Lorsque Hysla déclina cette première charge prestigieuse, les estudiants crédirent en tocade de nobliau sûr de brûler les étapes. Vos imaginez que votre serviteur Gringolet saisit l’occasion et partit à sa place dans la suite du légat. »

.oOo.

Une fois n’était pas coutume, le maître d’hôtel de l’oie saoule s’était attablé devant une pinte, et promenait des regards satisfaits sur un auditoire captif mais consentant.

-« Il m’en souvient glorieusement de notre délégation ! Une douzaine de dignitaires émérites –diplomates, linguistes, ingénieurs civils, officiers… Trente chevaux richement harnachés convoyant  une compagnie à pied. On eût mandé pareille expédition des temps de puissance impériale de Numénor…

Autant de marchands s’accointèrent à l’expédition.

Nôstre passage en icel bon royaume de Rohan fut longue suite de réceptions et de festes. Le plénipotentiaire estoit honoré de regal alloi, et sienne suite logeait en bonne hostellerie. Alors que sienne excellence buvait en compagnie du roi Brytta Léofa dans sien châtel d’or, j’eus grand privilège de transduire un traisté d’échanges de denrées avec l’officier de bouche de Méduseld…

Je radois[8] alors d’immense fierté : pensez ! Mien prime acte sous seing officiel !

Enfin nôstre compagnie guéa l’Isen. Le légat manda ma présence pour assister, comme clerc témoin, à l’entrevue avec le seigneur des terres sises oultre-fleuve, au pied méridional des Montagnes Brumeuses.

Un puissant magicien[9] y crêchait alors, au nom du Gondor sembloit-il, quoiqu’il se montrât d’une jalouse indépendance dans ses politiques. Le légat, qui jusqu’alors estoit apparu comme puissant seigneur dans la plénitude de sa pensée, comparut devant lui comme poupard[10] balançant ! Je compris alors pourquoi j’avois été élu, moi le dernier des subalternes d’icelle délégation, pour assister à l’entrevoisement.

Moultes remontrances nous furent adressées. Le magicien Curunir menoit de subtiles tractations avec les clans des Dunéens, pour rétablir entre eux la concorde. L’intervention du Gondor y estoit jugée malvenue. Le maitre de l’Isengard s’adressoit à nous du ton d’un général accompli, envers de jeunes lieutenants valeureux et prometteurs, mais dont le jugement devoit encore s’affiner pour se mêler de si délicates matières. Mien maître eut grandissimes difficultés à rappeler la souveraineté du Gondor, et dut concéder que sien passage ne contrarierait en rien les hautes menées de l’Isengard.

Sur le chemin du retour, le légat, couroucié de s’estre laissé faerir, laissa férir sur mien chef la belle part de sien dépit. Loin des lucarnes de la tour du magicien, il résolut d’agir comme bon lui semblait pour son seigneur l’intendant, et me fit promettre de ne rapporter que ce qu’il me dicta alors. Je commençai à comprendre pourquoi Hysla s’estoit dérobé pour icelle mission.

Curunir m’ayant affublé –par dérision je suppose- du nom de Gigolet en lieu et place de mien patronyme, le légat affecta bailler icelle altération comme grand honneur, duquel me resta. Peut-être estoit-ce pareillement façon de me rappeler en devoir de réserve ? »

.oOo.

« L’expédition reprit, empruntant vohette dont les pavés s’amenoient à mesure qu’approchoit  l’Enedhwaith[11]. Nous eûmes à moultes reprises assoufrir de rivalités exacerbées des clans dunéens. La charte pacifiante ourdie par Curunir languissoit à s’établir. Nôstre bande, qui chevauchoit si magnifique à Minas Tirith, fut convoitée pour montures et denrées. Durant deux semaines, commandement férit en garde du capitaine d’escorte, tant hostiles et mesfiantes bourgades traversées se monstroient. La puissance du Gondor n’estoit plus que souvenir en icelles régions reculées… L’escouade repoussa à grand peine un ost qui attaquoit ouvertement tout convoyement de marchands.

Malheur sur moi ! Je fus estrangié de mes compères par soudaineté d’assaut. Cachant mienne carne pour échapper aux estropieurs, je poursuivis pendant quelques jours la voiete vers Tharbad, espérant rattraper la délégation.

A cours de pitance, je fus constraint à mander l’aumône pannetière[12]. Mal m’en prit ! La famille à qui je criai asile, après m’avoir jugé sans secours, s’empara de mienne personne, me lia et me vendit au plus offrant comme hostage ! »

.oOo.

« Le clan Ardelaigh vivoit d’expédients au plus profond des collines, au septentrion du pays de Dun. Ils possédoient mines d’étain et de fer, qu’ils exploitoient avec l’aide de nains de diverses familles. Sans cesse ils lançoient puniments pour lever des serfs qui finissoient à fond de mines. Ce clan détestable m’acquit comme vulgaire ballot, conduit par sien chef Sarlaigh, veule à souhait et au cueur de lièvre.

Durant des semaines qui semblèrent années, je travaillois comme forçat, creusant dans les boyaux et étayant les faites. La chaleur estouffante et l’absence de lumière venoient à bout des plus résistants en moins d’une année. Air et pitance manquoient à tous. De temps en temps, le clan mettoit le feu aux étays, et la paroi s’effondroit. Quelques heures durant, oncque laissoit poussière s’épancher, puis les sévices reprenaient plus ardents.

Mienne corpulence ligneuse laissoit espoir ténu de survivance sous icelles conditions. Mienne apparence vieillit de plusieurs années. Survivance m’échut pourtant, par le vouel de miens geôliers, de bailler ordonnances aux prisonniers de toutes patries.[13] J’appris bien vite leur langue, proximissime des dialectes babillés des montagnards de mienne vallée de Morthond. Attaché à icel employ, j’eus occasion de grailler tantinet mieux que mes infortunés compères. Je lobois comme inoffensif et pusillanime, et me movois libertairement en l’enceinte de la mine.[14]

La chance voulut que l’un des effondrements de galerie, coïncidât avec une fête importante. L’une de leurs bandes de pillards avait ramené un butin de vins du Gondor, sur lequel nos gardiens jetèrent leur dévolu, relâchant quelque peu leur attention.

Après avoir ladré pitance et libéré les prisonniers à ma  portée, je m’escapatai[15].

.oOo.

La prévôté des Ardelaigh, courrouciée, astrappa mien collet dès le lendemain. J’eus malchance d’être repris près d’un étang, loin au nord du pays de Dun, près de la rivière Sirannon. Dunéens sont peuple superstitieux. Icelles croyances obligeoient à sacrifier ma personne à la déesse du renouveau, à fin d’expiement.

Je fus soumis à jour jeûné, puis à mâcher des simples retirant toute retenue[16]. Lentement, je sombrai dans une transe incontrôlable. J’invoquois la déesse en sa langue dunéenne, suppliant icelle de me recevoir en son sein pour renouveler sa vitalité. Je m’élançai en sombres aigues pour lui consacrer mienne vie sur l’heure.

Corne de bouc ! De l’autre côté du lac, apparut une grande forme au chef d’or, brandissant longue et pâle espade. Dans mien délire, je crus voir renaître un elfe de jadis, rescapé des heures glorieuses d’Ost-in-Edhil. J’invoquai le guerrier des Noldor, revenu des jours des anciens, et voilà qu’il répondit d’une voix forte, implorant Elbereth, porteuse de lumière aux peuples dans le besoin.

Les paillards dunéens crurent eux aussi à un puissant fantôme du temps jadis, et fuirent éperdument devant son courroux.

C’est ainsi que maître Finran – le guerrier Noldo !- me sortit des eaux par grande rouerie et put, une fois calmées mes hallucinantes inventeries, me ramener en lieu de civilités.

.oOo.

« En Tharbad, je découvris que la délégation avait rebroussé la vohelle vers la trouée de l’Isen, ayant perdu la moitié de ses civils, trépassés ou enlevés. Les habitants voisinant le fleuve Gwathlo en furent profondément déconfits.

Cependant les tribus[17] du bas pays, contrites des sempiternelles exactions de leurs cousins des collines, prenoient leurs distances les armes à la main. La déroute de nôstre expédition, sans même racheter siens compères enlevés, sonna comme un glas pour les débris de feu Cardolan. Des pillards sans foi ni loi s’arrogeraient la domination des routes. La plaine se révolta alors en un glorieux sursaut d’orgueil !

Enfin, sans d’autre appui que celui de son sauveur, votre serviteur tâchoit de se rendre utile comme traducteur, scribe et notaire. »

Alors Messer Finran intervint :

-« Notre ami Gigolet est trop modeste. Il contribua personnellement, par son témoignage et ses compétences, à sceller une alliance entre la confédération Saralainn et les anciens cantons de Thalion à Tharbad. Ce fut un haut fait, qui rappela à tous que l’héritage des rois de Cardolan  n’avait pas complètement disparu. Les sauvages des collines furent vaincus, mais cela est une autre histoire…»

.oOo.

En fin de compte, maître Gigolet s’était laissé convaincre de se fixer à Thalion. La communauté avait besoin d’un écrivain public, d’un lettré qui puisse démêler l’écheveau des engagements commerciaux, ou rédiger des accords conformes aux subtilités des droits coutumiers des diverses ethnies.

Il fit beaucoup plus. Il fonda une petite école. Il découvrit les restes de l’ancienne bibliothèque royale de la citadelle et sauva ce qui pouvait l’être. La communauté l’adopta comme sa mémoire vivante, trait d’union avec un passé glorieux dont il leur révélait le sens pour que ce souvenir nourrisse leur espérance.

Maître Gigolet était bien devenu l’huissier de plume d’un castel, même si ce n’était pas le château de ses rêves de jeunesse.

Par moment il se demandait ce qu’était devenu son vieux rival Hysla Peydefaure. Mais cela ne le tourmentait plus depuis longtemps.[18]

.oOo.

NOTES

[1] Anticiper sur son destin ne saurait l’adoucir ! Si je te révélais la fin de l’histoire,  tu n’écouterais même pas la prochaine leçon ! Et quel malheur pour toi lorsque tous les livres seront épuisés ! 

[2] Je ne puis vous autoriser à lire le lai avant vos camarades ! Mais laissons cela et pensons à nous divertir lors de la fête de ce soir. Vous pourrez entendre plus d’un conte, Mademoiselle,  je vous en donne ma parole, et peut-être des chansons. Allez prévenir vos parents !

[3] J’étais logé, nourri, blanchi. En plus j’avais pu apprendre à lire et compter !

[4] Je sympathisai avec un habitué du magasin, le secrétaire particulier du seigneur de Morthond. Gringolet – car c’était alors mon nom, transmis de mon père, que son seigneur appelait ainsi que son cheval ! – suivit le collège sous sa direction.

[5] Mon mécène eut quelques difficultés avec mon maître.

[6] Terme péjoratif : un parvenu, un arriviste

[7] Lorsque les finances le permettaient et que les circonstances l’exigeaient.

[8] Je rayonnais d’une fierté immense : mon premier acte officiel !

[9] Saroumane a reçu les clés d’Orthanc vers TA 2759.

[10] Comme une poupée hésitante, un homme de paille sans profondeur.

[11] L’expédition reprit, empruntant une voie dont les pavés se raréfiaient à l’approche de l’Enedwaith (littéralement, le désert du milieu).

[12] A cours de vivre, je fus contraint de demander l’aumône d’un peu de pain.

[13] Je réussis à survivre, grâce au besoin de mes geôliers, de communiquer des ordres à leurs prisonniers.

[14] Je trompais si bien mon monde, qu’on me jugea inoffensif et pusillanime, et je pus me déplacer  librement dans l’enceinte de la mine.

[15] Après avoir volé de la nourriture et libéré quelques prisonniers, je m’échappai.

[16] On me drogua après m’avoir affamé.

[17] Les tribus Saralainn occupent le bassin inférieur du Gwathlo, des collines de Dol Tinare jusqu’à l’estuaire du fleuve.

[18] Les expressions « médiévistes » de cette petite nouvelle ne servent qu’à mettre en scène le style désuet de Messer Gigolet. Il ne s’agit pas la plupart du temps, de véritable vocabulaire du moyen-français, mais d’un mélange de racines peu usitées et d’inventions tirées d’argots régionaux, en particulier franc-comtois.

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