La maraude du Vieux Touque

Chapitre 56 : La chute - Les trésors de Dùrin

3850 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 11/04/2020 00:49

Màr, Gandalf et Bera trouvèrent le hobbit, épuisé ou évanoui à côté du grand nain. Ils le réveillèrent et le forcèrent à boire un peu d’eau, puis une larme de miruvor.1 Màr s’accroupit auprès du corps de Thráin, se couvrant la tête de son capuchon et se lamentant à voix basse dans sa barbe. Gerry fondit aussitôt en larmes au souvenir des terribles événements. Gandalf, sur qui pesait un terrible sentiment de culpabilité, se méprit quant à la cause des pleurs et lui dit tristement :

– Je regrette de n’avoir pas eu le temps de donner mes instructions avant l’arrivée des dragons ! J’étais pressé de toutes parts ! Nous aurions tous dû nous trouver hors de portée lorsque j’ai précipité la foudre sur leurs têtes. Pourtant il semble qu’il a déjà obtenu vengeance… Son sacrifice n’aura pas été vain – le monde est débarrassé de deux fléaux… 

Mais Bera se pencha sur le corps et s’écria : 

– Le souffle ne l’a pas encore quitté ! Il faut faire vite !

Elle transporta le nain à un endroit plus sec et le dépouilla des débris d’armure qui le couvraient. Aussitôt Màr remarqua l’absence des trésors de la lignée de Dúrin. Il fureta rapidement alentours, mais l’espoir ranimé relégua momentanément sa suspicion au second plan.

Sommairement pansé, Thráin fut ramené lentement, sur les morceaux brisés de son bouclier, vers les postes de garde de la citadelle. La petite compagnie traversa le chaos empuanti de la grande salle, suivant Màr qui déblayait avec ardeur pour faciliter le passage du brancard. Corlagon gisait là, éventré et la tête éclatée sous un bloc d’une toise de diamètre. Tous se sentirent mieux lorsqu’ils se furent éloignés de l’indicible cloaque.

Les salles de garde n’avaient subi presque aucun dommage, malgré la destruction du parapet de défense. Les dúnedain avaient logé leurs montures à l’endroit habituel et transformé le poste en infirmerie. Tous les nains avaient payé leur courage lors du combat contre Scorba, d’une blessure petite ou grande. Nár avait succombé rapidement, la cage thoracique enfoncée. Outre l’état critique de Thráin, la survie de Bárin, Frerin et Bafur était en balance. Bera, Gerry et les rôdeurs s’activaient autour des blessés, la mine défaite. On étendit Thráin sur un lit de fortune et Ingold l’ausculta longuement. Son diagnostic n’encouragea guère les nains : le malheureux était estropié de l’avant-bras gauche, il souffrait de très nombreuses contusions et coupures, plusieurs côtes étaient brisées, mais la crainte du soigneur concernait d’éventuelles blessures internes indétectables – le dragon l’avait écrasé de son poids formidable. Un sang épais et sombre sourdait à la commissure de ses lèvres. Le rôdeur recommanda le repos comme seul remède, en dehors d’une décoction qui purifia l’air de la pièce et facilita la respiration de tous les malades. Gandalf fut même prié de remiser sa pipe alors que se prolongeait la veille nocturne.

Le magicien fut tenté d’aller monter la garde à l’extérieur pour y profiter des effets relaxants de l’herbe à pipe, mais il préféra rester avec ses camarades pour éviter tout dérapage. Les nains ne montraient guère de reconnaissance pour les soins des dúnedain. Les regards des gens de Dúrin pesaient tels de lourds reproches envers les rôdeurs : ils n’avaient pas été présents au moment critique face aux dragons. Gerry, qui avait veillé Thráin comme un père alors qu’il se trouvait abandonné de tous, fut définitivement adopté comme nain d’honneur. Pourtant, pressé de questions à propos de son seigneur, il ne voulut rien dire et afficha ne rien savoir.

Sur ces entrefaites, Arathorn, le dernier, rejoignit la compagnie. Le teint gris, il donnait l’impression d’avoir mené de durs combats – seule Bera se rendit compte qu’il s’agissait de luttes intérieures. Le regard dans le vague, il tenait en main un rameau flétri et brisé comme s’il s’était agit de son bien le plus précieux. Arathorn se laissa soigner et s’étendit, sans prononcer un seul mot. Devant son visage d’épouvante, personne n’osa l’interroger.

La compagnie reposa d’un bien mauvais sommeil, soigneurs et malades se réveillant fréquemment. À l’aube on déplora la perte de Frerin. Plus tard dans la journée ce fut Bafur qui succomba. Màr en larmes organisa d’ériger la sépulture des trois disparus, à l’écart dans une salle donnant sur l’avenue. Les dúnedain se trouvèrent donc seuls avec une demi-douzaine de nains alités, complètement désemparés à la perspective de perdre leur chef. Cette période de confusion ne fut pas l’occasion de resserrer les liens de la communauté. Arathorn agissait de façon distante, donnant des ordres mais oubliant les avoir donnés. Gandalf remarqua que le hobbit évitait absolument de se retrouver seul avec Arathorn, et en conçut quelques soupçons.

La nuit suivante, les soigneurs alertèrent la compagnie car Thráin s’était éveillé. Il avait un peu parlé et accepté quelques cuillers de bouillon, avant de se rendormir. Un espoir ténu revint parmi les nains malgré la mort de leurs camarades. Tous se rendormirent, mais l’esprit de Màr ne trouvait pas le repos. Le lendemain, Thráin cracha un peu de sang et se plaignit de multiples douleurs. Mais il était suffisamment alerte pour entendre les craintes de Màr. Contre le conseil d’Ingold, le vieux nain parla donc à Thráin et l’informa que le collier des nains et son anneau étaient perdus.

Le visage de Thráin se contracta, et le grand nain fit mine de se lever. Aidé de ses deux plus jeunes liges, il y parvint et lança à la cantonade :

– Je suis le vainqueur de Scorba le dragon ! Je suis le nouveau Roi sous la Montagne de Barum-Nahal ! Par le droit et la puissance de nos armes, je maudis quiconque aura dépouillé ma personne et ma maison de nos trésors ! Par la hache de Dúrin, je dénie au voleur toute jouissance de son larcin !

Sa malédiction ne nommait personne, mais ses regards dénonçaient Arathorn. On recoucha le grand nain qui vomit à plusieurs reprises, sous l’œil anxieux de ses proches. Arathorn, le visage livide, fixait le sol de ses orbites grises – il avait reçu les regards furibonds du mourant comme des gifles, sans faire mine d’y répondre.

Quelques nains fouillèrent les effets des Dúnedain, en vain. Arathorn ordonna qu’on les laissât faire, observant la scène d’un regard atone – du regard de celui qui s’est sacrifié pour une juste cause, sans attendre de miséricorde pour lui-même.

.oOo.

La rupture était consommée entre les dúnedain et les nains. Le vieux magicien, rongé par la culpabilité, n’avait pas été capable de les raccommoder ni de retrouver les trésors perdus de Dúrin. Trois jours plus tard, les Khazad décidèrent, sous l’impulsion de Màr, de rejoindre leurs cousins des Monts du fer. Ils trouveraient là assistance et ressources. Désireux de quitter au plus vite la compagnie de leurs alliés douteux, le vieux nain pensait agir pour le mieux, sans l’avis de feu Nár ni même de Thráin dont l’état se détériorait. Gandalf souhaitait les accompagner, mais il ne pouvait se résoudre à laisser Gerry seul avec les Dúnedain.

Arathorn, par calcul, laissa les nains prendre les devants, pour éviter tout esclandre à propos du trésor. Les Khazad harnachèrent sur les poneys leurs compagnons blessés, et s’en furent cahin-caha, jurant de revenir en force sous le commandement d’un Thráin rétabli. Les adieux furent courts, les rôdeurs s’obligeant à une réserve extrême envers les nains, par solidarité envers leur chef. Petite silhouette perdue sur le vaste perron, Gerry agita longuement son mouchoir, tandis que s’éloignaient les nains, compagnons rudes mais fidèles, dont il avait pour un temps partagé les épreuves et les espoirs.

La colonne des Khazad n’avait pas encore dépassé le troisième pont, qu’Arathorn donnait l’ordre du départ. Un changement saisissant s’était opéré en lui : il se tenait droit malgré ses blessures, son visage grave avait regagné des couleurs et semblait rayonner de force et d’allant. Ils optèrent, sur l’insistance du rôdeur, pour un chemin perdu dans les landes qui menait à un col rocailleux loin au sud-ouest de la montagne. Les mulets restants, une fois chargés de quelques coffres et des réserves encore disponibles, tous se mirent en route, le cœur lourd.

Le trio des dúnedain que complétaient Bera, Gerry et Gandalf, franchit donc les ponts et dépassa les châtelets. Gerry s’était retourné et contemplait l’entrée majestueuse de Barum-Nahal, lorsqu’une petite grive vint se poser sur son épaule, sous le regard étonné de Gandalf. Au souvenir du courageux volatile qui s’était sacrifié pour lui, il eut un regard attendri. Comme l’oiseau caquetait frénétiquement, le hobbit sentit un inexplicable frisson lui parcourir l’échine. Sous le regard perplexe d’Arathorn, le vieillard tendit son index et y invita la grive. Écoutant longuement, il déclara soudain :

– Je n’aime pas cela ! Une trahison s’ourdit dans l’ombre !

Arathorn lui jeta un regard anxieux et coupable que le magicien saisit. Gandalf, qui pensait plutôt à une embuscade, ne tenta pas de démêler quel remord pesait sur le cœur du dúnadan, car le temps lui manquait. On confia les trois mulets à Gerry, et tous les autres se ruèrent en silence sous les frondaisons, aiguillonnés par Gandalf qui pressentait un malheur irréparable.

Les rôdeurs dévalèrent furtivement les bois, courant d’un pied léger sur le tapis d’aiguilles de pins. Dans l’action et oubliant sa douleur aux côtes, Arathorn avait retrouvé une âme de chef. Au sortir d’un bosquet, ils repérèrent soudain l’ennemi.

La compagnie des Khazad était tombée dans une embuscade au fond d’un ravin. Les poneys terrorisés avaient jeté à terre la plupart des nains qui gisaient dans la boue, corps immobiles ou tentant désespérément de s’écarter. Fràr et Gràr, abrités derrière un bloc de granit, tentaient de rallier derrière l’écran de leurs boucliers, leurs compagnons encore valides. Màr couvrait Thráin inconscient de sa targe. Les rôdeurs virent un groupe de grands guerriers équipés de cuir sombre, descendre la pente, leurs armes au poing pour l’hallali. Mais une fourrure grise surmontée d’une gueule immense se dressait déjà au milieu des nains, semant la mort et déchirant membres et nuques – un loup-garou les avait retrouvés !

– Arrière ! hurla Gandalf en s’élançant vers le monstre. Son épée s’enflamma d’une lueur mortelle en quittant le fourreau. Les dúnedain suivirent au cri de « Arnor » !

Il était temps. Une brume sombre baignait déjà le fond du ravin, comme des eaux marécageuses inondent et infectent des cultures saines. Une torpeur maladive avait saisi les nains touchés par les vapeurs corrompues. En pleine journée, le monstre hurla et montra les crocs mais n’osa faire face au courroux du magicien. Il s‘éclipsa, laissant les éclaireurs de la forêt noire aux prises avec les dúnedain.

La fureur des rôdeurs fut la plus implacable – ils annihilèrent le premier rang et tombèrent comme la foudre sur le second. Arathorn révéla la puissance de son bras vengeur, décuplée par on ne sait quel aiguillon. Animé d’un feu intérieur, il s’enfonça dans les rangs adverses, chacun de ses coups portant une blessure mortelle. À sa suite, ses hommes repoussèrent la horde ennemie, appuyés par les quelques nains valides. Le dúnadan ressentait pleinement la puissance de l’anneau de Thrór sourdre dans ses membres – toute douleur s’effaçait, ses liges assemblés frappaient et feintaient avec une coordination et une précision inégalée, confiants dans son commandement et dans sa valeur.

La compagnie parvenait victorieuse au sommet de la côte. Un cri de détresse retentit dans leurs dos – le loup-garou, qu’on avait cru en fuite, avait contourné les lignes pour frapper le Roi nain. Mais Màr veillait et il tomba avant que Thráin ne pût être frappé. Alors le déluge s’abattit sur le monstre. Une grande ourse, l’écume aux lèvres, surgit dans son dos et happa le loup par la nuque. Un flot de sang noir jaillit et le monstre lâcha sa proie. Pourtant sa force de dix Hommes lui permit de se dégager, projetant l’ourse dans les taillis. Loup et Ourse de retrouvèrent en garde, face à face.

Arathorn, voyant la ligne de ses ennemis clairsemée, prit un risque pour les détruire entièrement : il abattit leur chef d’une botte audacieuse, tua ses deux gardes du corps, d’un même moulinet. Puis il ordonna la poursuite des survivants qui se débandaient. Gandalf put reporter son attention sur le monstre – accompagné du rôdeur, il s’élança aux côtés de Bera. Alors le loup-garou céda. Cerné de toutes parts, prenant coup sur blessure, il dut reculer toujours plus loin, jusqu’à s’enfuir dans les bois, poursuivi par l’ourse et le magicien.

Arathorn s’arrêta alors, mû par une inspiration de rédemption. Il se retira de l’assaut et courut au chevet de Thráin. La valeur au combat lui avait rappelé le sens de l’honneur – il allait rendre à Thráin les trésors de sa maison !

Lorsqu’il parvint au ravin, il dut d’abord tirer des ombres les corps inanimés des nains qui baignaient dans une lourde brume, sordide et repoussante. Il traîna les corps sur le talus, les plaçant tête en haut pour libérer leurs voies aériennes. Pour certains il dut prodiguer les gestes de ranimation tant les victimes lui semblaient faibles, au teint terreux et sans tonus. Il fit de même avec Màr dont le corps sans connaissance gisait en travers de Thráin, puis avec le grand nain lui-même.

Le chef nain respirait à grand peine. Arathorn s’agenouilla près de lui et retira l’anneau de son propre doigt en grimaçant de douleur. Il mobilisa toute sa force d’âme pour prendre la paume de Thráin et présenter le bijou devant son annulaire. La pierre bleue brillait de mille éclats au soleil. Renoncer au pouvoir qui s’offrait à lui était apparu aux yeux d’Arathorn comme une trahison envers son peuple. À présent, les idées éclaircies par la lucidité de l’action, il réalisait que sacrifier la droiture de sa maison et priver de son héritage une lignée vénérable, était indigne. Et peut-être se sentait-il incapable d’assumer pour toujours le poids d’un tel pouvoir pour son peuple.

Pourtant, l’attrait du joyau le retenait – abandonner un tel potentiel lui était maintenant bien difficile…

Arathorn raidit sa volonté et renonça au pouvoir, glissa l’anneau sur le doigt de Thráin et fut pris d’une douleur intense.

.oOo.

Ses compagnons une fois partis en avant les armes à la main, Gerry se retrouva seul, retenant avec ses petits bras de hobbit une succession de trois mules attachées les unes aux autres. Il resta coi quelques secondes, tachant de s’orienter, puis le hobbit décida d’emporter les montures jusqu’à la lisière du bois devant lui, où il pourrait les maintenir cachées tout en observant les environs plus efficacement. En chemin Gerry trouva des vêtements de peau déchirés, et devina qu’il s’agissait des loques laissées par Bera. Il les ramassa et les rangea bien en vue, parmi les paquets de la première mule, avant de poursuivre son chemin.

À l’orée du bois, notre hobbit attacha solidement les animaux de bât. Il fit bien car quelques secondes après, un hurlement lupin les fit sursauter et tenter de s’enfuir. Les cris de guerre de ses camarades suivirent aussitôt. Gerry saisit sa fronde et s’avança un peu, désireux d’aider ses camarades mais répugnant à laisser les montures sans protection ni surveillance. Assez loin sur sa gauche, des rugissements d’ours couvraient des glapissements qui le firent frémir. Soudain il sursauta, pris d’une suée froide sous le coup de la surprise : de son aile, la petite grive d’Arathorn avait frôlé son oreille. L’animal voletait au-dessus et au-devant de lui.

Gerry la suivit dans cette direction.

Le hobbit se faufila entre les bruyères, ramassant au passage des éclats de pierres tranchantes. Au détour d’un bloc de granite rose, il vit sur la crête suivante, un guerrier armer son arc vers sa cible accroupie dans le fossé. L’homme vêtu de sombre portait un attirail de cuir noir qui lui rappela les malandrins de Thalion. Vivement, Gerry arma son tir et lança sa pierre, atteignant l’archer, juste dans l’œil !

Mais la flèche ennemie s'était envolée et avait atteint sa cible. L’archer s’écroula mort, tandis qu’Arathorn poussait un cri aigu de douleur. Trois autres archers se révélèrent au sommet de la crête. Arathorn, se tordant de douleur, saisit le large bouclier qui avait servi de pavois pour transporter le corps de Thráin, et s’en abrita. Trois flèches s’y plantèrent, alors que l’archer le plus proche lâchait son arme et couvrait de ses mains sa tête en sang. Arathorn ne tenta pas de retirer la flèche fichée profondément dans le côté droit de son abdomen, juste sous les côtes. Risquant un œil par-dessus le pavois, il vit ses trois adversaires, l’un hors de combat – comment était-ce possible ? – et les deux autres restant décontenancés par la menace d’un tireur embusqué. Jugulant sa douleur et saisissant sa chance, il bondit aussitôt avec les forces qui lui restaient. Comme Gerry – car c’était lui le tireur – atteignait à l’épaule un archer qui tentait d’armer son tir, Arathorn abattait son camarade avant de les achever tous deux.

Une fois accompli son exploit, ses bras retombèrent. Arathorn, les traits tirés par la douleur, redescendit la pente qu’il avait gravie, mais il s’effondra en son milieu, les mains crispées sur la flèche qui l’avait percé.

Gerry s’approcha avec précaution, surveillant les environs. Les rôdeurs noirs avaient disparu. Arathorn gisait au sol, le teint terreux et le visage révulsé. Sa blessure saignait abondamment, sa vie s’épanchait dans la bruyère. Autour de lui les corps de ses assaillants, une compagnie entière, l’accompagnaient dans la mort. Le carquois du dúnadan gisait éventré au milieu des traits éparpillés et de l’arc brisé. Échappé du faisceau de flèches, le rameau, gage de la dame, laissait pointer un bouton blanc, dérisoire témoin de vie sur la branche flétrie. Gerry en larmes épongea le visage d’Arathorn. Avec une application fébrile, il vida la réserve de feuilles médicinales du dúnadan sur ses blessures, tentant maladroitement de les bander.

Arathorn ouvrit les yeux, tenta un sourire qui se termina en grimace et prononça d’un ton qui se voulait paisible :

– Vous devrez suivre l’enseignement de ma dame. Il serait bon que mon fidèle écuyer soit à même de soigner ses camarades…

Gerry redoublant de pleurs, Arathorn l’interrompit :

– Je gis au-delà de toute possibilité de guérison, Maître Touque ! Soyez courageux et prenez en gage les dernières volontés de votre roi…

Comme Gerry effondré ne pouvait rien répondre, Arathorn déglutit avec difficulté et poursuivit :

– En fin de compte mon choix fut vain ou trop tardif. Ils ont emmené Thráin avec son anneau…

Gerry tressaillit. Voilà donc la confirmation ultime de ce que cherchaient ces étrangers ! Sans la présence de cet anneau de puissance des nains, lui-même aurait certainement été découvert avec son propre anneau, et emmené par les terribles loups-garous ! Et cela était encore possible…

– … mais ils ont omis de me prendre ceci…

Le dúnadan montrait le collier des nains, caché sous sa tunique.

– Allons, mon jeune ami, cachez ce trésor et mettez-le en lieu sûr. Vous allez le rendre aux nains, en leur présentant les excuses d’un ami. Mais rappelez-leur notre lien d’alliance… que les deux rois ne disparaissent pas en vain. C’est là l’essentiel… Gandalf vous y aidera…

Gerry obtempéra. Comme il retirait le somptueux collier du cou du rôdeur, la prestance et la diction de ce dernier s’envolèrent, jetant un voile de douleur sur le mourant.

– Il faut vouloir vivre et savoir mourir.2 Mais comme il est dur de renoncer aux délices d’un retour d’espérance et de gloire vers un foyer aimant ! Je vous souhaite de connaître cette joie, Maître Hobbit… Ou plutôt je vous l’ordonne !

Il s’adressa alors à la petite grive qui sauta sur sa poitrine meurtrie :

– Tu vas aider Gerry, et le mener à Imladris. Là tu conteras notre geste à la reine…

Après un long silence le dúnadan prononça ces dernières paroles :

– Apportez à ma dame, avec le témoignage du seul amour de ma vie, l’assurance que je pars la conscience en paix, d’avoir œuvré pour le bien de mon peuple en réparant mes fautes. Dites à Gandalf que je lui pardonne d’avoir détourné mon expédition. Il avait raison et aurait dû être notre capitaine dans cette affaire. Puisse ma chute enseigner cela à mes héritiers…

Le souffle rauque s’éteignit.

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NOTES

1- Le cordial d’Imladris

2- Napoléon Bonaparte


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