La maraude du Vieux Touque

Chapitre 26 : Le Dunadan - Hurlements

2239 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 17/12/2019 19:46

Un hurlement lointain se fit entendre. Il tenait à la fois du cri du loup en maraude et de l’appel au carnage. Gerry, ses cheveux blonds dressés sur sa tête, revint précipitamment aux basques du magicien. La rive sud retentit par deux fois du grondement menaçant, alors que la lune s’élevait pour éclairer les nuées nocturnes d’un halo incertain. Le fracas des flots lui-même semblait s’être figé, comme montaient ces hurlements d’un autre âge du monde.

Après un moment de stupeur, Gandalf ordonna que des réserves supplémentaires de bois fussent rassemblées. Les deux compagnons s’activèrent un long moment, surveillant la rive gauche en permanence. Enfin ils s’estimèrent prêts. Rien ne bougeait sur la berge sud ni n’émettait aucun son, pour autant que les flots incessants permissent d’en juger. L’assurance du hobbit se releva à mesure que le magicien ravivait les flammes grâce au bois qu’il avait apporté. Gandalf ordonna au hobbit de s’assurer du poney et de consolider ses liens, puis il confectionna un repas chaud qui soutiendrait le moral fragile de son compagnon. Il vérifia l’accommodement du poney et lui glissa à l’oreille quelques couplets de confort et de courage, flattant l’encolure de la brave bête.

Revenant s’asseoir près du feu, le magicien déclara, en dégustant son brouet :

– Nous sommes à l’abri, à présent, je pense. S’il pointe son vilain museau par ici, nous avons de quoi le recevoir. 

Le hobbit savoura cet instant de réconfort, se réchauffant en mangeant sa soupe. Mais un grondement sourd se fit entendre non loin, de l’autre côté de l’arche de pierre. Gandalf se leva, brandissant son bâton, devenu aussi lumineux qu’un rayon de lune. Gerry, un peu tremblant, arma sa fronde, mais il ne pouvait encore distinguer le monstre, dissimulé dans la pénombre de la rive sud.

Le magicien éleva sa forte voix, braquant sa lumière vers la berge opposée :

– Retournez à la pénombre de vos forêts maudites ! 

Le grognement s’enfla, articulant des mots de défi dans une langue oubliée des mortels. Mais Gandalf connaissait cette langue. Elle portait la marque d’un noir ennemi du monde. Une énorme forme sombre s’avança, ramassée sur elle-même, toute en muscles roulant sous une épaisse toison gris-argent.

Gerry, l’apercevant enfin, le trouva beaucoup plus gros que son poursuivant de cet après-midi. Il s’imagina immédiatement que le loup-garou était allé chercher son papa, comme dans les contes de son enfance.

Une haine inextinguible se lisait dans la pupille fendue. La forme se redressa. C’était bien le même animal que tantôt : les compagnons distinguaient une plaie ouverte et brillante de sang frais à la base de l’oreille gauche. Mais il semblait plus imposant, comme si la haine accumulée et la pénombre nocturne l’avaient fortifié.

Gandalf tira son épée, qui lança un bref éclat aveuglant, promesse d’une froide morsure :

– Vous ne passerez pas ![1] Le brasier d’Anor vous roussira moustaches et pelisse ! 

La mention des moustaches fit tressaillir le hobbit. Cette face grimaçante lui en rappelait une autre, presque aussi menaçante quoique moins sauvage…

Un grondement plus puissant encore accueillit la harangue du magicien. La forêt en trembla autour d’eux. Le monstre se ramassa, préparant l’attaque. D’un geste, Gandalf aviva le feu dont les flammes grandirent, éclairant les arbres alentours. Son bâton flamboya d’un éclair blanc. Un cri de douleur accueillit le rayon lumineux que le magicien darda sur la face hideuse du monstre.

L’animal se détourna en geignant et regagna les bois profonds loin de la berge.

Les deux compagnons scrutèrent la rive sud avec attention pendant quelques instants. Un hurlement pitoyable, haineux mais dépité, leur parvint d’une colline au-delà de l’arche. Gandalf déclara, un sourire gaillard aux lèvres :

– Je crois qu’il a compris ! Vous pouvez dormir, je vais veiller quelques temps. 

.oOo.

Le hobbit fit un petit tour auprès du poney, qu’il trouva nerveux et en sueur sous sa couverture. Il sacrifia sa dernière pomme pour son vieil ami, et alimenta encore le feu. Puis il s’étendit près du foyer et s’efforça de s’endormir.

Mais après deux heures d’un sommeil agité, un nouveau hurlement retentit dans la nuit. Le monstre devait se trouver à quelques sillons au sud de l’île, sur la colline basse que Gerry distinguait à présent sous la lune. Le hobbit scruta le visage tendu du magicien et lui demanda avec espoir :

– Est-ce un cri d’adieu ? 

– Je me le demande. Ce cri est chargé de haine et d’impuissance, mais aussi d’un espoir que je ne m’explique pas… 

Le long grognement n’était pas sitôt fini, qu’un autre hurlement lui répondit, loin au sud-est, venant des contreforts des Monts Brumeux, immédiatement repris par un chœur lupin de douzaines de voix !

Cette fois le moral du campement descendit en flèche. Gerry reconnut là les anciens contes au coin de l’âtre, où toute la famille du monstre accourt pour la curée. Bien contre son gré, il se mit à trembler comme une feuille. Mais Gandalf ne perdait point la tête ; il occupa immédiatement le hobbit, lui enjoignant d’enduire les pommes de pin d’un mélange qu’il avait concocté, à base de résine.

À intervalles réguliers, aux appels réitérés du loup-garou, répondait la horde, de plus en plus proche. Gandalf s’avisa d’un petit promontoire, le coin de la maison écroulée où se trouvait le poney, qu’il renforça de pierres de taille tombées. Cela fournirait à Gerry une plate-forme de tir qui le laisserait hors de portée de leurs ennemis, du moins pendant quelque temps. Il y hissa le hobbit avec une grande provision de pommes de pin et toutes les pierres que Gerry avait rassemblées. Les assiégés étaient maintenant aussi prêts qu’ils le pouvaient.

Enfin un concert de hurlements vainqueurs retentit sur la colline en face de l’île, tandis qu’une lune gibbeuse redescendait sur l’horizon voilé. La meute réunie passerait certainement à l’attaque avant l’aube. En effet, après quelques frôlements furtifs, une vague de grondements couvrit soudain la berge sud. Une bande d’énormes loups gris se glissait pied à pied à la limite de luminosité du feu. Le loup-garou s’avança dans leurs rangs, exaltant l’instinct de meute. Gandalf regretta de ne pas avoir allumé d’autres feux le long de la berge de l’île, car de nombreux loups franchissaient déjà le gouffre d’un bond, en amont et en aval de l’arche de pierre. Il lança une parole de feu et, saisissant quelques pignons, il les projeta incandescents autour du refuge du hobbit et du poney. Chaque projectile irradiait une flamme bleuâtre qui s’élevait d’autant plus vive que d’autres pignes étaient proches. Le hobbit l’imita, complétant progressivement une barrière de feux vifs et bleus autour de son refuge. Le poney s’agitait de plus en plus dans son espace restreint, mais il était solidement entravé.

Bientôt une grande bande de loups, qui avait traversé d’un bond le précipice et s’était rassemblés dans la partie amont de l’île, s’avança furtivement vers le refuge de Gerry. Le hobbit vit une douzaine de paires d’yeux de carnassiers refléter les lueurs des feux. Il prévint Gandalf, qui tenait en échec une demi-douzaine des plus gros loups devant l’arche de pierre. La meute de Gerry, hésitante devant les pommes de pin en feu qui crépitaient devant eux, commençait à s’enhardir. Aussi Gerry visa-t-il les plus audacieux, de part et d’autre de la maison écroulée. Il parvint ainsi à contenir la meute. Lorsqu’un gros mâle noir fit mine de passer entre deux flammes bleues qui faiblissaient, le hobbit eut la chance de l’atteindre sur l’échine. Le pignon poisseux resta collé au pelage qui prit feu violemment. Le meneur détala, non sans disperser quelques loups mineurs qui bondirent par-dessus la crevasse. Son sillage de flammes et de hurlements put se suivre de loin.

Mais bientôt Gandalf eut affaire à forte partie. Malgré le foyer ardent au seuil de l’arche de pierre, les attaques de toutes parts l’avaient contraint à se défendre à l’arme blanche. Il avait de haute lutte précipité plusieurs carnassiers dans le rapide. D’autres gisaient carbonisés devant l’arche. Pourtant le magicien avait dû reculer. Il se battait à présent entre le foyer déclinant et les ruines où se tenait le hobbit. Gerry atteignit à nouveau un énorme loup au poitrail. L’animal prit immédiatement feu en sautant comme un fou-furieux. Il tomba dans le foyer et le dispersa en grande partie, puis bascula dans le torrent.

Gandalf et Gerry lancèrent leurs dernières pommes de pin, faisant des ravages dans les rangs des animaux. Mais le magicien, hors d’haleine, fut repoussé devant l’entrée de la bâtisse écroulée. Le hobbit l’aidait de son mieux, tirant à présent à la fronde sur les gueules hurlantes et les yeux rouges démoniaques. Gandalf se trouva aux abois, encore repoussé plus loin dans la pièce. Il se battit un moment près du poney. Gilles épouvanté le sauva involontairement des crocs d’un petit loup vif en lui décochant une ruade qui laissa le carnassier inerte. Un gros mâle blanc tenta d’ébranler le promontoire de Gerry, qui dut lui faire face avec sa dague.

Alors s’avança le loup-garou. Sa présence obnubilait le foyer mourant. Il se redressa devant l’entrée du bâtiment, flanqué de deux louves qui tachaient d’encercler Gandalf. À présent Gerry repoussait avec sa dague les attaques du gros blanc qui s’acharnait à l’assaut de son promontoire.

Poussant un terrible hurlement de rage, le loup-garou arqua ses jambes pour bondir. Une petite louve hirsute parvint à saisir le bras du magicien épuisé, immobilisant son épée. Un éclair l’étendit raide morte, ainsi que sa voisine qui s’apprêtait à bondir à la gorge du sage. Mais le magicien aux abois avait basculé, appuyé d’une épaule contre le mur.

Heureusement l’attention du monstre fut détournée pendant quelques instants par un mystérieux adversaire aérien. Gandalf, en nage et haletant, chassa de son bâton un loup désorienté et parvint à se remettre debout. Grimaçant de douleur, il en faucha un autre qui avait saisi un jarret du poney. Puis il se tourna vers le monstre, rassemblant ses forces. Le loup-garou semblait chasser un oiseau importun qui l’assaillait de toutes parts. Reprenant son souffle, Gandalf s’apprêtait à frapper le monstre dans le dos, lorsque deux énormes loups gris sautèrent par-dessus le mur écroulé à côté de l’entrée. Ils se postèrent devant le magicien et entamèrent une attaque concertée et féroce, acculant le malheureux vers le poney.

Mais soudain le loup-garou, qui s’escrimait avec hargne contre le vent, émit un cri féroce qui tenait plus du gargouillement que du hurlement. Il fit une embardée et s’écroula sur le mur bas de l’entrée. Étendu sur le dos, secoué de convulsions, il tentait maladroitement de retirer une flèche profondément fichée dans sa gorge.

Les combattants ressentirent immédiatement un flottement dans l’assaut. Gerry put reprendre sa fronde, tenant en respect les silhouettes rôdant autour de la bâtisse écroulée. Les deux loups jumeaux qui coordonnaient si habilement leur attaque, reculèrent en bon ordre hors du bâtiment. L’un d’eux fut fauché par une nouvelle flèche. L’autre s’enfuit en jappant. Mais le monstre était parvenu à se relever. Gandalf lui asséna sur l’épaule un coup de son épée, dont la pointe se brisa dans un éclair bleu. Un tronçon resta fiché dans la chair corrompue mais le loup-garou, dans un dernier effort, renversa le magicien et s’enfuit. Gandalf, sonné mais indemne, resta plusieurs secondes à reprendre son souffle. Enfin, s’appuyant sur son bâton, il sortit du bâtiment, sa main tenant fermement son épée ébréchée.

Une vingtaine de cadavres de loups gisaient dans le bâtiment et tout autour. Le magicien fit lentement le tour de l’île, chassant les animaux blessés. Prudent, il ranima le feu et en alluma deux autres.

Enfin, accablé de fatigue, Gandalf aida le hobbit à descendre de son poste de tir. Gerry était secoué de grelottements nerveux incontrôlables, qui l’avaient pris aussitôt le danger écarté. Le magicien l’installa dans des couvertures, près du feu, après une lampée de cordial.

.oOo.

NOTES

[1] L’auteur est certain que le lecteur visualise parfaitement la scène…

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