La maraude du Vieux Touque

Chapitre 18 : Les cavaliers noirs - Le fortin

3768 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/04/2020 00:57

Les voyageurs coupèrent à travers bois, en suivant les pentes des ravins qui donnaient vers l’est, et remontant les côtes vers le nord-est lorsqu’une voie praticable se présentait. Les pauses brèves, la marche sans fin, les repas mesurés épuisaient complètement le hobbit, même s’il montait le plus souvent son poney.

Les fuyards ne se souciaient plus à présent de dissimuler leur piste, coupant au plus court sous un soleil à peine voilé dans les courtes vallées. Vers la fin du jour, le magicien trouva ce qu’il cherchait : une crête de rochers noirs, dont ils longèrent le pied en obliquant légèrement vers le sud-est. L’arrête de pierre sombre et lamellaire s’élevait et s’abaissait de façon irrégulière entre vingt et quarante pieds de hauteur.

Après une lieue, ils découvrirent une brèche dans la falaise et s’y engouffrèrent. Une sente tapissée de feuilles mortes grimpait droit à travers la faille, sur un arpent environ, mais le poney put l’emprunter. En descente, c’eût été bien difficile, observa Gerry, qui, fermant la marche, aperçut au sommet de la montée, deux colonnes de pierre gardant la sortie de la faille. Hautes d’une toise et façonnées comme des faucons perchés sur une main, les statues dardaient leur regard aquilin dans la pente, comme deux idoles de l’ancien monde chargées de surveiller le passage. Après la montée assez raide, Gandalf s’arrêta sous les figures hiératiques qui le surplombaient de façon menaçante. Il prononça d’une voix solennelle :

– Orodreth na Aran Cardolanië ! [1]

Le silence de la forêt en contrebas se fit plus épais, comme si les arbres eux-mêmes retenaient leur bruissement pour entendre ce qui allait se passer. Gerry avait la déplaisante sensation que des lueurs rouges, mussées au fond des orbites de pierre, le suivaient avec insistance. Les statues répondirent à l’unisson d’un son d’outre-monde :

– Lost na edrëa ! [2].

Un frisson de peur secoua le Hobbit, très impressionné par ces inquiétantes merveilles, mais plus encore par le détachement du magicien, qui semblait trouver tout cela parfaitement naturel !

Le petit groupe gravit alors les derniers mètres, avec un effort pour contraindre leurs articulations raides à leur obéir. Le magicien répandit sa substance toxique au pied des statues, puis les compagnons suivirent la crête qu’ils venaient d’atteindre.

Alors le soleil couchant leur révéla plusieurs tours des Hommes, qui gardaient la falaise. Au nord-ouest, loin sur l’arc déchiqueté de la crête grise, se dressait un édifice de haute taille. Plus près d’eux, à deux sillons au sud-est, un autre fort en ruine s’appuyait au bord de l’abîme. Gandalf huma de tous ses poumons dans le léger vent d’ouest qui balayait le sommet. Un rapace s’élevait en larges cercles concentriques sur le couchant.

Les vents de Manwë [3] portent une rumeur de haine renouvelée. Nos poursuivants ont gagné sur nous tout ce jour. Nous serons cernés avant la fin de cette nuit. Il est temps de nous retrancher et de dévoiler Gandalf le gris sans son vieux manteau… pensa le magicien dans un soupir de résignation.

Au hobbit qui l’interrogeait du regard, il déclara :

– Nous voici arrivés. Vous allez pouvoir vous reposer. 

En quelques minutes, ils furent au fortin. La lumière déclinait rapidement. Trois des tours cernant le fort avaient résisté aux attaques du temps, mais les murs et la porte avaient cédé depuis longtemps. Gandalf choisit la tour d’apparence la plus robuste, fièrement dressée au bord de la falaise. Le premier étage semblait solide, encore entouré par une forte muraille sur les trois quarts de son périmètre, tournés vers l’extérieur de l’enceinte. Mais l’escalier pour y mener s’était effondré. Gandalf fit grimper le hobbit à l’étage avec toutes les provisions, l’aidant à escalader le mur. Il lui recommanda de garder les paquets prêts pour un départ précipité.

Puis le magicien fit un feu, abrité des murs à demi-écroulés de quelque ancienne réserve ou de la demeure du capitaine, au milieu du fort. Il confectionna un repas chaud, qu’il partagea avec le jeune hobbit embusqué sur son toit, pendant que le poney broutait les herbes folles de l’ancienne cour. Enfin il mena l’animal dans les vieilles écuries, lui apportant des brassées d’herbes arrachées. Pendant ce temps, le hobbit s’apprêtait à se pelotonner pour la nuit. Déblayant une rigole maçonnée pour s’y étendre, il découvrit dans les gravats, des pierres, grises et oblongues, qu’il mit de côté en pensant à sa fronde.

Comme il demandait au magicien s’il comptait se coucher, Gandalf consentit seulement à lui dire qu’il ferait bien de se barricader et de dormir en gardant ses armes à portée.

– En cas de problème, ne vous montrez pas ! Restez caché et bornez-vous à vous défendre si nécessaire ! Je serai en bas à veiller. 

Gerry était trop fatigué pour argumenter avec un magicien aussi déterminé, bien qu’il sentît que quelque chose d’assez désagréable se tramait. Aussi rassembla-t-il ses munitions derrière un reste de créneau. Ayant découvert une grille rouillée et barbée, sans doute destinée à recouvrir une évacuation d’eau, il la coinça dans l’étroite ouverture de l’ancien escalier effondré. Puis il se coucha, tout harnaché, et s’assoupit rapidement, éreinté.

Quant à lui, le magicien continua ses préparatifs : il barricada solidement l’entrée de la stalle de Gilles, qui se retrouva entièrement entouré d’un mur de six pieds de haut. Gandalf disposa des madriers pourris, en équilibre sur les colonnes et les murs devant la stalle. Il prononça quelques vœux de protection et de sauvegarde, qui calmèrent le poney, un peu nerveux. Enfin le magicien se pencha sur son feu et l’alimenta en concoctant longuement une préparation secrète.

Alors, satisfait de sa mise en scène, Gandalf sortit de la sphère de lumière. Il se glissa furtivement jusqu’à la brèche qu’ils avaient empruntée pour atteindre le sommet de la falaise, et y ourdit quelque tour de magicien. Puis il revint au vieux fort et, après une petite ronde de reconnaissance, il s’enveloppa de son grand manteau et revint s’adosser à un pan de mur de la tour écroulée, la plus éloignée du feu de camp, entre deux buissons touffus.

Les étoiles scintillaient par intermittence, et bientôt une lune en claire amande vint inonder d’une lueur douce, les alentours de l’ancienne place forte. La silhouette du magicien se fondait dans l’ombre épaisse des buissons, d’où n’émergeait que son bâton, semblable à une branche tordue.

Le hobbit reposa du sommeil des fuyards épuisés – lourd mais intermittent et inquiet. Il rêvait confusément qu’un collet se resserrait autour de son cou, ou qu’une main crochue se glissait dans son gilet pour lui subtiliser son trésor, lorsqu’une voix, douce et suave comme une brise printanière, triste comme un dernier adieu, monta dans l’air nocturne. Il s’éveilla. La lune avait traversé le ciel, fidèle gardienne de son sommeil. Un air court et harmonieux retentit comme un avertissement et s’évanouit rapidement :

-“Rhynwaith taurhoth nuithir lendiali” [4]

Immédiatement après, le jappement de fureur d’un chien retentit, suivi de geignements lamentables, durement réprimés par des coups de cravache. Le magicien sauta sur ses pieds, rejetant son manteau et son chapeau sur le buisson dans l’ombre du mur à côté de lui. D’un geste de son bâton, il apaisa le feu de camp. Il scruta alentours et s’éclipsa dans les ombres à l’écart du fort.

La rumeur de cavaliers démontant et le tintement d’armes tirées du fourreau alertèrent le hobbit au sommet de sa tour. Aussitôt, Gerry se dégagea prudemment de ses couvertures et vint s’embusquer au-dessus de la cour du fort, sa fronde armée en main. Les jambes tremblantes, il cherchait des yeux le magicien sans le trouver, lorsqu’il distingua plusieurs ombres s’approchant du fort.

De grands hommes, couverts de manteaux noirs et de capuches sombres et armés de longues épées étincelantes, progressaient résolument vers la tour en ruine, face à celle de Gerry. Il voulut hurler et avertir le magicien, mais les mots restèrent collés au fond de sa gorge nouée par la peur. La progression rapide des agresseurs, qui convergeaient vers la tour écroulée, se termina par de violents jurons. Une épée tomba, un cri de surprise et d’effroi s’éleva : « Saleté ! Une vipère ! » Un homme s’acharna sur quelque chose au sol et s’écarta, titubant, tandis que les quatre autres se disposaient en arc de cercle pour cerner le feu.

Un énorme chien noir, que Gerry n’avait pas repéré jusque-là, rôdait en grondant autour de la stalle. Coincé dans son réduit, le pauvre poney commençait à s’agiter, en proie à une terreur insurmontable. Les mots de Gandalf revinrent à son esprit : « Contentez-vous de vous défendre ! » Mais la pensée du pauvre Gilles cerné et incapable de fuir réveilla son jeune courage. Son compagnon des balades campagnardes et polissonnes dans la Comté, ne terminerait pas en rôti ! Lorsque les hennissements de terreurs furent trop insupportables, il se campa sur ses courtes jambes et brandit sa fronde.

Mais à ce moment un homme fit irruption au côté du chien et commença à écarter la barricade élevée par Gandalf. Soudain un lourd madrier s’abattit sur sa tête, déséquilibré par la précipitation de l’homme, qui tomba à terre, inanimé et le crâne en sang. L’horrible bête profita de la débâcle et grimpa sur l’éboulis. Les hennissements du poney fendaient le cœur du hobbit, mais il eut la force de caractère de maîtriser sa peur et d’appliquer son adresse vers un seul but. Le terrible prédateur, excité par l’hallali et bavant d’envie devant son festin, était parvenu à se hisser au sommet de la barricade. La fronde tourna trois fois, la pierre siffla et le molosse dégringola dans un gémissement de douleur, avant de détaller avec un long jappement plaintif !

Mais ce coup de maître avait révélé le hobbit à ses ennemis. Avec un juron de haine, l’un des hommes scruta les ruines. Lorsqu’il aperçut le hobbit, il ordonna aux autres, dans une langue abominable, de se saisir le lui… ou du moins c’est ce que le malheureux put déduire des gestes menaçants du bandit.

Les trois autres hommes coururent vers la tour, se protégeant le visage d’une petite targe ou du revers de leurs gants de cuir. L’un d’eux reçut une pierre dans le genou, étouffa un cri, mais poursuivit sa course en clopinant. Il tenta d’escalader le mur écroulé à droite du hobbit, mais ne put y parvenir. Un autre entreprit de grimper le long du lierre à gauche, mais ses appuis se descellaient à mesure de sa montée. Le troisième entra au rez-de-chaussée. Se rendant compte de l’absence d’escalier, il empila quelques décombres et agrippa la grille, essayant de se hisser. Le hobbit aux abois ne sut quel front défendre en priorité. La menace des horribles mains surgissant du trou sombre à travers la grille fut la plus impressionnante. L’assaillant lança d’une voix grave et sourde, en langage commun :

– Donne-le moi, sale gamin, ou tu vas le regretter !

La menace révélait un accent de terres lointaines et une concupiscence haineuse. Gerry reconnut la face grimaçante de l’homme de l’auberge à Thalion. Mais la bouche et le menton étaient maintenant brûlés à vif, cramoisis et couverts de cloques. L’œil gauche boursouflé suintait des humeurs sanguines qui coulaient sur sa moustache difforme.

Révolté tant par l’hideuse apparence que par l’emprise que cet individu avait eue sur lui, le hobbit assura son trésor dans son gilet et dégaina sa dague. Comme si un coup de fouet l’avait réveillé, il donna un grand coup sur les mains gantées qui commençaient à déloger la grille. La lame du hobbit entailla le cuir sombre et sectionna quelques tendons. L’homme s’écroula avec un cri inhumain.

– Tu ne l’auras pas ! Étouffe-toi dans ta haine ! hurla le hobbit comme un de cri de victoire.

Des imprécations obscures, presque animales, parvinrent du rez-de-chaussée de la tour.

Puis un grand silence s’ensuivit, comme si la malice des assaillants s’assemblait pour l’assaut final. Le bandit au genou blessé avait renoncé à l’escalade, mais son compère, agrippé au lierre parvenait presque au premier étage. Le capitaine, qui était resté en retrait, saisit son arc et s’avança lui aussi vers la tour. Le hobbit jeta un regard par-dessus le créneau et frissonna en croisant son regard implacable.

Mais au moment où le chef des assaillants, près du feu, armait sa flèche, l’âtre flamboya et l’une des bûches rougeoyantes s’écroula, projetant des étincelles dans des tessons enduits de graisse et disposés tout autour. Des gerbes d’huile fusèrent, qui enflammèrent la cape du capitaine.

Pendant qu’il tentait frénétiquement d’éteindre ce feu, on entendit des glapissements, des hennissements de chevaux terrifiés suivis d’une cavalcade de montures au galop. Les assaillants hésitèrent, les éclopés se rassemblant autour du chef pour l’aider.

Quelques instants plus tard, Gandalf fit irruption, montant un grand palefroi sombre et écumant, les rênes et son bâton dans une main et son épée dans l’autre !

Les agresseurs n’eurent pas besoin de l’ordre de leur capitaine pour battre en retraite. Gerry surexcité envoya une pluie de projectiles. Gandalf poursuivit les brigands, distribuant ses coups d’épée avec générosité, quoique gêné par la fougue de sa monture.

Le hobbit se retrouva seul sur le champ de bataille, hébété et à bout de nerf. Il dut s’assoir, tellement il tremblait de tous ses membres.

Gandalf revint après quelques minutes, le feu du combat couvant encore dans ses yeux de braise. Il ordonna au hobbit de lui passer les bagages, puis il l’aida à descendre de la plateforme et l’envoya rassurer le poney. Il récupéra son manteau et son chapeau, non sans en vérifier la doublure avec circonspection. Les voyageurs furent prêts à partir en quelques instants et, montés tous deux, ils pressèrent le pas pour s’éloigner du fortin, en se coulant dans les ombres de la forêt de pins.

Ils poursuivirent leur course, jusqu’à ce que l’aube grise commençât à percer autour d’eux. Gandalf, le sourcil encore en bataille, scruta longuement, tel un aigle aux aguets. Il accorda au groupe une courte pause durant laquelle il retrouva ses manières un peu vives.

– Touque désobéissant ! Je vous avais ordonné de rester caché…

– Mais mon poney était en danger…

– Hum... Le risque en valait la peine… Vous avez eu raison : on ne laisse pas un fidèle compagnon dans le besoin… Au fait, je n’ai pas pris le temps pour vos blessures…

– Je n’ai rien, et Gilles non plus, je crois. Mais que faisiez-vous donc pendant qu’ils arrivaient ? Je croyais que vous étiez caché dans l’autre tour ! Je me suis retrouvé tout seul !

– Oh ! Je me suis esquivé en les laissant se concentrer sur ma cachette. Il nous fallait une monture de plus, et surtout les priver des leurs. Dès que ce fut fait, je suis revenu vous prêter main forte. À présent, ils doivent encore courir après leurs chevaux. À en juger par le caractère de celui-ci, ils ont dû les traiter de telle façon qu’ils ne les laisseront pas facilement les rattraper. Du reste, j’ai saboté leurs selles !

– N’ont-ils pas tenté de vous en empêcher ?

– Si, bien sûr ! Je suis un vieux magicien, mais je sais encore manier l’épée, maître questionneur ! J’ai mis en fuite de grands chiens noirs, et il n’y avait qu’un seul garde. Il ne pourra plus manier son arme pendant quelques semaines, je pense. Mais vous vous êtes, quant à vous, admirablement comporté ! Vous avez blessé vos assaillants et secouru votre poney ! Vous êtes un digne descendant du Taureau Mugissant ! 

Gerry allait corriger cette approximation généalogique mais un coup d’œil du magicien le fit se raviser :

– À présent nous devons nous hâter…


Les voyageurs progressèrent silencieusement sur le tapis d’aiguilles. Après un long détour, le magicien les fit rejoindre une longue crête où ils purent monter à nouveau. L’arrête rocheuse finit par s’aplanir puis s’évanouir en courtes collines de plus en plus herbeuses. Les arbres se firent rares et la prairie se piqua de de fleurs colorées sous le soleil qui montait. Ils ralentirent l’allure en atteignant une petite combe abritée des regards. Cavaliers et montures se désaltérèrent dans le cours d’un charmant petit ruisseau, autour duquel s’épanouissait la vie vernale. Une incroyable variété d’herbes, de graminées et de plantes grasses foisonnaient sur ses berges.

– Si les rôdeurs étaient ici, ils vous enseigneraient les vertus de ces plantes. Je pense que nous ne sommes plus loin du fleuve. Il devait y avoir par ici, autrefois, des fermes et des manoirs des Dúnedain, du temps du royaume de Cardolan. Cela pourrait expliquer toutes ces plantes médicinales, que l’on trouve rarement en si grande variété. Je ne serais pas surpris de découvrir les restes d’une villa fortifiée non loin. Dans leurs derniers temps, ils recrutèrent des mercenaires qui protégeaient la frontière contre les incursions des loups et des brigands de Rhudaur. C’est à cette époque qu’ils construisirent les tours que nous avons vues et le fort que vous avez vaillamment tenu contre l’ennemi !

Le hobbit éprouvé ne trouvait guère de réconfort dans l’anachronique fraternité d’armes qu’évoquaient les souvenirs du magicien. Au-delà de l’épuisement qui gagnait jusqu’au bout de ses orteils poilus, les périls qui l’avaient assailli tout récemment, avaient anéanti le mirage dans lequel il s’était complu jusqu’ici, d’une vie agréable et gratifiante sans effort d’aucune sorte. Il lui semblait qu’après pareille épreuve, plus jamais il ne pourrait ressentir la paix et la douceur de vivre !


Comme s’il lisait en lui, Gandalf le considéra gravement, auscultant le regard épouvanté du hobbit :

– Il était grand temps que vous vous prissiez en main, c’est certain ! Et vous montrez une capacité fort satisfaisante à dépasser les épreuves, bien que vous soyez parfois trop irréfléchi ! Mais de toute évidence vous emportez avec vous un fardeau, une responsabilité que je ne soupçonnais pas. Peut-être devriez-vous vous en ouvrir à moi ?

L’horrible clairvoyance du vieil enquiquineur indisposa Gerry :

– Je ne vois pas de quoi vous voulez parler !

– Non ? Je demanderai à nos poursuivants la prochaine fois que nous les croiserons… Peut-être eux le sauront-ils ?

– C’est vous qui m’avez enlevé de chez moi ! Vous m’avez contraint à quitter les miens ! Jamais nous n’avons vu de telles Grandes Gens dans la Comté ! Je parie que ces rustauds n’ont cherché à m’attraper à Thalion, que dans le seul but de vous nuire, à vous ! Qui sait quels ennemis vous vous êtes faits, à fureter et tarabuster les braves gens dans les pays lointains ? Qu’aviez-vous besoin de les attirer à moi, avec vos sourdes manigances de magicien ?

La véhémence de la contre-attaque conforta Gandalf dans l’avis que son jeune compagnon avait bien quelque chose à cacher. Mais les hypothèses du galopin restaient parfaitement valides – et en effet, elles étaient naturellement venues à l’esprit du magicien. Le vieillard répondit avec un calme froid, mais cela n’était qu’un paravent à sa crainte et sa mauvaise conscience :

– Les ennemis que je me fais le deviennent parce que je défends les peuples comme le vôtre ! 

Un long moment orageux passa sous le soleil resplendissant. La brume reculait rapidement, au fond de la vallée. Le magicien se radoucit et soupira :

– Je vous mènerai à bon port malgré ce mystère, ou d’autant plus à cause de lui… Nous devrions repartir et profiter de la couverture que nous offre encore cette brume. Sur le terrain découvert que nous avons à parcourir, ce serait sage.

– Vous croyez vraiment qu’ils n’ont pas abandonné ? Si j’ai bien compté ces rustauds ont un mort, un homme mordu par une vipère, un blessé lourd et un blessé léger, sans compter leurs sordides bestioles, sévèrement malmenées.

– Leur haine n’en est que plus implacable. Cette misérable escouade n’est pas la seule ! Ils nous poursuivent, je le sens. 

Ils reprirent donc leur chevauchée, poussant leurs montures et leur accordant le minimum de pauses.

.oOo.

NOTES

[1] « Orodreth est le Roi de Cardolan ». Il fut le dernier souverain de ce royaume, du temps de sa splendeur.

[2] La voie est libre !

[3] Manwë est le Roi des Puissances du Monde, pouvoir tutélaire des airs.

[4] « La horde de chiens et les rôdeurs des forêts interrompent votre voyage. »

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