La maraude du Vieux Touque

Chapitre 17 : Les cavaliers noirs - Escampette

3926 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 29/11/2019 21:52

Le magicien s’autorisa même un petit somme réparateur, entre les racines d’un orme centenaire. C’est dire si l’ambiance était à la détente ! Le hobbit, rassuré, se reposa lui aussi puis, sentant s’installer un certain ennui, il décida de se montrer utile.

Il ramassa quelques cailloux et s’exerça à la fronde. Assez satisfait de son petit entraînement, il fit provision de pierres rondes. Puis, se rappelant une remarque acide du magicien à propos de combustible pour le feu, il entassa quelques branches et les lia en un fagot – voilà un sujet où le vieux rabat-joie ne trouverait rien à redire !

Un peu désœuvré et désireux de bien faire, Gerry vérifia le matériel : il roula soigneusement la corde, rangea les outils dans les sacoches pour qu’ils ne blessent pas le poney ni ne fassent de bruit. Trouvant deux lampes dans les fontes, il s’aperçut que leur matériel avait été soigneusement complété avant leur départ. Il essaya le fourniment : le briquet fonctionnait bien, il réussit même à allumer un petit feu de feuilles mortes, prises dans un abri à peu près sec aux creux de vieilles racines noueuses.

Mais l’âcre fumée jaune réveilla le magicien, qui bondit sur ses pieds et dispersa rapidement le combustible :

– Absurde Touque ! rugit-il, Vous venez d’envoyer un signal visible de huit lieues à la ronde ! 

Le hobbit crut sa dernière heure arrivée – le magicien en colère était véritablement effrayant ! Mais Gandalf aboyait plus qu’il ne mordait. Sa première fureur passée, il ordonna à Gerry de charger le poney, pendant qu’il réfléchissait quelques instants.

Sa décision prise, il plaça le hobbit navré et cramoisi sur sa monture et regagna la berge de la rivière, d’un pas rapide. De toute évidence la bourde de Gerry avait changé les plans de Gandalf, qui força l’allure le long du cours d’eau. Le hobbit ne garda pas longtemps l’espoir que sa bêtise s’avérât sans conséquence : après une heure environ, il perçut la rumeur d’une poursuite discrète et en avisa le magicien.

– C’était à prévoir ! Continuez votre surveillance, surtout derrière, mais aussi sur les côtés. Prévenez-moi dès que vous voyez quelque chose. Nous y sommes presque… souffla Gandalf qui accéléra encore.

Ils atteignirent enfin un grand creux, dans lequel se précipitait la rivière. Un étroit passage à sa gauche permettait à un homme de se faufiler par le même chemin. On voyait encore l’ancien lit de la rivière, en partie effondré et recouvert d’arbres : il y avait bien des millénaires que l’eau l’avait quitté pour une ligne de plus grande pente, sous la surface. Il fallut toute la poigne du magicien et toute l’affection de Gerry pour faire avancer le pauvre Gilles.

Mais ils furent interrompus par l’irruption de leurs poursuivants dans la petite clairière qui précédait le trou. Un cavalier vêtu de cuirs et de toiles sombres, tenait en laisse un chien-loup, qui le tirait silencieusement vers les fugitifs. Le monstre, énorme et presqu’entièrement noir, haletait en roulant des yeux un peu fous. Le cavalier lâcha la bride au molosse qui se rua en hurlant. Saisi de terreur, le poney bondit en avant en bousculant Gerry, qui tomba à l’eau !

Mais il en fallait plus pour impressionner le magicien ! Son épée fit un rapide moulinet, qui manqua de fendre en deux la gueule du monstre. L’échine hérissée mais la queue basse, le molosse battit en retraite sous les taillis, grondant sourdement. De près, l’animal ressemblait à un loup, mais sa gueule énorme et ses pattes difformes laissaient deviner des croisements contre nature. Gandalf se tourna alors vers le rôdeur, un flamboiement funeste dans le regard.

Devant cette résistance et la déroute inattendue de son pisteur, le cavalier noir arrêta sa monture et entreprit une retraite d’urgence. Parvenu à distance respectable, à l’abri d’un massif de jeunes ormes, il sonna d’un grand cor et se munit de son arc.

Gandalf, délaissant son adversaire, put alors se précipiter le long de la rivière, au secours de Gerry. Celui-ci, toussant et crachant dans le courant, était parvenu à s’accrocher à la longe du poney ! Le poids du hobbit dans le courant avait fini par contraindre la pauvre bête affolée à s’arrêter, quelques dizaines de pieds après l’entrée du boyau. Leste comme un cabri, Gandalf rejoignit le malheureux et le tira de l’eau.

L’infortuné hobbit, haletant et dégoulinant, n’eut guère le temps de s’émerveiller de l’adresse et de la force du vieillard, qui, s’étant assuré que le hobbit allait bien, revint sur ses pas pour risquer un coup d’œil à l’extérieur.

Une flèche assez bien ajustée se planta dans son chapeau bleu. Le magicien se recula mais il en avait vu suffisamment. L’archer était embusqué, il n’était guère possible de l’atteindre sans s’exposer de façon fatale.

De toute évidence, sa sonnerie de cor allait rameuter sa troupe, qui ne devait pas se trouver bien loin. Mais Gandalf connaissait cet endroit pour y être passé autrefois. Il prit une profonde inspiration, prononça un mot de commandement d’un ton impérieux en levant son bâton et l’abattit sur l’étroit passage de pierre devant lui. Un éclair zébra l’air et la corniche vola en éclat sur plus de six pieds.

Désormais, aucun poursuivant ne pouvait plus pénétrer à leur suite sans risquer, presque à coup sûr, de tomber à l’eau et d’être emporté par le courant. Il faudrait aux malandrins plusieurs heures pour passer, en s’assurant les-uns les autres avec des cordes.

Le magicien s’agenouilla près du hobbit et lui administra une lampée de cordial. Il le frictionna vigoureusement, le remit sur ses pieds et le conduisit un peu plus loin sur la corniche. Une plateforme un peu plus large permit au hobbit et au poney de se remettre. Gerry revêtit des habits secs. Il partagea une miche de pain avec Gilles, que le hobbit agrémenta pour sa part de diverses salaisons. Les deux goinfres étant occupés pour un moment, Gandalf revint en arrière.

Le hobbit l’entendit ânonner quelque imprécation d’interdiction ou quelque lente litanie du secret. La voix du magicien psalmodiait doucement puis s’élevait plus forte par moment, dans une langue qui, bien que Gerry ne la comprît pas, évoquait dans son esprit des colonnes de marbre, des grilles d’airain, des remparts d’argent, des murailles de roc vif renforcé par les artisans elfes au-delà de la mémoire humaine. Devant ses yeux ébahis, les spectres des sept portes cachées de Gondolin s’élevèrent un à un au fond du boyau secret, creusé par une rivière d’avant le temps des vivants. La tentation d’une vie cachée, l’espoir d’une existence préservée, prenaient forme dans un mirage hors du temps, portés par les travaux, les peines et la foi des Hauts-Elfes de jadis. Le chant s’éteignit doucement.

Un long moment passa puis Gandalf reparut près du hobbit, plus voûté qu’à l’accoutumée. Il fit un peu de lumière du bout de son bâton. Son visage tiré souriait avec tant de lassitude, que le hobbit, pourtant éreinté lui-même, ressentit l’urgence de prendre soin du vieux magicien. Il ne sut que lui offrir un peu de nourriture, panacée de la Comté aux peines des petits comme aux tracas de leurs ainés.

Le vieillard s’assit aux côtés du jeune hobbit avec reconnaissance. La rumeur d’une troupe de plus en plus importante se pressant à l’entrée du boyau leur parvenait de façon étouffée, mais ne dérangea ni l’un ni l’autre pendant un moment. Le hobbit finit tout de même par s’en inquiéter. Le magicien lui affirma qu’ils ne risquaient rien pour une longue période :

– Il serait même bon que vous vous manifestiez un peu, pour les convaincre de persévérer et perdre du temps à cette extrémité ! chuchota-t-il.

L’esprit facétieux du jeune Touque ranima sa verve créatrice. Il se posta au bord du chemin pulvérisé, s’éclaircit la voix et entonna une petite improvisation, sur un air allègre et populaire de la Comté :

(Refrain)

Vois-tu ce chemin ?

Seul y passe le nain.

Sens-tu mon odeur ?

Non je n’ai pas peur !

Tu ne m’as pas vu ?

J’crois qu’ça n’t’a pas plu !

 

Mon poney pisse en hennissant,

Ton gros dogue flaire en geignant !

 

Mon petit chemin sous la terre

Court parmi racines et pierres.

 

Le tien est boulevard géant

Directement mène au néant ! 

 

Tu veux vraiment mon p’tit trésor ?

Qu’adviendrait-il pour toi alors ?

 

Une volée de flèches s’abattit dans l’eau. Le début de la chansonnette avait intrigué Gandalf. Le ton moqueur lui avait paru particulièrement opportun. L’allusion au chemin vers le néant avait rappelé en lui les souvenirs furtifs de routes anciennes et maléfiques, droites et sombres, bordées de tours acérées et plongeant vers le cœur des fournaises de l’ennemi du monde. La hardiesse des hypothèses inconscientes du hobbit concernant l’obédience de leurs poursuivants le frappa, et un sombre pressentiment étreignit son vieux cœur. Lorsque le jeune Touque parla de son trésor, il lui jeta un regard acéré : il devinait que le hobbit avait un secret en rapport avec la chasse que leur donnaient une obscure puissance. Mais quel secret et quelle puissance ?

Il fit taire Gerry d’une pression amicale sur l’épaule :

– Il est temps de partir, mon garçon ! Vous les avez suffisamment convaincus… 

– Je suis infiniment désolé de les avoir attirés avec mon feu, Gandalf…

– Vous vous êtes montré aussi étourdi qu’un jeune lapin sortant du terrier au printemps ! Que cela vous serve de leçon ! Mais je suppose que j’aurais dû vous donner des consignes de prudence. N’en parlons plus ! Un magicien n’est jamais à court d’arguments, vous devriez le savoir !

Gandalf, à présent résolu, entraîna le hobbit et lui confia le poney. Il raviva la lumière de son bâton et prit la tête. Le chemin descendait en pente douce, en léger surplomb de la rivière souterraine. Gerry crut entendre l’écho de sa chanson se poursuivre derrière eux. Comme il levait un regard interrogatif vers le magicien, celui-ci fit mine d’avancer, sans plus de commentaires…

La voie avait certainement été aménagée de main d’homme, mais à quelle fin et à quelle époque ? Le plafond s’abaissa progressivement, contraignant Gandalf à courber l’échine. Les mousses qui tapissaient les parois à l’entrée de la cavité avaient maintenant disparu, laissant la place à une pellicule visqueuse et humide. Après une heure d’une progression précautionneuse, le chemin déboucha dans une grande salle, dont les parois étincelaient, suivant l’orientation du bâton de magicien. L’étroite plateforme surplombait une chute de la rivière d’une vingtaine de pieds. Les voyageurs descendirent au pas le chemin en lacet, dans la moiteur des chutes. Ils eurent ensuite à contraindre le poney à franchir une courte volée de marches. Gilles fut mis à rude épreuve lorsqu’ils durent patauger dans l’eau, sur cinquante pieds d’une pierre glissante, avant de longer, au sec cette fois, un couloir dans lequel l’eau prenait à nouveau de la vitesse.

Ils parvinrent à une seconde salle, que le magicien éclaira. Des colonnes de pierre blanche montaient à l’assaut de la voûte. D’autres tombaient comme une volée de lances dardées du plafond. Les plus grandes, d’environ vingt-cinq pieds, traversaient la salle de part en part. Avec la fatigue, des pensées terre-à-terre étaient venues au hobbit, qui trainait ses pieds mouillés :

– Gandalf, êtes-vous bien certain qu’il y a une sortie à ces galeries ?

La patience n’était pas la qualité première du magicien. Il adressa un froncement de sourcil hérissé à son compagnon :

– Il y aura une sortie, dussé-je l’ouvrir en vous tapant la tête contre la voûte, répondit-il.

Puis, s’avisant de l’air malheureux de con compagnon, il reprit avec plus de douceur :

– Croyez-vous que je nous aurais volontairement aventurés dans un cul-de-sac ? 

Le hobbit n’eut plus qu’à affecter une confiance contrite – contrainte ?

Quelques colonnes de pierre, épaisses et luisantes, projetaient des ombres fantomatiques sur des parois lissées par les écoulements, à présent indemnes de spores. Souvent, au détour du chemin se présentait une fourche, et toujours le magicien choisissait sans hésiter. Dans une atmosphère un peu étouffante, les voyageurs traversèrent la forêt de pierre, au son des fontaines naturelles qui dégoûtaient en chantant, longeant parfois la rivière et parfois s’en éloignant.

Mais le hobbit trébuchait de plus en plus fréquemment. Le magicien se rendit compte qu’il était grand temps pour eux de dormir. Ils s’installèrent sur une surface à peu près sèche et se restaurèrent à la lumière vacillante du bâton de Gandalf. Gilles eut droit à du pain et quelques fruits. Enfin, ils s’accordèrent une petite pipe lentement bourrée. Le magicien progressait rapidement dans cet art vénérable :

– Cette pratique m’est aussi agréable que mes petites allumettes colorées, avoua Gandalf. Mais j’ai le sentiment qu’elle favorise également ma concentration… 

Ils tirèrent quelques ronds de fumée comme s’ils étaient au perron d’un confortable smials de la Comté, oubliant un moment leurs soucis, avant de glisser dans un sommeil profond.

Quelques six heures plus tard – pour autant qu’il pouvait en juger dans cette pénombre où ces heures s’étiraient sans repère aucun – Gandalf les remit en route. Ils cheminèrent tant de salles en salles, que Gerry aurait perdu la notion du temps, si son estomac de hobbit ne la lui avait rappelée. Enfin, après quelques carrefours, ils débouchèrent sous une large voûte et quittèrent un instant le bord de la rivière souterraine, pour y revenir après une grande boucle que faisait le cours d’eau vers la paroi opposée. Une arche de pierre polie leur permit de traverser les flots, au grand dam de Gilles. Ils suivirent alors la rive droite.

Après une collation, ils reprirent leur long et lancinant cheminement parmi les ombres et les égouttements. Quelques heures plus tard, débouchant dans une salle de grande taille, ils remarquèrent que le sol était jonché d’excréments. Le magicien, éclairant la voûte, reconnut une grande colonie de chauve-souris.

– Nous approchons de la sortie, annonça-t-il d’un ton guilleret. Si j’en juge d’après ces petites bêtes qui commencent à s’agiter, le jour va bientôt tomber. Nous allons trouver un endroit propre, manger et nous reposer jusqu’à ce que les chauve-souris sortent en chasse. 

Ils suivirent à la lettre le plan de Gandalf et se risquèrent au bout de deux heures. La rivière empruntait pour finir une portion de tunnel entièrement immergée, mais ils trouvèrent dans la dernière salle, tant grâce à la mémoire du magicien, qu’aux chauves-souris qui sortaient, une longue pente abrupte que le brave poney ne mit que quelques instants à gravir, tant l’air du dehors lui faisait envie.

Après que Gandalf eut sondé son courage, le hobbit s’aventura le premier à l’extérieur. Il fit un petit tour d’exploration et revint chercher le magicien. Lui aussi huma et observa longuement depuis une petite éminence, avant de conclure qu’il n’y avait aucun danger immédiat, et de déclarer, avec un petit air satisfait qui fit hausser les épaules au hobbit, qu’ils se trouvaient précisément où il s’imaginait déboucher.

Le poney se jeta avidement sur l’herbe fraiche. La terre était meuble, il n’y avait pas moyen d’effacer ses traces à moins de dé-façonner les empreintes à la main. Le magicien répandit alors une poudre tout autour de la sortie, souriant à Gerry :

– Cher Fléau des dogues, voici votre ruse imitée et parachevée par un magicien !

– Qu’est-ce donc ?

– Une version très améliorée de votre carvi. J’espère que nous n’aurons pas à juger de son efficacité ! 

Le poney ragaillardi fut chargé de Gerry et le petit groupe alla bon train. Ils retournèrent immédiatement vers la rivière, dont le lit, à présent large et calme, leur permettait de progresser sans laisser aucune trace. Le magicien avait attaché sa longue robe grise à son baudrier. Ses grandes bottes noires fendaient l’eau avec énergie depuis presque deux heures lorsque le hobbit, au sec sur son poney, commença à dodeliner de la tête. Le poney renâclait de plus en plus souvent. Le magicien fit donc un dernier effort pour atteindre un banc de galets, qui lui servit de gué pour traverser. Il longea encore la rive gauche, jusqu’à trouver une montée praticable. Les fuyards disparurent dans un bosquet de hêtres de la rive nord. Là, ils se tapirent dans les feuilles et le hobbit exténué s’endormit comme une masse.

Le magicien était fatigué mais ses tracas lui laissèrent peu de répit. Son sommeil intermittent fut encombré d’énigmes. Que faisaient ces cavaliers noirs en Eriador ? Pourquoi pourchassaient-ils le hobbit ? Parce qu’il l’avait pris sous sa protection ? Parce qu’il détenait un trésor ? Et quel était ce trésor ? Le hobbit poursuivi l’était-il en tant que fils du Thain, sur qui l’on souhaitait faire pression ? Comment semer ses poursuivants ? Devait-il provoquer une confrontation pour les contraindre à prendre la fuite ? Il ne pouvait être certain que le hobbit en sortît indemne s’il ne pouvait tout d’abord le mettre à l’abri. Le magicien s’éveilla tout-à-fait à la pensée de cette responsabilité.

Ou était-ce son sixième sens ? Il hésitait à allumer une pipe pour s’éclaircir les idées, lorsqu’il entendit une troupe sur la rive opposée. Il scruta l’obscurité et dénombra deux cavaliers flanqués d’au moins un chien. L’animal respirait avec une grande difficulté, comme si la gueule du limier et ses poumons étaient irrités au point de lui causer une douleur à chaque inspiration. Le molosse geignait et jappait de temps à autres. Dissimulé sous les frondaisons de hêtres, Gandalf resta sans bouger durant plusieurs minutes – heureusement Gilles fit de même – après quoi il jugea que le danger immédiat était écarté.

Le magicien rechargea le poney alors qu’une lune à moitié pleine et rousse, commençait à redescendre dans un ciel trouble. Soulevant le hobbit endormi, il le harnacha délicatement sur le dos de Gilles et se remit en marche. Il quitta la berge et se dirigea plein nord, alors que le ciel à sa droite commençait à s’éclaircir. Après environ une lieue, il atteignit un sol plus sec et dur, sur une petite crête de pierres sombres, plates et friables. Il huma longuement alentours et se décida à suivre l’arête vers l’est.

Une aube rose succéda au clair-obscur, enflammant les épis des graminées autour de lui. Une heure plus tard, le magicien avisa un bois d’épicéas sur sa gauche et s’y mit à couvert, toujours progressant vers l’est. Quelques milles plus loin, le hobbit s’éveilla alors que Gandalf déchargeait le poney dans une clairière herbeuse. Tous deux purent se rafraichir à une petite source. Le hobbit mangea comme quatre, tandis que le magicien s’endormait pour un repos profond et réparateur.

Cette fois il avait laissé des instructions strictes, avec force froncements de sourcils et martèlements de bâton : Gerry devait le laisser dormir une heure, pas plus, et ne rien faire qui pût trahir leur présence. Le hobbit s’acquitta fidèlement de sa mission : il monta la garde, écoutant les moindres bruits de la forêt alentours. Il estima que sa veille arrivait à son terme, ce qui lui évoqua l’idée d’un second petit déjeuner. Il s’assit donc sur le tronc d’arbre tombé et pourri auquel Gilles était attaché.

Il fouillait dans une fonte pour s’accorder une collation rapide et discrète, lorsqu’il se figea : à l’orée de la clairière, à environ une portée de jet de pierre, il venait d’apercevoir sous une branche de sapin, une paire d’yeux jaunes qui l’épiaient fixement. Sa propre sueur lui glaça un instant l’échine mais le hobbit parvint à conserver son naturel.

Les yeux clignaient de temps à autres. Gerry rangea négligemment les fontes sur le poney, sans perdre le clignotement jaune de vue. Il se munit furtivement de sa fronde, ramassa négligemment une pierre assez anguleuse, puis réveilla discrètement Gandalf en chuchotant :

– Nous avons de la compagnie. Un chien ou un loup se cache là-bas. Il croit passer inaperçu ! 

Immédiatement le magicien fut en alerte, entrant dans la ruse de son compagnon. Il se leva en geignant de douleur à cause de son dos, regardant comme si de rien n’était dans une autre direction.

– Je ne le vois pas mais je sens un regard inquisiteur… siffla-t-il entre ses dents. Essayez-donc de votre nouveau jouet ! 

La fronde émit de puissants sifflements comme le hobbit exécutaient ses trois moulinets. Immédiatement les yeux jaunes disparurent dans un piétinement précipité : sans doute l’animal se retournait-il pour fuir. La pierre vola sous les frondaisons. Un bref hurlement de loup furieux fusa, tandis qu’une galopade s’éloignait sous les arbres. Gandalf se précipita sous les branches, l’épée à la main, avec la rapidité d’un rôdeur, tandis que le hobbit ramassait d’autres pierres.

Mais le magicien revint, l’air préoccupé :

– Quoi que puisse être cette créature, vous l’avez touchée ! Joli tir, Maître Touque ! Mais c’est étrange : je n’ai pu repérer trace de cet horrible pisteur… Il est parvenu à se volatiliser entre les arbres… Partons immédiatement !

Mais Gandalf prit tout de même quelques instants pour répandre un peu de sa poudre assassine.

.oOo.

Laisser un commentaire ?