La maraude du Vieux Touque

Chapitre 12 : Le marché de Thalion - Emplettes

2187 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/06/2020 19:18

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Vêtu comme un simple hobbit en affaires, mais avec une somme rondelette en poche, Gerry traversa la cour du château pour se rendre à la boulangerie. Des coups de marteau vigoureux retentissaient, émanant de la forge qui fumait abondamment. Mais l’allègre mélodie du marteau sur l’enclume ralentit puis s’arrêta, lorsque le hobbit s’approcha de l’échoppe.

Curieux, le hobbit s’approcha de la forge. Bien que le jour coulât à flot par la porte cochère et quelques meurtrières grillagées côté muraille, il fallut quelques instants à Gerry pour s’habituer à la lueur ténue et rougeoyante projetée par les braises du maréchal-ferrant. Des relents de terre brûlée et de charbon chatouillèrent le nez du hobbit alors que des bouffées d’air surchauffé lui balayaient le visage.

Finran, en nage dans cette chaleur étouffante, actionna le soufflet, enfouit quelques pièces métalliques dans le foyer et se tourna vers Gerry en rajustant son tablier de cuir. Le grand homme s’avança en souriant, ce qui, sur son visage à moitié paralysé et défiguré par une estafilade, dessinait un rictus assez menaçant. Son front dégarni perlait de sueur. Il attrapa un chiffon et s’épongea en tendant la main au hobbit. Gerry fit appel à toute sa force de caractère pour se rappeler que cet homme avait la confiance de Gandalf, et ne pas reculer devant cette montagne de muscles, couturée de cicatrices manifestement glanées au combat.

- Bonjour, maître Holbytla, s’exclama l’homme avec un curieux accent, en renouant les longs cheveux blonds cendrés de l’arrière de sa tête. Vous vous inquiétez pour votre poney ? 

Gerry se rendit alors compte que son compagnon était là, entravé et un antérieur en l’air. Il admira l’ingéniosité de Gandalf, en dépit d’un certain agacement : le magicien avait trouvé moyen de le retarder, sinon de l’immobiliser à Thalion pendant son absence… Il lui faudrait jouer particulièrement serré pour fausser compagnie au Trouble-Paix !

Le maréchal-ferrant poursuivit en flattant l’encolure de l’animal :

- C’est un brave garçon, très doux et fort obéissant. Et puis j’ai pris quelques précautions et usé d’arguments adaptés ! expliqua-t-il en riant.

Quelques fanes de carottes tombés au sol devant le poney témoignaient de la ruse du maréchal-ferrant.

- Tu sais que tu n’as rien à craindre, ici, mon Gilles… chuchota le hobbit en caressant le nez de l’animal.

Le poney mit son museau dans le cou du hobbit, visiblement inquiet du traitement qu’il allait subir.

- Comment va-t-il ?

- Il n’a aucune blessure aux membres, soyez rassuré. Il avait simplement un sabot un peu abîmé par les pavés, après avoir perdu un fer. Aucun défaut d'aplomb non plus, bien qu’il billarde un peu.

- Qu’entendez-vous par là ?

- Le cheval billarde lorsque ses antérieurs décrivent un arc de cercle vers l'extérieur, notamment au trot : il lance ses antérieurs vers le côté, par un mouvement de rotation du boulet.

- C’est grave ?

- Pas du tout. Cela était très rare autrefois et considéré comme un défaut car souvent associé aux genoux cagneux, mais c’est devenu assez commun à présent chez les chevaux d’Eriador. Mais votre Gilles n’a pas les genoux cagneux, et il est en parfaite santé. Nous allons seulement lui donner deux nouvelles paires de souliers.

- Combien va me coûter cette petite fantaisie ?

- Rien du tout ! Je dois bien cela à Maître Gandalf !

- Vous vous connaissez bien ?

- Depuis fort longtemps. Nous avons chassé le troll ensemble autrefois. Je lui dois la vie… plusieurs vies ! 

L’allusion aux trolls ne fut pas du goût du hobbit – trop proche de ces terrifiants contes de famille qui coûtaient de temps en temps un fémur ou le crâne à quelque ancêtre – il maintint donc le sujet de la conversation sur le magicien.

- Dites-moi tout sur Gandalf ! 

L’énorme maréchal ferrant considéra un instant le hobbit d’un air dubitatif :

- Êtes-vous prêt pour de telles révélations, je me le demande. Maître Holbytla, je vous suggère de lui demander vous-même ce que vous désirez savoir. Ce que je puis vous dire, c’est qu’il n’oublie jamais les amis… ni les ennemis d’ailleurs ! ajouta-t-il avec un sourire, que sa balafre rendait assez sinistre.

Le maréchal-ferrant saisit ses tenailles, sortit un fer de la fournaise et reprit son joyeux vacarme en s’escrimant sur l’extrémité pointue de son enclume. Après quelques minutes, à nouveau en nage, il remit le fer au feu et demanda au hobbit s’il voulait qu’on lui montre quelques outils.

Le hobbit jeta un coup d’œil furtif au géant : tous ces délais étaient encore un coup de Gandalf ! Non seulement il avait immobilisé le poney, mais il comptait l’équiper de pied en cap… Gerry trouvait tout cela ridicule. Mais il s’abstint d’objecter, soucieux de donner l’image d’un hobbit préparant un long voyage avec un magicien.

Ils trouvèrent donc une pelle et une petite hache pour le bois, qu’un hobbit pourrait utiliser. Finran promit de les lui affûter, puis il ajouta, d’un ton un peu gêné :

- Gandalf m’a également demandé de vous trouver une arme de poing, à votre taille. Je vous conseille de voir avec les nains qui logent à l’auberge… Voyez-vous, je n’ai pas d’acier d’une qualité suffisante pour forger de bonnes armes. Je puis faire une réparation de fortune, mais mon foyer n’est pas assez chaud pour un travail dans les règles de l’art…

Le hobbit assista le forgeron pendant qu’il posait un fer au poney, penaud et craintif.

Puis Gerry quitta l’ancien compagnon d’arme de Gandalf – l’artisan avait encore plusieurs heures de travail devant lui avec Gilles. Il décida de faire ses emplettes comme s’il partait pour le pays sauvage avec son encombrant protecteur, puis comptait reprendre son poney, et fausser compagnie à tout ce petit monde.

Il prit donc courtoisement congé de l’artisan, pour une visite gourmande à la boulangerie voisine.

Le hobbit se rendit vite compte que ses exploits de la veille avaient fait le tour de la ville. Malgré son accoutrement camouflé, il était immédiatement reconnu et accueilli avec curiosité et empressement : « Ah, vous voilà ! Que peut-on pour votre service, jeune Monsieur Touque ? » Il commanda six pains de voyage, avec en sus quelques tourtes salées, quelques friandises et paya le tout comptant, content et la bouche pleine de bonbons acidulés. Les pains, qui devaient être cuits deux fois, ne seraient prêts que le lendemain matin à l’aube. Il ne serait plus là pour les prendre… Hé bien tant pis ! Mais en compensation, le hobbit acheta aussi quelques brioches, dorées à souhait et prêtes à fondre dans sa bouche.

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Gerry, averti par ce premier contact, prit son courage à deux mains et sortit de l’enceinte du château. Il fut un peu surpris par le morne spectacle de cette « ancienne résidence royale d’été » : au-delà des quelques véritables maisons qui bordaient la place pavée devant l’entrée du château, une cinquantaine de chaumières à peine se pressaient frileusement à l’abri d’une piteuse palissade en pierre et en bois. Par-delà, quelques huttes abritaient des réfugiés et quelques troupeaux. Ainsi la ville-étape de Thalion que Gandalf lui avait vantée, cité de foire pour une vingtaine de lieues à la ronde, était devenue ce petit bourg qui luttait pour sa survie…

Gerry s’aventura sur la place, aussitôt environné d’enfants piailleurs. Il reconnut parmi eux la frimousse hirsute du chapardeur, fléau des boulangères, et porta simultanément les mains au trésor du père Sonnecor et à son aumônière, pour les protéger de tout allégement inopiné. Le garnement lui lança un regard intéressé puis finit par s’éloigner. Le hobbit parvint à disperser les chenapans en distribuant des sucreries acquises à la boulangerie, et se mit à flâner sur la place encombrée de charrettes, de tentes et de chalands.

Il s’émerveilla de la profusion de couleurs, de fragrances, des cris vantant les produits, de fumées de cuisson qui envahissaient la grand-place. Les petits artisans avaient monté leurs établis portatifs à même le pavé et y exécutaient les menues réparations que les habitants ne savaient prendre en charge. Des hameaux alentours, plusieurs fermiers étaient venus écouler leurs produits, en les agrémentant de quelque préparation originale et goûteuse. Inutile de dire que notre hobbit fit honneur à ces initiatives culinaires, sans discrimination, tant les fumets excitaient sa curiosité.

Les façades des maisons de la place étalaient les souvenirs des richesses de jadis. La devanture du tailleur exposait quelques tenues pimpantes, qui rappelaient le faste de la noble clientèle d’autrefois, et que seuls ses proches portaient désormais, car son atelier ne vendait plus guère que des habits utilitaires.

L’échoppe des drogues avait vendu des compositions subtiles venues d’extrême-Harad. Désormais l’herboriste distillait lui-même les remèdes et les parfums, avec les produits du cru. Les temps étaient durs mais les artisans de Thalion conservaient, comme un talisman ennoblissant leurs jours, le souvenir des gloires passées et le tour de main de leurs ancêtres.

Gerry expérimenta toute la gamme des réactions en sa présence, tant sa taille d’enfant, aux yeux des Grandes Gens, contrastait avec sa contenance d’adulte : incrédulité blasée, surprise, défiance appliquée, distance respectueuse, condescendance railleuse... Il fit sensation quelques minutes auprès des ménagères venues faire leur marché, puis des groupes d’enfants le rattrapaient de temps à autres pour contempler « l’autre semi-homme ».

Bien que ce marché fût moins opulent que ceux des principaux villages de la Comté, il flottait là un reste d’exotisme, le souvenir d’anciennes caravanes provenant de contrées lointaines : des épices et aromates inconnus voisinaient avec les condiments locaux. Quelques soieries et velours se vendaient encore parmi les tissages de lin.

Gerry reconnut là les traces de la grandeur et de la décadence des Dúnedain : la culture du beau, le besoin de raffinement survivait à Thalion, coûte que coûte. Et lui qui se targuait d’une certaine élégance vestimentaire, se sentit modestement quelques points communs avec les royaumes de jadis.

Il explora tentes et charrettes, manquant à plusieurs reprises de se faire piétiner par des animaux affolés ou des bouviers indifférents. Gerry commença par faire le tour des maquignons. Finran, si proche de Gandalf, avait peut-être reçu de sa part, l’instruction expresse de garder son poney. Ici il pourrait peut-être en trouver un autre pour regagner la Comté. Mais il se rendit compte que les seules montures disponibles étaient destinées aux travaux des champs ou de portage – trop grandes pour lui.

Après avoir choisi un manteau de voyage, que le maître-couturier lui ajusta à partir d’une cape de nain, Gerry se rendit chez le tisserand, pour des couvertures et des toiles cirées de bonne qualité. Il fit livrer le tout à son nom à l’auberge.

En vaguant par les rues, il tomba sur un cordelier, qui cardait des fibres végétales, et lui acheta un rouleau de corde de cent coudées. Un peu plus loin, il s’arrêta dans une chaumière jouxtant un petit verger pour y acheter quelques fruits séchés. Sur les grandes claies de bois, reposaient pommes, cornouilles, poires et coings. De grands sacs lui faisaient de l’œil - châtaignes, caroubes, noix, nèfles, noisettes et glands entassés jusqu’à hauteur d’homme. Enfin des boîtes de bois abritaient les réserves séchées de framboises, de sorbes et de baies de sureau. Gerry sélectionna six livres de fruits et de baies, qu’il fit également apporter à l’auberge.

Sans s’en rendre compte, Gerry avait passé des heures, à observer les Grandes gens et à humer les fragrances du marché. Mais le temps passait, il fallait terminer ses courses, d’autant que le temps devenant maussade. Il manquait une chose essentielle au hobbit : en l’absence du magicien, il lui faudrait absolument de quoi faire du feu et de la lumière ! Il demanda donc où se procurer un briquet, et fut dirigé vers le colporteur, dans la ville basse.

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