L'étrange anneau du Roi Isildur

Chapitre 4 : La Ténébreuse Haradrim

2781 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a environ 2 mois

Ville basse de Minas Tirith.

Quartier est.

Dans une banale rue étroite, sous un bâtiment quelconque, une petite porte discrète cherche à se soustraire des regards. Une simple pancarte annonce "chez dame Téowyn".

Une fois à l'intérieur, le décorum change du tout au tout. L'atmosphère est volontairement tape à l'oeil. Tapisseries, chandeliers, broderies et porcelaines rivalisent de kitsch. Les lumières sont tamisées, une palette de couleurs qui va du doré au rouge orangé.

Dans le salon, des hommes attendent sagement, affalés sur des divans roses bonbon.

- Qu'est-ce qu'on fait ici !?

Anarin ne semblait pas à son aise, contrairement à son cousin, qui lui, frétillait comme un poisson dans l'eau.

- Tu m'as demandé si je connaissais des gens qui viennent du Harad, je ne connais qu’une seule Haradrim dans tout Minas Tirith et elle travaille ici. Si elle ne connaît pas ton rôdeur, je ne vois pas qui d’autre.

- Rassure moi, elle sert le thé ?

- Non. Enfin elle peut faire des trucs avec le thé, mais c'est en supplément...

Une vieille femme entre dans la pièce. C'est dame Téowyn en personne, la mère maquerelle de la cité blanche. Dans les bas-fonds tout le monde la connaît. Sa maison est une vraie institution. Elle s'est fait un nom en misant sur la qualité du service. Elle ne tient pas un vulgaire bordel, mais une maison de charme...

Ici, pas de mauvaise manière, pas de beuverie, pas de bagarre, pas de vol. Les dames viennent des quatre coins de la Terre du Milieu. On y croise d'ailleurs du beau monde. Rôdeurs et malfrats côtoient nobles et grands capitaines. Un tel service se paye au prix fort bien sûr. Ici on vous vide les bourses dans tous les sens du terme...

Le jeune Gondorien, sentant bien le luxe qu'il n'avait pas les moyens de s'offrir, commença à paniquer.

- Tu veux que je paye une prostituée juste pour lui demander un renseignement !? Elle doit coûter au moins cinq pièces d'or !

Burek esquissa un grand sourire.

- Tu me prends pour un bleu cousin. Quel jour sommes nous ?

- Heuu... lundi pourquoi ?

- Parce que le lundi c'est tripot !

- Tripot ?

- Oui Tripot, enfin on appelle ça comme ça mais c'est un jeu de dés. Tu en connais beaucoup des gens toi, qui vont au bordel un lundi ? C'est une idée de dame Téowyn pour attirer les clients. Et comme il n’est pas encore midi, c'est moitié prix. Si tu gagne la partie, tu gagne la passe.

- C’est gratuit ?


- Une pièce d'argent !


Anarin était bluffé. Burek est décidément une encyclopédie pleine de surprises.

- Mais attention, c'est une partie par fille seulement. T'as pas le droit à l'erreur. Si tu perds, c'est foutu. Faut revenir le lundi d'après.

Dame Téowyn frappa fort dans ses mains.

- Messieurs ! Messieurs ! Les hostilités vont pouvoir commencer. Je vois des visages familiers, les mêmes vauriens sont de sortie. Je rappelle les règles, une fille entre, ceux qui veulent jouer mettent leur pièce, vous faites la partie et le gagnant peut partir avec la fille.

Elle ne prenait pas la peine de cacher son mépris. Elle regardait ses clients comme on regarde un tas de purin. Elle qui s'enorgueillit de tenir une maison close distinguée, n'apprécie pas de devoir servir des demi-gueux de seconde zone. Elle se rassure en pensant à ses jolies pièces d'argents. Ça ne vaut pas des pièces d'or, mais ça remplit tout de même la caisse. Les affaires sont les affaires.

À y regarder de plus près, Anarin pouvait voir que le salon était, en effet, étonnamment bondé pour un lundi matin. Il y avait toutes de sortes de rôdeurs, petits marchands, palfreniers et autres menu fretins. 

- Mesdames ! En scène !

La première fille entra. C'était une magnifique blonde, aux traits fins et aux formes pulpeuses. Une sublime créature. Anarin déglutit un grand coup, il n'était pas indifférent.

Les mises vont pleuvoir pensa-t-il.

Un moment passa et puis rien. Aucune pièce à l'horizon. il n'en revenait pas.

- Suivante !

La femme rentra bredouille et une autre prit la suite. Encore une sublime créature à vous défroquer un moine. Et encore une fois, rien.

Anarin dévisagea les hommes dans la pièce, ils tiraient des mines indifférentes.

- Qu'est-ce qu’il se passe Burek !? Pourquoi personne ne mise ?

- Attends cousin, tu vas comprendre...

La même chose se répéta plusieurs fois jusqu'à ce que soudain... Un étrange petit bout de femme entra. Elle n'était pas plus haute qu'un poney, elle était ronde et tassée. Mais encore plus surprenant, elle avait une barbe !

Dame Téowyn annonca.

- Pour le plus grand plaisir de ces messieurs, voici Bôfura la naine !

- Aaaaah !

Une exclamation de joie traversa la pièce. Les yeux des uns pétillaient, les autres bavaient du bout des lèvres. Les pièces jaillirent.

- Mais elle est hideuse !

- Moins fort cousin ! Ici on ne juge pas... Les hommes saints d'esprits ne vont pas au bordel un lundi matin tu sais.

Ceux qui avaient misé, se rassemblèrent autour d'une table. Sur la table était posée une petite coupelle en forme de carré. On sortit les dés.

Dame Téowyn rappella les règles.

- Bien ! Ce jeu s’appelle “la gobeline". Chaque personne lance un dé dans la coupelle. Le dé doit faire le plus de rebonds possible sur les bords, sans sortir de la coupelle. En cas d'égalité c'est le chiffre du dé qui décide. A chaque tour, le dernier est éliminé. On enchaîne sur le tour suivant et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un. C'est suffisament simple pour tous les crétins que vous êtes.

Anarin se pencha vers Burek.

- Pourquoi on appelle ça une "gobeline"?

- Parce que dans la version originale on jouait pas avec un dé mais avec un vrai gobelin. Le jeu a été interdit, c'était cruel paraît-il...

Anarin regarda avec attention la partie. Il en connaissait des jeux de dés, mais pas celui là. La plupart des joueurs faisaient cinq ou six ricochets, rarement plus. Celui qui en faisait huit était casi sûr de gagner. Le reste n'était que du hasard. Le grand gagnant, un rôdeur mal rasé et mal fagoté, s'en alla la démarche triomphante avec sa petite naine à barbe.

La fille d'après était encore plus petite que la naine. Elle n'avait pas le corps tassé mais tout de même potelé. Comble de l'horreur, elle n'avait pas de barbe au visage mais aux pieds ! Une "semie homme" précisa dame Téowyn. La clientèle était ravie. Anarin, lui, avait du mal à cacher sa gêne.

Burek regardait son cousin le sourire aux lèves.

- T’as encore rien vu cousin, accroche toi pour la prochaine, la moitié des hommes sont venus rien que pour elle.

- Ah oui ? Qu'est-ce qu'elle a de si spéciale ?

- Je préfère te laisser la surprise...

Une fois le sort de la semi-homme réglé, on annonca la fille suivante. Le silence le plus total s’installa. On sentait la salle trépigner d’impatience. Au mur, une ombre irrégulière se déssina, des pas lourds et saccadés résonèrent. La fameuse femme que tout le monde attendait fit son entrée...

- Ooooh non ! Ç’est ignoble...

Anarin faillit faire une attaque. Il eut des hauts le coeur en cascade.

- Je vous présente Azog'a, la femme Orc !

La salle s’extasia et des applaudissements retentirent. Les autres ne partageaient pas le dégoût d'Anarin, ils étaient ravis. Toutes sortes de grimaces raccoleuses se lisaient sur leurs visages. On devinait les idées libidineuses qui leur traversaient l’esprit.

Burek riait à gorge déployée.

- Regarde le bon côté des choses cousin, ça fera moins de concurrents pour notre Haradrim.

Remit de ses émotions, Anarin analysa la partie de près. Les joueurs rivalisaient de grands gestes spectaculaires. La stratégie réside dans la capacité du lanceur à mettre le plus de force possible pour faire le plus de rebond. Mais la coupe n'est pas grande, là est toute la difficulté. Un tiers des joueurs envoyait voldinguer leur dé et ratait la coupe. Ceux là étaient éliminés d'office.

Enfin arriva le moment tant attendu.

- Celle-ci nous vient du sud, des sombres terres du Harad. Je vous offre Rohéna, la ténébreuse Haradrim.

Cette fois Anarin ne fut pas dégouté, bien au contraire. Rohéna était grande, elle n'était pas pulpeuse ou voluptueuse, mais sèche et athlétique. Elle avait la peau sombre comme de la cendre. Son visage était fin et subtil. De toutes les filles, elle fut la seule à ne pas baisser la tête devant les hommes. Elle fixait droit dans les yeux quiconque osait la dévisager. Son regard était sans pareil, elle avait un oeil vert et un oeil rouge. D’ordinaire, on ne voyait jamais ça au Gondor. Notre jeune chasseur de prime était ensorcelé...

Reprends toi cousin ! On joue tous les deux, ça augmentera nos chances.

Les prétendants ne se firent pas attendre. Les joueurs prirent place atour de la petite coupelle en bronze. Ils étaient six. Anrin et Burek. Deux rohirims qui empestaient le cheval, un petit rôdeur et un vieux marchand obèse. Sans plus de formalité, la partie commença.

Burek fit un lancé honorable, de même pour les deux rohirims. Le gros marchand aligna neuf ricochets, il était sûr de gagner ce tour là. Anarin prit ses responsabilités

- De la puissance et de la souplesse cousin, c'est la clé.

Il arma son bras. Il balanca un grand geste déterminé mais au dernier moment il fut prit d'une hésitation. Le dé lui achappa des doigts et tomba dans la coupe en faisant trois misérables rebonds.

- Mortecouille ! Quel imbécile, je suis foutu...

Le petit rôdeur joua à son tour. Curieusement, il s'écarta de plusieurs pas. La table l'observait d'un air étonné. Le bougre prenait de l'élan. Fin prêt, il poussa un cri aiguë et fonça vers la table et faisant des grands moulinets avec son bras. Bien évidemment, le dé vola à l'autre bout de la pièce sans toucher la coupe. Tellement loin qu'il fallu en chercher un autre. Anarin venait de gagner un surcis.

Tour suivant. Burek dégaina un très bon coup. Le marchand obèse, fidèle à lui même, fit de même. Vinrent alors les rohirims.

Au gondor, on voyait les hommes du Rohan comme des sauvageons attardés. Ils n'étaient bon qu'à une chose, élever des chevaux. En conséquence, la moitié des palefreniers de la ville venaient du Rohan. Anarin ne les aimaient pas, car même ces branleurs de chevaux analphabètes gagnaient probablement plus que lui, le petit cordonnier ambulant. Et puis ils puaient le vieux cheval crevé.

Les deux palefreniers avaient une technique toute particulière pour lancer. Ils faisaient tournoyer leur bras au dessus de leur tête, comme pour un lasso, et catapultaient les dés avec l’hardeur d’un troll des cavernes. Le premier eut sept rebonds. Anarin fit une nouvelle tentative. Bien que toujours maladroit, le geste avait du mieux. cinq ricochets. Le deuxième Rohirim eut le même résultat. Ça se résoudra donc au score. Anarin, avec son pauvre 2, voulut insulter tous les dieux, mais le sauvageon tira un 1.

Je suis encore dans la partie.

Il pouvait se rassurer, s'il perdait il y aurait toujours son cousin. Ils n'étaient plus que quatre. Le gros marchand, imperturbable, réussit encore un excellent lancé. Le Rohirim obtint un score corecte, tout comme Anarin qui prenait ses aises. La partie s'annonçait serré... Mais Burek, sur un coup malchanceux, rata la coupelle.

- Chiasse de Balrog ! Désolé cousin...

Il en restait donc trois. Notre héro, le rohirim et le marchand. Ce dernier, inmanquablement, s'illustra encore une fois d'un coup magistral, neuf ricochets. D’une voix grassouillette, engluée de dédain, il interpella Rohéna.

- Je suis bientôt à toi ma belle, laisse moi en finir avec ces deux ramasseurs de purin.

La ténébreuse haradrim avait du mal à cacher son dégoût. L'homme était si gros qu'on ne voyait presque pas ses jambes. On se demandait comment il passait les portes. Son crâne chauve était rabougris, étrillé sous le poids de son triple menton.

- Toi, les grandes oreilles ! Tu n'as pas l'air d'un palefrenier, c'est quoi ton travaille ?

- Cordonnier... 

- Ah oui ? C'est une bonne situation ça ? La pièce d'argent que tu as misé, c'est ta paye de la semaine... ou du mois ?

Le gros se fenda d'un ignoble rire gras.

- Voyez vous, je pourrais me payer toutes ces filles au tarif normal, mais j'aime venir à ces lundi loterie, c'est plus divertissant de voir vos têtes de gueux ahurits quand je vous met une raclée.

Anarin n'était pas dupe, concentre toi sur le jeu, se répait-il. Le rohirim n'eut pas la même sagesse. La fumée lui sortait des oreilles. Rouge de rage, il attrapa le dé et le jeta de toute ses forces. Comme on pouvait s'y attendre, il tapa la coupelle si fort qu'il rebondit hors de celle-ci. Éliminé.

- À nous deux le cordonnier !

Il fallait être réaliste, il n'avait aucune chance de battre ce gros lard.


Il faut que je tente quelque chose, que je joue le tout pour le tout.

- Quand je t'aurais laminé, peut être pourras tu jeter un coup d'œil à mes grolles. Je crois que j'ai un bout de semelle qui se décolle. Ahah ahah !

Anarin fulminait intérieurement.

Cet orgre des cavernes croit m'insulter, mais réparer une semelle, ça demande de la précision, un fin doigté, un gros tas comme lui en serait incapable.

Il regardait ses doigts avec fierté.

Depuis tout à l'heure je me sers de mes bras alors que c’est justement mon point faible...


Il réfléchit instant.


Si je veux de la puissance, je n'ai pas besoin d'un grand geste, seulement de mon pouce et mon index.

Le gros marchand joua le premier. Dix ricochets. Il fixa Rohéna avec ses yeux libidineux, sa proie était déja dans ses filets.

Le cordonnier ambulant aux grandes oreilles se saisit du dé. Il le cala entre son pouce et son index, comme s'il allait tirer une bille. Il plaça sa main juste au dessus de la coupelle en bronze et se mit à appuyer avec son pouce de toutes ses forces. Sa main tremblait, son visage était rouge écarlate, on aurait dit que son corps convulcait.


- Qu'est-ce qui nous fabrique le cordonnier !?

Brusquement, comme un bouchon de champagne, le dé sauta avec la vitesse d’un électron. Il culbutat les bords de la coupelle à toute berzingue. Quinze rebonds !

- Ahah ! Bien joué cousin !

Le gros marchand était bouche bée. Burek ne bouda pas son plaisir.

- T'en fais pas le gros! reviens quand t'auras un quatrième menton...

Rohéna sembla soulagée. Anarin ne prit pas le temps de savourer sa victoire.

Reste ici Burek, je n'en aurais pas pour longtemps. Je vais juste lui poser les questions qui nous intéressent.

Burek parut déçu.

- Quel gâchis...

L’heureux gagnant attrapa le bras de son trophé et l'emmena fissa dans la petite chambre privé qui les attendait.


Rohéna se mit à se déshabiller machinalement. Il l’arrêta net.

- Garde tes vêtements, je veux juste un renseignement.

Elle le dévisagea comme un fou.

- Est-ce que tu as déjà entendu parlé d'un homme qui se fait appeler le rôdeur du Harad ?

À ces mots, les yeux de la belle Haradrim devinrent tout rond. Son corps tout entier se crispa. Elle colla sa main sur la bouche d’Anarin pour l'empêcher d’en dire plus. Elle scruta la pièce dans tous les sens pour s'assurer qu'il étaient bien seuls. Elle plongea son regard profond dans le sien. Puis, de la tête, elle acquiesca.


- Oui...


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