L'étrange anneau du Roi Isildur
Minas Tirith
La ville haute.
La nuit venait de tomber. Un grand voile noir recouvrait maintenant la belle cité blanche du Gondor. En langue courante, Minas Tirith se traduit par "la tour de garde", et comme une tour, la ville est organisée en plusieurs niveaux. Au troisième niveau, commence ce qu'on appelle la ville haute. D'ordinaire elle est réservée aux nobles, aux étrangers et aux soldats. Le peuple n'y est invité qu'à quelques rares occasions. Celui qui veut y pénétrer doit être muni d'un laissez-passer.
Devant la grande porte à moitié ouverte, deux gardes veillent à faire respecter la consigne. À quelques mètres de là, cachés sous un petit porche, Anarin et son cousin Burek observent.
- Il nous faut un plan.
Anarin interrogea Burek du regard.
- Ne me regarde pas comme ça ! Si j'ai accepté de t'accompagner c'est pour agir pas pour réfléchir. Rétorqua Burek
- Très bien je te demande pas de réfléchir dans ce cas, mais juste de te souvenir. Tu connais presque tous les cambrioleurs de la ville. Ils ne t'ont rien raconté sur le troisième niveau ?
- Si bien sûr ! Rien de plus banal. La plupart se déguisent en soldat ou se procurent un faux laissez-passer. Sauf qu'une armure coûte environ 50 pièces d'or et un fossaire ne travaille pas en dessous de 30. Tu as de l'argent ?
Anarin ne se risqua même pas à compter sa maigre besace. Il répondit d'un ton sec.
- Non.
- Une fois, j'ai fait un bras de fer avec un type qui m'a raconté s'être caché dans le chariot d'un vendeur d'hydromel.
Mais il lui a fallu 30 jours de repérages pour y arriver. Et les vendeurs ne sont autorisés que le matin ou les dimanches après midi.
- Je n'ai pas autant de temps ! C'est ce soir ou jamais.
Anarin plongea profondément dans ses pensées.
Fais marcher tes neurones, Il doit y avoir un moyen. Il y a forcément un moyen !
Réfléchis, réfléchis...
Alors qu'Anarin se retournait le cerveau dans tous les sens, Burek le regarda fasciné. Décidément, ces gens qui se bornent à vouloir "réfléchir". Quel mal ils se donnent.
- Tu sais cousin, bien souvent, les stratagèmes les plus simples sont les meilleurs. Tiens, prends mon dernier grand coup par exemple. Je me suis présenté au refuge des aveugles, près de la petite place aux tulipes. Je leur ai vendu un demi tonneau de pommes de pins mouillées en leur faisant croire que c'était des champignons . Ils n'y ont vu que du feu...
Anarin esquissa une mine intriguée. Burek est vraiment une énigme. On ne peut lui enlever cette folie qui lui est propre, quelque part entre le génie pur et la débilité crasse.
- Burek, Si tu devais franchir cette porte maintenant, sans réfléchir, qu'est-ce que tu ferais ?
- Diable ! Une bonne vieille diversion, voilà tout.
- Quel genre de diversion ?
- Si je te le dis, tu vas trop y penser et à la fin tu vas paniquer. Marche tout seul vers la porte, comme si de rien n'était, je m'occupe du reste.
Tout dans son corps lui criait que c'était une mauvaise idée. Mais Anarin devait se rendre à l'évidence, il n'avait pas de meilleur plan en tête. Depuis qu'il avait reçu cette sacoche, les étoiles étaient de son côté, il en était persuadé.
- Assez de bavardage, je marche. Allons-y !
- Très bien ! Avance et surtout ne te retourne pas.
À cette heure avancée, la porte était déserte. Ce n'était pas de nature à le rassurer. Personne derrière qui se cacher. Les gardes ne verront que lui.
Anarin avança vers la porte d'un pas faussement confiant. À mesure qu'il se rapprochait, son cœur s'agitait. Il n'était pas ce qu'on peut appeler un honnête sujet de sa Majesté, mais ce n'était pas non plus un hors la loi. Ce genre de situation lui était inconnue.
Le premier garde s'avança et lui lança d'emblée.
Toi ! prépare ton lassez-passer.
Tout en continuant d'avancer, il fit semblant de fouiller dans sa veste. L'adrénaline commençait à lui ronger les entrailles. Il avait terriblement envie de regarder derrière lui pour voir ce que faisait Burek.
Arrivé à la porte il dû s'arrêter.
- Alors mon garçon !? Fais voir ce laissez-passer
Embarrassé comme jamais, il continua de fouiller frénétiquement ses poches, comme si un bout de papier allait apparaître par miracle.
Où est Burek bon sang. C'est maintenant ou jamais...
D'un coup, on entendit un petit "Toc" résonner à 3 mètres de là. Le garde fit un rapide mouvement de tête et se mit à rugir.
- Toi là bas ! Relance encore un cailloux sur la muraille et je te casse les dents !
Anarin se retourna, Burek se tenait là, debout comme un gland, avec des cailloux dans la main. Leur regard se croisèrent. Les yeux de Burek semblaient exprimer un léger malaise.
Anarin ! Mon plan a échoué, fuiiis !!
Soudain un deuxième bruit retentit. Un son subtil, comme une flèche fendant l'air. Le garde qui s'était avancé s'agrippa la nuque et grimaça de douleur. Il tomba raide au sol. Avant que le deuxième garde n'ai le temps de réagir, il subit le même sort.
Anarin était figé, l'air hagar, ses jambes tremblaient. Burek lui attrapa le bras et le tira hors de sa stupeur.
- Reste pas planté là comme un ogre des bois, avance, vite !
Les deux compères s'engoufrèrent aussitôt dans la ville haute qui leur était désormais ouverte.
La nuit noire cachait malheureusement les merveilleuses facettes de cet opulent quartier de Minas Tirith. Pour la visite on repassera. Les rues étaient cependant plus larges, l’odeur plus agréàble. Auncun mendiant ni vendeur ambulant à l’horizon. Le calme ambiant était la seule chose vraiment palpable.
Apres avoir marché une bonne heure dans le plus grand silence, Burek s'écria.
- Regarde cousin ! C'est ton hospice.
Anarin était toujours sous le choc.
- Par la barbe d’un magicien ! Qu'est-ce qu'il vient de se passer !? C'était quoi cette diversion pourrie ? Pourquoi les gardes sont tombés ?
Son visage était rouge écarlate, ses émotions éructaient à tout va dans la place. Il attendait visiblement des réponses. La sagesse de Burek ne tarda à lui en donner une.
- Bah va savoir ! Maintenant qu’on est là, qu'est-ce que ça peut faire ?
Encore une fois Anarin dû se rendre à l'évidence. Burek avait raison. Son objectif était littéralement sous ses yeux. Il inspira un grand coup et reprit le dessus.
- Bon ! Très bien, très bien... Maintenant il faut rentrer.
- Je peux tenter une diversi..
- Noon! Surtout pas ! C'est moi décide du plan cette fois.
On va simplement dire qu'on veut rendre visite à notre parent qui est en convalescence ici. On va prendre un air innocent et attirer leur pitié. Si on te demande quoi que ce soit, marmonne un truc incompréhensible et fais une tête de chien battu.
Le plan marcha à merveille. Voilà nos deux larrons à l'intérieur de l'hospice. C'est une somptueuse bâtisse en marbre blanc, faite de voûtes et de colonnes qui rivalisent de grandiose. Aux murs, les statues de fer et de bronze, chantent les louanges des grands capitaines du Gondor. Le contraste avec les hommes qui y résident est saisissant. Les hommes font peine à voir. Ici un estropié, là un manchot, et bien souvent les deux. Certains ont un bout du crâne qui manque. D'autres ont une camisole de fer en lieu et place de la mâchoire. Celui qui pénètre en ces lieux doit avoir l'estomac solide.
De toutes les guerres de la dernière alliance, la plaine de Dagorlad fut de loin la plus sanglante. Il y eu tellement de morts qu'on appelle désormais cet endroit, le marais des morts. Ceux qui n'y ont pas laissé leur vie y ont laissé leur âme. La bataille fut néanmoins une grande victoire, Sauron y perdit son armée et du s'enfuir comme un chien dans sa tour de Barad-dûr. Dans toute la terre du milieu, ses vétérans sont des héros.
Dans le foyer de la grande salle, le feu crépite doucement. Les hommes discutent, jouent aux cartes et aux dés. La présence des deux intrus semble laisser tout le monde indifférent. Anarin chuchota vers Burek.
- Je pense que c'est mieux si on se sépare, installe toi à une table où ils jouent aux cartes, moi je vais aller voir les joueurs de dés. Engage la conversation l'air de rien. Restons discr...
- EST-CE QUE QUELQU'UN A VU SI LE ROI PORTAIT UN ANNEAU DORÉ !?
La salle toute entière se retourna. Mille regards perplexes fixèrent les deux intrus.
Anarin voulut disparaître sous terre. Sa peau blanche devint aussi rouge qu'un derrière de Balrog. Il voulait étrangler Burek, là maintenant tout de suite, devant tout le monde. Après un silence intrigué, un homme prit la parole.
- Qu'est-ce que tu nous chante demi-portion ?
- Le roi est venu vous visiter l'autre jour, moi et mon ami on veut savoir s'il portait sur lui un petit anneau doré...
- En voilà une question bizzare !
Anarin vola au secours de son cousin.
- C'est un pari ! Lui affirme que le roi ne porte aucun bijou et moi je dis que si. Il y a 10 pièces d'argent en jeu tout de même...
L'homme fit une tête éberluée.
- Ah ces jeunes... On a vu le roi oui, mais de loin, il y avait tellement de monde ce jour là. Le seul qui saurait vous dire, c'est le vieux Théomer. Il a parler en tête à tête avec le roi Isildur pendant presque un quart d'heure ! Paraît-il qu'il a paré une flèche qui fonçait droit dans la tête du roi pendant la bataille. Mais vous avez peu de chance de le voir. Il est dans le quartier des infirmes graves, là bas derrière la grande porte en bois, les visites y sont interdites.
Les deux se regardèrent l'air complice. Anarin murmura à son compère.
- Pas interdit pour nous...
Après inspection, il y avait des barreaux à chaque fenêtre. La seule entrée qui menait au quartier des infirmes était bel et bien cette grande porte en bois. Un énorme type, gros comme un ogre des montagnes, montait la garde.
Anarin, plein d'assurance, lança à Burek
- Même plan que pour la porte d'entrée !
Cette fois se fut un échec partant
- Les visites sont interdites ! Pas de discussion... Foutez le camp avant que je vous empale le crâne !
Nos deux intrus n'insistèrent pas et s'eloignèrent.
- Purin d'orc albinos ! Regarde le gabarit de ce type. Il n'y a pas d'autres entrées. Cette fois nous sommes battus...
Anarin se tourna l'air désespéré vers son cousin. Celui-ci tirait un étrange petit sourire du coin de la lèvre.
- Il reste bien une solution cousin...
- Hein ? De quoi parles tu ?
Anarin fronça les sorucils un instant. Tout à coup, il comprit.
- Ah non ! Surtout pas ça ! Non !
- Si cousin...
- Par tous les dieux, pas une diversion !!
- Tu n'as pas d'autres options.
Anarin s'enferma d'abord dans le déni. Puis, pour la énième fois, il s'en remit à l'évidence. Il n'avait pas le choix. Il prit soin de demander leur protection à tous les dieux et divinitées de la terre du milieu et fit un signe à Burek.
- D'accord.
Sans attendre une seule seconde, Burek s'avança au beau milieu de la grande pièce. Il plaça ses mains autour de sa bouche pour faire l'effet d'un haut parleur. Avec la force de tous ses poumons, il cria.
- Les vétérans de Dagorlad sont des petites lopettes !!
La salle fut sidérée.
- Vos mères astiquent des gobelins et soulagent des trolls !
Les premières protestations s'élevèrent.
- Hein !? Quoi ? Qu'est-ce qu'il dit !?
- Vos morts sont des bons à rien que les orcs ont eu raison de tuer !
Enfin, un premier homme bondit de sa chaise, il était amputé des deux jambes et se tenait sur des béquilles.
- Retire ça immédiatement, misérable énergumène !
Un deuxième homme se leva.
- Tu insultes des hommes morts au champ d’honneur !
Burek regardait du coin de l'œil la grosse masse qui gardait la porte, il ne bougeait toujours pas. Il prit une grande inspiration. Puis, d'une violence soudaine et impitoyable, il balança un énorme coup de pied dans les béquilles de l'infirme. Celui-ci s'étala au sol comme un vieux sac de patate. Dans la foulée, Burek arma son bras droit et envoya un gros crochet dans la machoire du deuxième. L'homme aurait bien voulu paré l'attaque mais il avait deux moignons à la place des mains. Le poing de Burek s'écrasa dans la figure du malheureux qui alla rejoindre son camarade au sol.
On ne sait pas si la terre du milieu est ronde. Ni si elle tourne autour d'un soleil. Mais on en est sûr, à cet instant, quoi qu'elle fusse, elle s'arrêta net. Deux hommes, blessés de guerre, vétérans des enfers, Héros de la terre. Venaient d'être mis ko, sans aucune raison, par un petit gueux grassouillet à moitié chauve. Nul trompette ni cri de guerre ne résonnèrent.... et pourtant, toutes les âmes présentes dans la salle, comme un seul homme, chargèrent le rejeton de morgoth. La baston générale pouvait commencer. La porte était désormais dégagée.
Anarin n'eut pas la tâche difficile. Les noms et grades des infirmes graves étaient gravés sur les portes. Il trouva rapidement celle de Théomer. Il entra dans une petite chambre lugubre qui n'avait pour mobilier qu'une grossière armoire et une petite table. Dans le lit, un vieil homme semblait dormir. Son visage ridé et creusé était emmitouflé dans une grande barbe grisâtre. Prit par l'adrénaline, Anarin secoua frénétiquement le vieil homme et se pencha à son oreille.
- Monsieur Théomer ! Monsieur Théomer ! Le roi Isildur portait-il un petit anneau doré ?
L'homme ne bougea pas. Anarin se sentit soudain très bête. Il réalisait le ridicule de la situation.
Cet homme est dans un sommeil profond, il ne me connaît pas, et moi je le réveille comme un sagouin, pour lui poser une question qui n'a certainement aucun sens pour lui ...
Puis à sa grande surprise, une petite voix répondit.
- Oui... Oui.. Un petit anneau doré.
Le vieux Théomer murmurait d'une voix très faible et lente. Il avait les yeux fermés, son corps était figé, mais ses lèvres bougeaient. On aurait dit la voix d'un mort qui parlait depuis l'au delà. Anarin fut prit d'un frisson glaçant.
- Un anneau... Je l'ai vu. Un joli petit anneau qu'il portait au cou.
Alors qu'Anarin quittait déjà la chambre, le vieil homme continuait de murmurer dans le vide.
- Il était si joli....Si précieux...
De retour dans la grande salle, le pugilat battait son plein. Burek était aux prises avec une armée de vétérans invalides. Encerclé de toute part, Il tenait dans ses mains un homme qui n'avait ni bras ni jambes, et s'en servait comme d'un bouclier. Anarin prit une seconde pour demander pardon aux Valars puis il se saisit d'une table. De tout son élan, il fonça dans la mêlée. Il bouscula une bonne dizaine d'infirmes avant d'arriver jusqu'à son acolyte. Burek jeta dans les airs son bouclier humain et s'agrippa à la table. Ensemble ils poussèrent de toutes leurs forces, piétinant mutilés et boiteux, jusqu'à se frailler un chemin hors du champ de bataille.
Arrivé à la sortie, Burek beugla en direction d’Anarin.
- Alors !?
- L'anneau doré existe ! Et le Roi Isildur le porte à son cou !
Ils decampèrent à grandes enjambées. La mission était un franc succès.