L'elfe Noire et la Communauté de l'Anneau
Legolas se morfondait. Voilà trois jours que la Communauté était arrivée dans les bois de la Lorien. Trois jours que le prince de la Forêt Noire s’isolait, inquiétant Aragorn et le reste de la Communauté mais aussi le gardien de la Lorien. Haldir n’avait jamais vu son ancien compagnon d’arme aussi sombre et renfermé. Il avait à peine participé au banquet donné en l’honneur de leur arrivée et, bien qu’Haldir respecte la peine que la Communauté ressentait face à la mort de Mithrandir, il ne pouvait s’empêcher de se demander ce qui avait pu mettre dans cet état le fier prince de la Forêt Noire.
Inconscient de l’inquiétude qu’il causait, Legolas s’était une nouvelle fois isolé sur le terrain d’archerie et tirait flèche sur flèche, comme si chaque tir pouvait lui enlever la peine qui avait gagné son cœur. La traversée de la Moria, juste après la perte d’Eliana, avait été éprouvante. Leur rencontre avec les gobelins, la fuite face au Balrog… Et la mort de Mithrandir. Son cœur déjà brisé semblait s’être décomposé face à cette nouvelle perte. Depuis, nul n’avait pu lui décrocher plus de trois mots. Il restait constamment seul, à contempler la nature sans réellement la voir. Désormais il comprenait. Il comprenait la douleur qu’avait dû ressentir son père lorsqu’il avait perdu l’être aimé. Cette sensation de solitude, comme si plus rien n’avait d’importance. Il lui avait fallu du temps avant de comprendre. Il avait fallu qu’elle tombe pour qu’il accepte enfin ce que lui criait son cœur depuis qu’elle avait découvert son visage dans la plaine. Il aimait Eliana. Pas comme il avait pensé aimer Tauriel soixante ans plus tôt. Mais d’un amour véritable, celui que contaient les récits elfiques. Celui qu’avait vécu son propre père. Mais cet amour, il l’avait perdu, sans même avoir eu le temps de comprendre ce qu’il vivait. Et la souffrance qui en résultait était la pire douleur que Legolas avait pu ressentir en près de trois mille ans d’existence.
« Prince Legolas ? »
La timide voix le fit sortir de ses douloureuses pensées. Expirant profondément, comme pour chercher à expulser sa peine, il se tourna vers la seule personne de la Communauté qui jusque-là était restée silencieuse face à sa peine.
« Que puis-je pour vous Frodon ? »
Le semi-homme regardait intensément l’elfe en face de lui. Sa douleur avait creusé son visage et ses yeux, qui quelques jours auparavant, brillaient encore d’un éclat guerrier et vif, n’étaient plus que deux orbes qui semblaient vides. Si, jusqu’à maintenant, Frodon n’avait rien dit face à la peine qui semblait tuer Legolas à petit feu, il avait décidé qu’il ne pouvait pas ne pas tenter de l’aider à aller mieux. Alors de sa petite voix toute douce, il s’adressa à celui qui, au même titre qu’Aragorn, lui avait toujours paru intouchable.
« Vous savez, je crois qu’elle n’aurait pas aimé que vous vous morfondiez pour elle, Prince Legolas. Dame Eliana était forte et la dernière chose qu’elle aurait voulu, je crois, c’était qu’on la pleure. »
Sans répondre, le prince de la Forêt Noire leva son visage vers le ciel. La nuit était tombée et il pouvait distinguer les étoiles. Il avait entendu d’Aragorn qu’une vieille légende humaine racontait que les étoiles représentaient les morts. Furtivement, il se demanda si une étoile était apparue pour la jolie elfe et si elle avait rejoint celle pour sa mère. Au bout de longues minutes, il prit enfin la parole.
« -Avez-vous déjà aimé Frodon ? Comme un homme aime une femme ?
-Non jamais je l’avoue.
-Je pensais être hermétique à l’amour. Avoir déjà connu le fait d’aimer et de perdre l’être aimé. Visiblement je me trompais.
-Parlez-vous de Dame Tauriel, Prince Legolas ? Mon oncle m’en a parlé.
-Je pensais aimer Tauriel de toute mon âme et que la douleur quand elle a choisi ce nain puis qu’elle a décidé de partir était comparable à la douleur qu’avait ressenti mon père à la mort de ma mère. Je me trompais. L’amour véritable que m’ont accordé les Valars avait un regard d’ange, une chevelure brune et des mèches blanches. Vous avez raison Frodon. Eliana n’apprécierait pas d’être pleuré de la sorte. Mais je ne peux m’en empêcher. Mon cœur saigne et pleure sa disparition, comme si une partie de moi-même m’avait été arraché. »
Frodon ne répondit pas. Que pouvait-il dire face à l’immensité du chagrin qui dévorait l’elfe ? Lui aussi avait de la peine pour la perte de leur amie, d’autant plus qu’il se sentait proche d’elle, sentant qu’elle aussi transportait un lourd fardeau. Mais il savait au fond de lui qu’il ne pouvait comprendre la douleur de perdre l’être aimé. Alors il n’ajouta rien et se contenta de poser sa main sur le bras de l’elfe. Ce dernier sembla tout d’abord surprit par ce contact avant d’hocher la tête, le remerciant silencieusement. Parler un peu lui avait fait du bien.
Soudain, un bruit de course déchira le silence qui s’était installé entre les deux êtres. En se retournant, ils virent Sam arriver en courant. Essoufflé, sa phrase ne fut qu’une succession de mots presque incompréhensibles.
« Seigneur Haldir… Eliana… Trouvé… Venir… »
Sans plus attendre, le prince de la Forêt Noire bondit sur ses pieds et partit en courant, sans même laisser à Sam le temps de reprendre son souffle, animé du fol espoir de revoir sa princesse. Sam et Frodon le regardèrent partir. Puis le plus jeune se tourna vers son ami.
« -Dis-moi, Sam, comment était-elle ?
-Elle est vivante M’sieur Frodon. Très mal en point mais vivante. »
Shaylan avait galopé toute la journée sans même prendre le temps de s’arrêter pour se désaltérer. Sa cavalière avait depuis longtemps plongé dans les limbes de l’inconscient et n’avait donc pas pu le guider. Mais cela ne semblait gêner outre mesure le cheval. Il savait où il devait aller. Sur sa route, il n’avait croisé aucun ennemi, comme si les Valars veillaient à ce que la jeune femme arrive à bon port. Enfin, en fin de journée, l’animal atteint l’orée du bois qu’Eliana avait distingué avant son évanouissement. Sa robe noire était maculée de sueur et de boue mais il ne s’arrêta pas pour autant et s’enfonça dans la forêt, sans se soucier le moins du monde de faire du bruit.
Au bout d’un certain temps, un elfe apparu soudainement devant lui, le forçant à s’arrêter. L’animal piaffa d’impatience.
« -Du calme mon beau. Tout va bien. Je ne te veux pas de mal.
-Rumil, que se passe-t-il ?
-Un cheval est entré dans la forêt Haldir. Il transporte quelqu’un. »
Intrigués, les deux elfes s’approchèrent doucement, veillant à ne pas apeurer l’animal. Mais ce dernier demeura parfaitement calme, comme s’il n’attendait que leur venue. En découvrant son chargement, Haldir ne put retenir un cri de surprise. Une elfe se tenait inconsciente sur le dos de l’animal. Elle semblait gravement blessée. Aussitôt, Haldir la souleva précautionneusement dans ses bras, découvrant les blessures qui ornaient son torse. Sans prendre en compte l’air effaré de son frère, il commença à marcher, le cheval le suivant docilement.
« -Haldir, c’est une elfe Noire ! Elle ne doit pas entrer dans la Lorien !
-J’ai vu, mon frère. Mais nous ne pouvons pas laisser une elfe dans cet état, quel que soit son peuple. Elle a besoin de soins très rapidement. Préviens nos seigneurs que nous avons une blessée. »
Sans un mot de plus, Rumil partit rapidement entre les arbres, tandis qu’Haldir continuait sa marche. Son fardeau ne pesait pas plus lourd qu’une plume. Au fond de lui, le gardien de la Lorien savait qu’il n’aurait pas dû laisser entrer une telle elfe dans la forêt. Mais le récit d’Aragorn sur leur quête ainsi que la perte d’une de leur membre lui était revenu en mémoire en la voyant. Quelque chose lui disait qu’il portait dans ses bras le dixième membre de la Communauté de l’anneau.
Durant plusieurs jours, Eliana resta plongée dans l’inconscience, malgré les soins intensifs que lui procurait la Dame de la Lorien, parfois accompagné par son mari. Peu à peu, les blessures s’étaient refermées. Devant l’inquiétude de la Communauté, Galadriel les avait rassurés du mieux qu’elle pouvait.
« Dame Eliana était gravement blessée lorsque Haldir l’a trouvé. Elle a perdu beaucoup de sang. Elle a besoin de repos pour récupérer. Laissons-la à son sommeil. Elle se réveillera quand elle se sentira assez forte. »
Alors les compagnons d’Eliana avaient pris leur mal en patience. Tous les jours, ils allaient la veiller quand ils avaient le temps. Frodon, Aragorn et Legolas y passaient la plupart de leurs journées. Ils s’asseyaient à côté de son lit et restaient silencieux.
Ce matin-là, l’héritier d’Isildur et le prince de la Forêt Noire se trouvaient à son chevet. Legolas la couvait du regard tandis qu’Aragorn était songeur. Bien évidemment, il avait remarqué que l’état de Legolas s’était grandement amélioré depuis qu’il avait appris que la princesse d’Organda était vivante. Ses yeux semblaient avoir retrouvé l’étincelle de vie qui le caractérisait. Néanmoins, Aragorn ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter. Plus ils restaient en Lorien, plus le pouvoir de Sauron augmentait et les chances de détruire l’anneau s’amenuisaient. Si la princesse d’Organda ne se rétablissait pas très vite, l’héritier d’Isildur craignait qu’il ne faille repartir sans elle.
Tout à ses réflexions, il ne vit pas immédiatement que quelque chose se passait à côté de lui. Ce fut le brusque mouvement de Legolas qui attira son attention.
« Aragorn, elle se réveille ! »
Aussitôt, les deux compagnons se penchèrent de part et d’autre du lit, tandis que la jeune princesse ouvrait difficilement les yeux. Comme si elle se trouvait derrière un voile, la jeune elfe distingua avec peine deux formes à ses côtés. Elle voulut tendre la main, mais ne parvient qu’à bouger ses doigts. Toutefois, cela sembla suffisant pour que sa main gauche se retrouve emprisonnée dans une chaude étreinte.
« -Legolas… Aragorn…
-Nous sommes là Eliana, ne vous inquiétez pas. Nous veillons sur vous. »
Le visage de la jeune femme se fendit d’un fin sourire en entendant les propos du Rôdeur. Elle se sentait apaisée. Ses deux gardiens tenaient leur promesse. Ils étaient près d’elle. Alors, doucement, elle replongea dans un profond sommeil, sans remarquer que sa main n’avait pas lâché celle de Legolas, ni qu’elle venait pour la première fois d’appeler l’elfe sans utiliser son titre.