Une autre reine
Caspian était assis sur une corniche de l’abri, regardant le soleil se coucher derrière les arbres de la forêt. Il désespérait d'être un jour un roi à la hauteur. Peter avait été grand roi pendant des années, il connaissait Narnia mieux que lui, il savait régner et se faire obéir. Et il lui reprochait toutes les erreurs qu'il pouvait faire. Caspain se sentait bien incapable. Il était Telmarin après tout, les Narniens n'accepteraient pas aussi facilement qu'il monte sur le trône de Narnia.
Il sentit une présence près de lui et redressa la tête.
Il n’avait jamais vu la jeune femme qui lui faisait face. Grande et mince, elle avait une chevelure dorée soigneusement rassemblée en une tresse qui lui tombait au niveau des fesses. Elle avait un nez droit, une bouche fine qui esquissait un sourire lumineux, et des yeux d’un bleu extraordinaire. Elle portait une robe bleu sombre avec un corset de cuir renforcé qui mettait sa taille fine et sa poitrine en valeur.
De stupeur devant cette apparition, Caspian se leva, trébucha, et failli tomber de la corniche.
La jeune femme le rattrapa par le bras et le tira vers elle.
- Et bien ! rit-elle. N’allez pas vous tuer maintenant !
- Qui… qui êtes-vous ? balbutia Caspian.
- C’est fou comme un brin de toilette peut changer votre apparence ! rit de nouveau la jeune femme. Peut-être me reconnaîtrez-vous plus avec des cheveux sales, une robe déchirée et le visage rouge et gonflé ?
- Vous êtes la prisonnière ? demanda Caspian abasourdi. Wahou, si je m’attendais à ça…
- Je m'appelle Eden, se présenta-t-elle en s’asseyant sur la corniche.
- Eden ? Comme... la reine Eden ? s’étonna le prince en se rasseyant près d’elle. Celle qui a combattu mon ancêtre, Caspian le conquérant ?
- Oui.
Caspian se rappela ses cours d’histoire où son aïeul avait vaincu la redoutable reine Eden.
- Dans nos histoires, vous êtes dépeinte comme une barbare sanguinaire.
- J’imagine bien, dit Eden avec un sourire désabusé. Je n’étais pas chef militaire pour rien.
- Si on fait abstraction de certains adjectifs péjoratifs développés par les Telmarins, j’ai l’impression que vous étiez une reine formidable, répliqua Caspian.
- C’est gentil, merci, sourit Eden. Je suis sûre que vous le serez tout autant.
- Oh non, s’attrista Caspian. J’ai… je ne suis pas à la hauteur…
- Il ne faut pas vous décourager, Caspian, dit Eden. Ça arrive de faire des erreurs. On pense faire les bons choix… et ça n’attire finalement que des ennuis.
Caspian la dévisagea. Elle avait l’air sombre.
- Vous en parlez comme si vous l’aviez vécu.
- En effet. J'ai quitté Narnia au pire moment qui pouvait exister.
- Vous aviez disparue pendant la grande Conquête... avança Caspian. Tout le monde croyait que vous aviez péri dans la bataille.
- Non. J'étais blessée mais bien vivante. Je ne sais pas comment c'est arrivé exactement, mais je suis retournée dans mon monde à ce moment-là.
Elle se tut quelques instants, profondément triste.
- Quand je suis revenue et que Miraz m’a dit que les Telmarins avaient exterminé tous les Narniens, je me suis sentie tellement coupable ! Vous aider à récupérer le trône, Caspian, c’est une manière de me racheter…
- Vous n’avez pas à vous racheter de quoi que ce soit, dit Caspian.
- Vous croyez que les Narniens m’apprécient ? Je les ai abandonnés !
- Vous ne le vouliez pas.
- Ça ne change rien. Je n’étais pas là alors qu’ils avaient besoin de moi.
Alors que Caspian et Eden discutaient sur la corniche, Peter alla trouver le professeur Cornélius.
- Professeur, j’ai une faveur à vous demander.
- Faites, majesté.
- Vous qui connaissez l’histoire de Narnia, euh… après mon époque, vous pourriez m’en dire plus sur cette reine Eden ?
- Oui, bien sûr. Après votre départ il s’est écoulé trois siècles plutôt tranquilles avant que le roi Markus et la reine Eden ne viennent à Narnia. Ils sont montés sur le trône et ont régné cinq ans avant que les Telmarins n’attaquent. C'était leur première confrontation à un peuple hostile et ils n'étaient pas vraiment préparés.
- Qu'est-ce qu'ils ont fait ? demanda Peter.
- Le roi Markus a tenté de négocier avec eux. Il pensait qu'il serait bénéfique pour les deux peuples d'avoir des échanges commerciaux. Il détestait les armes, ce n'est pas pour rien qu'il était surnommé Markus le Bon. C’était un homme doux et intègre qui était passionné par la musique et la poésie. Beaucoup de ses poèmes sont d'ailleurs encore bien connus à Narnia. Il a été tué par les Telmarins alors qu’il était venu en personne négocier avec eux.
- En personne ?! s’étonna Peter. Il s'attendait à quoi ?
- Il ne connaissait pas les Telmarins comme vous. Et personne ne s'attendait à ça, même pas la reine Eden qui était pourtant plus méfiante que lui. Elle est devenue impitoyable après ça.
- Comment ça ?
- Les Telmarins ont massacré l'escorte du roi Markus, l'ont décapité et ont renvoyé sa tête par catapulte. Son cheval est rentré en traînant le reste de son corps. La reine Eden en est devenue folle de rage et a répliqué par une attaque fulgurante et sanglante qui a engendré beaucoup de pertes et une vague de panique chez les Telmarins. L'avantage donné par cette bataille a été de courte durée pour les Narniens puisqu’ils ont été massacrés ensuite par une attaque surprise de leur ennemi. On pensait que la reine Eden n’y avait pas survécu.
Peter resta silencieux quelques minutes, songeur avant de reprendre:
- Et que dit-on de la reine ?
- Elle était surnommée Eden la Belle, considérée comme la plus belle femme de Narnia et des autres royaumes. Mais elle est aussi une femme puissante, chef militaire des armées narniennes et fine stratège.
- Admirée et redoutée donc, conclut Peter.
- Elle est plus que ça, contesta le professeur Cornélius. Elle est aimée.
Le lendemain, l’armée de Miraz siégeait de l’autre côté de la plaine.
- Ils sont trop nombreux, constata Peter. Nous devons envoyer Lucy chercher Aslan.
- C’est ça votre plan ? râla le nain. Envoyer une petite fille toute seule dans la forêt chercher un hypothétique lion ?!
- Elle ne sera pas seule, dit Eden. Je l’accompagne.
- Pourquoi je n’irais pas moi ? s’opposa Susan.
- Vous êtes bien meilleure archère que moi, répliqua Eden. On aura besoin de vous ici.
- Mais…
- Mais c’est peut-être à Lucy de décider, la prit de vitesse Eden. Lucy, qu’en pensez-vous ?
- Eden a raison, Susan, répondit Lucy. Ils auront besoin de toi au combat.
Susan fit une grimace désapprobatrice.
- Ne vous inquiétez pas, dit Eden. Je veillerais sur elle.
- En attendant, il faut gagner du temps, conclut Peter.
- Miraz est peut-être un tyran, mais il se plie aux coutumes de son peuple, intervint Caspian. Et il y en a une qui peut nous faire gagner pas mal de temps…
Edmund accompagné d’un géant et d’un centaure se dirigeait vers le campement de Miraz, un drapeau blanc à la main, afin de lui soumettre les conditions d'un combat singulier contre Peter. Pendant qu'il occupait les seigneurs telmarins, Lucy et Eden avait réussi à s’échapper à cheval, mais bien vite des soldats s’étaient lancés à leur poursuite.
Eden stoppa le cheval et sauta à terre.
- Qu’est-ce que vous faites ? s’affola Lucy.
- Je suis désolée, mais vous allez devoir continuer seule, Lucy.
Elle donna une tape sur la croupe du cheval qui partit au galop, puis banda son arc et attendit que les soldats soient suffisamment près pour décocher une flèche. Le soldat qu’elle visait fut projeté à terre, la flèche plantée dans son cou. Elle rechargea, en mit un second au sol, puis un autre avant qu’un soldat qui s’était approché plus près ne lui décoche un coup de pied qui l’envoya rouler dans les feuilles mortes.
Elle tenta de se relever mais un coup à la tête lui fit perdre connaissance.