Sienna
Le lendemain matin, je me réveillai avec l’appréhension me tordant l’estomac. Jensen avait-il été mis au courant de notre réunion de la veille ? La porte s’ouvrit et le même homme que d’habitude annonça le petit déjeuner. Les filles se levèrent et sortirent du dortoir. Camille et moi les suivîmes. Quand je passai la porte, je perçus la voix de Jensen sur ma droite.
- J’arrive, soufflai-je à Camille.
Elle s’éloigna à la suite des autres tandis que je prenais la direction inverse, longeant le mur. La voix de Jensen se fit plus distincte. Arrivée au coin du couloir, je passai discrètement la tête de l’autre côté. Jensen était accompagné d’un homme en long imperméable noir que je n’avais jamais vu.
- Vous êtes sur que ça ne peut pas attendre ? Demanda Jensen avec une pointe d’agacement dans la voix.
- Elle a été très clair, lui répondit son interlocuteur, plongé dans sa tablette. Elle veut vous parler maintenant et en personne.
- Comme si j’avais que ça à faire, lâcha Jensen.
Ils tournèrent les talons et remontèrent le couloir. Leur discussion avait piqué ma curiosité et je décidai de les suivre. Silencieusement, je les talonnai pendant quelques minutes. Alors qu’ils prenaient un couloir à gauche, je sentis une main se poser sur mon épaule. Je me retournai vivement, prête à frapper si besoin. Mais ce n’était que Thomas.
- Qu’est-ce que tu fais là ? Soufflai-je.
- Je t’ai vu les suivre.
Je ne voulais pas perdre Jensen. Je repris ma route, Thomas sur les talons. Jensen et l’autre gardèrent le silence jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent devant une porte électronique. Nous nous approchâmes le plus possible et je les observai franchir le seuil. Avec chance, la porte prit une dizaine de secondes pour se refermer. Thomas et moi nous y précipitâmes à pas de loups et la franchîmes juste à temps. Nous pénétrâmes dans une grande salle, plongée dans une semi obscurité. Jensen et l’homme traversèrent la pièce et se plantèrent devant un immense écran.
- Etablis la connexion, ordonna Jensen.
L’écran s’alluma et je vis apparaître avec stupeur Ava Paige. Assise derrière un bureau, elle semblait absorbée par le contenu du dossier qu’elle lisait. N’était-elle pas sensée être morte ? Je l’avais pourtant vue, gisant sur le sol… J’échangeai un regard surpris avec Thomas.
- Bonjour, Professeur Paige, la salua Jensen. Ravie de vous revoir…
Paige leva le nez de ses papiers et jeta un regard agacé à Jensen.
- …même si je dois avouer que je ne pensais pas avoir de vos nouvelles si tôt.
J’eus l’impression que mon cœur tombait au fond de mon estomac. Jensen était avec Paige. Il faisait parti du WICKED. Ils étaient tous WICKED… A en juger par l’air stupéfait et en colère de Thomas, il en avait déduit la même chose que moi.
- Changement de programme, Jensen, déclara Paige. Je vais arriver plus tôt que prévu. Je serais là demain, à la première heure.
Elle se leva et se planta devant son bureau.
- Ah, lâcha Jensen, et bien, nous serons ravis de vous avoir à nos côtés.
Je perçus la pointe d’ironie dans sa voix.
- Je pense que vous serez satisfaite de nos progrès, continua t-il en faisant signe à l’homme qui l’accompagnait.
Ce dernier pianota sur sa tablette et des images s’affichèrent sur l’écran. Des cerveaux en coupe et des chiffres totalement incompréhensibles pour moi.
- Comme vous pouvez le voir, nos premiers résultats sont extrêmement prometteurs.
Paige jeta un œil aux chiffres.
- Le traitement qu’ils ont subi dans ces labyrinthes a fait des merveilles, continua Jensen.
Je me penchai pour être certaine de ne rien perdre. Paige hocha la tête.
- Pas suffisamment, réfuta t-elle. Je viens de recevoir l’accord du Conseil. Je veux qu’on mette les derniers sujets sous sédatifs et qu’on les prépare pour la récolte. Ils devront être prêts à mon arrivée.
Je vis Jensen afficher une expression légèrement surprise.
- Tout le monde ici met les bouchées doubles pour être prêts à temps, assura t-il à Paige. Il nous reste seulement quelques tests…
- Il faut aller encore plus vite, l’interrompit-elle sèchement. Tant que leur sécurité ne sera pas garantie, c’est notre meilleur plan.
- Madame, la sécurité c’est mon rayon. Nous sommes confinés H-24 dans le sanctuaire. Je peux vous assurer que nos protégés sont en sécurité.
Paige eut un petit sourire.
- Vous avez trouvé le Bras Droit, je présume ? Demanda t-elle.
Le Bras Droit ? Relevai-je en pensée alors que Thomas levait un sourcil interrogateur.
- Pas encore, avoua difficilement Jensen. Nous les avons pisté jusque dans les montagnes.
- Autrement dit, ils courent toujours, dit Paige en haussant le ton. Je vous rappelle qu’ils ont fait sauter deux de nos installations. Ils veulent ces individus hors normes autant que nous ! Et il n’est pas question que je supporte d’autres pertes. Pas maintenant que l’espoir d’un vaccin devient une réalité.
Jensen garda le silence.
- Si vous n’êtes pas à la hauteur de cette tache, reprit-elle, je trouverai quelqu’un de compètent.
- Je vais vous épargner cette peine. Peut-être que nous pourrions commencer par les sujets les plus…agités ? Proposa t-il.
Je me sentis étrangement concernée. Paige retourna s’asseoir dans son fauteuil.
- Faites votre travail, dit-elle en mettant fin à la conversation.
Jensen tourna les talons après lui avoir adressé un signe de tête. Mais elle le rappela :
- Jensen ?
Elle le dévisagea un instant, l’air plus humaine et empathique.
- Je ne veux pas qu’ils ressentent la moindre douleur, dit-elle doucement.
- Vous inquiétez pas, j’y veillerai, promit Jensen.
L’écran s’éteignit et Jensen et son accompagnateur traversèrent la pièce en sens inverse. Le bruit de leurs pas résonna tandis que Thomas et moi tentions de disparaître derrière un meuble. Je sentis l’adrénaline pulser dans mes veines et mon rythme cardiaque s’accéléra. Je croisai le regard angoissé de Thomas. Jensen était probablement en route pour aller chercher ceux qu’il avait choisi. J’étais certaine que le groupe de Newt et moi faisions partis de la « première tournée ». Nous nous précipitâmes silencieusement à la suite de Jensen et franchîmes la porte.
- Il faut qu’on parte d’ici. Maintenant, déclara Thomas avec urgence.
Je secouai la tête, réfléchissant à toute vitesse.
- Va chercher les autres, dis-je. Emmènes avec toi tous ceux que tu peux et trouves Aris. Il vous amènera à la sortie. On se retrouve là bas dans dix minutes max.
- Et toi, tu vas où ? S’inquiéta t-il, hésitant à partir.
- On sortira pas sans badge. Tu n’as plus celui que tu as volé, n’est ce pas ?
Thomas secoua la tête. Je ne lui laissai pas davantage le temps de réfléchir.
- Dépêche toi, le pressai-je. Jensen est déjà en route.
Il hocha la tête et tourna les talons.
- Hé ! Le retins-je. Fais attention à Camille et Julian pour moi, Ok ?
Thomas acquiesça en silence et après un dernier regard, il se mit à courir vers le réfectoire.
Thomas se précipita vers le réfectoire. Il devait absolument mettre la main sur ses amis et filer d’ici le plus vite possible. Il longea un couloir au pas de course et ralentit en atteignant le coin. Après s’être rapidement assuré que personne ne se trouvait aux alentours, il se remit à courir. Il atteignit le réfectoire deux minutes plus tard et tenta de calmer les battements de son cœur. Discrètement, il repéra son groupe, ainsi que Camille, Aris et Julian assis à une table non loin de lui. Thomas parvint à capter le regard de Minho qui afficha un air de surprise avant de comprendre. Il incita silencieusement les autres à se lever et à rejoindre Thomas, tandis que ce dernier s’assurait que les gardes ne faisaient pas attention à eux. Puis il parcouru les quelques mètres qui les séparaient de leur dortoir en quelques enjambées. Les autres le suivirent en silence et Minho referma la porte derrière eux. A peine la porte fut elle close que Thomas leur lança :
- Faut qu’on se tire ! Tout de suite !
Newt, Minho et les autres l’observèrent avec incompréhension. Thomas sentait son cœur battre la chamade. Il fallait qu’ils se dépêchent ; il devait retrouver Teresa.
- Thomas, qu’est-ce qu’il se passe ? S’inquiéta Newt.
- On doit partir ! Maintenant.
- Pourquoi ?
Thomas ne pouvait pas prendre le temps de leur expliquer tout de suite.
- Il faut que j’aille chercher Teresa, répondit-il à la place.
Newt secoua la tête.
- Thomas, pose toi deux secondes, explique nous !
- Elle est toujours en vie.
- Qui ? Teresa ?
- Non. Ava.
Newt encaissa l’information tandis que Minho s’approchait de Thomas pour l’inciter au calme.
- Faut que tu nous lâches plus d’infos, là, demanda t-il.
- WICKED ! S’écria Thomas. C’est toujours WICKED. On s’est fait manipulés !
Newt s’approcha à son tour de son ami et le força à le regarder dans les yeux pour obtenir son attention.
- Thomas, dit-il fermement, dis moi ce que tu as vu.
En courant le long de l’étroit couloir menant aux bureaux, j’espérai que Thomas retrouverait les autres rapidement et qu’ils seraient tous au point de rendez vous. Je savais qu’Aris était capable de les mener à bon port. De mon côté, je devais absolument trouver un badge. La porte ne s’ouvrirait pas seule et je n’avais pas envie de me retrouver coincée avec Jensen à nos trousses.
Je pris la direction de bureau de Crawford – que j’avais repéré lors de ma dernière excursion dans les canalisations. Je ne croisai heureusement personne. Je parvins au bureau du médecin ; la porte était fermée mais pas à clefs. Je jetai un coup d’œil à droite et à gauche avant de pénétrer rapidement dans la pièce.
Jensen et ses hommes se dirigeaient d’un bon pas vers le dortoir du groupe B. Les gardes, tous armés d’armes à impulsions électriques, suivaient Jensen le visage fermé. Jensen, quant à lui, affichait un air à la fois satisfait et impatient.
Le groupe atteignit le dortoir. Jensen y passa sa carte magnétique et la porte se déverrouilla. Il tenta de l’ouvrir mais elle buta contre quelque chose. Toute trace de sourire ayant disparu de son visage, Jensen insista. La porte ne bougea toujours pas. Avec agacement, il fit signe à ses hommes de régler le problème. L’un d’eux donna plusieurs coups d’épaules avant de parvenir à dégager le passage. Jensen pénétra dans le dortoir, vide. Les matelas, meubles et chaises avaient été entassés derrière la porte. De rage, Jensen donna un coup de pied dans la chaise se trouvant devant lui.
- Trouvez les moi ! Hurla t-il.
Thomas, son groupe, Camille, Aris et Julian débouchèrent dans un long couloir blanc. Ils sortirent tour à tour de la conduite d’aération.
- Dépêchez vous, les pressa Thomas.
Newt le rejoignit, suivi des autres.
- Où est Sienna ? Lui demanda t-il, une ride d’inquiétude lui barrant le front.
- Elle va nous rejoindre. Elle est parti chercher le badge dont on a besoin pour sortir. Aris, ajouta t-il, on doit la retrouver à la sortie.
Aris acquiesça et prit les devants du groupe. Newt, l’estomac noué d’angoisse de ne pas avoir Sienna à ses côtés, décida de prendre sur lui. Il n’était pas encore temps de paniquer.
- Allez, venez ! S’exclama Thomas.
Il s’élança le long du couloir et Newt entraîna les autres à sa suite.
- Je le sens pas, déclara Minho sans cesser de courir.
Ils tournèrent le coin du couloir et tombèrent alors nez à nez avec le Docteur Crawford. Ils stoppèrent net et se dévisagèrent mutuellement une fraction de seconde. Les yeux du docteur Crawford étaient écarquillés de surprise. Elle leva ses mains devant elle, comme pour se protéger. Après un moment de flottement, elle plissa les yeux.
- Je peux savoir ce que vous faites ici ? Demanda t-elle en détachant chaque syllabe.
A ce moment, une sirène stridente se mit à hurler, résonnant dans les couloirs. Les gyrophares accrochés aux murs s’allumèrent et diffusèrent une lumière jaune par intermittence. Newt leva les yeux au ciel ; comme s’ils ne se trouvaient pas déjà dans une situation merdique, ils allaient se retrouver avec tous les gardes de la base aux trousses.
Il croisa le regard de Thomas, puis de Minho. A leurs expressions, il devina qu’ils avaient eu la même idée.
D’un pas rapide, Jensen se dirigea vers la salle de surveillance, talonné par ses hommes.
- Verrouillez moi toutes les issues ! Ordonna t-il. Tout le monde sur le pont ! Personne ne sort tant qu’on les a pas retrouvé.
Il pénétra dans la pièce. Une jeune femme était assise devant une dizaine d’écrans, les yeux rivés sur les images des caméras.
- Dites moi que vous les avez repéré, éructa t-il à son intention.
- On est sur le coup, monsieur Jensen.
Sur l’un des écrans apparurent alors Thomas, Newt et leur groupe remonter un couloir en marchant.
- Là ! S’écria Jensen en désignant l’écran.
En apercevant le Docteur Crawford parmi eux, il hocha la tête avec un petit sourire sans joie.
- Crawford… c’est la fille qu’ils veulent.
Il se tourna vers ses hommes.
- Toutes les unités dans le bâtiment médical ! Lança t-il en sortant de la salle de surveillance à toutes jambes.