Sienna
Aris et moi parvînmes au bout de la conduite. Je la dévissai et la fit coulisser le plus silencieusement possible. Je rampai pour sortir dans le couloir et fus heureuse de retrouver une station debout. Aris me suivit. Alors qu’il était en train de remettre la grille en place, la voix de Jensen s’éleva depuis le hangar. Je levai précipitamment les yeux et l’aperçus à travers les petites vitres.
- Aris, dépêche toi ! Soufflai-je.
D’une main fébrile, il fixa la grille et je lui attrapai le bras. Nous eûmes tout juste le temps de pénétrer dans la grande salle de bain avant que la porte métallique ne coulisse. Le souffle court, je tendis l’oreille.
- Où en est la dernière tournée ? Demanda Jensen.
- L’étape 1 a été un succès, répondit une voix que je reconnus comme étant celle du docteur Crawford. Nous attendons les résultats des ponctions.
Leurs voix s’éloignèrent. Je passai discrètement la tête dans le couloir et vis Jensen et Crawford s’éloigner puis disparaître.
- Viens, dis-je à Aris.
Nous sortîmes de la pièce et, pressés d’être à nouveau en zone autorisée, nous nous précipitâmes vers la seconde porte. Nous continuâmes à courir encore quelques secondes puis je fis signe à Aris de ralentir l’allure lorsque j’entendis des bruits de pas venir vers nous. Le couloir, légèrement arrondi, ne me permettait pas de voir de qui il s’agissait. Étrangement, les personnes semblaient courir aussi. Je continuai d’avancer en marchant avec appréhension. Puis j’aperçus avec surprise Camille et Julian courir vers nous. Et derrière eux…
Je stoppai net, persuadée d’être en pleine hallucination. Ce visage… Lorsque je croisai ses yeux noisettes, je sus qu’il n’était pas un produit de mon imagination. Et j’eus l’impression que mon cœur explosait. La respiration coupée, je m’accrochai à son regard tandis que les larmes brouillaient ma vision. J’ouvris la bouche mais je ne parvins a émettre aucun son, à part…
- N…Newt… ? Soufflai-je d’une petite voix.
Ses yeux flamboyèrent et il secoua doucement la tête. C’est alors que mes jambes se remirent en marche. Le cœur battant à m’en faire mal, je me précipitai vers lui, complètement oublieuse de ce qui m’entourait. J’atterris dans ses bras et il me serra contre lui. Son odeur, la pression de ses bras, la douceur de ses mains... Toutes ces sensations qui m’étaient tellement familières me firent tourner la tête. Fébrile, confuse et tremblante, je posai ma main sur sa joue. Sa peau était aussi douce et chaude que dans mes souvenirs. Je trouvai son regard, dans lequel je plongeai avec avidité.
- C’est pas possible, c’est toi… ? Couinai-je d’une voix déformée par l’émotion.
Newt secoua vivement la tête en prenant mon visage dans ses mains. Ses yeux baignaient de larmes.
- Oui, c’est moi…, souffla t-il. Je…j’arrive pas à croire que tu sois là…
Il me serra contre lui encore plus fort et enfouit son visage dans mes cheveux. Je l’entendis sentir leur parfum et je perçus les battements de son cœur accélérer contre ma poitrine. J’avais la sensation d’être dans un rêve. Parce que c’en était un. Il était mon seul rêve. Je m’agrippai à lui avec la peur qu’il s’évanouisse. Mais il resta bien là, dans mes bras.
- J’ai cru que je ne te reverrai jamais, murmurai-je avec des sanglots dans la voix.
- Je sais, répondit-il, les lèvres tremblantes.
Mon regard fut irrésistiblement attiré par sa bouche. Parce que j’en éprouvai l’incroyable besoin et envie, et parce que cela m’était tellement naturel, je posai mes lèvres sur les siennes. Il reçut mon baiser avec urgence. Mon cœur explosa pour de bon et des frissons m’envahirent de la tête aux pieds. Une sensation plus intense que les autres parvint jusqu’à mon cerveau embrumé. Celle d’être enfin chez moi.
Camille, les yeux humides d’émotion, détourna le regard de Sienna et Newt et posa sa main sur le bras de Julian.
- Venez, chuchota t-elle. Laissons les.
Ils tournèrent discrètement les talons et repartirent vers le réfectoire. Camille avait du mal à y croire. Les chances pour qu’ils se retrouvent ici, et maintenant, était peut-être d’une sur dix milliards. C’était incroyable. Elle était si heureuse pour Sienna qu’elle avait le cœur qui battait la chamade. Lorsqu’ils pénétrèrent à nouveau dans la grande pièce, elle aperçut les regards des amis de Newt se poser instantanément sur elle. Elle les rejoignit rapidement, suivie de Julian et Aris.
- C’est elle ? s’enquit Minho, une barre d’inquiétude lui barrant le front.
Il s’inquiétait que Newt ne se heurte à une nouvelle désillusion. Mais le sourire de Camille indiquait tout le contraire. Elle s’assit à ses côtés en acquiesçant vivement.
- C’est fou, non ? Dit-elle avec enthousiasme.
Elle sentit les larmes refaire leur apparition et pesta contre elle-même.
- Tu veux une boite de mouchoirs ? plaisanta le petit Julian en rigolant.
- Te moque pas de moi, protesta t-elle avec un petit sourire. Sienna me parle de lui depuis près de deux ans. Ça me fait drôle de les voir ensemble.
- Ça doit leur faire drôle aussi, continua Julian.
Thomas observa le jeune garçon, pensif. Il avait raison ; ce devait être une drôle de sensation pour son ami. Retrouver celle qu’il n’avait connu qu’à travers des souvenirs. C’était sûrement déroutant et… indescriptible. Ses pensées se tournèrent vers Teresa. Il ne savait toujours pas où elle se trouvait, pourquoi ne les rejoignait-elle pas ici ? Une boule d’angoisse s’était installée dans son estomac et ne le quittait plus.
J’avais entraîné Newt dans la petite buanderie, à l’abri des regards. Le temps s’était arrêté et le monde avait disparu. Je ne sais pas combien de temps nous restâmes enlacés, à s’observer mutuellement. Mes souvenirs ne lui avaient pas rendu justice. Je le trouvais tellement plus beau, plus doux et plus…parfait. Je ne pouvais détacher mes yeux de son visage et de son sourire. Ce sourire qui avait été mon plus grand soutien. Ses mains caressaient doucement mon visage tandis que son nez effleurait le mien.
- Tu es tellement plus belle que dans mes souvenirs, souffla t-il, les yeux brillants.
Je souris, entre le rire et les larmes.
- Tu m’a tellement manqué, Newt…
Les larmes prirent le dessus et il m’attira à lui.
- Toi aussi, murmura t-il avec ferveur. Tu m’as manqué à chaque seconde. Ne pleure pas, on est ensemble maintenant.
Je secouai la tête, la gorge nouée. Je posai la tête sur son épaule, le visage dans son cou. Je sentis sa main dans mes cheveux. Mes sanglots et ma respiration se calmèrent au rythme de ses caresses. Nous restâmes un long moment silencieux, savourant simplement la présence de l’autre. Puis je levai le visage vers lui. J’aperçus avec étonnement une lueur de colère dans ses yeux.
- Qu’est-ce que tu fais là… ? Souffla t-il. Je…je ne peux pas croire… Est-ce que tu étais…là-bas…toi aussi ?
J’acquiesçai en silence et il recula légèrement. Son visage se tordit de colère et de douleur. Instinctivement, je le repris dans mes bras.
- Qu’est ce qu’il y a ? Soufflai-je.
- Je… - il chercha ses mots en secouant la tête – l’idée de te savoir là-bas, pendant tout ce temps...
Il prit à nouveau mon visage dans ses mains tremblantes.
- Je suis désolé que tu ais du vivre ça. Ça me rend dingue de t’imaginer…
- Newt, l’interrompis-je doucement en posant mon front sur le sien pour le forcer à me regarder. C’est fini. Je m’en suis sortie. Et toi aussi.
- J’aurais du être là pour toi, continua t-il.
- Tu étais là. A chaque seconde, Newt. Quand je fermai les yeux, c’est ton sourire que je voyais. C’est grâce à lui que j’ai tenu le coup. Grâce à toi.
Le visage de Newt se détendit un peu et il caressa ma joue du bout des doigts.
- J’ai parfois cru que tu n’étais pas réelle, souffla t-il comme un aveu.
- Je me suis posé la question aussi, le rassurai-je. C’est compliqué de faire la différence entre rêve et souvenirs.
- Pas si compliqué que ça. Quand cette idée me passait par la tête, elle n’y restait pas longtemps. Je n’aurais jamais pu t’imaginer. Tu avais forcément existé.
Newt observa mon visage avec intensité, comme s’il essayait d’en réapprendre chaque détails. Des frissons me secouèrent agréablement. J’approchai mes lèvres des siennes et il m’embrassa. Puis je sentis sa langue caresser doucement la mienne, comme s’il me demandait la permission. Je me pressai davantage contre lui et accentuai la pression de mes lèvres. Un flot d’émotions incontrôlable m’envahit ; mon corps lui répondait sans retenue. Mes mains passèrent de son visage à son torse tandis que les siennes descendaient le long de mon dos. J’entendis la respiration de Newt prendre un rythme saccadé et ses lèvres s’étirèrent en un sourire.
- Il y a longtemps que je n’ai pas ressenti… de telles sensations, me glissa t-il à l’oreille.
C’est alors que des voix se firent entendre dans le couloir et nous nous figeâmes. J’attendis avec appréhension qu’elles s’éloignent. La porte de la buanderie n’était pas verrouillée ; n’importe qui pouvait entrer à tout moment. Les bruits s’évanouirent et je poussai un soupir de soulagement.
- Qu’est-ce que tu as ? S’étonna Newt.
- Je préfère qu’on ne nous voit pas ensemble pour le moment.
Newt fronça les sourcils, mécontent.
- Quoi ? Ça fait trois ans que je t’attends, il est hors de question que je m’éloigne de toi à nouveau.
Je me mordis la lèvre, partagée entre le plaisir que me provoquaient ses paroles et l’inquiétude.
- Newt…
- Tu as peur, devina t-il en passant une main dans mes cheveux. De quoi ?
- Je n’ai pas confiance en ces hommes. Il y a des choses pas claires qui se passent ici.
- Explique moi.
Je me tordis les mains en essayant de mettre de l’ordre dans mes pensées.
- Aris et moi sommes allés fouiner un peu.
- Aris ? Releva t-il.
- Il est le dernier à être arrivé. On a surpris Crawford et quelques types. Ils transportaient des civières. Il y avait des corps à l’intérieur, Newt.
Il cilla.
- Des corps ? Tu en es certaine ?
- Oui.
Newt parut réfléchir un instant, les yeux posés sur moi.
- Et quel est le rapport avec nous ?
J’arrivai à la partie la plus délicate.
- Je crois que Jensen m’a dans le nez.
Comme je m’y étais attendue, la colère refit son apparition dans les yeux de Newt. L’angoisse aussi.
- Il t’a fait du mal ? S’inquiéta t-il.
- Non, il ne m’a rien fait. Il semble s’intéresser davantage à moi qu’aux autres, c’est tout. Je ne sais pas pourquoi.
- J’ai ma petite idée, répliqua Newt en levant un sourcil.
Il me désigna de la tête aux pieds et je levai les yeux au ciel.
- Il s’intéresse aussi à Thomas, ajouta t-il.
- Qui est Thomas ?
- On était ensemble dans le labyrinthe. Il est arrivé il y a peu de temps. Et il est pas comme les autres.
- C’est-à-dire ?
Newt secoua la tête avec un sourire.
- Plus tard. Je n’ai envie de parler que de toi.
- Il va falloir que ça attende, murmurai-je à contrecœur. Ils ne vont pas tarder à servir le déjeuner. Ils se rendront compte de notre absence.
Il soupira de frustration.
- Quand est-ce qu’on pourra se retrouver à nouveau ?
- Ce soir. Ici.
Il acquiesça et s’empara de mon visage. Il m’embrassa longuement et intensément. Mes jambes flageolèrent et je m’accrochai à lui.
- Pars en premier, dis-je. Je te suivrais deux minutes après.
Il parut vouloir à nouveau protester mais renonça. Il m’embrassa une dernière fois. Je m’enfonçai les ongles dans la cuisse pour m’empêcher de le retenir. Puis il passa la porte et disparut. Mon cœur se serra de le voir s’éloigner. A peine l’avais-je retrouvé que la peur de le perdre m’étreignait déjà l’estomac.