Sienna

Chapitre 18

2431 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 04/01/2020 17:14

Je n’avais pratiquement pas fermé l’œil. Je savais que ce n’était pas une bonne chose. J’étais extenuée et j’avais peur que mes réflexes ne s’en ressentent. Je ne pouvais pas encore baisser ma garde. Je percevais les mouvements des filles qui commençaient à s’éveiller. Je me redressai doucement. La tête me tourna et mes muscles endoloris protestèrent. Le jour était levé ; la pièce était déjà baignée de lumière. La lumière d’un monde en feu… Tout en l’appréhendant, je brulai d’envie de sortir constater les dégâts par moi-même.

Je me levai difficilement et traversai le dortoir jusqu’au lavabo, surmonté d’un miroir piqué de rouille. J’ouvris l’eau froide et me rinçai le visage. Je me sentis déjà plus réveillée. Levant la tête, je croisai mon reflet dans le miroir. Je n’arrivais pas à…l’apprivoiser. Je ne ressemblais pas aux autres filles. Bien sur, j’avais deux yeux, un nez et une bouche – encore heureux. Mais j’avais aussi un visage…parfait. Une drôle de sensation me parcourut l’estomac, comme si j’avais honte de moi-même. J’avais déjà pu m’observer dans l’eau de la rivière, au bloc, mais elle ne renvoyait pas autant de détails et de netteté. Ma peau était d’un joli brun clair et doré, bien que quelques écorchures soient encore visibles sur ma joue. Mes yeux étaient aussi verts qu’une émeraude et brillaient d’une intense lueur. Que je ne comprenais pas moi-même. Contrairement au reste de mon corps et à mon esprit fatigué, mes yeux avaient encore la force d’afficher de la volonté et de la détermination.

Je me détournai du miroir tandis que Camille descendait de son lit. J’aperçus également Rebecca et Fiona se lever. Mon amie vint me rejoindre et me lança un regard désapprobateur. 

- Je t’ai entendu bouger toute la nuit. Tu n’as pas dormi, hein ? 

Je secouai la tête en silence et m’écartai du lavabo pour laisser la place à Fiona, l’air encore endormi. Je me dirigeai vers la porte ; elle était toujours verrouillée. Je retins un soupir de frustration. Alors que je m’apprêtai à m’éloigner, je perçus des pas qui résonnaient dans le couloir. On inséra une clef dans la serrure. Je reculai de quelques pas. La porte s’ouvrit et l’homme qui m’avait amené dans la salle d’interrogatoire la veille apparut. 

- Petit déjeuner, dit-il de sa voix grave en parcourant la pièce du regard. 

Il me jeta un regard et sortit, laissant la porte ouverte. Les regards des filles étaient posés sur moi, attendant probablement que je passe devant. Je sortis la première et elles me suivirent. Nous marchâmes le long du couloir et j’aperçus l’homme qui ouvraient d’autres portes, probablement les dortoirs de nos camarades. Plusieurs groupes nous rejoignirent – je cherchai Stan, Bastien et les autres et les repérai une vingtaine de mètres devant nous. Nous débarquâmes tous dans le réfectoire et nous nous installâmes autour des tables, sur lesquelles étaient déjà posés des plateaux. J’y vis des viennoiseries, du lait et du pain. J’observai les autres déguster leur petit déjeuner avec plaisir. Levant les yeux vers les portes vitrées, je vis que des hommes étaient postés aux deux sorties. Je devais être discrète. Je cherchai Stan et Bastien des yeux ; ils étaient assis deux tables plus loin, entourés des autres garçons du bloc. Mon petit déjeuner à moitié avalé, je me levai pour les rejoindre. Je m’installai aux côtés de Stan. 

- Bien dormi ? S’enquit-il.

- Pas vraiment. Et vous ? 

- Comme un bébé, répondit Bastien, avec une pointe d’ironie. 

Gary se leva pour venir s’asseoir à côté de moi.

- Qu’est ce que tu penses de tout ça ? Demanda t-il tout bas. 

J’étais soulagé de voir que je n’étais pas la seule à me poser des questions. 

- Que c’est pas clair, répondis-je. 

- Je suis partagé. Je ne pense pas que nous soyons en danger ici. Mais cette histoire d’endroit sécurisé où on ne peux pas aller à plus de quatre ou cinq, c’est tordu, murmura Gary.

- Sans leur faire confiance aveuglément, intervint Bastien, ils nous filent de la bouffe, un lit et une douche. Moi, ça me convient.

- C’est un peu simpliste, non ? Relevai-je. 

- Peut-être bien, chef, mais j’ai besoin d’un peu de repos.

- Ne m’appelle pas comme ça, me hérissai-je. 

Bastien me fit un clin d’œil. 

- Faites comme bon vous semble, repris-je. Mais je n’ai pas l’intention de rester ici plus que nécessaire. 

Je me relevai et Gary me retint.

- Essaie de ne pas trop te faire remarquer, souffla t-il.

- Tu me connais, répondis-je avec un petit sourire. 

Avant de quitter la table, je croisai le regard du petit Julian. Je m’assurai silencieusement qu’il allait bien. Il me fit un large sourire. Je lui répondis par un clin d’œil. Alors que je me dirigeai vers la table des filles, je vis du coin de l’œil Aris me faire signe de le rejoindre. Vérifiant discrètement que personne ne faisait attention à nous, je parvins à sa hauteur. Nous nous éloignâmes de quelques pas dans le couloir qui menait aux dortoirs. 

- Qu’est-ce qu’il y a ? Demandai-je, intrigué par son expression fébrile. 

- Viens avec moi, il faut que je te montre quelque chose. 

Il m’entraîna plus loin dans le couloir. Puis il s’abaissa et dévissa une grille d’aération d’un conduit. Je vérifiai nerveusement que le couloir était toujours désert. Je l’observai se glisser à l’intérieur et m’inciter à le suivre. Je me dépêchai de m’introduire dans le conduit et de remettre la grille en place. A quatre pattes, je suivis Aris. Je me félicitai de ne pas souffrir de claustrophobie. Nous arrivâmes à une intersection et le jeune garçon prit à gauche. 

- Par ici, souffla t-il. Dépêche toi.

- On va où ? 

- Viens !

Secouant la tête, je continuai à avancer, me demandant ce que je foutais là. Après quelques minutes, Aris s’arrêta enfin devant une autre grille d’aération. Il mit un doigt sur sa bouche.

- Approche, murmura t-il.

Soupirant, je regardai à travers la grille. J’avais une vue plongeante sur un couloir aseptisé. Sur la gauche, j’apercevais l’une de ces portes métallique et coulissante haute technologie. J’attendis en silence, ne comprenant pas ce qu’Aris voulait me montrer. C’est alors que des bruits de pas me parvinrent et la jeune femme noire que j’avais vu lors des tests médicaux – le Docteur Crawford – apparut dans mon champ de vision. Elle regarda derrière elle, tout en sortant un badge de sa poche. Intriguée, je me penchai davantage. J’entendis un bruit de roulement et deux hommes en blouse apparurent à leur tour, poussant chacun une étrange civière. Entièrement fermée, presque opaque, des tuyaux et des boutons partout. Et à l’intérieur, ce qui ressemblait à… un corps. Le petit groupe passa en dessous de nous et je me déplaçai silencieusement pour suivre leur progression. Crawford s’arrêta devant la porte grise et passa son badge devant le lecteur. La porte s’ouvrit avec un bruit métallique et Crawford s’effaça pour laisser passer les deux civières. J’échangeai un regard perplexe avec Aris avant de reporter mon attention sur le couloir, le temps de voir Crawford passer à son tour la porte. Cette dernière se referma immédiatement. Des milliers de questions me traversèrent l’esprit. 

- Qu’est-ce qu’ils trafiquent ? Soufflai-je. 

- Je ne sais pas trop. Je suis venu ici hier, par hasard…

- Tu te balades dans les canalisations…par hasard ? Relevai-je.

- Heu… je fouinais un peu, avoua t-il. En tout cas, hier à la même heure, ils en ont amené trois. 

- Et qu’est-ce qu’ils font d’eux, d’après toi ? 

- J’en sais trop rien. Je n’ai pas pu aller plus loin. Les conduits d’aération s’arrêtent ici. 

Aris planta son regard dans le mien. 

- J’ai l’impression qu’ils ne ressortent jamais de là. Je crois que personne n’est jamais vraiment sorti d’ici. 

J’étais d’accord avec lui, même si tout ça ne prouvait rien. 

- Allez, viens, il faut qu’on y aille, me pressa Aris.

- Attends, le retins-je, les yeux toujours fixés sur la porte, pourquoi c’est à moi que tu montres ça ? 

- Parce que je me dis que les autres t’écouteront. Il y a des trucs pas net qui se passent ici. Et je sais que tu penses comme moi. 

Après un dernier regard, il répartit en empruntant la conduite de droite. 

Cinq minutes plus tard, nous ressortîmes par la grille d’aération. Je l’avais à peine remise en place que la voix trainarde de Jensen me parvint. Il tourna le coin du couloir, accompagné de trois hommes. Lorsqu’il nous aperçut – je tentai de prendre une expression neutre – il s’arrêta net. Ses petits yeux calculateurs se posèrent sur moi puis sur Aris. 

- Puis-je savoir ce que vous faites là? Demanda t-il aimablement. 

- C’est une zone autorisée, non ? Répondis-je. 

- Tout à fait, répondit Jensen sans se départir de son sourire. Je m’étonnai simplement que vous ne soyez pas auprès de vos amis. En train de fêter votre…libération. 

- Notre « libération » ? Relevai-je. On a juste été transférés d'une prison à une autre.

Le sourire de Jensen vacilla mais il ne me lâcha pas du regard.

- Aris, aurais-tu la gentillesse de nous laisser, s’il te plait ? Demanda t-il avec force de politesse. 

Aris tourna la tête vers moi, inquiet. Je lui fis un léger signe de tête tandis que deux hommes l’invitaient à partir. Le jeune homme tourna les talons et se laissa escorter vers le réfectoire, me laissant seule avec Jensen et l’homme à la voix grave. Jensen s’approcha de moi et je me tendis. Bien qu’il souriait toujours, ses yeux étaient froids. Je ne comptais pas me démonter. Cet homme ne me faisait pas peur et je n’avais toujours rien à perdre. Je me mordis l’intérieur de la joue en repensant aux paroles de Gary : « Essaie de ne pas trop te faire remarquer ». J’avais l’impression que c’était raté. 

- Ma chère Sienna, dit Jensen d’un ton théâtral, tu sembles ne pas te sentir à ton aise ici. J’en suis désolé. Pourrais-je faire quelque chose pour toi afin d’améliorer ta condition ?

- Me laisser sortir d’ici. M’expliquer où vont ceux que vous emmener. Ou pourquoi nos dortoirs sont verrouillés à clefs, énumérai-je. 

Le regard de Jensen flamboya. Il secoua la tête, l’expression un peu attristée.

- Je suis déçu, Sienna. Je pensais que tu te montrerais plus reconnaissante. 

- Reconnaissante ? Ah oui, merci pour la douche, répliquai-je avec ironie.

Le sourire de Jensen fondit et son regard se fit plus dur. Il s’approcha de moi après avoir jeté un œil aux alentours. Je reculai d’un pas et mon pied heurta le mur ; je ne l’avais pas imaginé aussi proche. Jensen amena son visage à une vingtaine de centimètres du mien et je sentis mon cœur s’accélérer d’angoisse. Je pouvais sentir les effluves de son parfum et un haut le cœur secoua mon estomac. 

- Reconnaissante de t’avoir sauvé la vie, murmura t-il. C’est la moindre des choses, tu ne crois pas ? 

Estimant qu’il s’agissait d’une question rhétorique, je gardai le silence, retenant ma respiration. Brusquement, Jensen agrippa mon visage d’une main, ses doigts pressant fortement sur ma joue. Instinctivement, je posai ma main sur la sienne pour diminuer la pression. Il s’approcha encore davantage de mon visage. 

- Tu ne crois pas ? Répéta t-il avec hargne. 

Je lui adressai un regard noir tandis que ses yeux se posaient indécemment sur mon corps. 

- Je me suis sauvée toute seule, rétorquai-je. 

Jensen lâcha un petit rire et desserra sa prise. Il recula de quelques pas en se passant une main fébrile dans les cheveux, comme s’il regrettait de s’être emporté. Je ne bougeai pas, guettant chacun de ses mouvements. 

- Tu as raison, reprit-il en retrouvant son ton affable. S’échapper du labyrinthe est déjà un exploit. Tu as toute mon admiration. 

Je n’en avais que faire. 

- Tes camarades doivent être aussi admiratifs que moi, n’est-ce pas ? Ils t’écoutent, non ? Il serait dommage - une lueur cruelle passa dans son regard – qu’ils soient privés de tout ce que nous pouvons vous apporter à cause d’une méfiance mal placée. N’est ce pas ? 

La menace était à peine voilée. Je soutins son regard jusqu’à ce qu’il le détourne. 

- Fais moi plaisir, retourne au réfectoire maintenant, ajouta t-il. 

Je restai plantée là, tandis que Jensen et son homme de main tournaient les talons. Lorsqu’ils eurent disparus de mon chant de vision, je portai la main à mon visage, tâtant mes joues endolories. Mon cœur battait la chamade, secouée par la réaction violente de Jensen. Cet homme était dangereux. Dangereux et fou à lier. 


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