Sienna
L’homme qui m’avait amené dans la salle d’interrogatoire me demanda une nouvelle fois de le suivre. Alors que nous avancions, une clameur me parvint. Comme si une cinquantaine de personnes parlaient en même temps. Lorsque je tournai le coin du couloir, je n’en crus pas mes yeux. J’étais dans un grand réfectoire, dans lequel s’alignaient des dizaines de longues tables de cantine et une centaine de chaises. Et sur ces chaises, des dizaines d’ados. Que je ne connaissais pas. Il y avait une majorité de filles, toutes dans les mêmes âges que nous. Ils étaient attablés devant leurs assiettes. J’avais peur de comprendre ce que cela signifiait.
- Hé Sienna ! M’interpela Julian en venant vers moi.
- C’est qui tous ces gens ? Soufflai-je.
- C’est dingue ! Il n’y avait pas qu’un seul bloc, qu’un seul labyrinthe. Viens !
Il m’entraîna vers la table où s’était installée une partie de mon groupe. J’y retrouvai Camille, Stan, Bastien et Aris. Ils discutaient avec un groupe de filles qui m’étaient inconnues. Camille leva les yeux vers moi et me fit une place à ses côtés. Je pris la conversation en route :
- …et puis, il y a eu une explosion, racontait une petite rousse un peu potelée. Des types ont surgit de nulle part et ont tiré sur tout ce qui bougeait.
- C’était horrible, ajouta une brune à lunettes. En fait, ils nous ont viré du labyrinthe pour nous emmener ici.
- Et les autres ? Ceux qui sont restés dans le labyrinthe, ils leur est arrivé quoi ? Demanda Bastien.
- Je ne sais pas, répondit la brune en haussant les épaules. J’imagine que WICKED les détient toujours.
J’avais du mal à intégrer l’information. Il existait plusieurs blocs… Combien nous étions nous retrouvés enfermés à la merci de WICKED ?
- Vous êtes ici depuis combien de temps ? Demandai-je.
- Quelques jours. Une semaine, peut-être.
- Et…, ajoutai-je en regardant autour de moi, vous n’êtes que des filles ?
- Oui. A part Aaron, là bas.
Elle désigna du menton un jeune garçon d’une quinzaine d’année qui mangeait seul à une table.
- Il est le dernier à être arrivé.
- Chez nous, c’est Aris, dit Stan en désignant le concerné. Le petit veinard n’a vécu que deux jours au Bloc.
La brune s’apprêtai à répondre mais la voix de Jensen s’éleva.
- Bonsoir à tous.
Je tournai la tête pour voir Jensen débarquer dans le réfectoire, un bloc note à la main, suivi de quelques hommes. Il se plaça au centre de la pièce. J’observai toutes les têtes se tourner vers lui.
- Vous connaissez le procédé, déclara t-il. Si vous entendez votre nom, vous vous levez et vous allez rejoindre de manière ordonnée les hommes qui se trouvent derrière moi. Ils vous conduiront à la porte Est et de là commencera votre nouvelle existence.
Jensen sourit avec bienveillance tandis que des applaudissements s’élevaient des tables voisines. L’autre groupe semblait impatient. Et j’aperçus quelque uns de mes camarades le sourire aux lèvres. Ils semblaient tous attendre leur tour. J’avais l’impression que quelque chose m’échappait. Leur tour pour quoi ? Jensen ouvrit lentement son bloc note, comme s’il faisait durer le suspense.
- Carole, appela t-il.
Toutes les têtes se tournèrent vers une grande fille filiforme. Elle se leva et alla calmement se placer à droite d’un des hommes.
- Evelyne, continua Jensen. Justine. Allison. Et Sarah.
Toutes celles qui avaient été appelées avaient rejoint les hommes de Jensen, qui referma son bloc note. Un murmure de déception s’éleva.
- Non, non, intervint Jensen, ne vous découragez pas. Si je pouvais en prendre plus, je le ferais. Demain est un autre jour. Je sais que votre tour viendra. Bon appétit à tous.
Il recula sous de nouveaux applaudissements et j’observai le petit groupe s’éloigner.
- Où vont elles ? Demandai-je.
- Elles se barrent d’ici, répondit la petite rousse. Elles ont du bol.
- C’est un endroit à l’abri du danger, expliqua la brune. Mais ils peuvent en prendre que quelques uns à la fois.
Il me semblait étrange que les filles ne sachent rien de plus de cet endroit. Et surtout, qu’elle ne semble pas y attacher trop d’importance. Alors que Camille les interrogeait sur ce qu’elles faisaient de leur journée, mon regard tomba sur les baies vitrées qui entouraient le réfectoire. J’y vis passer les filles qui avaient été sélectionnées par Jensen, accompagnées par le Docteur Crawford. Si elles partaient vraiment pour un eldorado, pourquoi avaient-elles besoin d’un médecin ?
Je me levai, agacée de ne pas avoir davantage de réponses qu’à ma sortie du labyrinthe. Je longeai les baies vitrées et me dirigeai vers les portes battantes qui y menaient. Deux hommes en treillis m’arrêtèrent.
- Où est-ce qu’elles vont ? Demandai-je.
- Elles doivent faire des tests supplémentaires, répondit mécaniquement l’un d’eux. Ils en auront bientôt fini avec elles. Elles vont bien.
Je le dévisageai un moment, tentant de déceler des signes de mensonges. Puis je reculai, ne souhaitant pas aller au conflit. Je rejoignis ma table, sous les regards perplexes de mes camarades.
Une heure plus tard, nous fûmes conduits à nos dortoirs définitifs – pas trop définitifs, espérai-je. Les filles et les garçons furent séparés. Je fus heureuse de retrouver un peu d’intimité. Camille, les autres filles et moi entrâmes dans la chambre. C’était un vrai dortoir de colonie. Des lits superposés – de vrais lits avec de vrais matelas- étaient disposés sur les côtés de la pièce et au milieu. Avec bonheur, Gaby sauta sur son matelas avant de s’y allonger de tout son long.
- C’est pas mal, ici, sourit-elle.
A ce moment, la porte du dortoir se referma et le bruit du verrou qu’on enclenche se fit entendre.
- Ouais, sauf qu’on est toujours pas libres, constatai-je avec amertume.
Les filles choisirent chacune un lit avec enthousiasme. Je pris le plus proche de moi ; Camille s’était installé sur la couchette du haut. Quelques minutes plus tard, les lumières s’éteignirent d’elles-mêmes. Apres réflexion, je me dis que je n’avais vu aucun interrupteur. En plus de nous enfermer, ils avaient mis en place un couvre feu. Où est-ce qu’ils se croyaient ? Dans un camp disciplinaire pour ados ?
Les nerfs à vif, je m’allongeai sans espoir de dormir. Le clair de lune éclairait légèrement la pièce. Les filles avaient dû s’endormir parce que je n’entendais plus un bruit. Jusqu’à ce que Camille descende silencieusement de sa couchette en empruntant la petite échelle. Elle vint s’asseoir sur mon lit et je me redressai.
- Je n’arrive pas à dormir, murmura t-elle. Ça fait pourtant des mois que je rêve d’un matelas.
Je m’adossai contre le mur, les jambes sur le lit.
- Ce n’est pas le matelas, le problème, répondit-je.
Camille me dévisagea avec sérieux.
- Qu’est ce qui ne va pas, exactement ? Je sens bien que tu es sur la défensive depuis qu’on est arrivés ici.
- Je n’ai pas confiance en ces hommes. Il y a quelque chose qui ne colle pas.
- Comme quoi ?
- Ouvre les yeux, Cam, soufflai-je. Penses-tu vraiment que des hommes avec de bonnes intentions auraient éliminé des dizaines de personnes comme ils l’ont fait ? C’étaient des scientifiques, pas des soldats. Ils n’étaient même pas armés.
- Mais…c’étaient des gens du WICKED.
- Et alors ? Ça ne justifie pas un tel massacre. Et ce Jensen… Il ne nous dit pas tout. Pourquoi ne pas répondre à nos questions s’il n’a rien à cacher ?
Camille resta silencieuse quelques secondes, songeuse.
- Tu as peut-être raison…, chuchota t-elle finalement. Mais, jusqu’à maintenant, ils ne nous ont pas fait de mal, au contraire. Ils nous offrent un confort qu’on a pas connu depuis des années.
- Je préfère la liberté au confort.
Camille secoua doucement la tête.
- Je comprends ta frustration, reprit-elle. Je sais que ce n’est pas ce que tu imaginais.
- Et qu’est ce que j’imaginais ?
Elle me lança un regard appuyé.
- Retrouver Newt. Vivre tranquillement avec lui. Oublier le bloc dans ses bras.
Mon cœur se serra et je déglutis difficilement.
- C’est toujours possible, affirmai-je.
- Dans un monde dévasté ?
- Je trouverais une solution. En tout cas, j’essayerais.
Camille devina que le sujet était sensible et n’insista pas.
- Alors on fait quoi ?
- On essaye d’en savoir plus. Dès demain.
Newt rejoignit Minho et ils se dirigèrent vers la « prison », ce renfoncement sous la roche sur lequel ils avaient ajouté une porte en bambous. La prison était la punition ultime quand un zonard ne respectait pas les règles.
L’ambiance sur le camp n’avait jamais été aussi tendue. Deux clans s’étaient formés ; ceux pour qui Thomas représentait un espoir et qui voulaient encore tout tenter pour sortir d’ici. Et ceux que Gally était parvenus à convaincre et qui étaient maintenant persuadés que Thomas et Teresa étaient la cause de tous leurs ennuis. Newt savait qu’il était trop tard pour essayer de calmer les esprits et de rassembler les troupes. Mais il était déçu et frustré que ce soit la possibilité – même infime- de sortir d’ici qui ai mit le feu aux poudres. C’était pourtant maintenant plus que jamais qu’ils auraient dû se serrer les coudes… Au lieu de quoi, Gally avait pratiquement pris les commandes du camp, avait envoyé Thomas et Teresa au gnouf et risquait de tous les mener à leur perte.
Newt et Minho parvinrent devant la prison et s’y agenouillèrent.
- Alors, les tolards, ça roule ? S’enquit Minho.
Thomas lui répondit avec un regard noir.
- Comment ça se passe sur le camp ? Demanda t-il.
- Gally a réussi à retourner la majorité des zonards, lui apprit Newt.
Thomas encaissa la nouvelle en silence.
- Alors, c’est quoi le plan ? Intervint Teresa.
- On se barre d’ici. Demain, répondit Newt. Et on prend autant de monde qu’on peut.
- Tu crois vraiment que Gally nous laissera faire ?
- Probablement pas, dit Thomas. Mais ce n’est pas ce qui nous arrêtera.
Newt croisa son regard. Il y décela une légère hésitation.
- Il est temps, dit Newt. Vous savez aussi bien que moi qu’ils ne nous enverront plus de provisions. Nous ne tiendrons pas plus que quelques jours sans les colis. Et j’ai l’impression que ce n’est pas la dernière tuile qui nous tombera dessus.
- Et il est hors de question que je me farcisse Gally plus longtemps, ajouta Minho.
- Ok, alors on est tous d’accord, conclut Newt. Maintenant, faut qu’on règle quelques détails.