Sienna
Alors que j’avançai vers la porte de garage, cette dernière s’ouvrit brusquement et je fus aveuglée par la soudaine lumière vive. Une dizaine d’hommes habillés de noir, armés et cagoulés se précipitèrent vers nous. Ils nous entrainèrent vers la sortie avec précipitation. Je tentai de me débattre mais je fus emportée par le flot. Nous débouchâmes à l’air libre et, malgré le cahot qui m’entourait, je savourai l’idée d’être enfin sortie de l’enceinte du labyrinthe. Le sol sous mes pieds devint meuble et je m’aperçus que nous n’étions entourés que de sable, à des kilomètres à la ronde. Un des hommes en noir me prit le bras et m’entraîna brusquement vers un hélicoptère posé une cinquantaine de mètres plus loin. J’avais l’impression d’être emportée dans un tourbillon et de ne plus rien contrôler. Je me libérai de l’étreinte de l’homme et me retournai pour m’assurer que mes amis étaient tous là. Je grimpai dans l’énorme hélico, suivie de près par deux hommes, puis par le reste des blocards. Ils nous firent signe de nous asseoir sur des sièges rudimentaires. La porte se referma et les pales de l’hélico se mirent à tourner bruyamment. Puis un des hommes, celui qui s’était assis en face de moi, enleva sa cagoule. Il avait une cinquantaine d’année avec la tête typique du vieux légionnaire.
- Pas de blessés ? S’enquit-il en criant pour couvrir le bruit des pales. N’ayez pas peur. Vous êtes hors de danger.
Je ne sus pas quoi répondre ni quoi demander. Les questions se bousculaient par milliers dans ma tête. Et le bruit ambiant ne se prêtait pas à la conversation. Je sentis l’hélicoptère décoller. Collant mon nez contre la vitre, je regardai en bas. Le spectacle qui s’offrait à moi était incroyable. Je n’aurais jamais pensé voir un jour le labyrinthe du ciel. Il était encore plus immense et impressionnant vu d’en haut. Ce n’était finalement qu’une vaste étendue circulaire de parois en bétons avec en son centre une clairière. Et tout autour, il n’y avait que du sable. Un désert à perte de vue. Savoir où j’avais été enfermée pendant ces trois dernières années me donna la nausée. Nous étions finalement si proche de la liberté, et si loin en même temps.
- T’en fais pas, ma belle, dit l’homme en face de moi. Les choses vont bientôt changer.
Je ne voyais pas ce qu’il voulait dire par là. Mais j’avais le pressentiment que nous n’étions pas au bout de nos surprises.
A des centaines de kilomètres de là, dans une salle de réunion perchée au sommet d'un building, Ava Paige s’installa autour de la table, autour de laquelle une dizaine de personnes l’y attendaient. Elle s’assura qu’elle avait toute leur attention et déclara :
- Bien. Pour le moment, l’épreuve du labyrinthe est un franc succès. Je n’attendais pas autant de survivants dans le bloc 1. Plus on est de fous, plus on rit. Thomas continue à me surprendre, il m’impressionne un peu plus chaque jour. Quant à Sienna… elle reste fidèle à elle-même, continua t-elle avec un léger soupir. Le bloc 2 ne tardera pas à sortir à son tour. En tout cas, ils ont visiblement mordu à l’hameçon. Il est encore trop tôt pour le dire mais ils sont peut-être le clé de tous nos maux. Continuons d’avancer. L’heure est venue d’entamer la phase deux.
La nuit était tombée. Le vacarme que produisaient les pales de l’hélicoptère était assourdissant. Je me sentais extenuée. Jetant un coup d’œil aux autres, je m’aperçus que certains étaient parvenus à s’assoupir. J’en étais incapable ; nous n’avions toujours aucune idée de notre destination. Et ces hommes ne m’inspiraient pas confiance.
Un long moment s’écoula avant que l’hélico n’entame sa descente. Il se posa doucement sur le sol et l’intérieur du véhicule s’agita. L’homme qui m’avait parlé au début du voyage – qui paraissait être le responsable – nous secoua brutalement.
- Allez, on se bouge ! Hurla t-il. Grouillez vous !
Les hommes cagoulés nous firent descendre de l’hélicoptère sous les cris et les hurlements. Je sortis de l’hélicoptère la dernière, m’assurant que personne ne manquait à l’appel. Je vis mes camarades traverser l’esplanade de béton sur laquelle nous nous étions posés, entraînés par notre escorte. Alors que je m’apprêtai à les suivre, il se passa quelque chose que je ne compris pas. Un des hommes hurla et ses collègues levèrent immédiatement leurs armes. Leur chef, qui se trouvait à mes côtés, se retourna brusquement.
- Des fondus ! Hurla t-il avec urgence.
Je me demandai furtivement ce qu’étaient des « fondus ». Encore des créatures mi animaux mi machine ? En tendant l’oreille, je crus percevoir des grognements bestiaux. Je sentis qu’on m’attrapait brusquement le bras tandis que des tirs commençaient à pleuvoir. Je me laissai entraîner, complètement paumée. Je regardai enfin devant moi et me sentis ralentir sans le vouloir. Un énorme bâtiment, haut de plusieurs dizaines de mètres, s’élevait devant moi. Moderne, de couleur foncé et illuminé de dizaines de gigantesques projecteurs, il était surplombé de grandes tours de garde. Nous courûmes jusqu’à l’entrée, sous les tirs incessants. Nous croisâmes des dizaines d’autres hommes armés qui sortaient du bâtiment pour aller prêter main forte à leurs collègues. Mais contre quoi – ou qui- se battaient-ils ?
- Dis lui de décoller ! Hurla l’homme qui m’accompagnait.
J’entendis les pales de l’hélicoptère accélérer. J’atteignis l’entrée où l’homme me projeta sans ménagement. Je franchis les énormes portes en métal qui se refermèrent immédiatement derrière moi. Les bruits extérieurs s’évanouirent. Je fis quelques pas, la démarche incertaine. J’aperçus Camille, Julian, Bastien. Tous avaient les yeux écarquillés de surprise et d’incompréhension et regardaient devant eux, interdits. Je passai devant mes camarades, observant autour de moi. Nous nous trouvions dans un gigantesque hangar. Des hommes s’activaient ici et là, certains au volant de chariots élévateurs, d’autres aux commandes d’étranges machines. Cela me fit penser à une base militaire. Et ça n’avait rien de rassurant.
On nous avait amené dans une espèce de grand dortoir en chantier. Des lits de camp étaient disposés un peu partout dans la pièce, un lavabo se trouvait sur la droite et des armoires métalliques étaient installées dans le fond. L’endroit sentait la sueur et le renfermé. Le chef des hommes en noir nous avait seulement dit de patienter ici avant de refermer la porte. Et de la verrouiller. Je ressentis un étrange malaise de me savoir à nouveau enfermée. Je m’étais battu afin de sortir du labyrinthe pour être libre.
- Qui sont ces types ? Demanda Bastien en se laissant choir sur un lit de camp.
- Je ne sais pas, répondis-je avec l’impression que mon cerveau tournait dans le vide.
- Ils nous ont sauvés, souffla Fiona d’une petite voix.
- On s’est sauvés tout seul, rectifiai-je. Je voudrais bien savoir où ils nous ont emmené.
- Tu crois qu’ils sont dangereux ? S’enquit Camille, blanche comme un linge.
- Bien sur que non, ils sont de notre côté, intervint Gaby.
- Pour le moment, on n’est sur de rien, dis-je.
De petites protestations s’élevèrent.
- Tu as entendu ce qu’a dit cette femme à la sortie du labyrinthe, continua Gaby. Le monde n’existe plus. Comment aurions nous survécu dehors si ces hommes n’étaient pas venus nous récupérer ?
Sa remarque m’agaça. Il était dangereux d’accorder trop vite sa confiance, surtout dans notre situation.
- Ça, nous n’en avons aucune preuve, répliquai-je. Je le croirais quand je le verrais.
- Mais…, s’éleva la voix de Fiona, les ennemis de nos ennemis sont nos amis, non ?
Je posai mon regard sur elle.
- Tout ce que je retiens de « nos amis » pour le moment, c’est qu’ils ont tiré sans sommation sur des êtres vivants, lâchai-je.
Un silence tendu s’installa.
- Alors, tant qu’on en sait pas davantage, on reste prudent, d’accord ? Ajoutai-je plus doucement.
Le bruit métallique du verrou de la porte retentit et cette dernière s’ouvrit. Je m’y dirigeai précipitamment, suivie par les autres. Un homme apparut, habillé en civil. Il n’était pas très grand, le visage dur et arrogant. Sa veste en cuir paraissait trop grande pour lui. Il se posta dans l’embrasure de la porte, à deux mètres de moi. Un petit sourire flotta sur ses lèvres fines et pales.
- Ça va, vous êtes bien installés ? S’enquit-il d’une voix calme et posée.
Son regard bleu se posa sur moi et me dévisagea longuement. Son expression presque amusée me mit mal à l’aise. Puis ses yeux descendirent le long de mon corps et je ressentis un désagréable frisson.
- Désolé pour toute cette agitation, continua t-il en s’adressant à tous les autres. Nous avons essuyé une petite attaque.
Je m’avançai légèrement, m’élevant entre lui et mes amis par instinct.
- Vous êtes qui ? Demandai-je.
- Celui grâce à qui vous êtes encore en vie, répondit-il sans se départir de son sourire. Et j’ai bien l’intention de continuer à vous préserver.
Il s’inclina légèrement comme pour appuyer ses paroles. Son attitude bienveillante sonnait faux. Il recula de quelques pas et nous invita à le suivre.
- Si vous voulez bien venir avec moi… on va vous reboostez un peu.
J’échangeai un regard avec Gary et Bastien. Puis je le suivis dans le couloir, entraînant les autres à ma suite. Nous débouchâmes rapidement dans une grande pièce en chantier, dans laquelle des ouvriers s’activaient.
- Vous pouvez m’appeler Jensen, déclara l’homme. Je suis le responsable de cet établissement. Pour nous, c’est une sorte de sanctuaire, qui nous protège des horreurs du monde extérieur.
Jensen marchait vite. Épuisée, je tentai d’occulter la douleur que me provoquaient mes muscles endoloris.
- Considérez ça comme un lieu de transit, enchaina t-il. Comme…une sorte de deuxième chez soi.
Cette suggestion ne me plaisait pas. Cet endroit était loin de l’idée que je me faisais de mon « chez moi ».
- Attention à vous, me prévint-il en tendant le bras.
Des étincelles tombèrent près de moi. Je les évitai de justesse.
- Et ensuite, vous nous ramenez chez nous ? Demandai-je.
Jensen ralentit à peine sa course pour se tourner vers moi. Il m’adressa un sourire un peu moqueur.
- Oubliez l’idée d’avoir un toit. Il ne reste malheureusement plus grand-chose de l’endroit où vous habitiez. Mais nous avons quand même un lieu pour vous. Il s’agit d’un refuge, au-delà de la Terre Brûlée.
La Terre Brûlée. Ces mots me glaçaient le sang. Se pouvait-il que ce fut vrai ? Que tout ce que nous avions connu ait disparu ?
- Un lieu où WICKED ne pourra jamais vous trouver, ajouta t-il en nous lançant un regard appuyé. Elle est pas belle, la vie ?
Il me fut étrange de l’entendre parler de WICKED. Ce mot me faisait l’impression de n’avoir existé qu’au Bloc. C’était donc le nom que portait l’organisation qui nous y avait enfermé. Une phrase me revint alors à l’esprit : « WICKED est bon ». Mais bon pour qui ?
- Pourquoi vous nous protégez ? L’interrogeai-je. C’est quoi votre intérêt ?
- Disons que dehors, le monde est dans une situation très instable. La vie des humains ne tient qu’a un fil. Le fait que vous puissiez résister au virus Braise fait de vous le meilleur espoir pour la survie de l’humanité. Malheureusement, cela fait aussi de vous une cible de choix.
Jensen se tourna légèrement vers nous et me fit un clin d’œil.
- Comme vous l’avez sûrement constaté, ajouta t-il.
Nous avions atteint une porte en métal coulissante.
- Derrière cette porte, va s’ouvrir votre nouvelle vie, déclara t-il, théâtral.
Il glissa une carte dans un lecteur et la porte coulissa vers le haut, dévoilant un long couloir blanc et aseptisé. Jensen se tourna complètement vers nous et frappa dans ses mains.
- Mais avant toutes choses, je pense que vous souhaiteriez faire un brin de toilettes.
Jensen nous amena à une porte, un peu plus loin dans le couloir et nous invita à entrer. Je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire lorsque je vis une dizaine de douches individuelles, entièrement carrelées, s’aligner devant moi. J’entendis les autres pousser des exclamations de plaisir.
- Tout ce dont vous aurez besoin est là, dit Jensen en nous désignant un banc sur lequel étaient posés shampoings, savons, serviettes, gants de toilettes et vêtements propres. Prenez le temps que vous voulez.
Je n’en croyais pas mes yeux et mes oreilles. J’avais rêvé d’une douche – d’une vraie douche- si souvent. Jensen nous accorda à nouveau l’un de ses sourires nauséabonds et referma la porte derrière lui. A peine eut-il disparu que mes camarades se précipitèrent avec des cris de joie vers le banc. Avec un sourire, je les observai s’emparer un à un d’une serviette et d’un savon. Camille sautilla devant moi avec un grand sourire.
- On va se laver les cheveux !
Je lui tapai dans la main en riant. Puis je me jetai à mon tour sur les affaires de toilettes et la douche restante.
La sensation de l’eau glissant sur mon corps endolori était indescriptible. Je levai le visage et savourai l’instant. J’écoutai les commentaires joyeux de mes camarades, le sourire aux lèvres. Je les avais rarement vu aussi enthousiastes. J’enduits ma peau du gel douche et humai avec ferveur son agréable parfum. Rien ne sentait bon au Bloc. Jetant un œil à mon bras gauche, j’aperçus une longue entaille recouverte de sang séché. Le combat contre les griffeurs avait laissé des traces. Je grattai la croûte du bout de l'ongle. Puis je fermai les yeux, désireuse de calmer mon esprit et de me recentrer. Je ne comprenais pas grand-chose à ce qui nous arrivait. Qui étaient vraiment ces hommes ? Ils semblaient combattre WICKED mais leurs méthodes me paraissaient tout aussi violentes que les leurs. A quoi leur servait exactement cet endroit ? Pourquoi nous avaient-ils amenés ici ?
Un millier de questions virevoltaient dans mon esprit. L’une d’elle était plus entêtante que les autres. Le monde était-il vraiment devenu une terre brûlée ? Une zone sinistrée ? Qu’étaient devenus les habitants ?
Depuis toujours, du plus loin que je m’en souvienne, j’avais souhaité sortir du Bloc pour le retrouver. Je m’étais toujours imaginé partir à sa recherche dès ma liberté retrouvée. Mon but avait toujours était Newt. Mais comment allais-je m’y prendre dans un monde dévasté ? Etait-il seulement encore vivant ? Mon cœur s’arrêta de battre une seconde à cette pensée.
Rien ne se passait comme je l’avais imaginé. J’étais sortie du labyrinthe, oui. Mais je n’étais pas libre. Et j’étais tellement loin de retrouver celui pour lequel je m’étais accroché ces dernières années...
Jensen était venu nous récupérer une heure plus tard. Cette douche avait été une délivrance ; je me sentais plus légère d’être propre. Jensen nous emmena ensuite dans une autre pièce, ressemblant fortement à un dispensaire. Il nous avait expliqué qu’il souhaitait s’assurer que nous étions tous en bonne santé et que nous allions donc devoir nous soumettre à quelques tests médicaux. Je n’avais pas essayé de protester. Après ce que nous venions de vivre, ce n’était pas une mauvaise idée. Je serais rassurée de savoir les autres en forme.
Nous franchîmes les portes. Des personnes en blouses blanches semblaient nous attendre. « Encore des blouses blanches », songeai-je. Je n’étais pas loin de développer une allergie après l’épisode du laboratoire. Jensen nous installa tour à tour dans des petites salles d’examens individuelles, seulement séparées entre elles de rideaux blancs. Une femme en blouse me rejoignit et m’invita à m’asseoir sur un fauteuil en cuir noir. Je m’exécutai, me tordant en même temps le cou pour voir où étaient emmenés mes camarades. Camille occupait la salle à côté de la mienne.
- Détendez-vous, dit alors la femme en préparant une seringue.
J’eus envie de lui répondre que j’aimerais bien l’y voir mais me retint. Je n’avais plus assez d’énergie. Mon regard se posa sur la seringue qu’elle tenait.
- Il y a quoi là dedans ?
- C’est juste un petit cocktail pour vous revitaminer. Calcium, acide folique, vitamine A… Bref, tout ce dont vous avez été privés dans le labyrinthe.
Elle s’empara de mon bras pour le positionner correctement. Je regardai l’aiguille s’enfoncer lentement dans ma peau.
- Maintenant, faut se détendre, ajouta t-elle une fois l’injection terminée.
Je lui lançai un regard noir, agacée par sa légèreté.
- Suivez-moi, dit-elle.
Je me levai et la suivis vers les baies vitrées situées au fond de la salle. Les rideaux de la salle dans laquelle se trouvait Camille étaient fermés ; je ne pus l’apercevoir. Je croisai cependant le regard du petit Julian. Je lui demandai silencieusement́ : « Ca va ? ». Il hocha frénétiquement la tête. Il paraissait soulagé et plus détendu. Au-delà des baies vitrées, se trouvait une petite salle de sport parfaitement équipée. Tapis de course, rameur, espalier. ..
- Montez sur le tapis de course s’il vous plait, demanda la scientifique.
Je haussai un sourcil et me tournai vers elle, interdite. Elle leva la tête de sa tablette et me regarda par-dessus ses lunettes.
- Allez y, me pressa t-elle.
- Ça fait deux ans que je courre dans ce foutu labyrinthe. Vous croyez pas que je vais monter sur ce truc ?
Elle enleva ses lunettes et s’adressa à moi avec lenteur.
- Votre corps et votre cœur ont été soumis à de dures épreuves. Je dois vérifier que votre rythme cardiaque est normal et que votre cœur fonctionne correctement. Et pour ça, il n’y a qu’un test d’effort. Nous n’en aurons pas pour longtemps, ajouta t-elle.
Je poussai un soupir agacé et montai sur le tapis de course. Autant que cela se termine le plus vite possible.
- Nous commençons – le tapis se mit en marche, lentement d’abord. Je vais accélérer au fur et à mesure, environ toutes les trente secondes. D’accord ?
Je ne répondis pas et me mis à courir de plus en plus vite. Mes jambes déjà éprouvées ne tardèrent pas à peser une tonne. Quelques minutes plus tard, je redescendis du tapis.
Puis ce fut au tour de la prise de sang. Alors que j’étais à nouveau installée sur le fauteuil en cuir, une femme d’environ trente cinq ans, à la peau noire, elle aussi en blouse blanche, passa devant moi.
- Bonjour, docteur Crawford, dit mon infirmière.
- Bonjour, Isabelle. Les nouveaux arrivants tiennent le coup ? S’enquit-elle.
- Ça va.
- Parfait.
Le docteur Crawford me dévisagea un instant avant de continuer sa route. Je l’entendis s’adresser à d’autres infirmiers. Un homme se planta alors devant moi. Je l’avais déjà vu qui accompagnait Jensen.
- Sienna ?
- Oui.
- Je vais te demander de venir avec moi, dit-il d’une voix grave et caverneuse.
Je me levai pour le suivre. J’aperçus Camille qui m’observait, inquiète. Je lui fis un signe de tête et sortis du dispensaire à la suite de l’homme. Je le suivis le long de quelques couloirs, jusqu’à une porte qu’il ouvrit devant moi. J’y entrai. C’était une salle d’interrogatoire, comme on en voyait dans les vieux films américains. Les murs étaient en béton brut, la pièce était relativement sombre, à peine éclairée par une petite fenêtre. Seule une table au centre et deux chaises meublaient l’endroit.
- Attends ici.
Je me laissai choir sur une des chaises, rêvant d’une bonne nuit de sommeil. Puis la porte se rouvrit et Jensen fit son apparition.
- Sienna. Je suis content que tu sois venue, dit-il en s’asseyant en face de moi.
- Je n'ai pas l’impression d’avoir eu le choix, répondis-je.
- Bien sur que tu l’avais. Je voulais que nous discutions…en privé. Loin de la pression des autres.
L’idée d’être seule dans une pièce fermée avec Jensen était dérangeante. Et je me demandai de quelle pression il parlait. Appliquait-il le vieux proverbe « Diviser pour mieux régner » ?
- Bien, enchaina t-il. Je ne veux pas abuser de ton temps, mais… je n’ai qu’une question à te poser.
Il m’observa un instant, semblant sonder mon visage.
- Que peux tu me dire au sujet de WICKED ?
Je fronçai les sourcils, perplexe. Devant mon silence, il insista.
- Tu n’es pas en danger. Je m’entretiens avec toi pour essayer de comprendre certaines choses. De quoi te souviens tu ?
- Rien qui puisse vous aider.
- Dis toujours.
Jensen se pencha sur la table pour se rapprocher de moi.
- Tu sembles méfiante. Je peux comprendre pourquoi. Mais je t’assure que tu n’as rien à craindre de moi. Nous sommes du même côté.
J’hésitai un instant.
- Je me souviens qu’on nous répétait « WICKED est bon ».
- Sais-tu qui vous disait ça ?
- Non.
- Des scientifiques du labo peut-être ?
- Je ne sais pas, dis-je sèchement. Peut-être qu’il aurait fallu leur poser la question avant de tous les buter ?
Le visage de Jensen se tendit une seconde puis son sourire revint. Il parut amusé.
- Je vais la noter celle là, pour pas l’oublier, lâcha t-il. De quoi te souviens tu d’autre ?
Je ne comptais pas le moins du monde lui parlait de Newt.
- Rien d’autre.
- Aucun souvenir de ton enfance, de ta famille ?
- Non.
Jensen et moi nous toisâmes une seconde. Puis il posa ses deux mains sur la table et se releva.
- Bon, je ne t’embêtes pas plus longtemps. Passe un bon séjour chez nous.
- C’est tout ? M’étonnai-je.
- Oui. Tu m’as dit ce que j’avais besoin de savoir.
Il se dirigea vers la porte.
- Toi et tes amis avaient reçu le feu vert pour rejoindre les autres, ajouta t-il. Vous partirez bientôt pour de plus verts pâturages.
Il poussa la porte.
- Attendez, le retins-je, le cœur battant. Les autres ?