Sienna
La porte métallique provoqua un grincement en s’ouvrant. Je la poussai sans m’avancer dans la pièce. La sortie donnait sur une salle éclairée uniquement de lumière artificielle, avec des baies vitrées sur le côté. L’endroit paraissait aseptisé, comme un hôpital ou un laboratoire. Une sirène d’alarme nous vrillait les oreilles et une lumière rouge illuminait la pièce par à coup. Et – mon cœur tomba au fond de ma poitrine – j’aperçus plusieurs corps sans vie. Nous avançâmes lentement et en silence. Je passai à côté d’un homme tué par balle, assis à même le sol, appuyé contre le mur. Du sang avait éclaboussé le carrelage mural. Plus loin, une femme étendue sur le sol avec un trou dans le crâne, un téléphone à la main. Nous continuâmes et longeâmes les baies vitrées. Des corps étaient allongés sur des tables en fer, des draps blancs les recouvrant. Je posai la main sur l’épaule de Julian, qui s’était arrêté devant les baies vitrées, pour le forcer à avancer. Je le sentis trembler.
- Il s’est passé quoi ici ? Souffla Stan.
Il n’obtint pas de réponse. Je continuai ma route et passai dans une autre pièce, entièrement close par des baies vitrées, pour la plupart cassées. La pièce était étrange, circulaire et plongée dans une semie obscurité. Des écrans dernière technologie étaient encore allumés et diffusaient des chiffres et des signes que je ne comprenais pas. Des étincelles fusaient du plafond et tombaient sur le sol. Et à nouveau des corps sans vie aux quatre coins de la pièce, tous vêtus de blouses blanches. Je ne savais pas ce qui avait bien pu se passer ici ; mais cela avait été un vrai massacre. Qui étaient tous ces gens ? Des scientifiques ? Etaient-ce ceux qui nous avaient enfermé dans le labyrinthe ?
Je m’avançai au centre de la salle, les autres sur les talons. Leurs visages trahissaient le même dégout, la même peur et la même incompréhension que moi. Je m’approchai d’un poste où se trouvaient trois écrans. L’un montrait différentes coupes d’un cerveau. Le second était l’agrandissement du premier. Et le troisième diffusait des images d’une prairie qui ressemblait trait pour trait à celle du bloc. Je sentis la colère bouillonner dans mes veines. Ils nous avaient observé. Depuis le début. Tout le temps. Quel type d’expérience avaient-ils bien pu mener ? Gary me rejoignit.
- Ils nous surveillaient, dit-il.
Je me mordis l’intérieur de la joue de rage. Pour conserver mon calme, je me détournai vers la console située à côté. Sur l’écran digital, un bouton rouge clignotait. J’avais l’irrésistible besoin de comprendre ; j'appuyai sur le bouton. L’écran géant situé au milieu de la pièce s’alluma alors. Une image apparut ; celle d’une femme d’une soixantaine d’année, blonde, sophistiquée. Elle était assise sur un fauteuil de bureau noir, dans la pièce où nous nous trouvions en ce moment même. Elle paraissait s’adresser directement à nous.
- Bonjour, dit-elle d’une voix posée et ferme. Je suis le professeur Ava Paige…
Le groupe se réunit à mes côtés.
- …directrice des opérations de WICKED, département « Catastrophe mondiale ». Si vous m’écoutez, c’est que vous êtes sortis du labyrinthe. J’aurais aimé vous féliciter de vive voix…
L’emploi du mot « féliciter » me hérissa le poil.
- … mais les circonstances m’en empêchent.
Derrière la femme, je vis d’autres scientifiques assis à une table, nous tournant le dos. Ils se levèrent précipitamment.
- J’imagine aisément votre trouble, continua Ava Paige, votre colère, votre peur. Mais je peux vous assurer que ce que vous avez vécu, tout ce que vous avez enduré, n’est pas le fruit du hasard. Vous ne vous en souvenez pas, mais le soleil a calciné notre monde.
Mon cœur se serra et j’attendis la suite avec appréhension. Ava Paige disparut de l’écran, remplacée par l’image d’un paysage désertique et sordide. Puis ce fut une scène de désolation et de pillage dans une rue dont la plupart des immeubles étaient en flammes.
- Des milliards d’humains, en proie aux flammes et à la famine. Une souffrance planétaire. Et des répercussions inimaginables.
Des habitations en ruines. Des paysages brûlés. Et des tas de corps entièrement calcinés. Je sentis le petit Julian se presser contre moi. Ces images étaient déjà insoutenables pour moi. Que pouvait-il se passer dans la tête d’un garçon de treize ans ?
- Mais le pire était à venir, reprit la voix d’Ava Paige. On l’a appelé « La Braise ».
L’écran montra l’image d’un virus attaquant des tissus musculaires.
- Un virus mortel qui attaque le cerveau. Il est violent. Imprévisible.
Je regardai un homme, ne ressemblant plus à un homme, attaché à une table d’autopsie. Sa peau était marbré, son visage déformé et il paraissait hurler à pleins poumons. Je revis le visage de Ben avant qu'il ne quitte ce monde.
- Un mal incurable. Du moins, nous le pensions. Certaines personnes se sont avérées être résistantes au virus. Des jeunes personnes. L’espoir retrouvé, nous rêvions d’un vaccin. Mais l’entreprise allait être difficile. Il a fallu mener des études sur de jeunes sujets. Les sacrifier en milieu hostile pour étudier leur cerveau. Afin de comprendre pourquoi ils étaient hors normes. Pourquoi vous êtes hors normes.
Mon cerveau fonctionnait à plein régime. Je comprenais les paroles de cette femme, j’en saisissais le sens. Mais je ne parvenais pas à faire les liens, à relier les événements entre eux.
- Vous ne le réalisez pas mais vous êtes d’une importance capitale. Hélas, vos épreuves ne font que commencer. Comme vous allez le découvrir, nos méthodes ne font pas l’unanimité. Les progrès sont lents, les gens ont peur.
Derrière Ava Paige, je distinguai des gens courir en tous sens et des étincelles traverser l’écran.
- Pour nous, il est déjà trop tard, continua t-elle, un masque de tristesse sur le visage. Pour moi. Mais pas pour vous. Dehors, le monde attend. N’oubliez jamais…
A ce moment, elle sortit brusquement une arme à feu de sa poche et la posa sur sa tempe. J’écarquillai les yeux, la respiration coupée.
- …WICKED est bon.
Elle tira et l’écran devint noir. La plupart détournèrent brusquement le regard. J’entendis Camille lâcher un petit gémissement de peur. Tout cela était-il réel ? Un silence de mort régna pendant de longues minutes, chacun tentant d’assimiler toutes ces informations. En tournant la tête vers la gauche, j’aperçus une femme blonde étendue sur le sol. Se pouvait-il que ce soit elle ? Je me dirigeai lentement vers elle, suivie du groupe. C’était bien Ava Paige. Elle avait encore le revolver à la main. Alors que j’allais me pencher vers elle, une porte coulissante s’ouvrit brusquement avec un grand bruit. Elle dévoila un long couloir donnant sur une porte de garage. Dans les rainures de la porte, de la lumière qui ressemblait agréablement à la lumière du jour.
- C’est fini ? Demanda Julian d’une petite voix.
- Elle a dit qu’on était importants, dit Stan. On est sensés faire quoi maintenant ?
Je les dévisageai un à un, ne sachant pas quoi répondre. Je n’avais pas plus de réponses qu’eux.
- Je ne sais pas, dis-je. Mais sortons d’ici.
Newt et Minho avaient demandé à Gally, qu’ils savaient le plus réticent aux initiatives de Thomas, de les rejoindre dans la salle du conseil. Ils espéraient pouvoir le convaincre de les laisser tenter ce qu’ils voulaient sans qu’il ne pose de problème. La cohésion du groupe restait une chose importante. Gally les rejoignit et leur tapa dans la main.
- Alors, toujours en admiration devant le petit nouveau ? Attaqua t-il.
- Justement, c’est de ça qu’on voulait te parler, répondit Newt en tentant d’arrondir les angles. Je conçois que tu n’apprécies pas Thomas ni les quelques…changements qui sont intervenus depuis son arrivée.
- Des « changements » ? Répéta Gally d’un air dégouté. La mort d’Albi, l’arrivée de la fille, la boite qui redescend pas, t’appelles ça des « changements » ?
- Peu importe le nom que je leur donne, répliqua Newt avec fermeté. L’important, c’est que Thomas et Minho ont trouvé une piste qui mérite qu’on la suive. Et je voudrais qu’ils puissent le faire sans que tu retournes tout le camp contre eux. Je veux que nous restions soudés.
- Cette porte, c’est le premier indice qu’on trouve en trois ans, ajouta Minho.
Gally esquissa un sourire ironique et secoua la tête.
- Sérieux, tu vois pas son petit jeu ? Il enfreint nos règles et après il nous convainc de les abandonner. Il s’introduit dans le labyrinthe sans autorisation et il essaye d’imposer sa loi. Nos règles sont le ciment qui nous unis. Pourquoi les remettre en cause ? Albi serait d’accord avec moi, s’il était encore là.
- Mais ce n’est pas le cas, répliqua sèchement Newt. Et ce qu’il voudrait surtout, c’est qu’on arrive à se barrer d’ici. On doit tout essayer.
Gally lui lança un regard dédaigneux et secoua la tête.
- Je ne jouerais pas son jeu, décida t-il. Hors de question.
Puis il s’éloigna.
- Ça va pas être facile, soupira Minho.
- Avec ou sans lui, on passe à l’action, décréta Newt.