Sienna

Chapitre 13

3158 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/01/2020 13:08


Personne ne ferma l’œil cette nuit là. Nous redoutions tous que d’autres griffeurs sortent du labyrinthe. Nous étions venus à bout de ceux qui s’étaient aventurés jusqu’ici mais s’il en venait d’autres, nous ne serions pas de taille. Une dizaine de blocards s’étaient fait tués cette nuit, dont Kart et Cindy, la copine d’Ethan. Le camp était ravagé. La plupart des paillotes étaient parties en fumée, la pelouse était noire de cendres et le moral des troupes était à zéro. Je tentai d’occulter les horribles images qui me revenaient. Les corps désarticulés, les hurlements déchirants, le regard de Kart. Tout autant de choses qui resteraient gravées dans ma mémoire. Et dans celle de tous les autres. Camille, qui était restée à mes côtés toute la nuit, me sortit de mes sombres pensées :

- Qu’est ce qu’on va faire ? Souffla t-elle. 

- Sortir d’ici. 

Elle me regarda en fronçant les sourcils, l’air inquiet. 

- On ne peut pas passer une nuit de plus ici, continuai-je. Les griffeurs rôdent toujours et je suis certaine que ça recommencera la nuit prochaine. On doit partir. Aujourd’hui. 

- Et on fait ça comment ? 

Je fixai Camille avec gravité. 

- On passe par le nid des griffeurs.

Les lèvres de mon amie tremblèrent et ses yeux brillèrent d’angoisse. Je pris sa main dans la mienne.

- Je ne suis jamais allée dans le labyrinthe…, s’inquiéta t-elle d’une petite voix.

- Tu seras avec moi. On fera que passer. 

Elle fit la moue, peu convaincue. 

- Qu’est ce que tu crois trouver la bas ? 

- Une sortie. La vraie vie. 

Camille resta silencieuse, songeuse. 

- Comment tu comptes convaincre les autres ? Se demanda t-elle. Gary et Ethan, surtout. 

Je haussai les épaules.

- Pourquoi devrai-je les convaincre ? Ils ont connaissances des mêmes choses que moi. Ils prendront leur décision par eux même.

Camille secoua la tête, l’air mécontent. 

- Sienna, tu as conscience de ce que cette nuit a changé pour toi ? 

- Elle a changé beaucoup de choses pour tout le monde. 

- Non, tu ne comprends pas. Ben et Kart ne sont plus là. Ils étaient nos repères, nos meneurs. Aujourd’hui, il n’y a plus que toi.

Je la regardai en haussant les sourcils, comprenant où elle voulait en venir. 

- Il reste Gary. Et Ethan. Ils peuvent prendre la place de Kart. 

- Ils ne feront pas aussi bien que toi. 

Je secouai la tête, agacée. 

- Camille, il est hors de question que je prenne la tête du groupe. Je ne veux pas être responsable d’eux. Je m’occupe de toi et de moi, c’est tout ce que je peux faire. Les autres nous suivront s’ils le souhaitent. Mais je n’obligerais personne. 

- Je ne te parle pas d’obliger, mais de conseiller, de guider, répliqua Camille. 

- Je ne sais pas faire ça.

Mon amie soupira. 

- Bien sur que si. Ce n’est peut-être pas ce que tu veux, mais les gens te font naturellement confiance. La plupart te suivront si tu leur demande. 

- Ils feront ce qu’ils voudront. 

J’estimai que la discussion était close mais pas Camille.

- Je ne suis pas stupide, reprit-elle d’un ton plus grave. Je me doute que Ben t’a demandé de veiller sur moi. Et je serais fort étonnée s’il ne t’avait pas demandé de le faire pour les autres aussi. Il me disait souvent que tu avais l’étoffe d’une meneuse. Mais que ça ne t’intéressait pas. Il trouvait ça dommage.

Je me mordis l’intérieur de la joue en adressant un regard désapprobateur à Camille. Elle avait raison, c’est ce que Ben m’avait demandé. Mais je ne m’en étais jamais sentie capable. Même si tenir les promesses que j’avais faite à mon ami était très important pour moi. 

- Ethan ne me laissera pas faire, repris-je.

- Ethan n’est pas apprécié comme toi tu l’es. C’est toi qu’ils suivront. 

Camille m’adressa un regard appuyé. Chose rare chez elle, elle paraissait sûre d’elle. 

- Sienna ! Camille ! Nous interpela Gary. On se réunit à l’armurerie. Faut qu’on fasse un point. Maintenant. 

Nous nous levâmes et le suivîmes jusqu’à l’armurerie. La salle du conseil était en miettes. La paillote où nous rangions les armes n’était pas très grande mais suffisante pour accueillir ceux qui avaient survécus à cette nuit. Nous n’étions plus qu’une trentaine. Ce constat me mit la boule au ventre. Je m’installai dans un coin de la pièce, discrète. Ethan s’était placé au centre, pour présider l’assemblée. Gary se planta à ses côtés. 

- Bon…, commença Gary, semblant mal à l’aise. Je sais que cette nuit a été un cauchemar. Et qu’on est tous secoués. Mais faut qu’on prenne des décisions. Rapidement. 

- Et la meilleure décision, continua Ethan, c’est de se mettre tout de suite au boulot pour barricader du mieux qu’on peut les entrées du labyrinthe. 

- Avec quoi ? Intervint Bastien. 

- Tout ce qui reste d’utilisable sur le camp. Mieux vaut dormir dehors et par terre mais en sécurité. 

- Comment est-ce qu’on reconstruira les paillotes ? S’inquiéta Fiona. 

- On verra ça plus tard, répondit sèchement Ethan. On doit prioriser. 

- Mais…et qu’est ce qu’on fait pour les griffeurs ? Intervint Camille. Pour le labyrinthe ? Pour la suite ? Pour sortir d’ici ? 

Ethan lui jeta un coup d’œil agacé.

- Ce n’est pas à l’ordre du jour, déclara t-il. 

- Ethan…, intervint Gary.

- Et, au fait, le coupa Bastien en s’adressant à Ethan, qui a décidé que ce serait toi qui prendrait les décisions ? La place de Kart n’est vacante que depuis cette nuit et tu te l’ai déjà approprié ? 

Des commentaires s’élevèrent ça et là.

- C’est vrai ça, personne ne t’a désigné comme chef, ajouta Gaby. 

- Soyez sérieux, ricana Ethan, vous croyez vraiment qu’on a le temps de procéder à un vote là ? 

- On peut le prendre le temps. C’est une bonne idée. Votons, dit Stan. 

- Dans ce cas, moi je propose la candidature de Sienna, déclara Camille.

Je la fusillai du regard tandis que toute l’attention se portait sur moi. Ethan poussa une exclamation de dédain. 

- Sienna, dit Gary en ignorant Ethan. Qu’est ce que tu penses de tout ça ? Je sais que Kart voulait que tu deviennes son adjointe, il me l’avait dit. Il te faisait confiance. 

Ethan semblait avoir avalé une couleuvre. Consciente que tout le monde attendait que je parle, j’inspirai discrètement et m’éclaircis la gorge. 

- Il n’est pas question de « candidature ». Je ne veux pas de la place de Kart. Ethan peut bien la garder. 

- Mais…, intervint Camille. 

Je la fis taire d’un regard. 

- Je ne compte pas rester ici une journée de plus. Les portes ne se refermeront peut-être plus. Et je ne veux pas me trouver ici la nuit prochaine. Camille et moi comptons traverser le labyrinthe aujourd’hui et essayer de sortir par le nid des griffeurs. 

Des exclamations s’élevèrent. J’attendis que le silence revienne. 

- Je ne chercherais à convaincre personne, repris-je. Vous pouvez nous suivre si vous voulez. Ou vous pouvez rester ici et croiser les doigts pour que les griffeurs se tiennent tranquille. 

Un silence pesant s’installa. Jusqu’à ce qu’Ethan se redresse et s’approche de moi, l’air mauvais.

- T’es complètement folle, lâcha t-il. Tu crois vraiment pouvoir emmener tout le monde à l’autre bout du labyrinthe ? Sans même être certaine qu’il s’agit d’une sortie ? Et les garder tous en vie ?

- Parce que tu crois faire mieux en restant ici à attendre que les griffeurs reviennent terminer ce qu’ils ont commencé ?

- Au moins, je suis en terrain connu, répliqua t-il. 

- Oui, ça c’est sur, c’est ton rayon. Surtout ne pas sortir des sentiers battus. J’ai bien compris que le bloc, c’était ta vie. Tu ne veux pas sortir d’ici parce que t’es mort de trouille. Mais c’est pas le cas de tout le monde. Si certains veulent tenter leur chance, tu ne peux pas les en empêcher. 

- Moi, je suis mort de trouille ? Répéta t-il avec rage.

- Forcément, c’est tout ce que t’as retenu, soupirai-je. 

- Sans blague, qu’est ce que t’as fait de plus que moi pour le camp, hein ? S’énerva t-il. A part être agréable à regarder, je vois pas trop ce que t’as apporté. 

Je le poussai brutalement et Bastien et Gary s’interposèrent. Je reculai.

- J’en ai rien à faire de ton avis, Ethan. Je me casse de ce putain de bloc aujourd’hui. Si certains veulent me suivre, rendez vous dans une heure devant l’entrée sud.

Les nerfs à vif, je sortis de l’armurerie, suivie par Camille. 

- Ethan est un con, dit-elle. 

Je gardai le silence, traversant les ruines du camp pour atteindre ce qu’il restait de notre dortoir. La moitié de la paillote avait été arrachée. Camille et moi cherchâmes les éventuelles affaires encore utilisables. Je retrouvai mon sac a dos, où le cylindre métallique se trouvait toujours. Je m’assurai également que mon couteau était bien à sa place, dans la doublure de mon jean. 

- Il faut qu’on aille récupérer des lances, dis-je à Camille. 

- J’en ai vu a côté du bosquet. Je vais les chercher.

Elle partit et me laissa seule parmi les décombres. Je tentai de me concentrer sur la suite des événements, prenant peu à peu conscience que dans peu de temps, je serais en train de traverser le labyrinthe, avec Camille et peut-être quelques autres sous ma responsabilité. Une autre idée, beaucoup plus agréable, me vint à l’esprit. Dans quelques heures, je serais peut-être sortie du bloc. En liberté. 

Camille revint avec quatre lances. Je vérifiai qu’elles étaient toujours opérationnelles. Puis nous primes le chemin du labyrinthe. Lorsque je fus en vue de l’entrée, je stoppai net. Ils étaient presque tous là, une lance à la main. Il ne manquait a l’appel qu’Ethan, Clément, Sonya, Harriet et quatre ou cinq autres personnes. Camille me donna un coup de coude. 

- Je te l’avais dit. C’est toi qu’ils veulent suivre.


Vingt minutes plus tard, nous pénétrions dans le labyrinthe. Ethan et son petit groupe ne nous avait plus posé de problème. Ils nous avaient regardé partir, l’air interdit. J’étais persuadée qu’ils ne surviraient plus longtemps ici et ça me rendait triste pour eux.

Stan et Bastien nous accompagnaient ; c’était une bonne chose. Ils connaissaient le labyrinthe et les risques qu’il comportait aussi bien que moi. Je les avais d’ailleurs chargés d’expliquer aux autres les règles élémentaires de sécurité. 

Notre groupe d’une vingtaine de personnes longea donc le premier long couloir. Je menai la marche avec Bastien. Stan s’était placé en bout de file. 

- Venez, c’est par ici, les guidai-je. 

Nous progressions à petites foulées et le plus silencieusement possible. Je gardais surtout un œil sur Camille et Julian, m’assurant qu’ils suivaient le rythme. Nous traversâmes la section 3 sans encombres et débouchâmes dans la suivante. Par chance, le labyrinthe était calme, nous ne rencontrâmes aucun griffeur. Une bonne demi-heure plus tard, nous arrivâmes à l’entrée de la section 8. 

- Ne ralentissez pas, on arrive, dis-je. 

Nous parvînmes devant le mur décoré de reliefs. J’y approchai le cylindre et le trou béant fit son apparition, exactement comme la veille. Je jetai un œil à l’intérieur tandis que Stan et Bastien me rejoignaient. Nous levâmes nos lances, et pénétrâmes à l’intérieur. Les autres suivirent en silence. Nous atteignîmes la seconde porte et un cliquetis familier nous parvint. Je fis signe aux autres de se plaquer contre le mur. 

- C’est un griffeur ? Chuchota Julian. 

- Oui. 

- Merde, souffla Bastien. 

Je tendis le cylindre à Julian. 

- Garde le et reste bien derrière nous. 

- Ça va aller, tu seras avec moi, le rassura Camille. 

Je me tournai vers Stan, Bastien et les autres.

- Une fois devant, le cylindre va nous ouvrir la porte, murmurai-je. Alors on reste ensemble et on se bat pour sortir. Prêts ? 

Ils acquiescèrent en silence. 

- Alors on y va. 

Nous nous approchâmes de la porte qui s’ouvrit instantanément. Le griffeur était là, nous barrant la route. 

- C’est parti, lâcha Bastien avant de se mettre à courir. 

Le groupe le suivit en lançant des cris de guerre pour se donner du courage. Toutes les lances étaient tendues devant nous. Nous atteignîmes ensemble le griffeur, enfonçant nos lances d’un même geste dans son corps. La créature poussa des cris de douleurs. 

- Encore ! Criai-je. 

Sans attendre, nous enfonçâmes à nouveau nos pointes dans toutes les parties du corps du griffeur. Alors que je faisais un pas sur le coté, mon pied gauche ne trouva que du vide. Je dus me rattraper de justesse à Camille. Un long ravin bordait l’allée sur laquelle nous nous trouvions. 

- Repoussez le ! Dis-je, avec l’idée d’y faire tomber le griffeur. 

- Attention, sa queue ! Hurla alors quelqu’un.

Je vis du coin de l’œil l’énorme queue de l’animal s’abattre sur le groupe. Ses pinces se refermèrent sur Antoine, un jeune homme discret qui avait fait partie des bâtisseurs. Le griffeur fut trop rapide. Il nous fut impossible de le rattraper. Antoine fut projeté dans les airs et tomba dans le ravin. Son cri résonna jusqu’à s’éteindre. Je n’eus pas le temps de m’appesantir davantage sur la disparition du jeune homme. L’une des pattes de la créature vint se planter à quelques centimètres de moi. Je la tranchai d’un coup de couteau. 

- Poussez le dans le vide ! Criai-je. 

Abattant des coups de lances sur le griffeur pour le faire reculer, nous nous rapprochâmes du précipice.

- Une dernière fois ! Cria Bastien. 

Je plantai mon arme de toutes mes forces dans le cou de la bête. Après un grognement de douleur, l’animal commença à glisser et fut emporté par son propre poids dans le vide. Nous reculâmes précipitamment, à bout de souffle. Alors que nous pensions être sortis d’affaire, le cri de Camille me glaça le sang. 

- Il y en a d’autre ! Ils arrivent !

Me retournant, j’aperçus deux griffeurs surgir d’un boyau sur la gauche. 

- Julian ! Dépêche toi, va à la prochaine porte avec le cylindre ! 

Le garçon se précipita vers la porte du fond, le cylindre métallique dans les mains. Le groupe se mit en place, pour essayer de retarder les griffeurs. Ils s’avançaient vers nous, faisant danser leurs pinces devant leurs yeux. 

- Julian, dépêche toi ! 

- Il y a un code ! A 8 chiffres ! Répondit-il.

Repoussant l’une des griffes avec ma lance, je réfléchis à toute vitesse. Huit chiffres. Comme les huit sections. .. Leur séquence. 

- Essaye 1, 4, 3, 5, 2, 7, 6, 8 !

Je croisai le regard de Stan qui acquiesça à ma proposition. 

- C’est bon, la porte s’ouvre ! Hurla Julian.

- Foncez !  

Le groupe se mit à courir vers le fond de la pièce. Sans explication, les pans de murs se mirent alors à trembler et le plafond à s’effondrer. Nous parvînmes tous jusqu’à la porte, que Bastien referma brutalement, tandis que les deux griffeurs se retrouvaient écrasés sous des tonnes de béton. 

Nous nous retrouvâmes dans une obscurité totale. Certains commencèrent à paniquer. Je les incitai au calme. 

- Cherchez à tâtons autour de vous, demandai-je. Suivez les murs, sans trop vous éloigner. Il faut qu’on trouve une sortie. 

Alors que je passai la main sur le mur derrière moi, je tombai sur une poignée de porte. Mon cœur se mit à battre la chamade. Je l’actionnai et entrebâillai la porte. Un mince filet de lumière filtra de l’autre côté. J’échangeai un regard avec Stan et Bastien. Puis je poussai doucement la porte et passai la tête à l'extérieur. Il s’agissait d’un long couloir le long duquel courrait des canalisations. Je descendis une marche et ouvrit complètement la porte pour faire sortir les autres. L’endroit était sombre. Comme si le couloir avait entendu mes pensées, des néons s’allumèrent tour à tour, de la gauche vers la droite. Les deux extrémités du couloir restaient plongées dans la pénombre. 

- Venez.

J’entrainai le groupe vers la droite. Nous marchâmes de longues minutes le long de ce couloir monotone. Jusqu’à ce que nous arrivions devant une porte surmontée d’un panneau lumineux vert indiquant « SORTIE ». L’ironie de la chose me fit presque sourire.

- Ils sont sérieux, là ? Soufflai-je.

- J’avais déjà compris qu’on avait pas le même sens de l’humour, déclara Bastien. 

Se pouvait-il que nous l’ayons enfin trouvée ? Je croisai le regard de Camille ; son regard brillait d’angoisse mais aussi d’impatience. Le cœur battant, j’ouvris la porte. 


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