Sienna
Kart avait convoqué tout le monde dans la grande paillote. Stan, Bastien et moi avions relaté les événements de la matinée. Chacun y était allé de son commentaire et Kart avait eu du mal à obtenir le silence. Il avait finalement été décidé que les sprinteurs retourneraient un peu plus tard dans le labyrinthe afin de vérifier de plus près s’il s’agissait d’une sortie praticable.
Soulagée d’être sortie de l’atmosphère étouffante de la paillote, j’avais rejoins Camille à la rivière afin de m’assurer qu’elle tenait le coup. Elle paraissait s’être résignée. C’était probablement la bonne philosophie, même si elle rendait mon ami éteinte et sans vie. C’était un passage obligé. Nous passâmes l’après midi à deux, discutant à peine, passant simplement un moment ensemble, nos pensées sûrement tournées vers Ben. Je dus à nouveau me faire violence pour ne pas trahir ma promesse à Ben. Je me demandai si Camille se sentirait mieux à cet instant si elle avait su qu’elle avait été aimée.
La nuit était tombée à présent. Alors que je m’apprêtai à retourner sur le camp, des clameurs s’en élevèrent. Je n’eus pas l’impression qu’il s’agisse de cris de joie ; c’était de l’inquiétude. Camille et moi nous remîmes immédiatement sur pieds et courûmes jusqu’au camp. Je vis tout le monde se précipiter vers le labyrinthe, certains avec des torches à la main.
- Qu’est ce qu’il se passe ? Demandai-je à la première personne que je rencontrai.
- Les portes ! Elles ne se ferment pas !
Le cœur tombant dans ma poitrine, je levai la tête vers l’entrée du labyrinthe. Les portes étaient grandes ouvertes. Il faisait nuit noire. Ce n’était pas normal. Camille et moi rejoignîmes l’attroupement devant l’entrée. Je me plaçai aux côtés de Kart, observant l’intérieur du labyrinthe. Soudain, un énorme bruit sourd résonna contre les hautes parois. Le sol vibra sous mes pieds. Le son se répercuta contre les murs qui entouraient le bloc. L’estomac noué, nous nous retournâmes pour voir s’ouvrir les trois autres entrées.
Je ne parvenais pas à réfléchir aux conséquences. J’avais du mal à comprendre ce qu’il se passait. La panique se lisait sur les visages de mes camarades et des cris commençaient à s’élever. Kart réclama le calme mais il ne me semblait pas plus à l’aise que les autres.
- Kart, on doit mettre tout le monde à l’abri, le secouai-je. Les griffeurs ne sont jamais sortis le jour mais je doute qu’ils restent tranquille la nuit, et surtout avec quatre sorties possibles.
Il secoua la tête et parut revenir à lui.
- Ethan, prends quelques personnes avec toi et vérifie que tout le monde est là. Et cachez vous dans la forêt !
- Non, Kart…, intervins-je.
Mais il ne m’entendit pas. Il était déjà parti, suivi par un petit groupe. J’attrapai Julian au passage.
- Julian, barricades la salle du conseil. Ferme tous les accès.
Le jeune garçon s’exécuta immédiatement. Je me tournai vers Camille, qui était restée à mes côtés.
- Camille, on va rassembler toutes les armes. Dis à tout ceux que tu croises de nous rejoindre dans la salle du conseil.
Nous n’eûmes pas le temps de discuter davantage. Des cris de peur et de panique s’élevèrent. Une dizaine de personnes courraient vers le camp. Je tentai de comprendre ce qu’ils hurlaient.
- Des griffeurs ! Des griffeurs !
Mon cœur tomba au fond de mon estomac. Déjà ?
- Planquez vous ! Hurla Gary qui se trouvait non loin de moi.
Ce fut la panique générale. Tout le monde se mit à courir dans tous les sens. Je pris la main de Camille.
- Vite, cours !
Elle m’emboita le pas et je l’entrainai dans ma course. Je percevais déjà les bonds du griffeur qui était sortit de la forêt près de nous. Il allait nous pourchasser. Je bifurquai rapidement vers le fond de la prairie, à la lisière de la forêt, là où les herbes étaient hautes. Quelques-uns nous suivirent. J’entendis des hurlements déchirants de douleur. Les griffeurs avaient déjà fait des dégâts, pensai-je, le cœur serré. Ils allaient faire un carnage.
- Couchez vous ! Soufflai-je lorsque nous atteignîmes les hautes herbes.
Nous gardâmes le silence un instant, le sang glacé par les cris qui nous parvenaient. Je n’entendis pas le griffeur approcher. J’entendis seulement le cri de terreur de Katy quand la pince mortelle de la créature s’abattit sur elle. Je n’eus même pas le temps de tendre la main pour l’aider que le griffeur l’emportait déjà. Je la regardai s’envoler dans les airs, le corps désarticulé. Ceux qui composaient mon groupe se mirent à hurler.
- On bouge ! Criai-je en me relevant. On va au camp !
Nous traversâmes la prairie au pas de course, priant pour ne pas tomber sur un griffeur. Des hurlements résonnaient toujours aux quatre coins du bloc. Alors que nous longions la foret, nous passâmes près de l’armurerie. Je fis un détour.
- Camille, attends moi là avec les autres, je vais chercher les armes, lui dis-je.
Elle acquiesça en silence, le visage tordu par l’angoisse. Alors que je m’apprêtai à traverser le petit sentier qui menait à l’armurerie, j’aperçus un griffeur sauter sur un garçon, qui hurla de peur et de douleur. Je n’eus pas le temps de voir de qui il s’agissait. Serrant les dents de colère, je me précipitai dans la paillote. Je m’emparai des premières armes qui me tombèrent sur la main ; trois lances, deux couteaux, une machette. Ressortant de l’armurerie rapidement, je gardai une lance et distribuai les autres armes aux premières mains qui se tendirent. Je donnai le dernier couteau à Camille en lui adressant un regard que j’espérais rassurant. Un corps tomba soudain près de nous – je reconnus Gwen, la cuisinière. Elle paraissait sans vie. Un griffeur sortit des feuillages, ses pinces cliquetant.
- Fuyez ! Hurlai-je.
Nous traversâmes la prairie. Nous étions à découvert mais c’était le plus court chemin pour atteindre la salle du conseil. L’étendue de pelouse s’était transformée en scène de guerre. Les torches avaient embrasé quelques paillotes. Des griffeurs traversaient la prairie, pourchassant les malheureux qui passaient près d’eux. Des corps jonchaient le sol. L’une des créatures nous barra brusquement la route. Elle s’éleva sur ses pattes arrières et nous surplomba de toute sa hauteur. Instinctivement, je m’emparai d’une lampe à huile posée là et la lançai sur le griffeur. Son corps prit instantanément feu, se consumant mieux que je n’aurais pu l’espérer. Il se tortilla de douleur en poussant des grognements de bête sauvage.
- Allez, allez, courrez ! Pressai-je les autres.
Après mes nombreuses incursions dans le labyrinthe, je n’avais jamais pensé qu’autant de griffeurs habitaient les lieux. Mais ils étaient beaucoup plus que ce que je m’étais imaginé. Une autre créature surgit encore de nulle part. Il était trop proche pour pouvoir faire demi tour. Il serait sur nous en un saut. Je me postai devant les autres, la lance tendue. Je regrettai de ne pas avoir mon arc, même s’il ne m’aurait peut-être pas été d’une grande aide. Tout en étant consciente que ma pauvre lance et moi n’avions aucune chance, je ne pouvais pas le laisser abattre mes amis sans rien faire. J’avais promis à Ben de protéger Camille. Je propulsai ma lance dans le cou du griffeur. Mais quand mon arme s’enfonça dans sa peau, d’autres lances vinrent se ficher dans son corps visqueux. Je tournai la tête vers leur provenance et vis avec soulagement Kart, Gary et un petit groupe nous rejoindre.
- Est-ce que tout le monde va bien ? S’inquiéta Kart.
- Ca va, répondis-je avant d’entraîner tout le monde vers la salle du conseil.
Julian, qui devait nous guetter, ouvrit la porte lorsque nous atteignîmes l’entrée. Je fus soulagée de voir que quelques uns de mes camarades se trouvaient là.
- Fermez la porte ! S’égosilla Kart.
La petite porte en bois fut barricadée avec tous les meubles qui nous tombèrent sous la main. Puis nous nous regroupâmes instinctivement au centre de la pièce. Un silence relatif s’installa. En plus du grondement du griffeur qui se rapprochait, je pouvais presque entendre les cœurs battre d’angoisse. Le bruit que provoquait la créature trahissait sa position. Il tournait autour de la paillote. Je savais que la structure ne tiendrait pas longtemps face aux attaques du griffeur. Il planta soudainement l’une de ses griffes dans le toit de la cabane. Camille poussa un petit cri de terreur et se serra contre moi. Le griffeur recommença, un peu plus à droite. Sa pince ne passa pas loin de la tête de Gary. Puis il tapa plus fort et arracha une partie du toit.
- Reculez, ordonna Kart.
Nous nous exécutâmes et levâmes la tête vers le toit, suivant les mouvements du griffeur. Il se déplaçait au dessus de nos têtes. Kart fit signe à tout le monde de se mettre sur les côtés de la paillote et de garder le silence. Le griffeur perça une nouvelle fois le toit de paille. Sa griffe s’enroula autour du poteau central qui soutenait toute la structure et l’arracha. Une partir du toit s’effondra sur nous. Nous fûmes ensevelis sous un tas de planches de bois, de paille et de branches. J’avalai un peu de poussière en reprenant mon souffle. Heureusement pour nous, la paillote n’était faite que de matériaux légers. Tout le monde se releva tant bien que mal, des exclamations s’élevant ça et là : « Tout le monde va bien ? », « Tu peux te relever ? », « Je suis coincé ». Je n’étais pas encore debout qu’un cri plus fort que les autres retentit :
- Retenez le !
Avec horreur, je vis Julian emporté par les griffes de la créature qui l’avait attrapé par le trou dans la toiture. Gary et Stan attrapèrent ses jambes et je me précipitai pour leur prêter main forte.
- Lâche pas, Julian, tiens bon !
Je le tirai de toutes mes forces, combinées à celles de Gary et Stan. Mais ça ne suffisait pas ; Julian était toujours prisonnier des griffes du monstre. J’entendis le cri de fureur de Kart avant de le voir. Il abattit une machette sur la patte de la créature. Il s’acharna quelques secondes sur le membre velu, jusqu’à ce que la patte cède, coupée en deux. Julian retomba lourdement sur le sol, entraînant Stan dans sa chute. Le griffeur poussa un cri de douleur et se retira. Essoufflé et tendu, Kart s’assura de l’état de Julian.
- Merci Kart, souffla le jeune garçon, sous le choc.
- De rien.
Je vis du coin de l’œil la patte du griffeur surgir à nouveau dans la pièce. Kart lui tournait à présent le dos.
- Kart, attention ! M’exclamai-je.
Mais c’était déjà trop tard. Le griffeur referma sa pince sur Kart et le souleva de terre. Il parvint à se raccrocher aux planches du toit et je me précipitai vers lui pour le rattraper. Mais il avait déjà disparu jusqu’au torse, je ne voyais plus que ses épaules et son visage. Je n’avais aucune prise pour pouvoir l’aider. Il le comprit en même temps que moi. Je le vis dans ses yeux. Il me lança un regard déterminé mais terrorisé. Résigné aussi. Je sentis qu’il serrait brièvement ma main avant de lâcher prise. Il disparut de ma vue sans cri et le griffeur l’emporta.
- Non ! Hurlai-je. Kart !
Je ne pouvais pas le laisser partir comme ça. Sans réfléchir, je sortis de la paillote en courant.
- Non, ne sors pas ! SIENNA ! m’interpela Gary.
Mais je ne l’écoutai pas et débouchai dans la prairie. Je stoppai net, choquée par la vue cauchemardesque qui s’offrait à moi. La prairie et le camp n’étaient plus qu’un champ de bataille, détruit et en feu.
- Où sont les autres ? Souffla Camille d’une voix tremblante.
- C’est qui, là-bas ? Ajouta Julian.
Je tournai la tête vers la direction qu’il indiquait. J’aperçus les silhouettes d’Ethan, de Bastien et de Rebecca sortirent de la forêt. Ils traversèrent les fumées provoquées par les incendies. Ethan s’approcha de Gary et moi au pas de charge et se planta devant nous, l’air furieux.
- Joli travail, princesse Sienna ! Voilà où on en est avec tes conneries !
- Elle est pas responsable ! S’interposa Gary.
- Bien sur que si ! Eructa Ethan. Elle a buté un griffeur ! Elle a été fourrer son nez dans leur putain de nid ! Ce sont des représailles !
- Stop ! Arrête, c’est pas le moment !
Gary posa une main sur son torse pour l’inciter au calme. Je reculai, touchée par les paroles d’Ethan. Peut-être avait-il raison. Se pouvait-il que ce carnage soit de ma faute ? Que j’ai provoqué cette horreur ? J’avais promis à Ben de nous sortir d’ici. Mais peut-être n’avais-je pas suffisamment réfléchi aux conséquences.