Sienna

Chapitre 9

3034 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/01/2020 17:54

J’ouvris les yeux aux premières lueurs du jours. J’avais passé la nuit dans un des hamacs installés près du brasero. Je n’avais pas eu le courage de rejoindre mon dortoir. Les alentours étaient calmes, personne ne semblait levé. Les images de la veille me revinrent brutalement en mémoire et je me souvins que Ben n’était plus. Ma gorge se noua à m’en étouffer et je me redressai brusquement pour mieux respirer. Assise dans le hamac, j’inspirait lentement pour me reprendre. Puis je me levai et pris la direction de la paillote que je partageais avec Camille, Rebecca et Gaby. J’entrouvris la porte et jetai un œil à l’intérieur. Rebecca et Gaby étaient bien dans leur lit ; mais pas Camille. Je refermai silencieusement et me dirigeai vers la rivière. Je l’aperçus, prostrée, au bord de l’eau. Je la rejoignis ; elle ne leva pas la tête mais je l’entendis sangloter. M’asseyant à ses côtés, je la pris dans mes bras et la berçai doucement. Elle se laissa faire, jusqu’à ce que ses pleurs se calment. Je desserrai mon étreinte et elle leva son visage plein de larmes vers moi. 

- Ben est…mort, dit-elle d’une voix chevrotante. Il est mort…

Camille semblait réaliser peu à peu ce que cela signifiait. Elle allait passer par la tristesse, la colère, le déni peut-être. J’aurais tellement aimé pouvoir lui dire que Ben était parti en l’aimant et qu’il ne l’oublierait jamais. Mais je n’en avais pas le droit. 

- Je sais, soufflai-je en lui posant un bras réconfortant sur l’épaule. Ça va aller. 

Nous gardâmes le silence un long moment. Puis Camille releva la tête et s’essuya les yeux d’un revers de la main. 

- Sienna… comment tu fais pour vivre sans lui ? Sans Newt ? Comment on peut vivre sans celui qu’on aime ? 

Elle me regarda avec insistance, comme si elle allait trouver la réponse sur mon visage. 

- On ne peut pas. On survit, c’est tout. 

- J’y arriverais pas.

- Si, tu y arriveras, dis-je avec conviction. Parce que tu n’as pas le choix. Et je suis là. Je serais toujours là.

Les lèvres de Camille tremblèrent et elle se remit à pleurer. Je l’attirai à moi et elle posa sa tête sur mon épaule. Fermant les yeux, je me dis que l’injustice et la cruauté de cette vie commençait sérieusement à me peser. Mais je ne devais pas me laisser abattre. Pas après les promesses que j’avais faites à Ben. Pour lui, pour Camille, pour tous les autres, je me devais de rester forte. 


Après une longue négociation, j’avais réussi à convaincre Camille de ne pas rester seule dans la forêt et de rejoindre le camp. Mais à peine avions-nous atteint la lisière de la forêt, qu’elle se précipita vers notre dortoir et y disparut. Je décidai de la laisser seule. 

- Hé Sienna, ça va ? M’interpela Stan. 

Il s’approcha de moi avec un air désolé.

- Ca va. 

- Je suis désolé pour Ben. Il va nous manquer. C’est super courageux ce que tu as fait.

Je secouai la tête et changeai de sujet :

- Même sans Ben, tu retournerais dans le labyrinthe ? 

- Bien sur, m’assura t-il.

- Tu sais où je peux trouver Kart ?

- Il s’est enfermé dans la salle du conseil avec Ethan et Gary. Je crois qu’il vaut mieux ne pas les déranger. 

J’acquiesçai silencieusement et pris congé. Pour occuper mon esprit, je rejoignis un groupe de bâtisseur et les aidai à terminer le plancher d’une nouvelle paillote. 

Le soir, quand la plupart de mes camarades furent couchés, je me dirigeai vers la paillote que Ben avait partagé avec Kart, Ethan et Gary. J’entendis les murmures de leurs voix. Je frappai deux coups sur les planches en bois qui servaient de porte. Les voix se turent puis celle de Kart, plus forte, s’éleva. 

- Entrez. 

Je poussai la porte et les regards des trois garçons se posèrent sur moi. Je croisai celui de Kart. 

- Je peux te voir une minute ? 

- J’arrive.

Je ressortis et attendis qu’il me rejoigne. Kart sortit presque immédiatement.

- Qu’est-ce qu’il y a ? S’enquit-il.

Je décidai d’entrer dans le vif du sujet. Je sortis le cylindre métallique de mon sac et lui mis dans les mains.

- J’ai trouvé ça dans le corps du griffeur. 

J’observai Kart l’examiner en silence, l’expression perplexe.

- Qu’est ce que c’est ?

- Je ne sais pas exactement. Une puce électronique, un circuit intégré. En tout cas, c’est de fabrication humaine. Les griffeurs ne sont pas des animaux. Ce sont des robots. 

Kart me lança un regard sceptique.

- Des robots ?

- Ils contrôlent tout, Kart, insistai-je. Il faut que je retourne dans le labyrinthe demain.

- Pourquoi ?

- Je dois retourner examiner le griffeur. Pour essayer de comprendre. Je trouverais peut-être un début d’explication.

Kart réfléchit un instant puis hocha la tête.

- D’accord. Mais tu n’y vas pas seule. Prends Stan et Bastien avec toi.

- Ok.

Je lui fis un signe de tête et commençai à m’éloigner. 

- Sienna.

Je levai les yeux au ciel, persuadée que Kart allait remettre ses sentiments pour moi sur le tapis. Quand je me retournai, il dut s’apercevoir de mon air agacé parce qu’il déclara sèchement :

- Ne t’inquiètes pas, je ne vais pas te prendre la tête avec ça. 

Je lui jetai un coup d’œil méfiant.

- Alors quoi ? Demandai-je.

- Ben sera difficilement remplaçable. Mais je pense que tu es la mieux placée pour le faire. Je voudrais que tu deviennes mon adjointe. 

J’en restai bouche bée quelques secondes avant de secouer vivement la tête.

- Hors de question, refusai-je tout net.

- Pourquoi ? 

- Parce que les responsabilités, c’est pas mon truc. Et entre nous, il y a conflit d’intérêt, tu ne crois pas ? 

Je n’attendis pas sa réponse et tournai les talons. 


Le lendemain, je rejoignis Stan et Bastien à l’entrée du camp. Je leur avais demandé la veille de s’y trouver à l’aube. Je les dévisageai rapidement et leur trouvai un air inquiet.

- Qu’est ce qui ne va pas ? M’enquis-je.

Stan haussa les épaules, l’air un peu gêné tandis que Bastien faisait la grimace. 

- Heu…, commença t-il, …ce qui est arrivé à Ben, ça nous a un peu refroidis…

Je haussai un sourcil, pas vraiment étonnée.

- Y a pas de problème, lâchai-je. Si vous voulez rester ici…

- Non, c’est pas ça, intervint Stan. C’est juste que…le danger nous semble plus présent maintenant. Et on voudrait savoir pourquoi on prend tout ces risques. 

- Kart nous a dit que tu avais trouvé quelque chose dans le labyrinthe, enchaina Bastien.

Je hochai la tête.

- Entrons d’abord. Je ne veux pas perdre de temps. Je vous explique tout en avançant. 

Sans les attendre, je franchis l’entrée du labyrinthe. J’entendis Stan et Bastien me suivre. Le silence et l’obscurité du labyrinthe se refermèrent presque immédiatement sur nous. Je sortis le cylindre métallique de mon sac et le tendis à Stan. 

- J’ai trouvé ça sous la peau du griffeur, expliquai-je en modérant le son de ma voix. 

- Délire…, souffla Stan.

Il examina l’objet un instant et le passa à Bastien. 

- C’est quoi ce truc ? S’étonna ce dernier. 

- J’en sais rien, répondis-je. En tout cas, je ne suis sure de rien. Mais je commence sérieusement à étouffer dans ce putain de bloc. Alors je compte bien exploiter la seule piste que nous ayons depuis des mois. 

- Je suis d’accord, acquiesça Stan. C’est quoi le plan ? 

- Y en a pas vraiment. On retrouve le corps du griffeur, on cherche et on voit où ça nous mène. 

Je leur jetai un coup d’œil. Stan et Bastien semblaient toujours décidés à me suivre. Je repris le cylindre que Bastien me tendait et repris ma route. J’accélérai le pas et les amenai à l’endroit où le griffeur s’était retrouvé écrasé entre les parois. J’avais du mal à croire que ces événements ne s’étaient déroulés que la veille. Nous tournâmes le coin du couloir. Le corps du griffeur était toujours là, ses entrailles s’étalant sur le sol humide. 

- Putain, je vais gerber, souffla Bastien en faisant la grimace. 

Je m’approchai de la créature, suivie de près par les garçons. 

- J’ai trouvé le cylindre ici, dis-je en désignant le cou. Il clignotait rouge. 

Nous nous penchâmes sur la dépouille, à la recherche d’autres éventuels objets incongrus. 

- Je ne vois rien d’autre, déclara Stan en se redressant. 

- Moi non plus, ajouta Bastien. 

Je me redressai à mon tour, arrivant à la même conclusion. Le cylindre dans les mains, je fis quelques pas, réfléchissant. Alors que je m’étais éloignée de quelques mètres, j’entendis comme un léger grésillement. Il me fallut quelques secondes pour comprendre que le bruit émanait du cylindre métallique. Avec surprise, je vis que la diode rouge s’était remise à clignoter. Le cœur battant, je bougeai de quelques mètres vers la droite. Le grésillement diminua d’intensité et la diode s’éteignit. Je bougeai vers la gauche ; le bruit augmenta et la petite lumière réapparue. 

- Hé, venez voir, les interpelai-je tout bas. 

Je leur fit écouter le grésillement et leur montrai la diode rouge. Sans attendre de commentaires, je me déplaçai en suivant le bruit. Il augmentait légèrement à chaque mètre parcouru. Regardant autour de moi, je m’aperçus que nous venions de passer l’entrée de la section 8. 

- Je savais qu’elle n’était pas claire, cette section, souffla Bastien. 

- Tu crois que ça va nous mener où ? S’enquit Stan, qui ne semblait pas très rassuré. 

- Les griffeurs, ils entrent et sortent bien de quelque part, non ? Suggérai-je. 

Stan et Bastien stoppèrent net. 

- Attends… T’es en train de dire qu’on risque de tomber sur le nid des griffeurs ? Releva Stan, l’air mi sceptique mi angoissé.

- C’est possible, admis-je en haussant les épaules. 

Je n’avais pas envie de perdre du temps. Nous étions à l’autre bout du labyrinthe et je ne savais pas jusqu’où le cylindre allait nous mener. Nous devions avancer. Je continuai ma route, sans me soucier des deux autres. Ils pouvaient faire demi tour ; j’étais capable de continuer seule.

Le bruit des pas de Stan et Bastien qui me suivaient résonnèrent dans le silence ambiant. Après quelques minutes de marche rapide, pendant laquelle nous traversâmes un immense espace parsemé de hautes colonnes que nous ne connaissions pas, l’intensité du grésillement semblait avoir atteint son apogée et la diode clignotait beaucoup plus vite. Nous n’étions plus très loin. Je parvins jusqu’à un mur, gravé de drôles de symboles. En son centre, un grand cercle qui semblait dessiné dans la roche. Je m’approchai pour examiner les reliefs. A peine m’étais-je approchée d’un pas que le cercle commença à tourner. Jusqu’à laisser place à un trou béant. Je restai bouche bée un instant, à l’instar des deux garçons. L’espace qui s’était creusé au cœur de la roche était suffisamment grand pour laisser passer un griffeur. 

- Je crois qu’on l’a trouvé…, souffla Bastien, les yeux grands ouverts d’étonnement. 

Je hochai lentement la tête, le cœur battant. Puis je franchis l’entrée. L’intérieur était presque entièrement plongé dans l’obscurité et ressemblait à un large tunnel. Une dizaine de mètres plus loin, une énorme porte métallique. La diode rouge du cylindre passa au vert lorsque je m’en approchai. Puis, avec un grondement sourd, la porte s’ouvrit lentement vers le haut. L’endroit me paraissait de plus en plus inquiétant. Je croisai les regards de Stan et Bastien.

- Tu es sure de toi ? Souffla Stan. 

- Non. 

Je passai la porte quand même. Stan posa une main sur le côté de la porte. Lorsqu’il la retira, un énorme filet de bave visqueuse y resta accroché. 

- Des griffeurs…, devina t-il. 

Avant que je n’ai eu le temps de répondre, une lumière rouge et aveuglante inonda soudainement le tunnel. Un trait rougeoyant, qui passa plusieurs fois sur nous, de haut en bas et de bas en haut. Comme un scanner… En entendant des murs bouger un peu plus loin derrière nous, je sentis l’angoisse m’envahir. Ça ne sentait pas bon…

- Partons, lâchai-je avec urgence. 

Nous revînmes sur nos pas à reculons, observant la grande porte métallique se refermer. La seconde que nous avions franchi commençait à l’imiter.

- Vite, dépêchez vous ! Criai-je en me mettant à courir. 

Nous ressortîmes à l’air libre, dans l’immense espace aux colonnes. Le mur se referma sèchement derrière nous. Alors que nous pensions être tirés d’affaire, les parois de la section se mirent à se mouvoir.

- La section se ferme ! Hurla Bastien. Vite ! On va se faire piéger ! 

Nous courûmes à toutes jambes tandis que nous étions – une nouvelle fois – sur le point de nous retrouver enfermés dans cette maudite section. Bastien et moi parvînmes à passer de l’autre côté des cloisons pivotantes mais Stan ne fut pas assez rapide. 

- Sienna ! Cria t-il.

- Cours ! Ne t’arrête pas ! 

Je le vis courir à mon niveau, de l’autre côté des parois qui se fermaient. J’accélérai ; il en fit de même. Quand je vis que nous avions pris un peu d’avance sur la fermeture des cloisons, je criai :

- Stan ! Maintenant !

Il se projeta de l’autre côté, me bousculant lorsqu’il atterrit à mes côtés. Je repris mon équilibre, vérifiai que Bastien suivait et accélérai encore. 

- Dépêchez vous ! Les encourageai-je. 

Nous allions parvenir au bout de la « salle aux colonnes » quand un bruit inquiétant nous fit lever la tête. N’en croyant pas mes yeux, je vis un énorme pan de mur sur le point de tomber, comme un gigantesque pont levis qui s’abaisse. 

- Merde…, soufflai-je avant de me précipiter sur le côté

Nous nous éloignâmes le plus vite possible. Le mur s’effondra dans un vacarme ahurissant et fit trembler le sol. La poussière qui se dégagea me fit tousser. Je mis la main devant mon visage sans m’arrêter de courir. Nous parvînmes enfin à la sortie et pénétrâmes dans la section 6 avec soulagement. A bout de souffle, nous nous arrêtâmes un instant pour reprendre nos esprits. 

- C’était quoi ce bordel ? Lâcha Bastien, la respiration saccadée. 

- Le signe qu’on touche au but, répondis-je. 

Bastien me dévisagea en secouant la tête. 

- Si tu veux voir les choses comme ça, déclara t-il en haussant les épaules.

- Oui, c’est comme ça que je veux les voir, affirmai-je. Allez, bougez vous, on rentre. 


Lorsque nous atteignîmes la sortie du labyrinthe, un attroupement nous accueillit, Kart, Gary et Ethan en première ligne. Le bruit que nous avions provoqué dans le labyrinthe avait du s’entendre à des kilomètres à la ronde. 

- C’était quoi tout ce bordel ? S’enquit Kart. 

- On a trouvé un passage qui conduirait peut-être à une sortie, l’informa Stan. 

- Sérieusement ? Lâcha Kart, sceptique.

- Oui, intervins-je. On a ouvert une porte qu’on ne connaissait pas. Sûrement le refuge des griffeurs. 

Kart, Stan, Bastien et moi nous dirigeâmes vers le camp tout en parlant. Le groupe nous suivait. 

- Hé, attendez, s’éleva la voix du petit Julian. Vous nous proposez d’aller dans le refuge des griffeurs ? Demanda t-il, inquiet. 

- Leur entrée est notre sortie, dis-je. 

- Avec des griffeurs pour nous accueillir, lâcha Ethan avec dédain. Vous faites n’importe quoi, comme d’habitude. 

Son commentaire me mit les nerfs à vifs. Je me retournai brusquement et me plantai face à lui.

- Moi, j’agis, au moins. Tu fais quoi, toi ? A part te planquer au bloc ? Ca fait trois ans qu’on galère ici. Il serait peut-être temps de changer de stratégie non ? 

- Tu veux la place de Ben, c’est ça ? Cracha t-il.

Je lui fis comprendre d’un regard de ne surtout pas aller plus loin. 

- Va te faire foutre, Ethan, répliquai-je avant de tourner les talons. 

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