Sienna

Chapitre 8

2682 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/01/2020 17:16

Newt se laissa choir sur la pelouse. Il s’adossa contre un rocher et étendit ses jambes. Passant ses mains derrière la tête, il offrit son visage au soleil. Il avait besoin d’une pause. L’ambiance sur le camp était plus tendue qu’elle ne l’avait jamais été. Et il n’aimait pas ça. Les choses avaient changé depuis que le nouveau venu – Thomas – était arrivé. Il s’était souvenu de son prénom deux jours avant. Et c’est vrai qu’il était différent des autres. Albi disait qu’il était curieux. Mais Newt sentait qu’il y avait autre chose. Et les événements qui venaient de se dérouler lui donnaient raison. 

Benji, l’uns de leurs coureurs, s’était fait piqué. En plein après-midi. L’infection l’avait rapidement rendu incontrôlable. Étrangement, il s’en était pris à Thomas, en hurlant qu’il l’avait vu et que c’était de sa faute. Newt n’avait aucune idée de ce que cela voulait dire. Il ne savait pas non plus s’il devait accorder du crédit à ces paroles. Benji n’était plus lui-même. 

Cependant, il n’y avait pas eu que ça. Minho et Albi étaient sortis dans le labyrinthe la veille. L’excursion s’était mal passé. Ils étaient tombés sur un Cerbère et Albi avait été gravement blessé. Minho avait tenté de le ramener. Mais il n’avait pas été assez rapide. Au moment où les portes du labyrinthe allaient se fermer, Minho était apparu au bout de l’allée, portant le corps immobile d’Albi. Beaucoup trop loin pour pouvoir atteindre la sortie à temps. Newt n’avait pas vu le coup venir. Thomas s’était faufilé entre les hautes parois et avait pénétré dans le labyrinthe une seconde avant que les portes ne se ferment pour la nuit. Newt se demandait encore ce qui lui était passé par la tête. Et surtout, comment ils avaient fait pour survivre. Parce que ce matin, quand les portes du labyrinthe s’étaient rouvertes, Newt n’espérait pas une seconde revoir Minho, Albi et Thomas un jour. Mais ils avaient franchi la sortie quelques minutes après l’ouverture. Minho et Thomas étaient couverts de sang, éprouvés mais sains et saufs. En revanche, Albi était dans un sale état. L’infection s’était déjà répandue et il n’était plus cohérent. Il avait été installé à l’infirmerie, sous bonne garde.

Newt appréhendait la suite. Albi ne survivrait plus longtemps et n’était déjà plus apte à diriger le camp. C’était à lui de prendre le relais. Et il n’était pas certain d’en être capable. Le plus dur allait être de prendre des décisions. Et de bonnes décisions. Et peut-être aussi de gérer Gally. 

Un peu plus tôt dans la journée, ils avaient tenu une réunion dans la grande paillote. Et cela avait été houleux. Gally soutenait que Thomas prenait trop de risques, qu’il ne respectait pas les règles et qu’il fallait qu’il soit puni. Newt était partagé et avait demandé l’avis de Minho. Après tout, c’était lui qui l’avait accompagné dans le labyrinthe. Minho n’y était pas allé par quatre chemins. Après avoir précisé qu’il ne savait pas si Thomas était courageux ou stupide, il avait affirmé qu’ils avaient besoin d’éléments comme lui. Et qu’il devait devenir coureur. Newt avait accepté. Il aimait bien Thomas, malgré tous les mystères qui l’entouraient. Gally n’avait pas apprécié. Peu importe, il s’en remettrait.

Newt secoua la tête, luttant contre le découragement qui le tenaillait. Comment pourrait-il prendre soin des autres et les faire sortir d’ici alors qu’il n’était même plus capable de courir dix minutes sans que sa cheville le fasse souffrir ? Ça lui paraissait mission impossible. 

Pour fuir un peu cette sombre réalité, il se refugia auprès d’elle. Son oxygène, son rêve, son obsession. Son espoir. Il se souvenait l’avoir aimé plus que tout. Et il avait l’impression que c’était toujours le cas aujourd’hui. Plusieurs années après. Son cœur battait toujours la chamade dès qu’il pensait à elle. C’est-à-dire à chaque seconde. Il s’était souvent demandé si elle était vraiment un souvenir ou s’il s’agissait juste d’un rêve. Mais il doutait que son esprit ait pu imaginer une telle perfection. Parce qu’elle était parfaite. Plus belle que tout. De longs cheveux noirs d’une douceur étonnante, un teint doré, des lèvres pleines et d’un rouge soutenu. Et des yeux… incroyables. D’un vert profond et changeant, parsemé de gouttes d’or. Son regard était tellement intense que c’était de ses yeux que Newt s’était souvenu en premier. Et c’était eux qu’ils voyaient quand il avait besoin de respirer. Il avait cette sensation qu’elle avait été son âme sœur, sa moitié ; qu’il n’avait pu fonctionner qu’avec elle. 

Il était heureux de se souvenir d’elle, mais il trouvait que le prix à payer était lourdement élevé. Parce qu’il devait endurer le manque et la frustration tous les jours. Et la peur de ne pas la retrouver si un jour il avait la chance de sortir d’ici. Newt se demandait sans cesse pourquoi lui. Pourquoi se souvenait-il de quelques bribes de sa vie d’avant -les meilleures, supposait-il- et aucun autre ? Pour éviter de devenir fou, il avait parlé d’elle à quelques uns. Les plus proches, ceux en qui il avait entièrement confiance. Albi, Minho, Benji. Ils paraissaient l’envier. Newt ne savait pas s’ils avaient raison ou tord. 

Avec un sourire, il repensa à la première fois où il l’avait rencontré :

« Il a 15 ans. Comme tous les matins depuis septembre, il sort de chez lui et prend la direction du Lycée Madeleine Michelis à pied. Et, comme tous les matins, il s’assoit à sa place – au fond, près de la fenêtre- quinze minutes plus tard et sort ses affaires de français. La classe se remplit peu à peu. Son ami Terry lui tape dans la main avant de s’installer à ses côtés. Mr Barbier fait son apparition et demande le silence. Alors qu’il s’apprête à commencer son cours, on frappe à la porte. Newt lève les yeux de son cahier pour regarder entrer le proviseur accompagné d’une jeune fille. Ce n’est que lorsqu’elle tourne les yeux vers la classe que Newt aperçoit son visage. Il a l’impression que le monde s’arrête de tourner, que le temps ralentit jusqu’à ce que les secondes deviennent des heures. Les battements de son cœur sont erratiques et sa respiration coupée. Il se sent étrangement léger et euphorique, comme s’il venait de découvrir un nouveau monde, de nouvelles possibilités. Newt est incapable de détourner son regard d’elle et quand leurs yeux s’accrochent, un violent courant électrique lui parcours le corps. Cela ne dure qu’une seconde ; elle ne fait déjà plus attention à lui. Il revient difficilement à la réalité quand Terry lui donne un coup de coude.

- T’as vu la nouvelle ? Elle est canon !

Newt serre les poings, surpris de la soudaine jalousie qu’il ressent. Il lève les yeux et observe ses camarades. Tout le monde n’a d’yeux que pour elle. Cela l’énerve et il ne comprend pas pourquoi. Un tas de questions lui viennent alors à l’esprit ; il ressent une irrésistible envie de tout savoir d’elle. Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Pourquoi arrive t-elle en plein milieu du second trimestre ? Il entend vaguement la voix du Professeur Barbier.

- Je vous présente Sienna, une nouvelle élève. J’espère que vous ferez en sorte qu’elle se sente la bienvenue. Sienna, vous pouvez vous asseoir à côté de Clémentine. 

Newt la regarde s’avancer et s’installer à la place désignée en répétant son prénom avec délice. Comme il aurait aimé que la place à côté de lui soit libre… Il croise une nouvelle fois son regard mais elle détourne rapidement les yeux. Barbier commence son cours mais Newt ne parvient pas à comprendre un seul mot. Son esprit est entièrement tourné vers elle. Jamais un cours ne lui a semblé aussi long. Il attend avec impatience la sonnerie de fin de cours avec la folle intention d’aller lui parler. Quand enfin elle retentit, il range ses affaires à la vitesse de la lumière et attend dans le couloir qu’elle passe la porte de la salle de classe. Ses veines brûlent de frustration quand il s’aperçoit que tous les autres garçons ont eu la même idée. Elle sort entourée d’une dizaine de ses camarades, noyée sous les questions et les sourires. Rivant son regard sur son beau visage, Newt devine qu’elle n’apprécie pas ce débordement d’attention. Frustré, il décide de ne pas rajouter à sa peine et de la laisser tranquille. A contrecœur, il s’éloigne et prend la direction de l’arrêt de bus le plus proche, avec l’intention de faire un tour dans le centre ville. Alors qu’il attend le bus, écouteurs enfoncés dans les oreilles, il a la surprise de la voir s’approcher de lui. Elle lui adresse un petit sourire qui lui provoque une vague de chaleur dans tout le corps. Puis elle s’arrête devant le panneau pour consulter les horaires. Newt prend son courage à deux mains et s’éclaircit la gorge. 

- Heu…bonjour, bafouille t-il. Je suis…tu…enfin, on est dans la même classe. 

Elle tourne la tête vers lui et il sent son cœur battre furieusement.

- Oui, je sais, répond t-elle en souriant.

Elle lui tend la main et il la serre doucement. Il n’arrive pas à croire qu’elle lui donne l’occasion de la toucher. 

- Sienna. Enchantée, ajoute t-elle.

- Heu… Moi, c’est Newt.

- Newt ? C’est un drôle de prénom.

- Pour Newton, précise t-il, gêné.

Elle lui sourit encore avant de reprendre :

- Tu peux me dire quelle ligne je dois prendre pour aller au Trocadéro ?

- La 9, répond t-il immédiatement. Tu…tu y seras en vingt minutes. Il y en a qui ne va pas tarder. 

- D’accord. Merci. 

- Je t’en prie. Si tu as besoin de n’importe quoi d’autre… Enfin, si je peux t’aider…

Le bus de la ligne 9 fait son entrée sur le quai. Newt se mit à maudire le chauffeur. Sienna s’approche de la porte pour monter et se tourne vers lui. 

- Je saurais à qui demander, répond t-elle avec un doux sourire. 

Puis elle monte et disparaît dans le flot des voyageurs ». 

Newt rouvrit les yeux en soupirant. Il ne se souvenait pas de ce qu’il avait fait après son départ ni des jours qui avaient suivis. Mais d’après les quelques autres souvenirs qui lui restaient, ils avaient vécus un moment ensemble et heureux. Et il aurait tout donné pour retrouver ce qu’ils avaient. Après un dernier soupir de résignation, Newt se secoua et se remit sur ses pieds – les autres avaient besoin de lui. 

Alors que Newt descendait la petite colline pour rejoindre le camp, le bruit familier de la cage qui remonte se fit entendre. Newt sentit les battements de son cœur accélérer. Elle n’était pas sensée remonter maintenant. Thomas était arrivé il y avait à peine une semaine. Il se précipita vers le puit ; tous les autres firent de même. Newt dut jouer des coudes pour traverser l’attroupement qui s’était déjà formé. Gally ouvrit la grosse grille qui recouvrait la boite. Newt y sauta. Il s’approcha lentement de la personne qui était allongé sur le sol et s’aperçut avec surprise qu’il s’agissait d’une jeune femme. Levant un visage étonné vers Gally, il lâcha :

- C’est une fille. 

Un silence atterré régna quelques secondes puis des commentaires étonnés s’élevèrent. 

- Elle est morte ? Demanda Winston.

- J’en sais rien, répondit Newt en observant la jeune fille.

Elle devait avoir la vingtaine, brune, la peau blanche. Elle était immobile et ne semblait pas respirer. 

- Qu’est-ce qu’elle a dans la main ? Demanda Gally en désignant la main droite de l’inconnue. 

Newt, qui n’avait pas remarqué le bout de papier qu’elle tenait, s’en empara. Il le déplia, de plus en plus perplexe. Il lut a haute voix :

- « C’est la dernière. Après, c’est fini. »

Il observa les visages de ses camarades, qui paraissaient aussi interdits que lui. 

- Ca veut dire quoi ce truc ? 

Soudain, la jeune fille revint à elle en inspirant bruyamment et en se redressant brutalement. Newt fit un bond, pris par surprise. Paniquée, elle leva les yeux vers les autres. 

- Thomas…, souffla t-elle, la respiration saccadée. 

Puis elle sombra à nouveau dans l’inconscience. Newt leva les yeux vers Thomas ; toute l’attention était portée sur lui. Mais il ne semblait pas avoir davantage d’explication que les autres. 

- Vous croyez toujours que j’ai tort ? Lâcha Gally en jetant un regard mauvais à Thomas. 

Newt remonta à la surface avant que cela ne dégénère.

- Gally, c’est bon. Emmenez la à l’infirmerie, mettez la dans un lit, lança t-il à Winston et Stephan. 

Quand ce fut fait, il se dirigea vers l’infirmerie, accompagné de Minho et Thomas. Chris, leur « médecin » était au chevet de la jeune fille. 

- Qu’est-ce qu’elle a ? Lui demanda Newt. Pourquoi elle se réveille pas ? 

- Il faut attendre, marmonna t-il. Moi, j’ai eu ce taf comme toi, t’as eu le tien. 

Newt laissa couler et se tourna vers Thomas.

- Tu reconnais cette fille ? 

- Non, répondit Thomas, paumé. 

- Non ? Parce que visiblement, elle, elle t’a reconnu. 

Thomas resta silencieux et préféra changer de sujet. 

- Et ce message, c’est quoi ? S’enquit-il. 

- On s’occupera du message plus tard, décida Newt. 

- J’crois qu’il faudrait s’en occuper tout de suite, insista Thomas. 

Newt et Minho se tournèrent vers lui. 

- On a largement de quoi faire pour l’instant, répliqua Newt. 

- Nan, il a raison, Newt, intervint Chris. Je crois que si la boite ne devait plus jamais remonter, on tiendrait pas très longtemps. 

- On en est pas encore là. Ça sert à rien de pleurer avant d’avoir mal. On n’a qu’a…on n’a qu’a attendre qu’elle se réveille. Elle a peut-être des choses à nous dire. 

Newt tourna à nouveau son regard vers la nouvelle venue. Son esprit regorgeait de questions. Aucune fille n’avait jamais été envoyée ici. Pourquoi elle ? Pourquoi maintenant ? Le plus étrange, c’était qu’elle connaissait Thomas ; elle l’avait reconnu. Newt espérait qu’elle se souviendrait d’autres choses. Qu’elle aurait des réponses à leurs questions. Et qu’ils sortiraient enfin de cette putain de zone. 


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