Sienna

Chapitre 6

2341 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/01/2020 16:51

Kart m’avait demandé de le suivre dans la grande paillote située au milieu du camp, que nous appelions la « salle du conseil ». Nous nous y réunissions dès qu’une décision était à prendre ou simplement pour y tenir nos réunions. Je passai la porte à la suite de Kart. La paillote était déserte. Je m’approchai du banc le plus proche ; mes jambes tremblaient encore et j’avais du mal à rester debout. 

- Ça va ? S’enquit Kart en me voyant m’asseoir avec précaution. 

Je hochai la tête en silence. 

- Tu es sure ? Insista t-il.

- Oui, répondis-je, un peu agacée. Ça va. Ce n’est pas le cas de Ben. 

Kart soupira en secouant la tête. 

- Il est plus que mon adjoint, il est mon ami, tu le sais. Ce qui lui arrive m’affecte autant que toi. 

Je gardai le silence, attendant de savoir pourquoi il m’avait amené ici. Kart passa une main nerveuse dans ses cheveux. 

- Qu’est ce qu’il s’est passé exactement ?

- On faisait le guet à l’entrée de la section 8, répondis-je mécaniquement. On a entendu un griffeur approcher. Il a surgit de nulle part alors qu’on courrait le long d’une allée. Ben a glissé et il a terminé sa course entre ses griffes. 

- Comment vous vous en êtes sortis ?

- J’ai tiré une flèche dans le cou du griffeur. Il a lâché Ben et m’a poursuivi un moment avant de finir écrasé entre deux murs. 

Kart cilla. Il posa un regard sceptique sur moi.

- Il est mort ? Tu as tué un griffeur ? 

J’acquiesçai en silence tandis qu’il me dévisageait avec étonnement. 

- Ok…, souffla t-il. Ça, c’est une grande première. 

J’hésitai une seconde à lui parler du cylindre métallique que j’avais trouvé dans le corps de la créature. Puis décidai d’attendre de voir où cela me mènerait. 

- Ça a du être dur de ramener Ben jusqu’ici, reprit Kart. 

Je levai la tête vers lui, attendant la suite. Je n’avais aucunement envie de parler de l’horrible solitude que j’avais ressenti. 

- Tu es consciente que… - il chercha mon regard et sembla peser ses mots - … que l’avoir ramené ici ne changera rien ? 

Je soutins son regard.

- Bien sur que si, rétorquai-je. Il va mourir, j’en suis consciente. Et la moindre des choses que je pouvais faire, c’était de faire en sorte qu’il s’en aille ici, entouré par tous ceux qui partage sa vie depuis des mois. Pas seul, dans ce putain de labyrinthe, sans même la chance de revoir le soleil une dernière fois. Il était hors de question que je le laisse là bas, Kart. 

Il me dévisagea un instant et je ne parvins pas à déchiffrer son expression. 

- Tu es la plus courageuse de nous tous, souffla t-il. Ou la plus inconsciente, je ne sais pas. 

- Qu’est ce que l’inconscience vient faire la dedans ? 

- Tu savais que Ben ne s’en sortirait pas. Tu as quand même risqué de mourir pour le ramener. Ta vie vaut plus que ça.

Je fronçai les sourcils avec désapprobation. 

- Ma vie ne vaut pas plus que celle de Ben ou de n’importe qui d’autre. 

Le visage de Kart se fit plus grave.

- Pour moi, si.

La tournure que prenait cette discussion ne me plaisait pas. Je me levai en secouant la tête. Kart se planta devant moi.

- Sienna..., murmura t-il, je sais que Ben et toi étiez très proches et que ce sera dur pour toi dans les jours à venir. 

Il s’approcha encore davantage et prit ma main dans la sienne.

- J’aimerais pouvoir te consoler…davantage.

Kart me regarda avec insistance. Je repris ma main brusquement. 

- On a déjà eu cette discussion, Kart, dis-je sèchement. Rien n’a changé. 

Il ferma les yeux un instant et soupira. 

- Comme tu voudras…, lâcha t-il avec un air abattu. 

Après lui avoir jeté un dernier regard, je pris la direction de la sortie. Il m’interpela une dernière fois.

- Je crois que je serais capable de t’attendre longtemps.

- Ne te donne pas cette peine, rétorquai-je sans même me retourner. 

Je passai le pas de la porte et m’éloignai de la paillote au pas de course. J’avais été dure avec Kart. Mais je ne supportais pas ses avances. Mon cœur et mon corps ne réclamaient que lui. Et il n’aurait pas pu plus mal choisir son moment. Sérieusement, comment pouvait-il penser à ça alors que Ben était mourant ? Etait-ce pour profiter de la situation ? 

Chassant Kart de mes pensées, je récupérai mon sac à dos, abandonné près de la cabane qui me servait de dortoir. Les autres paraissaient être déjà retournés à leurs occupations – c’était le meilleur moyen de ne pas se laisser abattre. Mon regard fut irrésistiblement attiré vers l’infirmerie. Irina – notre « infirmière »- en sortait, accompagnée d’Ethan. Je supposai que Camille était au chevet de Ben. Je ne me sentais pas la force de les rejoindre et ils avaient besoin d’être seuls. Je m’éclipsai vers la forêt. Je fus soulagée quand j’arrivai près de la rivière ; il n’y avait personne en vue. Je laissai tomber mon sac à dos près du gros rocher et me mis à genou au bord de la rivière. La surface de l’eau était calme, il n’y avait jamais aucun courant ici. J’observai un instant mon reflet. Mon visage était sale. De boue et de sang. Plongeant mes mains dans l’eau fraîche, je me rinçai abondamment. Alors que je fermai les yeux, le visage de Ben, son expression résignée quand il m’avait dit « je vais crever », s’imprima devant ma rétine. Je n’osais imaginer ce qui pouvait passer par la tête quand on comprenait que c’était fini. Quand on avait vu des amis mourir de cette horrible façon. Ce n’était pas la blessure à l’abdomen qui tuerait Ben. Ce serait la fièvre. Il était infecté, comme l’avait été Hugo ou Simon. La piqure d’un griffeur était mortelle. Elle agissait comme un virus. Ça commençait comme une grosse grippe. Puis la température grimpait en flèche, au point d’en devenir fou. Et la peau commençait à flétrir, comme si elle était déjà morte. Tous ceux qui avaient été infectés étaient devenus incontrôlables, agressifs et complètement incohérents. Je ne parvenais pas à m’imaginer Ben dans cet état…

Je joignis mes mains pour boire une gorgée d’eau puis je me relevai. Je jetai un œil aux alentours pour m’assurer que j’étais toujours seule. L’endroit était calme. J’avais toujours aimé venir ici. La petite clairière avait constitué le parfait lieu d’entraînement. J’y venais encore pour m’exercer au tir à l’arc. Quand j’étais arrivée ici, je n’aurais jamais pensé être capable de manier une arme. Mais au fur et à mesure des semaines, je m’étais rendue compte que mes compétences dépassaient de loin ce que j’avais imaginé. Et elles dépassaient aussi celles des autres. Il m’avait été facile de faire du feu, de construire un arc ou des flèches, de trouver de quoi se nourrir. J’étais agile et rapide. C’était ce qui m’avait sauvé dans le labyrinthe aujourd’hui. Je faisais tout par instinct. Comme si j’avais déjà vécu tout ça auparavant. Ou qu’on m’y avait entraîné. Je ne me souvenais pas d’où me venaient toutes ces facultés. Et ça me faisait peur. Parce que quelqu’un de bien, quelqu’un de « normal » était rarement aussi doué pour ce genre de choses. 

Je me relevai pour m’asseoir sur le gros rocher. Puis je sortis le cylindre métallique que j’avais trouvé dans le labyrinthe de mon sac a dos. Je l’examinai un moment, le tournant dans tous les sens. Il était d’un gris uni et banal, lisse et long d’environ 20 centimètres. L’inscription WICKED reflétait les rayons du soleil. La diode rouge ne clignotait plus.

Ce bout de métal me donnait à réfléchir. J’avais toujours considéré les griffeurs comme des animaux, des erreurs de la nature. Comme des êtres vivants. Mais ce cylindre était de fabrication humaine. Et estampillé par WICKED. Ceux qui nous avaient enfermés ici avaient aussi fabriqué les griffeurs. Dans quel but ? Nous tuer jusqu’au dernier ? De quelle manière les contrôlaient-ils ? Secouant la tête avec découragement, je me dis que ce cylindre ne m’apprenait rien de plus. Au contraire, il posait beaucoup plus de questions qu’il apportait de réponses. Malgré ça, je le remis précautionneusement dans mon sac à dos ; j’avais l’intuition qu'il me servirait tôt ou tard.

Rejetant la tête en arrière, je savourai la chaleur du soleil sur mon visage. Ce soleil dont Ben ne profiterait plus bien longtemps… Pour écarter mes réflexions morbides, je fermai les yeux et me laissai glisser jusqu’à lui : 

« Newt s’installe derrière le volant et ferme la portière. Je l’observe régler le rétroviseur et le siège – alors que personne d’autre que lui n’a conduit cette voiture- en souriant d’un air moqueur.

- Allez arrêtes de frimer, Monsieur « j’ai le permis ». Tu te souviens comment on démarre ? 

Il tourne la tête vers moi, avec un air faussement arrogant.

- Oui, je me souviens comment on démarre, Mademoiselle « je ne sais pas prendre mon temps », réplique t-il. 

Je ris tandis que le moteur se fait enfin entendre. 

- Bien sur que je sais prendre mon temps. De manière raisonnable.

Newt me regarde, un sourcil levé. 

- Non, dit-il avec assurance. Tu ne sais pas prendre ton temps. Tu cours du matin au soir et il faudrait presque que je t’attache au lit pour que tu fasses une grasse mat’ avec moi

Je ne peux m’empêcher de rire. Je lui fais une œillade.

- Ca pourrait être un programme intéressant.

Son sourire mutin s’agrandit et ses beaux yeux presque noirs pétillent.

- Ça, c’est pour ce soir ma chérie. Avant, justement, on va prendre notre temps.

Newt plonge son regard dans le mien avec tendresse, avant de reporter son attention sur la route.

- J’ai envie d’être seul avec toi, loin de tout. J’ai pas assez profité de toi ces derniers temps.

- Ça me va, je dis en souriant. Et qu’est ce que tu as prévu ? 

- On décolle pour les Seychelles dans deux heures, déclare t-il avec sérieux.

N’y croyant pas une seconde, j’éclate de rire. 

- Mais bien sur. Commence par t’acheter une voiture digne de ce nom.

Je tripote les fils qui pendouillent un peu partout dans l’habitacle. Newt fait la grimace. 

- Pas faux. D’accord, pas de Seychelles. Mais un petit pique nique.

- Super. C’est une bonne idée. Et où ça ?

Il me fait un clin d’œil.

- C’est une surprise. 

Je souris devant son air réjoui.

- D’accord.

Newt tourne la tête vers moi, l’air surpris.

- Quoi, c’est tout ? Demande t-il, étonné que je ne le cuisine pas davantage. 

Je l’observe, amusée.

- Tu pourrais m’emmener au bout du monde que ça me serait égal. 

Nous échangeons un regard complice.

- Je t’emmènerai au bout du monde un jour, je te le promets, souffle t-il avec sérieux.

Les essuie-glaces choisissent ce moment pour se mettre à fonctionner sans raison apparente. Newt tourne le comodo en fonçant les sourcils.

- Enfin, quand j’aurais changé de voiture, ajoute t-il.

Des larmes de rire me montent aux yeux et je secoue la tête, hilare. Croisant son regard taquin, je murmure :

- Je t’aime.

- Je t’aime aussi, ma belle. »


- Sienna ?

La voix de Camille me ramena brutalement sur terre. Elle surgit d’un bosquet et s’avança vers moi. Son visage était pale et ses yeux rougis de larmes. Je me levai précipitamment, le cœur battant, appréhendant ses mots. Ben était-il… ? Camille parvint jusqu’à moi et tomba dans mes bras. Elle pleura à chaudes larmes un petit moment et je la consolai comme je pus. Quand elle fut un peu calmée, elle secoua la tête en reculant. 

- Il ne va pas s’en sortir, souffla t-elle, la voix tremblante. 

Je ne savais pas trop s’il s’agissait d’une affirmation ou d’une question. Je me mordis l’intérieur de la joue en hochant la tête. 

- Il veut te voir, ajouta t-elle entre deux sanglots. 

Mon cœur se serra. Je n’étais pas certaine d’avoir la force de voir mon ami mourant. Mais j’y étais obligée. Je ne lui refuserai pas ça.

- D’accord. Allez, viens, dis-je en entraînant Camille vers le camp. 


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