Sienna
Le jeune homme brun d’une vingtaine d’années se réveilla en sursaut. Il cligna des yeux plusieurs fois, ébloui par la lumière du jour. Les membres engourdis, il s’approcha de la grille en bambou. Il se trouvait dans une cellule de fortune et il n’avait aucune idée de ce qu’il faisait là.
- Salut.
Une voix grave le fit sursauter et il eut un mouvement de recul. Un homme à peine plus âgé que lui, noir et musclé, s’accroupit devant la grille.
- Alors, ça va le petit ? Demanda t-il. Tu vas pas essayer de t’enfuir encore, hein ?
Le jeune homme brun secoua la tête.
- Cool.
L’autre ouvrit la porte et s’accroupit à nouveau pour être à son niveau.
- Je m’appelle Albi, dit-il. Tu te souviens de ta vie d’avant ? De qui tu es ? D’où tu viens ? Ce genre de truc ?
Le jeune homme réfléchit une seconde à la question avant de se rendre compte, angoissé, qu’il n’avait aucun souvenir. Il secoua la tête avec force.
- Non…non.
- Comment tu t’appelles ? Demanda encore Albi.
- Aucune idée. Je…je me souviens de rien. P…pourquoi est-ce que je me souviens de rien ?
La panique commençait à déformer sa voix. Albi s’en rendit compte.
- Hé, ça va aller, dit-il d’un ton rassurant. Détends-toi. Calme toi, d’accord ? C’est normal. Tout le monde a ressenti ça.
Albi lui jeta un coup d’œil.
- Tu vas t’en rappeler dans un jour ou deux. C’est la seule chose qu’ils nous laissent, ajouta t-il après un court silence.
Le jeune homme leva la tête vers Albi, la colère durcissant ses traits.
- C’est quoi cet endroit ? L’interrogea t-il.
Albi lui tendit la main.
- Je te fais faire le tour ?
Il l’enjoignit à quitter sa cellule et, une fois à l’air libre, le jeune homme regarda autour de lui. Une vaste étendue de pelouse s’étalait à ses pieds, parsemée ça et là de quelques chênes centenaires. Au loin, il ne distinguait que la cime des arbres. Et sur sa droite, des immenses murs hauts de plusieurs dizaines de mètres, lisses et recouverts de lierre. Des dizaines de jeunes personnes – tous des hommes d’après ce qu’il pouvait en voir - s’affairaient au quatre coin de la prairie. Il suivit Albi vers le camp, situé à la lisière de la foret.
- On mange ici. On dort ici. On cultive notre nourriture. On construit nos habitations.
Le jeune homme eut du mal à en croire ses yeux. C’était un vrai camp, organisé, entièrement autonome. Et perdu au milieu de nulle part. Qu’est-ce qu’il foutait là ?
- Tout ce qui est matériel, la boite nous le fourni, continua Albi. Pour le reste, on se débrouille.
- La boite ? Releva t-il.
Son regard se tourna vers le puit par lequel il se souvenait être arrivé, enfermé dans une grande cage.
- Ouais. Elle est envoyée chaque mois, avec du ravitaillement et un autre nouveau. Ce mois-ci, c’est toi. Mes félicitations, ajouta Albi avec ironie.
- Envoyée…par qui ? Qui nous a parqués ici ?
Albi secoua la tête.
- On ne le sait pas.
- Hé Albi, tout va bien ?
Les deux jeunes hommes tournèrent la tête vers un troisième qui les rejoignit. Il était grand et fin, des cheveux cuivrés en bataille et un sourire avenant. Albi l’accueillit chaleureusement.
- Le nouveau, dit Albi, je te présente Newt. Quand je suis pas là, c’est lui le chef.
Newt lui serra la main avec sympathie.
- Une chance que tu sois toujours là, alors, plaisanta Newt à l’intention d’Albi.
Puis il se tourna vers le nouveau venu.
- Tu nous as fait un sprint de la mort tout à l’heure, dit-il avec enthousiasme. J’ai même pensé que tu avais l’étoffe du parfait coureur. Jusqu’à…ton vol plané. C’était d’enfer.
Albi s’esclaffa.
- Comment ça …un coureur ? Voulut savoir le nouveau, un peu honteux d'avoir prit la fuite en sortant de la boite.
- Newt, rends moi service, éluda Albi. Trouve moi Chuck.
Le sourire de Newt fondit légèrement.
- Ouais, d’accord.
Il s’éloigna.
- Bon, je suis obligé de faire court, j’ai du pain sur la planche, reprit Albi. On a seulement trois règles. Règle numéro un : fais ta part. On n’aime pas les fainéants ici. Numéro deux : fais jamais de mal à un autre zonard. Notre système est basé sur la confiance.
Albi se redressa et le regarda droit dans les yeux.
- Et la plus importante des règles : défense de dépasser les murs du labyrinthe. Est-ce que t’as compris le nouveau ?
Le jeune homme acquiesça silencieusement et Albi le laissa planté là.
La nuit tombée, un feu de camp avait été allumé et le groupe s’y était rassemblé. Au grand étonnement du nouveau venu, il y régnait une ambiance légère et bon enfant. Il accepta l’assiette que Chuck, un garçon grassouillet d’une douzaine d’années, lui tendit. Une soupe de légumes.
Une bonne heure plus tard, tout le monde avait mangé et, digestion oblige, le camp était redevenu calme. Désœuvré et paumé, le nouveau s’écarta un peu du groupe et s’assit sur la pelouse, adossé contre un tronc d’arbre couché. Newt vint le rejoindre, son bol de soupe pas encore terminé.
- Sacrée première journée, mon vieux, lâcha t-il en s’asseyant à ses côtés.
Il hocha la tête, silencieux. Newt le dévisagea un instant.
- Tiens, dit-il en lui tendant un bocal rempli d’un liquide orange. C’est pas une boisson de trouillard.
Le jeune homme s’empara du bocal et le porta à sa bouche. A peine eu t-il goûté à la première gorgée qu’il s’étouffa et recracha l’horrible mixture. Il toussa plusieurs fois tandis que Newt se marrait.
- Ça brûle, c’est quoi ce truc ?
- J’en sais rien du tout, dit Newt. C’est Gally qui fabrique ça. C’est une recette secrète.
Newt jeta un œil près du feu où Gally et quelques autres s’amusaient à la lutte. Le regard du nouveau venu suivit le sien et s’assombrit. Un peu plus tôt dans la journée, alors qu’il s’était approché trop près des hauts murs du labyrinthe, Gally lui avait sauté dessus comme un enragé.
- Ça l’empêche pas d’être con, lâcha t-il.
Le visage de Newt devint plus grave.
- Il t’a sauvé la vie tout à l’heure. Crois moi. Le labyrinthe est vraiment dangereux.
Le nouveau garda le silence un moment.
- On est enfermés ici…n’est-ce pas ? murmura t-il.
- Pour le moment.
Newt semblait sur de lui. Il lui désigna deux ou trois mecs près du feu.
- Tu vois ces gars, à côté du feu de camp ? Ce sont les coureurs. Et celui qui est assit au milieu, il s’appelle Minho. C’est le chef des coureurs. Ils ont pour mission de parcourir le labyrinthe chaque matin dès que les portes s’ouvrent. De le mémoriser. Pour pouvoir le cartographier pour trouver une issue.
- Et ils font ça depuis longtemps ?
Le regard de Newt se fit lointain et il se mordit l’intérieur de la joue.
- Trois ans.
Le cœur du nouveau loupa un battement et il tourna brusquement la tête vers Newt.
- En trois ans, vous avez rien découvert ?
Newt eut un sourire.
- C’est plus facile à dire qu’à faire. Écoute.
Le nouveau tendit l’oreille et perçut de drôles de grondements émanant de derrière les hauts murs.
- T’entends ça ? C’est le labyrinthe. Qui se transforme. Comme tous les soirs.
- Comment est-ce que c’est possible ?
- Si tu peux poser la question un jour à ceux qui nous ont mis là, fais le, répondit Newt, toujours souriant. Souviens toi d’une chose. Les coureurs sont les seuls à savoir vraiment ce qu’il se passe là dedans. Ce sont les plus forts et les plus rapides d’entre nous. Et ça vaut mieux. Parce que s’ils ne sont pas capables de ressortir à temps, ils se retrouvent coincés pour la nuit. Et personne n’a survécu une nuit dans le labyrinthe.
Newt lança au nouveau venu un regard appuyé. Ce dernier l’observa boire une gorgée.
- Qu’est-ce qui leur arrive ?
- On les appelle les Cerberes. Ceux qui en ont vu un sont tous morts avant de pouvoir en parler. Et pourtant, ils sont là.
Un silence tendu s’installa.
- Et toi ? Tu es déjà allé dans le labyrinthe ? Demanda le jeune homme.
Newt l’observa un instant, paraissant songeur.
- Ouais. Minho n’a pas toujours été le chef des coureurs.
Une lueur de compréhension s’alluma dans les yeux du nouveau.
- Tu étais coureur ?
Newt releva légèrement le bas de son pantalon pour dévoiler une cicatrice impressionnante sur sa cheville.
- La labyrinthe a été plus fort que moi ce jour là. J’ai dû prendre ma retraite, ajouta t-il avec légèreté.
Newt se remit alors sur ses pieds, sans laisser le temps au nouveau de réfléchir davantage.
- Bon, allez viens. Ça fait assez de questions pour un soir. Allons faire la fête.
- Heu…
- Allez debout. Je vais te présenter à tout le monde.