Parmi mon peuple
Amerys, qui dormait d’un profond sommeil, fut inopportunément tirée de ses rêveries par une voix qui gâcha son sommeil pourtant mérité. Somnolente, elle se frotta les yeux avant de les ouvrir doucement. C’était le milieu de la nuit et tout le monde dormait encore paisiblement. Elle avait dû rêver… Dès lors, s’enroulant chaudement dans ses draps elle se tourna et tenta de se rendormir.
— Demi-naine…, résonna cette fois plus vivement la voix.
La jeune endormie sursauta, puis scruta la pénombre, méfiante et à l’écoute du moindre bruit suspicieux. Les nains dormaient toujours, même Fili, posté au pied du lit, respirait doucement, signe que son sommeil était profond. Personne d’autre n’avait donc entendu cette voix ?
Soudain, une lumière éblouissante lui piqua les yeux. Une aura flottante apparut ensuite au-dessus de son lit. La jeune naine en resta bouche bée car devant elle se tenait l’ectoplasme d’une femme dans les airs. Aussi blanche que l’albâtre et aussi transparente que le vent, elle volait gracieusement devant les yeux ébahis d’Amerys. Le visage de cette élégante dame était paisible, impassible même, pourtant elle se remémora soudain l’avoir déjà vue quelque part.
— Suis-moi…, susurra alors l’esprit qui s’en allait en flottant comme une feuille sous la brise.
— Attendez ! s’exclama brusquement dans un murmure Amerys, qui perdue, ne savait pas si elle rêvait ou si tout cela était bien réel.
Qu’était-elle au juste ? Ou qui était-elle ? Jamais encore elle n’avait vu pareille personne… Emportée par sa vive curiosité la jeune naine sortit discrètement de ses draps, enfila ses bottes et sans faire de bruit partit à la recherche de la dame transparente au travers des corridors sombres. Saisie par quelques frissons car à peine sortie de sa couche bien chaude elle se frotta machinalement les bras pour se réchauffer, peut-être même plus pour se réconforter car il est vrai que tout était irréel et peu rassurant. Saisissant une torche au passage pour éclairer son chemin elle avança à tâtons pour retrouver la femme blanche. Celle-ci lui disait quelque chose, elle avait déjà vu son visage quelque part… Puis soudain cela lui revint comme une illumination. Amerys l’avait tout bonnement aperçue quelques heures plutôt à la fenêtre avant qu’elle ne disparaisse comme par enchantement. Et cette voix… Cette voix était la même que celle qui lui avait soufflé les indices pour la clé du coffre dans la chambre.
— Madame… murmura alors Amerys d’une voix hésitante.
Un souffle frais passa soudain dans sa nuque avant que cette étrange femme apparaisse de retour devant elle, un sourire triste sur les lèvres tandis que ses cheveux d’argents flottaient autour de sa frêle carrure. Elle n’était plus toute jeune mais ne semblait à priori pas faite de chair et d’os… Serait-elle un esprit, comme ceux des contes de son enfance… ? Non impossible, elle n’en avait jamais vu auparavant. Peut-être rêvait-elle ou délirait-elle. Peut-être qu’elle n’était qu’une illusion…La naine ne savait plus quoi penser et cela la troubla au plus haut point.
— Que me voulez-vous ? demanda cette fois-ci Amerys d’une voix chevrotante face à cet être livide qui ne semblait pourtant pas menaçant.
— Suis-moi, murmura à nouveau l’ectoplasme en volant plus loin.
Peu confiante par l’invitation mais piquée par une intense curiosité la jeune naine suivit hypnotiquement l’esprit à travers les dédales et recoins les plus sombres du château.
— Où m’emmenez-vous ? demanda un moment Amerys qui comprenait désormais qu’elle s’enfonçait de plus en plus dans les souterrains et profondeurs de la demeure.
— Ayez confiance, je ne vous veux aucun mal, déclara peu après la voix cristalline et résonante. J’ai besoin de vous…
La dame avait dit cette phrase avec tant de nostalgie que touchée par sa sincérité Amerys, déterminée, continua de la suivre pour découvrir ce grand mystère. Elle aurait peut-être enfin la réponse à toutes leurs interrogations depuis qu’ils étaient arrivés ici.
Le froid et l’humidité s’infiltraient maintenant dans tout son corps et l’exploratrice sentait qu’elle n’allait pas tarder à greloter. Cependant, l’esprit l’invitait toujours à la suivre, allumant comme par magie chaque chandelle des corridors lugubres, jusqu’à ce qu’elles débouchent enfin dans une salle circulaire austère où plusieurs tombes grisâtres et alignés prenaient place en son centre ; probablement les propriétaires de la demeure. L’endroit était froid, sec, poussiéreux et totalement cloîtré, rendant l’odeur âcre. Amerys s’arrêta alors en comprenant qu’elle se trouvait dans le tombeau familial, puis l’ectoplasme virevolta doucement tout en scrutant Amerys de ses yeux vagues et lointains.
— Montrez-vous, ordonna-t-elle d’une voix douce.
La jeune naine leva un sourcil, perplexe.
— Mais vous me voyez, je suis devant vous, articula-t-elle doucement comme si le fantôme n’était pas capable de la comprendre correctement.
— Je ne parle pas de vous mais du petit être qui nous suit depuis un moment, invisible à vos yeux mais que les miens savent déceler sans peine.
Amerys fit volte-face pour tenter d’apercevoir le concerné mais à ses yeux il n’y avait qu’elle et le spectre blanc. Plissant les yeux pour forcer ses rétines à voir qui était là, elle ne remarqua rien de particulier ni de suspect, aucune présence intrusive. A qui parlait-elle donc ?
— Montrez-vous, ordonna encore le fantôme avec une voix plus autoritaire.
Soudain, Bilbon apparut comme par enchantement devant leurs yeux, prenant au dépourvu Amerys qui écarquilla les yeux. Il semblait gêné mais fit comme si de rien n’était avant de glisser secrètement un objet brillant dans la petite poche de son veston bordeaux. Comment avait-il pu se rendre invisible ? C’était à peine croyable.
— Bilbon, souffla alors Amerys. Que faites-vous là ? Co… Comment pouvez-vous vous rendre invisible ?
— Je vous prie de me pardonner Amerys, s’excusa Bilbon tout en s’avançant vers elle d’un pas hésitant pour se positionner à ses côtés. Je ne voulais nullement vous effrayer. Je vous ai aperçue dans le couloir tandis que je faisais une balade nocturne car je n’arrivais pas à dormir. Quand je vous ai vue suivre ce fantôme je me suis alarmé et donc ai voulu m’assurer que vous ne courriez aucun danger.
Le hobbit éluda brillamment l’explication de son invisibilité mais cela ne perturba pas la naine plus que cela. Non, autre chose attirait son attention.
Amerys observa un instant la femme flottante, parée d’une belle robe telle que celles qu’elle avait vu dans l’armoire de la chambre, à la différence qu’elle était aussi transparente que son propre corps. Même à travers la transparence de son être, la naine pouvait discerner quelques rides sur son visage mature tandis que ses longs cheveux flottaient autour de son visage et ses menues épaules.
— Nous ne courrons aucun danger, affirma Amerys étrangement convaincue par ses propres paroles. Enfin je crois... Qui êtes-vous madame ? Si je ne me trompe pas, c’est grâce à votre aide que j’ai trouvé la cape de voyage dans la chambre ?
L’ectoplasme s’avança avec grâce vers les deux compères avant de répondre :
— C’est effectivement moi qui vous ai montré où trouver cette précieuse cape… Vous me connaissez déjà mais vous ignorez que c’est moi, fit-elle mystérieusement. Vous avez récemment chanté une chanson en mon nom. Je l’ai entendue dans le lointain…
La jeune naine, interloquée par la réponse du spectre, creusa dans ses souvenirs les plus récents pour tenter d’identifier la femme qui se trouvait devant elle mais elle se fit devancer par l’esprit vif de Bilbon :
— Vous êtes la dame de la chanson d’Amerys. Alwena…
A sa plus grande surprise le fantôme de la dame acquiesça son identité. Amerys n’en crut pas ses yeux, cela ne se pouvait, la chanson disait qu’elle avait sauté de la falaise et puis c’était tout bonnement une simple chanson, un conte, une légende… Et elle était un esprit vagabondant dans un château invisible, tout ceci n’avait aucun sens.
— La chanson est quelque peu loin de la vérité, transformée avec les âges. Mais il s’agit bien de moi, je suis Alwena, une demi-elfe qui vécut il y a fort longtemps..
— Pourquoi êtes-vous là ? demanda Bilbon en bon investigateur. Enfin je veux dire que votre esprit soit là ? Et le château, comment se fait-il qu’il soit intact ?
— Ce château reste suspendu en un temps très lointain, par le même sort qui y retient mon âme prisonnière. Cela faisait une éternité que j’attendais que quelqu’un vienne m’en délivrer. Mon souhait s’est enfin réalisé car vous voici en ces lieux, grâce à l’artefact de cette jeune naine.
— Il y a donc bien un sort qui tient ce château loin de la ruine, accepta Amerys, satisfaite de comprendre enfin les mystères de cette demeure.
— Mais qui a lancé le sort ? Que s’est-il passé ? interrogea Bilbon perplexe face à ces révélations inattendues.
La femme flâna dans les airs et fit le tour du tombeau avec nostalgie. Elle caressa une inscription sur le sarcophage tout à gauche et qui n’était autre que le sien. Un mince sourire traversa son visage livide.
— Lorsque j’ai récupéré mes pouvoirs, commença-t-elle, j’ai décidé de reprendre une nouvelle vie, c’est pourquoi je me suis rendue ici en Anduin là où les hommes s’étaient nouvellement installés. J’ai cependant caché mes pouvoirs pour ne pas attirer l’attention. J’y ai rencontré un homme charmant et nous nous sommes mariés peu de temps après. Ceci est notre château, nous l’avons construit ensemble sur ce bel ilot. Nous avons vécu une vie paisible jusqu’à ce que mon passé me rattrape. On m’avait rendu mes pouvoirs mais j’ignorais que cela ne serait pas sans conséquences pour avoir joué avec mon destin. Pour me punir de mes actes, on m’a condamné à errer sans fin après ma mort dans la demeure qui resterait à jamais figé dans le temps et invisible aux yeux de tous, me noyant dans la peine de tous les souvenirs que j’ai ici sans pouvoir trouver le repos auprès de ma famille.
Amerys eut une amère compassion pour Alwena et regretta qu’elle ait dût passer tant de siècles à errer seule dans ce château vide.
— Vous disiez qu’on avait pu trouver votre château grâce à mon pendentif, reprit Amerys, attirée par ce détail. Vous connaissez cet artefact, je me trompe ?
L’ectoplasme acquiesça vaguement.
— Il est très ancien, bien plus que vous ne pouvez l’imaginer. Ce pendentif appartenait à une elfe du nom de Lithirundiel. C’est le roi Thranduil lui-même qui le lui avait offert en cadeau. C’est le saphir, enchanté par les elfes, qui lui confère tous ses pouvoirs. Dans mon souvenir, la pierre permet de dévoiler l’invisible, mais pas seulement, car le contraire ce produit, apportant également l’invisibilité. Un subtil mélange pour trouver ce qui est caché le jour, puis pour protéger la nuit lorsque le danger est grand. On l’appel : Le secret de Lithirundiel.
L’explication d’Alwena était bien plus que satisfaisante et elle n’eut aucun mal à la croire mais après un léger moment de réflexion Amerys fut troublée par un autre détail qui lui titillait subtilement l’esprit.
— Pourquoi ne révèle-t-il son pouvoir qu’à mon contact ? demanda-t-elle ensuite cherchant à comprendre la nature de son bijou.
Alwena secoua la tête de manière négative, elle ne le savait pas.
— Je l’ignore malheureusement, les pierres enchantées par les elfes sont capricieuses et décident d’elles-mêmes à qui elles peuvent servir. Elles ne choisissent par leur hôte par hasard et quand leur porteur vient à mourir, ces joyaux peuvent rester des années et même plus sans dévoiler les pouvoirs qu’ils portent, même si un nouvel hôte entre en sa possession.
— Vous voulez dire que la pierre est vivante et pourrait avoir une sorte de conscience ? s’interloqua Bilbon à peine étonné des éclaircissements de la dame blanche.
— C’est fort possible… Il est bien des mystères en ce monde cher hobbit, tout ne peut pas avoir d’explication rationnelle. La magie des elfes est vieille, puissante et pure, de même que leurs enchantements sont source d’admiration et de respect.
Bilbon afficha une mine indéchiffrable, semblant désormais se plonger dans ses songes suite à l’étrange explication d’Alwena. A quoi pouvait-il bien penser ?
— Vous avez l’air de penser qu’on peut vous délivrer de votre malédiction ? reprit plus tard Amerys pour revenir sur le vif du sujet et de leur présence en ces lieux.
— C’est le cas jeune demi-naine. Vous me rendriez un bien grand service en répondant à mon humble requête et je pourrais enfin reposer en paix. J’ai arpenté tant de fois les couloirs de ce château que je ne me souviens même plus depuis combien de temps mon esprit vagabonde…
Bilbon sortit enfin de ses songes avant de déclarer :
— Nous serions honoré de pouvoir vous aider Dame Alwena. Dites-nous ce que nous devons faire pour vous délivrer.
L’ectoplasme d’Alwena revint à son tombeau avant de leur expliquer avec un fin espoir:
— Tant que mon esprit demeure, le château reste debout mais sachez que si vous me libérez, il faudra peu de temps pour que le temps rattrape les pierres et les fondations même de ma maison, il vous faudra fuir le plus vite possible avant que le château ne s’écroule sous le poids des âges.
Amerys regarda avec effroi son compagnon hobbit. Le regard était lourd de soupçon. Il était évident qu’ils ne pouvaient pas délivrer Alwena tant que tous leurs amis étaient présents dans l’enceinte. Le plus sage aurait été d’attendre le lendemain, juste avant leur départ… En dépit de tout cela, la mission était dangereuse. Aurait-elle le temps de remonter et de sortir avant que la demeure ne s’écroule… ? Un doute commença alors à ronger les bords de sa conscience.
Après un autre moment de réflexion, Amerys ravala douloureusement sa salive avant de répondre à l’esprit d’Alwena :
— Je vais vous libérez, déclara de manière solennelle Amerys. A condition que nous attentions demain matin. Je dois m’assurer que mes amis soient en sécurité si jamais le château venait à s’effondrer.
— Amerys non… souffla Bilbon. Vous ne pouvez pas vous mettre à courir après de tels périls, vous risqueriez de rester coincée ou même d’en mourir. Je ne le permettrai pas, les nains ne le permettront pas.
La jeune demi-naine se renfrogna, Bilbon avait amplement raison, c’était à ses risques et périls. Mais si elle ne le faisait pas, qui délivrerait Alwena de sa terrible malédiction ? Son côté humain ne pouvait laisser cet être dans la détresse et la désolation de sa propre solitude mortelle. L’ectoplasme n’exprimait que tristesse, comment rester impassible ?
Alwena volait maintenant doucement autour de la pièce comme une âme en peine. Peut-être sentait-elle leur hésitation ? Malgré la dangerosité, Amerys était prête à tout pour aider cette femme. Elle savait pertinemment que les nains ne seraient pas d’accord, alors il ne faudrait rien leur dire. Bilbon ne devrait rien leur révéler, mais comment empêcher le hobbit de parler ? Non il ne fallait pas l’empêcher de parler, il fallait simplement le persuader qu’elle ne passerait pas à l’acte…
— Alwena, je suis désolée mais Bilbon a raison, mentit-elle. Je ne puis vous délivrer sans perdre la vie lorsque le château s’écroulera.
A cette révélation, Bilbon sembla fort étonné au vu de ce que son amie avait affirmé précédemment et pourtant il souffla de soulagement. Il avait mordu à l’hameçon. Tant mieux.
Alwena scruta intensément la jeune naine comme si elle était capable de lire ses pensées. Puis son masque redevint tristesse.
— Ne vous en faites pas, je comprends tout à fait, déclara-t-elle alors doucement de sa voix en écho. Les risques encourus sont bien réels et vous avez toute la vie devant vous, cela serait dommage de vous condamner pour une personne déjà morte.
— Pardonnez-nous, murmura peu après Bilbon qui ne pouvait malgré tout cacher sa peine et le regret de devoir lui apporter une réponse négative.
L’ectoplasme adressa un dernier et triste sourire avant de s’évaporer sous leurs yeux. Amerys espérait qu’elle reviendrait le lendemain, lorsqu’elle viendrait véritablement la délivrer de son mal…
Alors sans un mot, elle et Bilbon rebroussèrent chemin pour retourner dans leur chambre.
— Vous avez pris une sage décision Amerys, je n’en attendais pas moins de vous. J’ai vraiment eu peur qu’à un moment vous ne vous décidiez à la délivrer...
La jeune naine eut un sourire amer mais ne souhaita pas répondre au hobbit car elle ne voulait pas se trahir sur ses véritables intentions à l’encontre d’Alwena.
Le lendemain, alors que tout le monde s’affairait à préparer le départ matinal, Amerys était songeuse et surtout très nerveuse. Elle ne cessait d’entortiller ses doigts en pensant à ce qu’elle allait devoir faire pour libérer l’esprit d’Alwena. Son cœur était déterminé mais elle devait bien avouer qu’elle était transie de peur. Elle savait qu’elle pouvait sortir indemne de ce château mais si elle ne réussissait pas…
Amerys attendit dès lors patiemment que tous les nains aient quittés le château, faisant mine de les suivre, mais lorsque personne ne fit attention à elle, la naine rebroussa chemin en courant pour retourner au tombeau d’Alwena. Arrivée à bon port elle cria son nom plusieurs fois jusqu’à ce que la dame apparaisse enfin.
— Je savais que vous reviendriez, je l’ai bien compris hier soir, dit-elle presque souriante.
— Mes amis sont tous sortis alors ne perdons pas de temps, je ne souhaite pas qu’ils remarquent mon absence et ne s’aventurent dans l’enceinte avant que cela ne s’écroule.
Alwena acquiesça et ne perdit pas de temps pour expliquer la démarche à sa sauveuse :
— Il vous faut ouvrir ma tombe et retirer le bracelet d’argent serti d’un rubis qui se trouve sur mon poignet gauche. C’est cet artefact qui retient mon esprit prisonnier et qui garde le château sur pieds. Il m’a été offert il y a bien longtemps par ceux qui m’ont rendu mes pouvoirs, j’ignorais que le jour de ma mort le bijou me condamnerait à errer pour l’éternité… Lorsque vous l’aurez retiré, je disparaitrai, dès lors il vous faudra vous dépêcher de sortir.
Amerys posa son regard sur la tombe grise et morne d’Alwena. Son corps fut soudainement parcouru de frissons et elle sentit sa gorge devenir sèche lorsqu’elle tenta d’avaler sa pauvre salive.
Elle allait sauver l’âme d’Alwena mais qu'en était-il de la sienne ? La jeune naine restait optimiste mais un brin de sa conscience la persuadait qu’elle ne pourrait pas s’en sortir vivante.
— J’admire votre courage demi-naine, déclara avec intensité l’esprit blafard d’Alwena. Votre cœur est généreux et bon. J’espère que vous sortirez d’ici vivante. Puis, je voudrais vous remercier pour votre honorable geste. Merci infiniment…
Amerys n’eut pour seule réponse qu’un mince et nerveux sourire et sans perdre de temps elle s’approcha de la tombe et repoussa le couvercle de pierre de toutes ses forces sous les yeux livides du fantôme. Le couvercle raclât la pierre et le son résonna sourdement dans la pièce circulaire.
La frêle dépouille d’Alwena reposait tranquillement. Toute en os, elle portait encore quelques frusques qui avaient dû être une belle robe à l’heure de son enterrement. La vue de ce squelette n’était pas fort agréable mais elle devait le faire. Elle devait retirer le bracelet de son poignet. Regardant de plus près elle aperçut enfin l’objet maudit en question qui entourait son maigre os. Il était comme elle l’avait décrit, en argent avec une magnifique pierre de rubis.
Prenant alors son courage à deux mains, la naine fit glisser le bracelet de son bras avant de le sortir de la tombe pour l’examiner, presque fascinée par la puissance d’un si petit objet. Mais soudain il se décomposa avant de tomber en poussière dans la paume de sa main. Amerys regarda alors le fantôme d’Alwena mais celui-ci s’évaporait déjà en poussière d’étoiles. Cette dernière souriait, sentant la liberté lui tendre les bras. Elle allait pouvoir reposer en paix. Enfin.
— Merci, souffla-t-elle dans un murmure avant de disparaitre complètement dans une nuée d’étincelles de lumière enchanteresses.
Le spectacle était beau et émut Amerys plus que de raison. Elle était glorieusement fière de son geste, dès lors, avoir libéré Alwena de sa malédiction lui procura une sensation de satisfaction inégalée. La femme pourrait enfin reposer en paix et c’était grâce à elle.
Soudain un brusque tremblement lui rappela qu’il fallait déguerpir au plus vite avant de finir écrasée sous les décombres du château. Elle décampa aussi vite que possible, laissant derrière elle le souvenir ectoplasmique de dame Alwena.
******
— Qu’était-ce donc que ceci ? lança alors Dwalin après le tremblement.
La compagnie était encore sur le pont, marchant d’un pas nonchalant vers le pont principal pour rejoindre la rive. Tous se retournèrent vers le château d’un œil curieux mais non moins inquiet. Ils s’assurèrent instantanément qu’ils étaient tous là mais Thorin remarqua bien vite l’absence de la demi-naine.
— Où est Amerys ? demanda-t-il en gardant son sang-froid.
Chacun regarda à sa droite, puis à sa gauche, tentant d’apercevoir la naine. Mais force était de constater qu’elle n’était parmi eux.
— Oh non… fit soudain Bilbon en regardant avec peine la demeure qui commençait à s’effriter. Elle est dans le château ! Je lui avais dit de ne pas le faire mais elle ne m’a pas écouté !
Le hobbit commença à s’arracher les cheveux tant la panique avait envahi son petit être.
— Bilbon ! s’exclama alors Thorin. Par Durin, qu’est-ce que vous racontez ?!
La hobbit tourna trois fois sa langue avant d’expliquer brièvement à la compagnie ce qu’il s’était passé la veille et ce qu’était finalement en train de faire leur amie.
— La pauvre folle… souffla Thorin.
Sans perdre de temps Fili tourna les talons pour tenter d’aller sauver la demi-naine, c’était sans compter Gandalf qui barra sa route, l’empêchant alors d’aller à la rescousse d’Amerys. Quelques pierres tombaient déjà, de même que la végétation croissait doucement, tentant d’avaler la demeure dans les lianes et le lierre.
— Fili non… c’est trop dangereux, déclara Gandalf dont le regard aigu interdisait toute réplique.
— Il faut que j’y aille, elle a besoin d’aide ! s’exclama le jeune prince nain pris d’effroi à l’idée de perdre son amie.
— Nous ne pouvons rien pour elle et nous ne pouvons risquer la vie d’un autre nain de cette compagnie… continua Gandalf en retenant toujours plus Fili qui se débattait face au magicien.
Thorin vint alors à la rescousse pour tenter de résonner son neveu lorsque une pierre tomba et roula dangereusement sur le pont. Ils durent reculer pour ne pas se faire écraser et celle-ci brisa sans plus attendre le bois du pont invisible qui menait à la demeure, coupant dorénavant tout accès au château.
— Reculez sur le pont principal ! ordonna alors Thorin à ses acolytes.
Ce qu’ils firent de ce pas sans demander leur reste, brisant maintenant l’espoir de pouvoir sauver Amerys, prisonnière des pierres et de la mort.
Une fois sur le pont qui enjambait la rivière de l’Anduin, hors de danger, ils ne purent qu’assister à la sordide scène sans rien pouvoir faire d’autre que de regarder avec désespoir la demeure tomber en ruine. Les fondations du château s’écroulaient petit à petit sur l’ilot et les hautes tours ne tarderaient pas à plonger dans le vide, dès lors Amerys trouverait probablement la mort, si ce n’était pas déjà le cas.
Fili était inconsolable et rageait entre ses dents tandis que Bilbon était rongé par la culpabilité d’avoir cru qu’Amerys n’irait pas venir en aide à Alwena. Il commençait à connaître la jeune demi-naine et aurait dû savoir qu’elle ne reculerait pas face à cet obstacle si c’était pour faire une bonne action. Tremblant de sa propre bêtise il s’affala par terre en mettant son visage entre ses pauvres mains.
*****
Amerys avait réussi à remonter des catacombes sans embuches mais s’était bien vite retrouvée devant l’impossibilité d’emprunter l’entrée principale car un éboulement en avait bloqué l’accès. Paniquée, elle avait mis du temps à retrouver son sang-froid avant de continuer avec courage à travers le château, tentant de trouver une issue. Chaque passage semblait l’empêcher de sortir, alors elle devait à chaque fois emprunter d’autres couloirs. Ce labyrinthe chaotique l’avait par conséquent amenée à monter toujours plus haut dans les étages car les fondations s’écroulaient petit à petit.
La demi-naine était à présent parquée dans la plus haute tour de la demeure, et se précipita sans perdre de temps vers la fenêtre, probablement son dernier et seul salut. Sans perdre de temps elle l’ouvrit et tenta de mesurer la distance au sol. C’était très haut. Trop haut…
Amerys perdit l’espace d’un instant tout espoir de pouvoir s’en sortir vivante. Puis elle aperçut ses amis au loin près de la rive, à l’abri de tout danger. Elle fut soulagée mais la peine commença à envahir son être. Ils observaient la demeure sans bouger, attendant peut-être un miracle, celui de la voir saine et sauve.
En regardant de plus près elle remarqua que la distance entre la tour et l’eau n’était pas si grande que cela mais les chances pour qu’elle réussisse à sauter si loin étaient minimes. Pourtant, en prenant son courage à deux main, elle grimpa sur le rebord de la fenêtre avant de s’y mettre debout et de s’accrocher pour ne pas tomber.
Soudain la naine entendit Fili crier son nom au loin. Son cœur se serra rien qu’à l’idée de perdre la vie et ne plus jamais le revoir. Lui mais aussi toute la compagnie.
Alors qu’Amerys se perdait dans ses pauvres rêveries, un bruit sourd résonna et quand elle regarda en arrière vers la piécette, elle comprit que la tour se décrochait et s’éloignait allègrement de l’édifice. Dès lors, son cœur se mit à battre si fortement qu’elle crut qu’il allait exploser, de même que son corps se paralysa de peur.
La jeune femme s’accrocha bon gré mal gré de toutes ses forces pour ne pas vaciller tandis que la tour penchait dangereusement. Mais l’espoir raviva ses entrailles car par chance l’amas de pierres plongeait tout droit vers la rivière. Voyant qu’elle se rapprochait toujours plus de l’eau elle respira un grand coup avant de sauter de la fenêtre.
Après une chute impressionnante elle plongea à pieds joints dans l’eau tumultueuse de la rivière. En remontant à la surface elle respira un bon coup après avoir été noyée sous l’eau. La tour s’était brutalement effondrée dans les eaux claires mais elle avait miraculeusement évité les pierres qui maintenant coulaient dans les profondeurs du fil d’eau comme un vieux souvenir.
Amerys était saine et sauve, elle n’avait maintenant plus qu’à rejoindre la rive où l’attendaient ses amis.
Cependant, il était difficile pour elle de nager à contre-courant mais elle entreprit tant bien que mal de se rapprocher du pont pour s’y agripper, malgré les puissants remous qui agitaient la rivière.
Peu après, quand elle y parvint, Amerys vit quelqu’un nager rapidement dans sa direction. C’était Fili… Le malheureux risquait donc sa vie pour venir l’aider, sans que rien ne puisse ébranler sa détermination.
— Amerys, lança-t-il alors qu’il était maintenant tout près.
— Fili… souffla Amerys, heureuse de revoir le nain.
A sa plus grande surprise le guerrier l’enlaça sans retenue, oubliant que l’eau pouvait les emporter au moindre moment. Mais la jeune femme, émue ne put retenir non plus ses bras et lui rendit son étreinte, rassurée de sentir son ami contre elle. Puis oubliant le danger, elle enfouit alors son nez dans ses longs cheveux blonds mouillés.
— J’ai eu si peur pour vous, lui avoua-t-il. Quand cesserez-vous de me faire des frayeurs ?
La jeune femme ne trouva rien d’autre à faire que de rire bêtement alors sans perdre de temps le jeune prince essaya de s’accrocher au pont et de les remonter de toutes ses forces. La jeune femme s’agrippa tandis que le reste de la compagnie venait à leur secours. Ils mirent toute leur force pour les hisser sur le pont de bois. Alors quand elle regagna la terre ferme Amerys s’allongea et tenta de reprendre son souffle après ce fâcheux moment.
La demi-naine était saine et sauve et en plus de cela elle avait libéré Alwena. Elle sourit non sans fierté.
— Jeune fille, commença alors d’une voix rauque Thorin en lui faisant de l’ombre car il était penché au-dessus d’elle. Je crois que vous nous devez des explications…
Amerys se mordit la lèvre inférieure avant de se relever, inquiète que Thorin la sermonne comme si c’était sa propre fille. Pourtant le chef de guerre ne rajouta rien, hormis un regard bleuté remplit de curiosité.
Trempée jusqu’aux os et tremblotante elle se posta ainsi fièrement devant le roi sous la Montagne. D’une voix digne elle se mit à conter son récit et son exploit, voulant partager la fierté qu’elle avait pour le service rendu à l’esprit d’Alwena.
Quand elle eut terminé elle porta instinctivement sa main à sa poche comme pour s’assurer que le secret de Lithirundiel était encore là. Elle ne l’avait pas perdu dans l’eau, ce qui la rassura.
— Votre courage vous honore, conclut avec un sourire Thorin. Seulement votre imprudence devrait être rangée au placard. La prochaine fois, informez-nous en, que nous puissions réfléchir ensemble à la meilleure solution, plutôt que de bêtement risquer votre vie.
Amerys acquiesça toute penaude, ne voulant pas réfuter les conseils du guerrier. Et lorsque la compagnie décida de partir, reprenant la route à travers les bois, Gandalf vint la rejoindre sur le chemin d’un pas nonchalant.
— J’avais bien senti une présence étrangère dans cette mystérieuse demeure, affirma enfin Gandalf. Cependant n’ayant pas flairé de menace j’ai mis de côté mes inquiétudes. C’est fort étonnant que l’esprit de cette dame soit venu à vous.
Amerys haussa les épaules, elle ne savait pas non plus ce qui avait poussé Alwena à se montrer à elle plutôt qu’à un Istari. Elle n’avait même pas pensé le lui demander. Cela resterait à jamais un mystère.
— Au moins vous avez récolté de plus amples informations sur l’origine et le pouvoir de votre artefact. Soyez prudente tout de même car les artefacts sont parfois imprévisibles.
— Je tâcherai de m’en souvenir Gandalf, je vous promets de faire attention.
Peu après le magicien s’éloigna et c’est Fili qui vint se poster à ses côtés à son tour. Encore trempé tout comme elle, il portait entre ses mains la cape d’Amerys, celle qui avait appartenue à Alwena. Elle était toujours impeccable à son plus grand étonnement.
— J’ai pensé que vous en auriez besoin, déclara alors le jeune nain. Il serait mal avisé de tomber malade maintenant.
Amerys lui adressa son plus tendre sourire et tendit les mains pour saisir le vêtement. Fili en profita pour lui attraper doucement la main, qu’il serra et caressa intimement. Cette dernière ne broncha pas, appréciant une fois de plus ce contact tandis qu’elle se remémorait avec allégresse leurs échanges de la veille. Quand il la relâcha pour continuer de marcher, son cœur se remplit de regrets et paradoxalement d’espoir. Elle étira un sourire en regardant ce nain qui faisait fondre son cœur de jour en jour.
Rêveuse elle enfila sa cape pour se réchauffer puis reprit son chemin parmi la compagnie. L’aventure continuait…