Le Royaume d'Orodreth

CHAPITRE 10

Après avoir conduit Mina à ses quartiers, la servante la laissa tranquille. C’est avec plaisir que la reine redécouvrait cette chambre qui était décorée de plusieurs teintes de bleu.Les appartements Caladhiel n'étaient pas les plus spacieux du palais, mais ils étaient bien aménagés et somptueux : Mina les adorait. Dans l’entrée, elle déposa ses armes et sa cape. Elle se rendit ensuite dans la salle de bains et se passa de l’eau sur le visage. Dans le miroir, elle remarqua, accroché à sa tunique, un morceau de toile d’araignée dont elle se débarrassa immédiatement. Cette bribe de toile lui fit penser au Hobbit. Elle se demandait s’il avait réussi à échapper aux arachnides et si oui, où il pouvait bien être. Et pourquoi Gandalf avait dû abandonner les nains… Tant de questions auxquelles elle n’aurait pas de réponse… Elle espérait juste que chacun d’eux allait bien.

Elle poursuivit sa visite en se rendant sur le petit balcon jouxtant la chambre. De là, elle aperçut au loin le prince de Mirkwood flirter avec la capitaine des gardes. Ceci la fit sourire car c'était beau de voir deux êtres nouer des liens et se découvrir. Comme ses parents souhaitaient qu’elle se concentre sur l’élevage des dragons, elle n’avait jamais connu cela. Et n’ayant pas eu le temps de s’intéresser aux jeunes hommes elfes du royaume, cela expliquait qu'aujourd’hui, c'était une reine sans roi et sans héritiers. Mais les choses changeaient et elle avait découvert ce qu’était l’amour aux côtés de Thranduil. Même s’ils ne pouvaient pas tout se permettre en raison de leur statut, ils se courtisaient gentiment en prenant leur temps car cela faisait du bien de se sentir aimé. Puisqu’elle se savait en sécurité ici, elle se permit donc de relâcher son attention pour aller aussitôt s'allonger sur le lit aux draps azur pendant quelques minutes.

Plus tard, c’est la voix de la jeune femme elfe qui l'avait conduite dans sa chambre qui la réveilla. Surprise, Mina se releva d’un bond et comprit qu'elle s'était endormie. 

— Veuillez m'excusez, reine Mina. 

— Ce n'est rien... Qui y a-t-il ? 

— Le seigneur Thranduil règle une affaire à l'extérieur, il sera donc absent pour le dîner. Mais il vous retrouvera sur la grande terrasse à la nuit tombée pour Mereth en Gilith. 

— D'accord, merci de m'avoir prévenue. 

— C’est normal majesté, c'est mon rôle. Il tient aussi à ce que vous portiez ceci, ajouta-t-elle en désignant une sublime robe déposée sur le dossier d’une chaise, près de la porte de la salle de bains. 

— Parfait, je la porterai. 

La servante sourit puis Mina reprit la parole avant qu'elle ne quitte la chambre. 

— Je vais sauter le dîner. 

— Bien, acquiesça-t-elle. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à me faire demander, je m'appelle Elenwë. 

— Je m’en rappellerai, merci Elenwë. 

Cette dernière s'inclina avant de quitter les lieux. La reine n'en revenait pas de s'être endormie aussi facilement, il ne lui semblait pourtant pas être si fatiguée. Elle oublia le lit, pourtant très confortable et s'approcha de la robe que le roi lui avait offerte. 

C’était une longue robe noire brodée de fines arabesques d’argent. Un décolleté apportait une touche de séduction tout en restant convenable. Les manches étaient longues et évasées au niveau des poignets. Et dans le dos un laçage permettait de la serrer et de la tenir fermée. Elle aimait beaucoup ce genre de robe, simple mais très élégante qui s’assortirait très bien avec son diadème.

Devinant que pendant son absence, certaines choses avaient certainement dû changer au palais, elle quitta sa chambre pour aller explorer les lieux. Elle se rendit sur le chemin principal qui était emprunté par des soldats, des artisans ou des serviteurs, et nota que tous prenaient le temps de la saluer. La nouvelle de sa présence avait déjà fusé dans tout le palais, si l’on y ajoutait sa rare chevelure brune, elle ne passait pas inaperçue.

Ses pas la menèrent jusqu'à une petite terrasse aménagée dans la roche. Depuis cet endroit, elle pouvait voir tout Vert Bois qui se parait de sublimes couleurs automnales. En arrière plan, Erebor trônait fièrement. Sa destination finale était juste là, à quelques kilomètres. Thranduil ignorait encore quelle était la véritable raison de son passage par ses terres. Il fallait absolument qu’elle l’informe sans tarder du but de son voyage et décida qu’elle lui expliquerait tout le soir même.

Elle quitta le belvédère et continua sa promenade. Cette fois, c’est vers les jardins intérieurs qu’elle se dirigea. Avant son accident, à chaque visite qu’elle effectuait à Mirkwood, elle s’y rendait en compagnie du roi et ils y passaient d'agréables moments. Ce paradis vert était dissimulé derrière un rideau végétal qu’elle écarta délicatement pour ne pas l'abîmer. Avec toutes les années qui étaient passées, les plantes et les arbres avaient poussé. Au centre de ce jardin enchanteur, trônait un immense saule pleureur plusieurs fois centenaire. Son long et épais feuillage tombait joliment en cascade. Plusieurs points d'eau naturels étaient embellis par une multitude de fleurs, autour desquelles des papillons voletaient. Elle s'avança d'un pas lent et se rendit jusqu'à l'endroit où le seigneur et elle, avaient l'habitude de se retrouver. Ce coin se trouvait à moitié dissimulé derrière des racines recouvertes de lierre. Elle contourna la végétation puis à sa grande surprise, elle constata que le nid était déjà occupé par un jeune couple étroitement enlacé : le prince et la jolie capitaine des gardes ! Se rendant compte de sa présence, le couple se sépara de plusieurs dizaines de centimètres, honteux de s'être fait surprendre. Elle s'excusa promptement puis rebroussa chemin.

Legolas la rattrapa rapidement, après avoir contourné le saule.

— Reine Mina ? Attendez, je vous prie. 

L'elfe brune se retourna et laissa le prince s’approcher. Tauriel ne tarda pas à les rejoindre, affichant un air gêné. 

— J’ignorais que vous étiez là. 

— Ce n'est rien... éluda le prince. Seulement, pourriez-vous ne rien dire à mon père ? Il ne tolère pas notre relation, avoua-t-il. 

— Parce que je ne suis pas de sang royal, précisa Tauriel. 

Mina était face à un dilemme : devait-elle respecter la demande de Legolas et mentir à Thranduil ? Ou devait-elle tout dire au roi, au risque que le prince et la capitaine ne subissent son courroux ? Ce n’était pas un choix facile et elle n’était pas la mieux placée pour les aider. N’ayant pas d’enfants, elle n’avait pas à se soucier de leur avenir ou du statut des personnes auxquelles ils s’attachaient. Mais en y réfléchissant bien, puisque Thranduil était absent, il ignorerait tout de sa balade et de cette rencontre, donc elle décida de rallier leur cause.

— Je ne lui dirai rien.

Les jeunes elfes furent soulagés, ils s’imaginaient déjà face au roi pour défendre leur amour.

— Legolas, reprit Mina. Je vous conseillerais tout de même d’essayer de discuter avec votre père.

L’elfe acquiesça. Il avait déjà essayé de parler de cette relation à son père mais ce dernier l’avait très mal pris. Il vouait une grande importance au rang et il souhaitait que son fils épouse une princesse plutôt qu’une humble elfe sylvestre. La reine remarqua l’expression décontenancée du prince.

— Laissez-lui du temps, je suis certaine qu’il se fera à l’idée.

— Je l’espère… Il n’est pas aussi compréhensif que vous.

— Il ne veut que le meilleur pour vous...

— Hum… oui.

— En attendant, profitez de son absence et retournez à vos occupations, ajouta-t-elle avec un petit sourire taquin. Le prince et la chef des gardes la saluèrent, sans oublier de la remercier, puis elle quitta le jardin pour laisser les elfes roucouler paisiblement.

Son chemin se poursuivit à l'extérieur, du côté des berges de la rivière. Ses pensées restaient dirigées vers Legolas et Tauriel. Ces deux jeunes elfes avaient cédé à leurs sentiments malgré leur différence de rang. Elle espérait juste que Thranduil n’irait pas jusqu’à bannir Tauriel pour avoir séduit son fils.

Cette situation lui faisait irrésistiblement penser à l’histoire de ses parents.

C’était son grand-père, le roi Mankar qui avait bâti le royaume d’Orodreth. Au commencement, c’était un simple royaume elfique comme les autres. Son épouse, la reine Celria lui avait donné un fils, le prince Cingor. Tout comme Legolas, il était tombé amoureux d’une simple elfe, la belle Aerin, une fille de forgeron. Il avait immédiatement été séduit et charmé par son regard bleu foncé, noyé de paillettes dorées et son visage enjôleur. Il avait dû se battre des années et s’opposer aux règles de son père pour avoir le droit de l’épouser.

Pendant la seconde bataille de Beleriand, Dagor-nuin-Giliath, le roi Mankar et son épouse ayant perdu  la vie, Cingor se retrouva, malgré lui, propulsé à la tête du royaume. Il s’était battu aux côtés de Celeborn et d’Elrond, et malgré de nombreuses pertes, les elfes en étaient sortis victorieux. Après la guerre, c’est dans un donjon d’orcs que Cingor avait découvert les œufs de dragons. Vingt œufs aussi gros que des crânes. Son but premier était de les détruire en les jetant par une ouverture pour qu’ils s’écrasent une cinquantaine de mètres plus bas. Puis, il avait pensé à ce que ces œufs renfermaient. Elevés dans les ténèbres, ces dragons étaient des bêtes meurtrières, servant le Mal. Mais qu’en serait-il s’ils naissaient dans un tout autre univers d’où les ténèbres auraient été absentes ? Il les avait finalement ramenés à Orodreth où il avait eu le bonheur de retrouver son épouse et sa fille Mina âgée d’une centaine d’années. 

Ses parents enterrés et étant officiellement proclamé roi, il commença à faire incuber les œufs. Cinq pour commencer. Lorsqu’ils avaient éclos, Mina se rappelait parfaitement la joie et la fierté de son père. Pendant des années, il les avait éduqués et avait travaillé avec eux pour les former et effacer toute trace du mal qui pouvait se trouver naturellement dans leurs gênes. Mina le secondait et Aerin veillait à ce que sa fille en apprenne le plus possible auprès de son père. Un millénaire plus tard, Cingor et Aerin avaient décidé de quitter la terre du milieu pour Valinor, laissant le royaume à leur fille unique. Les œufs restants avaient été incubés et Orodreth prospérait jusqu’à la rébellion de Smaug. Malgré l’opposition de son père, Cingor avait réussi à avoir gain de cause et à épouser celle qu’il aimait, tout n’était donc pas perdu pour le prince de Mirkwood.

Marchant toujours le long de la rivière, son attention fut bientôt attirée par un massif de petites fleurs blanches, jusqu’auquel elle se fraya un passage entre les buissons. L’idée que ces fleurs pourraient venir embellir sa chevelure de jais pour la fête de ce soir et ainsi honorer le Royaume des Forêts, l’incita à en récolter quelques-unes avec délicatesse. Heureuse d’avoir trouvé cet ornement simple, elle regagna alors ses appartements en toute hâte pour les préserver dans un peu d’eau.

Bien plus tard, à sa demande, Elenwë l’avait retrouvée dans sa chambre pour l’aider à se préparer. Chaque fleur avait délicatement été répartie avec soin dans sa longue tresse noire. Avant de rejoindre la grande terrasse pour la fête, Mina se regarda longuement dans le miroir, tandis que la servante arrangeait quelques infimes détails.

Son reflet renvoyait l'image d'une vraie reine et elle aimait cela. Délicate, séduisante... A cet instant, elle prit conscience d’une chose : comment une reine pourrait-elle avoir le dessus face à un dragon ? Elle savait les dresser mais n’avait jamais eu à les affronter… Il n'était pas trop tard pour abandonner. Elle pourrait s'installer en Lórien ou à Mirkwood ; dans les deux cas, elle serait la bienvenue, elle le savait. Puis sa relation avec Thranduil pourrait évoluer, elle pourrait ainsi vivre son histoire d'amour sans se soucier du reste, mettre au monde son premier enfant et devenir la nouvelle reine du Royaume des Forêts. Cette ambition d'avenir lui plaisait, elle se permit d'y rêver quelques instants mais rapidement, elle chassa cette idée. Sa vie, c'était ses dragons et son royaume, rien d'autre.

— Vous êtes ravissante, complimenta Elenwë. 

Les paroles de la servante la sortirent de sa rêverie, Mina se détourna du miroir pour lui faire face. 

— Merci.

— Connaissez-vous le chemin pour vous rendre à la grande terrasse ?

— Oui, je vous remercie pour votre aide, vous pouvez disposer.

La jeune elfe s'inclina généreusement puis quitta la chambre. L'heure était venue pour Mina de rejoindre le roi.

Le chemin fut court jusqu'au lieu de la réception. Mereth en Gilith était la fête de la lumière des étoiles, très importante pour les elfes. De nombreux citoyens du royaume festoyaient déjà. Une douce et agréable musique jouée à la flûte traversière, la harpe et le violon, s’élevait dans les airs. Lorsqu'elle entra, les quelques elfes qui la remarquèrent la saluèrent, puis elle aperçut Thranduil en tenue d'apparat un peu plus loin. D'un pas léger, elle s’approcha de lui. Il était de dos et discutait avec un chef de sa garde, qui s’inclina à son approche, incitant le roi à se retourner. 

— Bonsoir Seigneur. 

— Mina, vous êtes resplendissante. 

— Grâce à vous, précisa-t-elle. 

— La robe n'est qu'un détail... Vous l'êtes autant en tenue de voyage, assura-t-il. 

Sachant que le roi cherchait à la flatter, elle lui adressa un sourire radieux. Le roi prit congé du garde avec qui il discutait, pour s’éloigner avec la reine.

Tous deux s'avancèrent près de la rambarde pour admirer les astres. Leurs lumières étincelantes se reflétaient dans leurs pupilles mais bientôt le roi détourna son regard du firmament pour observer sa belle compagne. Il l'avait rarement vue aussi joliment apprêtée. Elle contemplait le spectacle avec plaisir, guettant une possible étoile filante, puis sentant le regard insistant du roi sur elle, elle se tourna vers lui. Son visage était marqué d'un léger sourire qu'il communiqua à Mina. Ils s'observèrent de longues minutes puis c'est lui qui parla en premier. 

— Je vais nous chercher du vin. 

Il ne fut pas long à revenir avec deux coupes pleines. En prenant le verre qu'il lui tendait, Mina pensa à ce que lui avait dit Gandalf : « Je ne refuse jamais un bon verre de vin ». Elle ignorait où se trouvait le magicien actuellement, mais c'était certain qu'il aurait été ravi d'être ici. Les seigneurs elfes trinquèrent et chacun porta le liquide à ses lèvres. Après en avoir bu une gorgée, la reine abaissa son verre. 

— Thranduil, votre vin est divin.

— Les hommes d'Esgaroth font du bon travail, c'est vrai. 

Elle trempa à nouveau les lèvres dans sa coupe, consciente malgré tout qu’elle ne devait pas abuser. Le vin était un délice capiteux qui dans peu de temps lui tournerait la tête.

Mereth en Gilith se poursuivit dans une ambiance joviale, mêlée de danses et d'observation du ciel quand les étoiles filantes commencèrent à fendre la noirceur de la nuit.

Il était bien tard quand les seigneurs quittèrent la terrasse pour se retrouver un peu seuls. Appuyée à son bras, Mina suivait le roi, en sachant pertinemment où il l'emmenait et ce choix ne l'étonnait pas. Elle allait malheureusement devoir gâcher cet instant en lui révélant son plan. La réaction du roi ne serait pas une surprise, elle se doutait qu'il allait tenter de la dissuader, mais au fond d'elle, sa décision était prise depuis bien longtemps et même les suppliques de son amant ne la feraient pas changer d'avis.

Ils étaient arrivés dans les jardins. Thranduil avait fait glisser son bras de sorte que sa main saisisse celle de la reine. Le lieu était faiblement éclairé par un puits de lumière que la lune inondait d'une lueur blanche mystérieuse. Ils s'arrêtèrent non loin de là et se placèrent face à face, leurs mains tendrement enlacées. 

— Thranduil, je dois vous dire... 

— Vous m'avez horriblement manqué, la coupa-t-il tout en venant lui caresser le joue de son index.

Avec douceur, il fit glisser toute sa main dans son cou et la rapprocha de lui. Collée contre son torse, une main sur son cœur, elle le sentait battre aussi vite que le sien, puis elle leva les yeux vers lui. Dans son regard, elle pouvait lire tout l'amour qu'il éprouvait pour elle et il devait lire la même chose dans le sien. Aussi ne tarda-t-il pas à se pencher vers elle : il voulait l'embrasser et elle en avait envie tout autant que lui. Alors que leurs lèvres se rapprochaient, n'étant plus qu'à quelques centimètres, elle détourna subitement la tête et se dégagea de l'emprise du roi.